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CONSTRUIRE UNE ÉPISTÉMOLOGIE

Chapitre 2. Thèse sur travaux, cité par projets

2.4 Couper au montage

En guise de conclusion de ces questionnements épistémologiques j’aimerais ouvrir une réflexion sur le travail de recomposition qui caractérise nécessairement l’entreprise d’une thèse sur travaux. Recomposition ou

« montage », qui consiste à prendre des éléments sortis de leur contexte — les articles, qui vivent leur propre vie pour certains depuis des années —, les désautonomiser et les composer pour en tirer une construction plus vaste : le manuscrit de thèse.

Comme je l’ai évoqué, le quotidien d’une thèse sur travaux s’apparente par bien des aspects à une organisation par projets distincts. En parallèle à un travail de fond — lectures théoriques, veille, enquête — l’activité est rythmée par les projets de publications et de communication, qui constituent à chaque fois une itération nouvelle. Ce format permet des collaborations riches, il sort le doctorant de son isolement caractéristique et favorise une ouverture qui est sans doute moins évidente dans le cas d’une thèse monographique. Le choix de réaliser une thèse sur travaux est néanmoins la cause de beaucoup de frustrations. La dépendance à des facteurs externes, le manque de contrôle sur les agendas de publication, les demandes de modifications importantes ou des refus d’apparence injustes ont été autant d’occasions de remises en question du chemin emprunté.

Une des plus grandes frustrations reste toutefois sans doute celle qui accompagne le travail de montage. Quand vient le moment de rassembler les publications, de les composer et de les monter dans l’appareil critique qui constitue l’armature du mémoire de thèse. Ce moment, pour moi, est intervenu en fin du parcours doctoral, lorsque la plupart des articles étaient écrits, certains rédigés et publiés depuis longtemps, d’autres en attente de l’être. D’une part, il m’a semblé n’avoir pas réussi à exprimer tout ce que j’aurais souhaité exprimer dans la collection de publications, contraint que j’étais par le format rigide de l’article, et la nécessaire adaptation du contenu aux exigences externes. D’autre part, rétrospectivement, les articles écrits en début de thèse me semblaient trop refléter l’évolution de mon objet de recherche. Le travail de composition s’en retrouvait alors d’autant plus compliqué qu’il fallait intégrer à un même manuscrit des éléments issus des différentes étapes chronologiques d’une réflexion s’étant étalée sur quatre années de travail. À la différence d’une thèse monographique dont le plan peut se métamorphoser complètement jusqu’au moment de la rédaction pour apparaître en fin de parcours comme un objet monolithique, la thèse sur travaux porte dans sa matière les sédimentations intellectuelles du chercheur.

Je reste cependant persuadé que cette exigence de montage constitue l’une des forces pédagogiques du doctorat comme processus d’apprentissage. En cela, elle rapproche le moment de la rédaction d’un geste éditorial, dont l’enjeu principal devient la construction narrative du récit de thèse. Comment redonner une cohérence d’ensemble à un parcours par essence non-linéaire ?

évaluateurs ou parce que leur démonstration aurait excédé l’espace disponible dans ladite publication — sont repris dans une partie introductive, et dans des chapitres qui charpentent, à côté des articles, le manuscrit de thèse. À titre d’exemple, des éléments sur le potentiel critique de l’art et son irruption — propre et figurée — dans l’espace urbain, qui me semblaient importants pour comprendre les premier et troisième articles (Chapitres 5 et 7), ont fait l’objet d’un chapitre préliminaire (Chapitre 3). Il en est de même de la démonstration d’une critique de l’urbanisme qui a toujours accompagné le développement des techniques de production de la ville pour les réinventer perpétuellement (Chapitre 4). Ce chapitre-là sert l’argumentaire général, mais ne pouvait, en tant que tel, sans doute pas faire l’objet d’une publication autonome.

Ainsi j’ai fait le choix d’organiser cette « exégèse » (Peacock, 2017) autour d’une introduction qui permet de problématiser l’objet de recherche, d’une réflexion méthodologique et épistémologique (Chapitres 1 et 2), d’un cadre analytique (Chapitres 3 et 4) — qui permet de présenter, plus longuement que ne le font les articles, la double filiation théorique de la recherche, et qui met en parallèle un tournant spatial de la critique en art avec un tournant esthétique de l’urbanisme —, et enfin d’une conclusion générale qui dresse les enseignements principaux de la recherche. En outre, en ceci que cette thèse se veut aussi être une réflexion épistémologique sur la pratique de la recherche sur travaux, j’ai fait le choix de précéder chaque publication d’un avant-propos, qui replace concrètement l’article dans son contexte à la fois éditorial, et intellectuel ; ainsi qu’une chronique qui en retrace les grandes étapes, les modifications, les ajustements.

2.4 Couper au montage 

En guise de conclusion de ces questionnements épistémologiques j’aimerais ouvrir une réflexion sur le travail de recomposition qui caractérise nécessairement l’entreprise d’une thèse sur travaux. Recomposition ou

« montage », qui consiste à prendre des éléments sortis de leur contexte — les articles, qui vivent leur propre vie pour certains depuis des années —, les désautonomiser et les composer pour en tirer une construction plus vaste : le manuscrit de thèse.

Comme je l’ai évoqué, le quotidien d’une thèse sur travaux s’apparente par bien des aspects à une organisation par projets distincts. En parallèle à un travail de fond — lectures théoriques, veille, enquête — l’activité est rythmée par les projets de publications et de communication, qui constituent à chaque fois une itération nouvelle. Ce format permet des collaborations riches, il sort le doctorant de son isolement caractéristique et favorise une ouverture qui est sans doute moins évidente dans le cas d’une thèse monographique. Le choix de réaliser une thèse sur travaux est néanmoins la cause de beaucoup de frustrations. La dépendance à des facteurs externes, le manque de contrôle sur les agendas de publication, les demandes de modifications importantes ou des refus d’apparence injustes ont été autant d’occasions de remises en question du chemin emprunté.

Une des plus grandes frustrations reste toutefois sans doute celle qui accompagne le travail de montage. Quand vient le moment de rassembler les publications, de les composer et de les monter dans l’appareil critique qui constitue l’armature du mémoire de thèse. Ce moment, pour moi, est intervenu en fin du parcours doctoral, lorsque la plupart des articles étaient écrits, certains rédigés et publiés depuis longtemps, d’autres en attente de l’être. D’une part, il m’a semblé n’avoir pas réussi à exprimer tout ce que j’aurais souhaité exprimer dans la collection de publications, contraint que j’étais par le format rigide de l’article, et la nécessaire adaptation du contenu aux exigences externes. D’autre part, rétrospectivement, les articles écrits en début de thèse me semblaient trop refléter l’évolution de mon objet de recherche. Le travail de composition s’en retrouvait alors d’autant plus compliqué qu’il fallait intégrer à un même manuscrit des éléments issus des différentes étapes chronologiques d’une réflexion s’étant étalée sur quatre années de travail. À la différence d’une thèse monographique dont le plan peut se métamorphoser complètement jusqu’au moment de la rédaction pour apparaître en fin de parcours comme un objet monolithique, la thèse sur travaux porte dans sa matière les sédimentations intellectuelles du chercheur.

Je reste cependant persuadé que cette exigence de montage constitue l’une des forces pédagogiques du doctorat comme processus d’apprentissage. En cela, elle rapproche le moment de la rédaction d’un geste éditorial, dont l’enjeu principal devient la construction narrative du récit de thèse. Comment redonner une cohérence d’ensemble à un parcours par essence non-linéaire ?

Ce montage a donc été également l’occasion d’opérer des choix forts, qui donnent lieu à ce que je pourrais appeler une politique d’édition.

Le premier choix a été d’intégrer au manuscrit final tous les articles ayant été conçus pour y figurer, ainsi que les publications annexes — articles professionnels ou recensions d’ouvrages notamment — participant du parcours intellectuel de doctorat et témoignant de l’activité de recherche au sens large.

Je donnerai pour exemple le premier article, New Genre Public Art Commission? Issu des réflexions initiales sur la place de la critique artistique dans les processus de commande publique, il ne se focalisait que sur la commande publique, laissant en grande partie de côté la figure de l’urbaniste.

Une des options aurait été de le substituer par le chapitre en amont (Chapitre 3) qui approfondit la question de la critique en art et de son tournant spatial, et par l’article en aval (Chapitre 7) qui reprend une thématique similaire pour se concentrer sur la tension entre production artistique et politiques urbanistiques. J’ai pourtant décidé de l’intégrer au même titre que les autres, publiés pour la plupart deux ou trois ans après. Un autre choix — qui va dans le sens d’une esthétique du fragment déjà exposée — a été celui de présenter les articles non pas comme des chapitres pleinement intégrés dans un texte suivi, mais au contraire de les montrer tel qu’ils sont, c’est-à-dire des objets réalisés pour un contexte particulier. Il s’agissait alors de révéler l’échafaudage qui les soutient, d’où ils viennent, les chemins qu’ils ont parcourus, à travers un avant-propos ; et de narrer leurs « biographies personnelles », les appels à contributions, et les propositions dont ils sont issus (voir Annexe 5).

Ces choix sont avant tout une manière de dire que la production du savoir est un travail de recomposition permanente. Si un article rédigé cinq ans auparavant ne me paraît plus en écho avec l’évolution de ma réflexion, je peux en déduire que si je prolongeais ma recherche encore cinq années les articles écrits aujourd’hui me produiraient la même sensation. Écrire une thèse, dit Howard Becker, revient à résoudre trois problèmes « comment commencer, comment terminer, et que faire entre-deux » (Becker, 2013, p. 10). À propos de la fin de la thèse, il ajoute :

Nous faisons sans cesse face à de nouveaux problèmes passionnants, qui nous font signe d’approcher, qui nous incitent à leur consacrer juste un peu plus de temps et à penser que cela améliorerait grandement notre travail.

[…] Puisqu’il n’existe pas de moment logique pour s’arrêter, il est donc

raisonnable de laisser les circonstances décider à votre place. (Becker, 2013, p. 13)

Plus qu’un grade, ou une œuvre, une thèse est donc le témoignage d’un parcours de recherche. Dès lors, dévoiler les « traits de construction » de cette recherche revenait, me semblait-il, à admettre que la thèse de doctorat n’est pas un objet fini, mais le fruit d’un processus d’apprentissage. Un processus qui reste souvent dans l’angle mort des réflexions méthodologiques et épistémologiques (Hunsmann & Kapp, 2013). En rendant compte de ce parcours — que le format sur travaux rend particulièrement visible —, cette thèse pourra, je l’espère, contribuer très modestement à éclairer certains de ces angles.

Ce montage a donc été également l’occasion d’opérer des choix forts, qui donnent lieu à ce que je pourrais appeler une politique d’édition.

Le premier choix a été d’intégrer au manuscrit final tous les articles ayant été conçus pour y figurer, ainsi que les publications annexes — articles professionnels ou recensions d’ouvrages notamment — participant du parcours intellectuel de doctorat et témoignant de l’activité de recherche au sens large.

Je donnerai pour exemple le premier article, New Genre Public Art Commission? Issu des réflexions initiales sur la place de la critique artistique dans les processus de commande publique, il ne se focalisait que sur la commande publique, laissant en grande partie de côté la figure de l’urbaniste.

Une des options aurait été de le substituer par le chapitre en amont (Chapitre 3) qui approfondit la question de la critique en art et de son tournant spatial, et par l’article en aval (Chapitre 7) qui reprend une thématique similaire pour se concentrer sur la tension entre production artistique et politiques urbanistiques. J’ai pourtant décidé de l’intégrer au même titre que les autres, publiés pour la plupart deux ou trois ans après. Un autre choix — qui va dans le sens d’une esthétique du fragment déjà exposée — a été celui de présenter les articles non pas comme des chapitres pleinement intégrés dans un texte suivi, mais au contraire de les montrer tel qu’ils sont, c’est-à-dire des objets réalisés pour un contexte particulier. Il s’agissait alors de révéler l’échafaudage qui les soutient, d’où ils viennent, les chemins qu’ils ont parcourus, à travers un avant-propos ; et de narrer leurs « biographies personnelles », les appels à contributions, et les propositions dont ils sont issus (voir Annexe 5).

Ces choix sont avant tout une manière de dire que la production du savoir est un travail de recomposition permanente. Si un article rédigé cinq ans auparavant ne me paraît plus en écho avec l’évolution de ma réflexion, je peux en déduire que si je prolongeais ma recherche encore cinq années les articles écrits aujourd’hui me produiraient la même sensation. Écrire une thèse, dit Howard Becker, revient à résoudre trois problèmes « comment commencer, comment terminer, et que faire entre-deux » (Becker, 2013, p. 10). À propos de la fin de la thèse, il ajoute :

Nous faisons sans cesse face à de nouveaux problèmes passionnants, qui nous font signe d’approcher, qui nous incitent à leur consacrer juste un peu plus de temps et à penser que cela améliorerait grandement notre travail.

[…] Puisqu’il n’existe pas de moment logique pour s’arrêter, il est donc

raisonnable de laisser les circonstances décider à votre place. (Becker, 2013, p. 13)

Plus qu’un grade, ou une œuvre, une thèse est donc le témoignage d’un parcours de recherche. Dès lors, dévoiler les « traits de construction » de cette recherche revenait, me semblait-il, à admettre que la thèse de doctorat n’est pas un objet fini, mais le fruit d’un processus d’apprentissage. Un processus qui reste souvent dans l’angle mort des réflexions méthodologiques et épistémologiques (Hunsmann & Kapp, 2013). En rendant compte de ce parcours — que le format sur travaux rend particulièrement visible —, cette thèse pourra, je l’espère, contribuer très modestement à éclairer certains de ces angles.