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Des régimes d’urbanisation aux esprits de l’urbanisme

L’urbain, aussi bien comme formalisation matérielle, que comme processus de constitution de l’établissement humain, a connu d’importantes évolutions ; des contextes économiques, sociaux, technologiques différents ayant produit des villes différentes. Les sciences humaines s’attèlent, depuis la fin du 19e siècle7, à documenter ces transformations. L’urbanisme, à sa naissance au tournant du 20e siècle, avant que d’être un outil de politiques urbaines destiné à transformer la ville, répondait en effet à une « demande sociale de connaissances » (Scherrer, 2010, p. 187) et, depuis, n’a cessé de nourrir l’ambition d’être tout à la fois un art et une science (Paquot, 2013). À côté de l’urbanisme comme champ de pratique professionnel, s’est parallèlement développée, au sein de la discipline, une historiographie contemporaine de la ville, autour d’auteurs qui ont cherché à en expliquer les contours, les racines et les évolutions. Des premiers historiens de l’urbanisme comme Pierre Lavedan (1926) ou Gaston Bardet (1951), aux approches épistémologiques de Françoise Choay (1965, 1980), et plus récemment à une littérature qui s’est efforcée de comprendre l’évolution des métiers de la ville au défi d’une crise de l’urbain et de l’action publique (on pense notamment aux travaux de François Ascher, mais également à l’importante production intellectuelle du RAMAU8). Ou sur un plan plus local, aux travaux de Michel Bassand (1974, 2004) sur la métropolisation, et à ceux d’Antonio Da Cunha qui ont conduit à penser l’évolution de la ville en terme de régimes d’urbanisation (Bochet & Da Cunha, 2003; Da Cunha, 2005)9.

7 On peut penser, parmi les pionniers, aux travaux des réformistes anglo-saxons, de Jane Addams et de la Hull House, qui ont précédé l’École de Chicago. À ce sujet, voir les Hull House Maps and Papers publiés en 1895, ou le témoignage de Dorothea Moore (1897).

8 Réseau activités et métiers de l’architecture et de l’urbanisme.

9 Notons que beaucoup de poncifs de l’aménagement romand d’aujourd’hui — la représentation métropolitaine de la Suisse, et la politique fédérale des agglomérations qui en découle, ou l’importance accordée à la mobilité dans la planification — sont des héritages de la recherche en sociologie et en études urbaines des années 1970-1990.

De même, des générations de professionnels de l’urbanisme romands ont été

Il se jouait-là, pensais-je, une intrigue qui méritait d’être approfondie. Aussi, une fois mon titre de master acquis en 2014, les questions ouvertes par le mémoire6

— l’importance du ressort culturel dans les discours de l’urbanisme, voire l’assujettissement des orientations des politiques culturelles à des considérations urbanistiques — commencèrent à se cristalliser sur celles amorcées lors de ma courte expérience professionnelle. Mes rencontres successives avec Laurent Matthey, puis avec Luca Pattaroni, ont permis leur concrétisation dans un projet de thèse. Laurent Matthey apportait sa connaissance ethnographique des mondes de l’urbanisme romand, tandis que mon projet s’inscrivait dans la lignée d’une recherche engagée par Luca Pattaroni et le Laboratoire de sociologie urbaine de l’EPFL (LASUR), intitulée La ville créative en question : les transformations socio-spatiales de la question culturelle à Lisbonne et Genève. Ma proposition de recherche doctorale consistait donc à poursuivre les travaux entamés par l’équipe du LASUR en interrogeant les notions de critique et d’autonomie de l’art dans le contexte de la « ville créative » et « garantie » (Breviglieri, 2013) avec une focale particulière sur la commande artistique publique, en comparant les programmes classiques de la commande et la reprise de ce mode d’action par les acteurs de l’urbanisme.

À l’été 2015 j’intégrais l’Université de Genève à l’ouverture d’un poste dans le cadre d’un nouveau master en développement territorial. Engagé comme assistant-doctorant, je me retrouvais en contact quotidien avec le monde de l’urbanisme, à travers les ateliers de projets, les interventions de professionnels, la participation aux événements en lien avec la cité (tables rondes, journées d’étude, rencontres entre monde académique et praticiens, etc.), ainsi que divers mandats de service réalisés durant mon engagement. Je continuais en outre, pour quelque temps et parallèlement à ma thèse, de travailler pour le bureau d’urbanisme qui m’avait engagé après mon master. Enseignant, chercheur, et dans une moindre mesure praticien, je me retrouvais aux

6 Maeder, T. (2014). Le pôle muséal de Lausanne. Enjeux et impacts urbanistiques des grands équipements culturels. Université de Lausanne, mémoire de master en géographie mention études urbaines.

premières loges des transformations en cours dans le monde de l’urbanisme genevois.

Des régimes d’urbanisation aux esprits de l’urbanisme

L’urbain, aussi bien comme formalisation matérielle, que comme processus de constitution de l’établissement humain, a connu d’importantes évolutions ; des contextes économiques, sociaux, technologiques différents ayant produit des villes différentes. Les sciences humaines s’attèlent, depuis la fin du 19e siècle7, à documenter ces transformations. L’urbanisme, à sa naissance au tournant du 20e siècle, avant que d’être un outil de politiques urbaines destiné à transformer la ville, répondait en effet à une « demande sociale de connaissances » (Scherrer, 2010, p. 187) et, depuis, n’a cessé de nourrir l’ambition d’être tout à la fois un art et une science (Paquot, 2013). À côté de l’urbanisme comme champ de pratique professionnel, s’est parallèlement développée, au sein de la discipline, une historiographie contemporaine de la ville, autour d’auteurs qui ont cherché à en expliquer les contours, les racines et les évolutions. Des premiers historiens de l’urbanisme comme Pierre Lavedan (1926) ou Gaston Bardet (1951), aux approches épistémologiques de Françoise Choay (1965, 1980), et plus récemment à une littérature qui s’est efforcée de comprendre l’évolution des métiers de la ville au défi d’une crise de l’urbain et de l’action publique (on pense notamment aux travaux de François Ascher, mais également à l’importante production intellectuelle du RAMAU8). Ou sur un plan plus local, aux travaux de Michel Bassand (1974, 2004) sur la métropolisation, et à ceux d’Antonio Da Cunha qui ont conduit à penser l’évolution de la ville en terme de régimes d’urbanisation (Bochet & Da Cunha, 2003; Da Cunha, 2005)9.

7 On peut penser, parmi les pionniers, aux travaux des réformistes anglo-saxons, de Jane Addams et de la Hull House, qui ont précédé l’École de Chicago. À ce sujet, voir les Hull House Maps and Papers publiés en 1895, ou le témoignage de Dorothea Moore (1897).

8 Réseau activités et métiers de l’architecture et de l’urbanisme.

9 Notons que beaucoup de poncifs de l’aménagement romand d’aujourd’hui — la représentation métropolitaine de la Suisse, et la politique fédérale des agglomérations qui en découle, ou l’importance accordée à la mobilité dans la planification — sont des héritages de la recherche en sociologie et en études urbaines des années 1970-1990.

De même, des générations de professionnels de l’urbanisme romands ont été

Chaque génération a produit des connaissances spécifiques de l’urbain, qui elles-mêmes renseignaient des pratiques de l’urbanisme. Il apparaît alors que la ville ne naît pas uniquement d’une conjoncture, de ce que permet la technologie, ou des pratiques sociales et de mobilités de ses « acteurs ». La forme de la ville, les orientations stratégiques de son développement, les processus décisionnels qui forment sa gouvernance dépendent aussi grandement des cultures et des pratiques professionnelles de ceux qui la planifient et de la production de savoirs de ceux qui la pensent. Outre l’influence qu’exerce le contexte social, technologique et politique, elle est également le fruit d’un zeitgeist, d’un éthos professionnel basé sur des discours et des systèmes de justification — et, comme je viens de l’esquisser rapidement, d’un état de l’art scientifique, d’une circulation des savoirs et d’enseignements universitaires qui percolent lentement dans les pratiques professionnelles. En ce sens, les pratiques de l’urbanisme sont largement sous-tendues par les constructions théoriques qui les nourrissent. Il existerait, je le postule, une grande porosité entre ce que l’urbanisme produit comme outils, comme bonnes pratiques, et les discours critiques qui lui ont été adressés, tant par l’académie, par des impulsions extérieures, des groupes militants, que par la profession elle-même, désireuse de se réinventer en puisant hors de son domaine d’expertise.

On peut dès lors imaginer qu’à mesure que les référentiels, les justifications, les outils, les acteurs de l’urbanisme évoluent, ce sont des types de villes différents qui sont produits, en fonction des réponses différenciées que l’urbanisme, en tant que champ social et professionnel, apporte aux problèmes urbains qu’il identifie, mais également aux critiques qui lui sont adressées. J’établis ici une première analogie avec l’ouvrage de Luc Boltanski et Ève Chiapello Le nouvel esprit du capitalisme (1999). En reprenant à dessein un vocable weberien, les auteurs y décrivent les étapes successives de l’évolution de « l’esprit du capitalisme ». Après sa naissance à la fin du 18e siècle qui verra le développement fulgurant de l’industrie et du salariat, le capitalisme entre, au tournant du 20e siècle, dans son second esprit. Portées par les revendications ouvrières, les critiques de l’exploitation que subissent les travailleurs, des

biberonnées des enseignements de ces figures proéminentes de la recherche en architecture, en géographie et en paysage.

dispositifs de stabilisation et de sécurisation sont mis en place. Or, dans la seconde moitié du 20e siècle, le capitalisme, c’est la thèse des auteurs, entre dans son troisième esprit lorsque, là aussi, il parvient à intégrer les critiques qui lui étaient adressées pour se modifier. Face à la critique des années 1960-1970, dirigée contre les contraintes rigides du monde de travail, et l’inauthenticité de la production de masse, il s’est réorganisé vers plus d’autonomie et de polyvalence, vers une organisation en réseau plutôt qu’en organigramme, et en puisant dans la production culturelle comme source d’authenticité. Le point central de l’ouvrage, l’intégration de la critique dans la reconfiguration des structures, et in fine, son désamorçage, me servira de base pour l’analyse de l’évolution des cadres de la production urbaine dans ce début du 21e siècle. De la même manière qu’ont été décrits les esprits du capitalisme, il me semble pertinent de parler des différents esprits de l’urbanisme, qui lui aussi, depuis sa structuration en champ professionnel s’est énormément modifié, notamment sous les coups des critiques qui lui étaient faites.

On sait désormais que l’urbanisme est né d’une critique de la ville industrielle, en se constituant en un ensemble de savoirs scientifiques et de savoir-faire professionnels se proposant d’en résoudre les problèmes (sur la naissance des métiers de l’urbanisme, voir entre autres Bardet, 1951; Biau & Tapie, 2009;

Choay, 1965; Claude, 2006). Mais cet urbanisme-là, dont l’un des courants, le modernisme, connaîtra son apogée doctrinal en Europe continentale et en Suisse au sortir de la Seconde Guerre mondiale, subit aussi des critiques nourries, qui pousseront à leur tour à des réformes, tant de ses cadres administratifs, de ses outils, qu’au niveau de ses opérateurs et des options qu’ils prennent. Cette analogie à l’esprit du capitalisme, Laurent Devisme l’avait déjà faite dans La ville décentrée ; il y décrivait deux esprits de l’urbanisme — celui des années 1960 et celui des années 2000 —, des idéaux-types qui se distinguent tant par leurs pratiques que par leur outils  (Devisme, 2005). Dans une thèse soutenue en 2016, Pauline Ouvrard étend la recherche sur ce nouvel esprit de l’urbanisme par une ethnographie de ses coulisses, dans lesquelles elle perçoit un agir urbanistique qui se met en scène, se raconte et s’adapte à l’incertitude du contexte aménagiste (Ouvrard, 2016). Plus généralement, de nombreux auteurs, depuis une quinzaine d’années et dans des contextes relativement divers, ont identifié les différents visages d’une même évolution de la gestion et de la planification de la ville au tournant du 21e siècle. D’aucuns

Chaque génération a produit des connaissances spécifiques de l’urbain, qui elles-mêmes renseignaient des pratiques de l’urbanisme. Il apparaît alors que la ville ne naît pas uniquement d’une conjoncture, de ce que permet la technologie, ou des pratiques sociales et de mobilités de ses « acteurs ». La forme de la ville, les orientations stratégiques de son développement, les processus décisionnels qui forment sa gouvernance dépendent aussi grandement des cultures et des pratiques professionnelles de ceux qui la planifient et de la production de savoirs de ceux qui la pensent. Outre l’influence qu’exerce le contexte social, technologique et politique, elle est également le fruit d’un zeitgeist, d’un éthos professionnel basé sur des discours et des systèmes de justification — et, comme je viens de l’esquisser rapidement, d’un état de l’art scientifique, d’une circulation des savoirs et d’enseignements universitaires qui percolent lentement dans les pratiques professionnelles. En ce sens, les pratiques de l’urbanisme sont largement sous-tendues par les constructions théoriques qui les nourrissent. Il existerait, je le postule, une grande porosité entre ce que l’urbanisme produit comme outils, comme bonnes pratiques, et les discours critiques qui lui ont été adressés, tant par l’académie, par des impulsions extérieures, des groupes militants, que par la profession elle-même, désireuse de se réinventer en puisant hors de son domaine d’expertise.

On peut dès lors imaginer qu’à mesure que les référentiels, les justifications, les outils, les acteurs de l’urbanisme évoluent, ce sont des types de villes différents qui sont produits, en fonction des réponses différenciées que l’urbanisme, en tant que champ social et professionnel, apporte aux problèmes urbains qu’il identifie, mais également aux critiques qui lui sont adressées. J’établis ici une première analogie avec l’ouvrage de Luc Boltanski et Ève Chiapello Le nouvel esprit du capitalisme (1999). En reprenant à dessein un vocable weberien, les auteurs y décrivent les étapes successives de l’évolution de « l’esprit du capitalisme ». Après sa naissance à la fin du 18e siècle qui verra le développement fulgurant de l’industrie et du salariat, le capitalisme entre, au tournant du 20e siècle, dans son second esprit. Portées par les revendications ouvrières, les critiques de l’exploitation que subissent les travailleurs, des

biberonnées des enseignements de ces figures proéminentes de la recherche en architecture, en géographie et en paysage.

dispositifs de stabilisation et de sécurisation sont mis en place. Or, dans la seconde moitié du 20e siècle, le capitalisme, c’est la thèse des auteurs, entre dans son troisième esprit lorsque, là aussi, il parvient à intégrer les critiques qui lui étaient adressées pour se modifier. Face à la critique des années 1960-1970, dirigée contre les contraintes rigides du monde de travail, et l’inauthenticité de la production de masse, il s’est réorganisé vers plus d’autonomie et de polyvalence, vers une organisation en réseau plutôt qu’en organigramme, et en puisant dans la production culturelle comme source d’authenticité. Le point central de l’ouvrage, l’intégration de la critique dans la reconfiguration des structures, et in fine, son désamorçage, me servira de base pour l’analyse de l’évolution des cadres de la production urbaine dans ce début du 21e siècle. De la même manière qu’ont été décrits les esprits du capitalisme, il me semble pertinent de parler des différents esprits de l’urbanisme, qui lui aussi, depuis sa structuration en champ professionnel s’est énormément modifié, notamment sous les coups des critiques qui lui étaient faites.

On sait désormais que l’urbanisme est né d’une critique de la ville industrielle, en se constituant en un ensemble de savoirs scientifiques et de savoir-faire professionnels se proposant d’en résoudre les problèmes (sur la naissance des métiers de l’urbanisme, voir entre autres Bardet, 1951; Biau & Tapie, 2009;

Choay, 1965; Claude, 2006). Mais cet urbanisme-là, dont l’un des courants, le modernisme, connaîtra son apogée doctrinal en Europe continentale et en Suisse au sortir de la Seconde Guerre mondiale, subit aussi des critiques nourries, qui pousseront à leur tour à des réformes, tant de ses cadres administratifs, de ses outils, qu’au niveau de ses opérateurs et des options qu’ils prennent. Cette analogie à l’esprit du capitalisme, Laurent Devisme l’avait déjà faite dans La ville décentrée ; il y décrivait deux esprits de l’urbanisme — celui des années 1960 et celui des années 2000 —, des idéaux-types qui se distinguent tant par leurs pratiques que par leur outils  (Devisme, 2005). Dans une thèse soutenue en 2016, Pauline Ouvrard étend la recherche sur ce nouvel esprit de l’urbanisme par une ethnographie de ses coulisses, dans lesquelles elle perçoit un agir urbanistique qui se met en scène, se raconte et s’adapte à l’incertitude du contexte aménagiste (Ouvrard, 2016). Plus généralement, de nombreux auteurs, depuis une quinzaine d’années et dans des contextes relativement divers, ont identifié les différents visages d’une même évolution de la gestion et de la planification de la ville au tournant du 21e siècle. D’aucuns

ont décrit le tournant communicationnel de l’urbanisme (Healey, 1996), les nouvelles formes de la gouvernance urbaine (Hohn & Neuer, 2006), la réticulation des processus décisionnels (G. Pinson, 2009), le management urbain culturel (Richards & Palmer, 2010) ou la montée en importance du narratif dans la pratique et la communication de l’urbanisme (Matthey, 2014a).

La notion d’urbanisme de projet illustre cette évolution où le projet, pensé comme un processus itératif, est soumis à des intrants constants ; un urbanisme enjoint à « laisser tout ouvert » (Matthey, 2014b) — soumis aux soubresauts de la demande politique et aux réactions du public —, de moins en moins assuré dans ses orientations désormais mouvantes, il cherche une légitimité dans la narration, et appuie sa justification sur une rhétorique des valeurs, plutôt qu’un système de règles .

On commence alors à percevoir plus distinctement les contours de ce nouvel esprit de l’urbanisme qui, comme le nouvel esprit du capitalisme, se renouvelle par « un processus d’inclusion — de récupération — des critiques portées par la contre-culture des années 1960 » (Pattaroni, 2011, p. 47). Je résumerais à gros traits cette évolution lente de l’urbanisme en représentant quatre temps qui, comme je l’ai esquissé plus haut, décrivent un mouvement de balancier alternant critique et réformes.

1) Le premier temps est celui d’une critique de la ville, elle naît du constat d’une insuffisance d’action commune sur la ville industrielle, conduisant au désordre, à l’insalubrité, à la congestion et la pauvreté (Choay, 1965).

2) L’urbanisme prend source dans les limbes — « dans un de ces espaces intermédiaires entre ce qu’est l’espace urbain et ce qu’il devrait être » (Claude, 2006, p. 30) — puis se constitue en un nouveau corps de métier censé résoudre les problèmes identifiés dans la première phase. Il se forme par l’agrégation de différents savoirs techniques — celui des architectes, des ingénieurs, et des géomètres —, auxquels s’allieront par la suite des universitaires issus des sciences sociales (ibid., p. 47). Cette mise en ordre suit généralement les mêmes logiques que celles que connaît l’industrie au tournant du 20e : spécialisation, standardisation et scientisme (Ascher, 2001). Elle culmine dans les années 1960, avec la généralisation des principes de l’urbanisme moderniste.

3) En même temps que ce premier esprit de l’urbanisme atteint son apogée comme doctrine professionnelle, une critique se fait de plus en plus entendre

dès la fin des années 1950 environ. Elle est d’une part exogène — adressée par des artistes, des mouvements sociaux luttant contre la monotonie de l’architecture, l’aliénation des villes contemporaines — et endogène — la sociologie urbaine notamment, tend de plus en plus à remettre en question les principes de l’aménagement moderniste (Amiot, 1986; Le Breton, 2012;

Vadelorge, 2006).

4) Sous l’action d’un contexte social et économique en mutation, et sous l’impulsion des critiques, l’urbanisme développe de nouveaux outils, de nouvelles méthodes, intègre de nouveaux acteurs et de nouveaux savoirs pour adopter ce nouvel esprit de l’urbanisme que j’ai esquissé plus haut, et dont certain des aspects sont l’objet de cette thèse.

À ces quatre phases, je suis tenté d’en ébaucher une cinquième. Une critique, pour l’instant essentiellement académique, de ce nouvel urbanisme fluide. Elle émerge d’une part des courants néomarxistes en géographie comme une dénonciation du tournant entrepreneurial et néolibéral de la nouvelle gouvernance urbaine. Et se manifeste d’autre part comme une préoccupation,

À ces quatre phases, je suis tenté d’en ébaucher une cinquième. Une critique, pour l’instant essentiellement académique, de ce nouvel urbanisme fluide. Elle émerge d’une part des courants néomarxistes en géographie comme une dénonciation du tournant entrepreneurial et néolibéral de la nouvelle gouvernance urbaine. Et se manifeste d’autre part comme une préoccupation,