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Hybrider pour mieux projeter ? De la critique artiste au nouvel esprit de l'urbanisme

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Academic year: 2022

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Texte intégral

(1)

Thesis

Reference

Hybrider pour mieux projeter ? De la critique artiste au nouvel esprit de l'urbanisme

MAEDER, Thierry

Abstract

Cette thèse traite des processus par lesquels l'urbanisme se renouvelle en intégrant les principales critiques formulées à son encontre. Elle fait l'hypothèse que les transformations récentes des pratiques professionnelles des métiers de la ville — le recours accru à l'expérience subjective, l'esthétique, l'affect, ou l'événementiel notamment — sont en partie suscitées par un désir de réforme vis-à-vis du technicisme aliénant, et excluant de l'urbanisme moderne. Formulée de manière tout à fait singulière par certains mouvements artistiques qui en ont fait l'objet principal de leur pratique, cette critique semble aujourd'hui intégrée par les praticiens qui ont embrassé cette pensée réformiste. Cette recherche propose donc une analyse croisée du déploiement d'une critique de l'urbanisme par l'art, et de la reprise de cette critique comme moteur de l'action urbaine et de sa mise en scène. Sur la base d'études de cas dans le canton de Genève (Suisse), elle mêle recherches documentaire, ethnographique et enquête par entretiens. Elle s'attache à comprendre comment les urbanistes et [...]

MAEDER, Thierry. Hybrider pour mieux projeter ? De la critique artiste au nouvel esprit de l'urbanisme . Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2020, no. SdS 150

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:142067 URN : urn:nbn:ch:unige-1420670

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:142067

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(2)

FACULTÉ DES SCIENCES DE LA SOCIÉTÉ

De la critique artiste au nouvel esprit de l’urbanisme

Thierry Maeder

Codirection de thèse : Laurent Matthey

Luca Pattaroni

Cité Satellite, Pierre Cauderay et Léopold Banchini. Photographie :Thierry Maeder, février 2019

(3)

De la critique artiste au nouvel esprit de l’urbanisme

THÈSE

présentée à la Faculté des sciences de la société de l’Université de Genève

par

Thierry Maeder

sous la codirection de

P

r

Laurent Matthey, UNIGE D

r

Luca Pattaroni, EPFL

pour l’obtention du grade de

Docteur ès sciences de la société mention aménagement et urbanisme

Membres du jury de thèse :

P

re

Lauren Andres, University College London D

r

Yves Bonard, Urbaniste, Ville de Lausanne

P

r

Laurent Devisme, ENSA Nantes P

r

Frédéric Giraut, UNIGE, président du jury

Thèse n

o

150

Genève, 29 juin 2020

(4)

De la critique artiste au nouvel esprit de l’urbanisme

THÈSE

présentée à la Faculté des sciences de la société de l’Université de Genève

par

Thierry Maeder

sous la codirection de

P

r

Laurent Matthey, UNIGE D

r

Luca Pattaroni, EPFL

pour l’obtention du grade de

Docteur ès sciences de la société mention aménagement et urbanisme

Membres du jury de thèse :

P

re

Lauren Andres, University College London D

r

Yves Bonard, Urbaniste, Ville de Lausanne

P

r

Laurent Devisme, ENSA Nantes P

r

Frédéric Giraut, UNIGE, président du jury

Thèse n

o

150

Genève, 29 juin 2020

(5)

La Faculté des sciences de la société, sur préavis du jury, a autorisé l’impression de la présente thèse, sans entendre, par-là, émettre aucune opinion sur les propositions qui s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la responsabilité de leur auteur.

Genève, le 29 juin 2020

Le doyen

Bernard DEBARBIEUX

Impression d'après le manuscrit de l'auteur

(6)

La Faculté des sciences de la société, sur préavis du jury, a autorisé l’impression de la présente thèse, sans entendre, par-là, émettre aucune opinion sur les propositions qui s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la responsabilité de leur auteur.

Genève, le 29 juin 2020

Le doyen

Bernard DEBARBIEUX

Impression d'après le manuscrit de l'auteur

(7)

Sommaire

Résumé ... iii

Abstract ... v

Remerciements ... vii

Note de l’auteur ... ix

Introduction ... 11

Livre 1. Construire une épistémologie ... 39

Chapitre 1. De l’objet au terrain ... 41

Chapitre 2. Thèse sur travaux, cité par projets ... 103

Digression 1. La thèse, la leçon et le grade ... 137

Livre 2. Produire une théorie ... 141

Chapitre 3. La critique en art, et son tournant urbain ... 143

Chapitre 4. Les trois horizons de la critique de l’urbanisme ... 173

Digression 2. Commentaires sur le droit à la ville ... 221

Livre 3. Collecter des fragments ... 229

Chapitre 5. New Genre Public Art Commission? ... 231

Chapitre 6. Statuer la créature de Frankenstein ... 259

Chapitre 7. Le temporaire et l’éphémère ... 301

Chapitre 8. Artistic Events as Planning Practice ... 337

Chapitre 9. À la croisée des mondes ... 361

Conclusion générale ... 383

(8)

Sommaire

Résumé ... iii

Abstract ... v

Remerciements ... vii

Note de l’auteur ... ix

Introduction ... 11

Livre 1. Construire une épistémologie ... 39

Chapitre 1. De l’objet au terrain ... 41

Chapitre 2. Thèse sur travaux, cité par projets ... 103

Digression 1. La thèse, la leçon et le grade ... 137

Livre 2. Produire une théorie ... 141

Chapitre 3. La critique en art, et son tournant urbain ... 143

Chapitre 4. Les trois horizons de la critique de l’urbanisme ... 173

Digression 2. Commentaires sur le droit à la ville ... 221

Livre 3. Collecter des fragments ... 229

Chapitre 5. New Genre Public Art Commission? ... 231

Chapitre 6. Statuer la créature de Frankenstein ... 259

Chapitre 7. Le temporaire et l’éphémère ... 301

Chapitre 8. Artistic Events as Planning Practice ... 337

Chapitre 9. À la croisée des mondes ... 361

Conclusion générale ... 383

(9)

Bibliographie ... 397

Liste des figures ... 447

Liste des tableaux ... 449

Liste des abréviations ... 451

Table des matières ... 453

Annexe 1. La recherche comme œuvre totale ... 459

Annexe 2. Les territoires d’une politique culturelle ... 467

Annexe 3. L’art en chantier ... 499

Annexe 4. Rester dans le cadre ... 505

Annexe 5. Appels à contribution et propositions ... 509

Annexe 6. Attestations de publication ... 523

Résumé

Cette thèse traite des processus par lesquels l’urbanisme se renouvelle en intégrant les principales critiques formulées à son encontre. Elle fait l’hypothèse que les transformations récentes des pratiques professionnelles des métiers de la ville — le recours accru à l’expérience subjective, l’esthétique, l’affect, ou l’événementiel notamment — sont en partie suscitées par un désir de réforme vis-à-vis du technicisme aliénant, et excluant de l’urbanisme moderne.

Formulée de manière tout à fait singulière par certains mouvements artistiques qui en ont fait l’objet principal de leur pratique, cette critique semble aujourd’hui intégrée par les praticiens qui ont embrassé cette pensée réformiste.

Cette recherche propose donc une analyse croisée du déploiement d’une critique de l’urbanisme par l’art, et de la reprise de cette critique comme moteur de l’action urbaine et de sa mise en scène. Sur la base d’études de cas dans le canton de Genève (Suisse), elle mêle recherches documentaire, ethnographique et enquête par entretiens. Elle s’attache à comprendre comment les urbanistes et professionnels de la ville mobilisent l’art comme élément constitutif de la palette d’outils à leur disposition dans la construction du projet urbain ; et comment, peu à peu, le monde de l’urbanisme s’ouvre à l’arrivée des acteurs culturels comme prestataires de service dans le processus de fabrique des politiques urbanistiques. En partant des retours d’expérience des cas étudiés, elle montre les modalités des collaborations entre les mondes de l’art et de l’urbanisme, et les régimes d’hybridation des rôles qui s’y opèrent.

In fine, cette thèse décrit l’émergence en cours d’un régime artiste de l’urbanisme.

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Bibliographie ... 397

Liste des figures ... 447

Liste des tableaux ... 449

Liste des abréviations ... 451

Table des matières ... 453

Annexe 1. La recherche comme œuvre totale ... 459

Annexe 2. Les territoires d’une politique culturelle ... 467

Annexe 3. L’art en chantier ... 499

Annexe 4. Rester dans le cadre ... 505

Annexe 5. Appels à contribution et propositions ... 509

Annexe 6. Attestations de publication ... 523

Résumé

Cette thèse traite des processus par lesquels l’urbanisme se renouvelle en intégrant les principales critiques formulées à son encontre. Elle fait l’hypothèse que les transformations récentes des pratiques professionnelles des métiers de la ville — le recours accru à l’expérience subjective, l’esthétique, l’affect, ou l’événementiel notamment — sont en partie suscitées par un désir de réforme vis-à-vis du technicisme aliénant, et excluant de l’urbanisme moderne.

Formulée de manière tout à fait singulière par certains mouvements artistiques qui en ont fait l’objet principal de leur pratique, cette critique semble aujourd’hui intégrée par les praticiens qui ont embrassé cette pensée réformiste.

Cette recherche propose donc une analyse croisée du déploiement d’une critique de l’urbanisme par l’art, et de la reprise de cette critique comme moteur de l’action urbaine et de sa mise en scène. Sur la base d’études de cas dans le canton de Genève (Suisse), elle mêle recherches documentaire, ethnographique et enquête par entretiens. Elle s’attache à comprendre comment les urbanistes et professionnels de la ville mobilisent l’art comme élément constitutif de la palette d’outils à leur disposition dans la construction du projet urbain ; et comment, peu à peu, le monde de l’urbanisme s’ouvre à l’arrivée des acteurs culturels comme prestataires de service dans le processus de fabrique des politiques urbanistiques. En partant des retours d’expérience des cas étudiés, elle montre les modalités des collaborations entre les mondes de l’art et de l’urbanisme, et les régimes d’hybridation des rôles qui s’y opèrent.

In fine, cette thèse décrit l’émergence en cours d’un régime artiste de l’urbanisme.

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Abstract

This thesis deals with the processes by which urban planning is renewed by integrating the main criticisms formulated against it. It hypothesizes that recent transformations in the professional practices of planning — the increased use of subjective experience, aesthetics, affect, or events in particular — are partly driven by a desire for reform in the face of the alienating and excluding technicism of modern urbanism. Formulated in quite a singular way by some artistic movements that have made it the main focus of their practice, this criticism now seems to be integrated by the practitioners who have made this desire for reform their own.

This research therefore proposes a cross-analysis of the deployment of a critique of urban planning through art, and the use of this critique as a driving force for urban action, and its staging. Based on case studies in the canton of Geneva (Switzerland), it combines documentary, ethnographic and interview research. It seeks to understand how urban planners and city professionals mobilize art as part of the range of tools at their disposal in the construction of the urban project; and how, little by little, the world of urban planning is opening up to the arrival of cultural actors as service providers in the process of urban policy making. Based on the feedback from the cases studied, it shows the modalities of collaboration between the worlds of art and urban planning, and the role hybridization that take place there. Finally, this thesis describes the ongoing emergence of an artistic regime of urban planning.

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Abstract

This thesis deals with the processes by which urban planning is renewed by integrating the main criticisms formulated against it. It hypothesizes that recent transformations in the professional practices of planning — the increased use of subjective experience, aesthetics, affect, or events in particular — are partly driven by a desire for reform in the face of the alienating and excluding technicism of modern urbanism. Formulated in quite a singular way by some artistic movements that have made it the main focus of their practice, this criticism now seems to be integrated by the practitioners who have made this desire for reform their own.

This research therefore proposes a cross-analysis of the deployment of a critique of urban planning through art, and the use of this critique as a driving force for urban action, and its staging. Based on case studies in the canton of Geneva (Switzerland), it combines documentary, ethnographic and interview research. It seeks to understand how urban planners and city professionals mobilize art as part of the range of tools at their disposal in the construction of the urban project; and how, little by little, the world of urban planning is opening up to the arrival of cultural actors as service providers in the process of urban policy making. Based on the feedback from the cases studied, it shows the modalities of collaboration between the worlds of art and urban planning, and the role hybridization that take place there. Finally, this thesis describes the ongoing emergence of an artistic regime of urban planning.

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Remerciements

Je souhaite remercier toutes les personnes qui m’ont aidé ou soutenu durant ces cinq années passées à l’Université de Genève, pour la réalisation de cette thèse ainsi que pour les activités de recherche et d’enseignement qui l’ont accompagnée.

Je tiens tout d’abord à remercier mes deux directeurs de thèse. Merci à Laurent Matthey pour son soutien tout au long de mes cinq années à l’Université de Genève, pour sa bienveillance, son humour et pour la confiance qu’il m’a accordée. Merci à Luca Pattaroni pour l’ouverture qu’il m’a apportée, pour sa gentillesse, pour les collaborations passionnantes qu’il a rendues possibles.

Merci à Frédéric Giraut de m’avoir fait l’honneur de présider mon jury de thèse.

À Lauren Andres et Yves Bonard d’avoir accepté de faire partie de ce jury. Et à Laurent Devisme qui, en plus d’être membre du jury, m’a fait bénéficier de précieux commentaires et conseils tout au long de mon parcours doctoral.

Merci aux nombreux interlocuteurs que j’ai sollicités lors de cette thèse — artistes, urbanistes, curateurs, médiateurs — pour le temps qu’ils m’ont consacré, les portes (et les cartons d’archives) qu’ils m’ont ouverts.

Merci à Mischa Piraud, pour les collaborations et les corédactions passionnantes.

J’ai bénéficié, durant cette recherche, de conditions particulièrement confortables. Merci à l’Université de Genève, et plus particulièrement à l’Institut de gouvernance de l’environnement et développement territorial pour le soutien matériel et l’environnement de travail qui m’ont été offerts durant ces cinq années de recherche et d’enseignement.

Je tiens également à remercier mes collègues géographes du 5e étage qui m’ont hébergé à leur côté. Merci en particulier à mes compagnons de doctorat, Allison Huetz, Claire Camblain, Clémence Lehec, Pablo de Roulet et Yannick Rousselot, pour les apéros de fin de journée, les pauses thé de l’après-midi, les pique-niques de midi, les discussions et les rigolades qui les accompagnaient.

Merci à Sandrine Billeau, pour les raisons susmentionnées, et pour son aide précieuse lorsqu’il s’agissait de se repérer dans les dédales de la bureaucratie universitaire.

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Remerciements

Je souhaite remercier toutes les personnes qui m’ont aidé ou soutenu durant ces cinq années passées à l’Université de Genève, pour la réalisation de cette thèse ainsi que pour les activités de recherche et d’enseignement qui l’ont accompagnée.

Je tiens tout d’abord à remercier mes deux directeurs de thèse. Merci à Laurent Matthey pour son soutien tout au long de mes cinq années à l’Université de Genève, pour sa bienveillance, son humour et pour la confiance qu’il m’a accordée. Merci à Luca Pattaroni pour l’ouverture qu’il m’a apportée, pour sa gentillesse, pour les collaborations passionnantes qu’il a rendues possibles.

Merci à Frédéric Giraut de m’avoir fait l’honneur de présider mon jury de thèse.

À Lauren Andres et Yves Bonard d’avoir accepté de faire partie de ce jury. Et à Laurent Devisme qui, en plus d’être membre du jury, m’a fait bénéficier de précieux commentaires et conseils tout au long de mon parcours doctoral.

Merci aux nombreux interlocuteurs que j’ai sollicités lors de cette thèse — artistes, urbanistes, curateurs, médiateurs — pour le temps qu’ils m’ont consacré, les portes (et les cartons d’archives) qu’ils m’ont ouverts.

Merci à Mischa Piraud, pour les collaborations et les corédactions passionnantes.

J’ai bénéficié, durant cette recherche, de conditions particulièrement confortables. Merci à l’Université de Genève, et plus particulièrement à l’Institut de gouvernance de l’environnement et développement territorial pour le soutien matériel et l’environnement de travail qui m’ont été offerts durant ces cinq années de recherche et d’enseignement.

Je tiens également à remercier mes collègues géographes du 5e étage qui m’ont hébergé à leur côté. Merci en particulier à mes compagnons de doctorat, Allison Huetz, Claire Camblain, Clémence Lehec, Pablo de Roulet et Yannick Rousselot, pour les apéros de fin de journée, les pauses thé de l’après-midi, les pique-niques de midi, les discussions et les rigolades qui les accompagnaient.

Merci à Sandrine Billeau, pour les raisons susmentionnées, et pour son aide précieuse lorsqu’il s’agissait de se repérer dans les dédales de la bureaucratie universitaire.

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Merci encore à Clémence pour ces fructueuses collaborations, nos aventures radiophoniques et nos épisodes athéniens. Et à Clémence et Allison pour nos premiers pas dans l’événementiel et l’édition.

Merci à Romain Bochatay pour sa gentillesse et sa disponibilité, ainsi qu’au reste de l’équipe de la bibliothèque d’Uni Carl-Vogt.

Tout au long de mon engagement à l’université, j’ai eu la chance d’enseigner le projet urbain dans les ateliers du master. Pour cela, je tiens à remercier les étudiant-e-s pour leur intérêt, leur enthousiasme et leur implication. Merci à Marta Alonso, pour les avoir organisés, mais aussi pour ses conseils et son humour.

Merci à ma famille. À mes parents pour leur soutien et leur patiente relecture.

À Brendan, soutien moral infaillible pendant ces quelques années.

Note de l’auteur

Il existe un long débat, dans les mondes de la recherche, sur l’utilisation ou non de la première personne du singulier dans l’écriture académique. Ce débat, loin de ne porter que sur des formalités, touche à des questions épistémologiques que je ne détaillerai pas ici. Et si l’usage de la première personne du singulier s’est largement répandu au point d’être généralement accepté, il me semble néanmoins important de poser en préambule quelques éléments dans l’espoir de désamorcer d’éventuelles critiques. La thèse, telle que je l’ai expérimentée, est autant un produit académique que le fruit d’un parcours biographique, d’une implication du chercheur sur le terrain, dans les archives, à son bureau, et partout où cet astreignant exercice le mène. Or tout chercheur a un corps, une posture, une position sociale, une (ou des) identité(s), qu’il implique dans sa recherche, comme autant d’éléments qu’il convient de ne pas chercher à masquer. À plus forte raison, comme je l’expliquerai, que ce positionnement personnel joue un rôle important dans l’accès au terrain, et dans la construction d’une pensée réflexive sur l’objet d’étude. Dès lors, au moment de commencer à rédiger cette thèse et les articles qui la composent, il m’a semblé non seulement naturel, mais également indispensable de marquer cette implication dans l’écriture elle-même. J’ai donc assez logiquement décidé de recourir à la première personne du singulier, non pas par manque de modestie, mais pour rappeler cette dimension narrative de la recherche au long du texte. Toutefois, cette thèse adoptant un format « sur travaux » — c’est-à-dire qu’une grande partie de la présente thèse est en réalité une concaténation d’articles portant sur un objet commun, et participant à l’argumentation d’une thèse générale —, le lecteur ne doit pas s’étonner que, par endroit, la première personne du pluriel reprenne le dessus, tantôt pour répondre aux exigences d’un projet éditorial, tantôt parce qu’une partie des textes sont cosignés et reflètent donc la position de plusieurs auteurs.

Pour cette même raison, le lecteur remarquera que certains de ces articles sont écrits en anglais. Pour respecter l’esprit de la thèse sur travaux telle que je l’ai abordée, c’est-à-dire comme témoignage d’un apprentissage du métier de chercheur, j’ai décidé de ne pas inclure une traduction française de ces articles au risque peut-être de diminuer la fluidité de la lecture.

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Merci encore à Clémence pour ces fructueuses collaborations, nos aventures radiophoniques et nos épisodes athéniens. Et à Clémence et Allison pour nos premiers pas dans l’événementiel et l’édition.

Merci à Romain Bochatay pour sa gentillesse et sa disponibilité, ainsi qu’au reste de l’équipe de la bibliothèque d’Uni Carl-Vogt.

Tout au long de mon engagement à l’université, j’ai eu la chance d’enseigner le projet urbain dans les ateliers du master. Pour cela, je tiens à remercier les étudiant-e-s pour leur intérêt, leur enthousiasme et leur implication. Merci à Marta Alonso, pour les avoir organisés, mais aussi pour ses conseils et son humour.

Merci à ma famille. À mes parents pour leur soutien et leur patiente relecture.

À Brendan, soutien moral infaillible pendant ces quelques années.

Note de l’auteur

Il existe un long débat, dans les mondes de la recherche, sur l’utilisation ou non de la première personne du singulier dans l’écriture académique. Ce débat, loin de ne porter que sur des formalités, touche à des questions épistémologiques que je ne détaillerai pas ici. Et si l’usage de la première personne du singulier s’est largement répandu au point d’être généralement accepté, il me semble néanmoins important de poser en préambule quelques éléments dans l’espoir de désamorcer d’éventuelles critiques. La thèse, telle que je l’ai expérimentée, est autant un produit académique que le fruit d’un parcours biographique, d’une implication du chercheur sur le terrain, dans les archives, à son bureau, et partout où cet astreignant exercice le mène. Or tout chercheur a un corps, une posture, une position sociale, une (ou des) identité(s), qu’il implique dans sa recherche, comme autant d’éléments qu’il convient de ne pas chercher à masquer. À plus forte raison, comme je l’expliquerai, que ce positionnement personnel joue un rôle important dans l’accès au terrain, et dans la construction d’une pensée réflexive sur l’objet d’étude. Dès lors, au moment de commencer à rédiger cette thèse et les articles qui la composent, il m’a semblé non seulement naturel, mais également indispensable de marquer cette implication dans l’écriture elle-même. J’ai donc assez logiquement décidé de recourir à la première personne du singulier, non pas par manque de modestie, mais pour rappeler cette dimension narrative de la recherche au long du texte. Toutefois, cette thèse adoptant un format « sur travaux » — c’est-à-dire qu’une grande partie de la présente thèse est en réalité une concaténation d’articles portant sur un objet commun, et participant à l’argumentation d’une thèse générale —, le lecteur ne doit pas s’étonner que, par endroit, la première personne du pluriel reprenne le dessus, tantôt pour répondre aux exigences d’un projet éditorial, tantôt parce qu’une partie des textes sont cosignés et reflètent donc la position de plusieurs auteurs.

Pour cette même raison, le lecteur remarquera que certains de ces articles sont écrits en anglais. Pour respecter l’esprit de la thèse sur travaux telle que je l’ai abordée, c’est-à-dire comme témoignage d’un apprentissage du métier de chercheur, j’ai décidé de ne pas inclure une traduction française de ces articles au risque peut-être de diminuer la fluidité de la lecture.

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Introduction

Pourquoi une thèse ?

Cette thèse, comme tout travail scientifique, s’inscrit au croisement entre, d’un côté, un contexte et des thématiques scientifiques et, de l’autre, une histoire personnelle et un parcours biographique. En l’occurrence, les prémices d’un intérêt pour la relation entre travail artistique et politiques de la ville remontent, pour moi, à l’aube des années 2010.

D’une part, Genève était alors dans une période d’effervescence quant à son développement urbain et voyait le lancement de nombreux projets de logements et d’infrastructures. Non plus cantonné à une pratique strictement professionnelle ou technique, l’urbanisme tendait à devenir toujours davantage un objet de débat social, médiatique et politique. Les questions de la croissance démographique et de ses conséquences sur le marché du logement, de la densification des centres, de l’extension sur la zone agricole, des politiques de transport ou de préservation du patrimoine agitaient la sphère publique. Alors que les autorités cantonales et municipales mettaient en place d’importants projets de logements1 et d’infrastructures2 pour

1 À Genève, le plan directeur cantonal de 2001 — le dernier datait de 1989 — met un accent particulier sur la nécessité de répondre à la pénurie de logements déjà identifiée, d’une part en densifiant la couronne suburbaine, d’autre part en déclassant certains pans de zone agricole. C’est à ce moment-là que sont identifiés quelques-uns des grands secteurs de développement qui sortent tout juste de terre près de 20 ans plus tard — La Chapelle Les Sciers, Les Vergers, Les Communaux d’Ambilly. Or si le plan directeur a surestimé la capacité du canton à produire du logement, il a également sous- estimé la poussée démographique des années 2000 — plus de 50'000 habitants en plus entre 2001 et 2013 —, si bien que les questions de la densification et du logement sont devenues aujourd’hui des thèmes politiques majeurs.

2 Notamment la reprise, dès 1995, de l’extension du réseau de tram ou, dès 2001, de la nouvelle ligne ferroviaire d’agglomération Genève-Annemasse ; mais également des initiatives axées sur les loisirs et la qualité de vie urbaine, comme la rénovation et piétonnisation de nombreuses places du centre-ville au début des années 2000 ; la requalification des accès au lac et au Rhône ; une politique de protection élevée de la zone agricole vue comme espace de délassement (protection qui est, ces dernières

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Introduction

Pourquoi une thèse ?

Cette thèse, comme tout travail scientifique, s’inscrit au croisement entre, d’un côté, un contexte et des thématiques scientifiques et, de l’autre, une histoire personnelle et un parcours biographique. En l’occurrence, les prémices d’un intérêt pour la relation entre travail artistique et politiques de la ville remontent, pour moi, à l’aube des années 2010.

D’une part, Genève était alors dans une période d’effervescence quant à son développement urbain et voyait le lancement de nombreux projets de logements et d’infrastructures. Non plus cantonné à une pratique strictement professionnelle ou technique, l’urbanisme tendait à devenir toujours davantage un objet de débat social, médiatique et politique. Les questions de la croissance démographique et de ses conséquences sur le marché du logement, de la densification des centres, de l’extension sur la zone agricole, des politiques de transport ou de préservation du patrimoine agitaient la sphère publique. Alors que les autorités cantonales et municipales mettaient en place d’importants projets de logements1 et d’infrastructures2 pour

1 À Genève, le plan directeur cantonal de 2001 — le dernier datait de 1989 — met un accent particulier sur la nécessité de répondre à la pénurie de logements déjà identifiée, d’une part en densifiant la couronne suburbaine, d’autre part en déclassant certains pans de zone agricole. C’est à ce moment-là que sont identifiés quelques-uns des grands secteurs de développement qui sortent tout juste de terre près de 20 ans plus tard — La Chapelle Les Sciers, Les Vergers, Les Communaux d’Ambilly. Or si le plan directeur a surestimé la capacité du canton à produire du logement, il a également sous- estimé la poussée démographique des années 2000 — plus de 50'000 habitants en plus entre 2001 et 2013 —, si bien que les questions de la densification et du logement sont devenues aujourd’hui des thèmes politiques majeurs.

2 Notamment la reprise, dès 1995, de l’extension du réseau de tram ou, dès 2001, de la nouvelle ligne ferroviaire d’agglomération Genève-Annemasse ; mais également des initiatives axées sur les loisirs et la qualité de vie urbaine, comme la rénovation et piétonnisation de nombreuses places du centre-ville au début des années 2000 ; la requalification des accès au lac et au Rhône ; une politique de protection élevée de la zone agricole vue comme espace de délassement (protection qui est, ces dernières

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absorber cette croissance démographique, de nouveaux fronts de lutte s’ouvraient — et le débat s’imprégnait d’une gravité passionnelle — autour de la densification, de la mobilité ou de l’accès aux espaces naturels.

D’autre part, un large pan du débat politique genevois était occupé par un questionnement sur la place de la culture dans l’espace urbain. La fermeture de plusieurs lieux culturels et artistiques, pour des raisons réglementaires, ou lors d’opérations de densification urbaine, entraînait un dernier sursaut du mouvement squat et amorçait une mobilisation des acteurs culturels revendiquant de l’espace pour la création artistique dans la ville. De mon côté, je suivais des études de géographie à l’Université de Genève et je découvrais, à l’occasion de mon travail de bachelor, l’importante littérature sur la ville créative, sur l’embarquement des artistes dans les projets de rénovation urbaine, et surtout une littérature plus critique, au sein de laquelle Loft Living (Zukin, 1982) fît office d’ouvrage séminal.

En 2013, je me fis engager pour un stage de six mois au sein du Fonds d’art contemporain de la ville de Genève (FMAC) où, rattaché à la petite cellule « Art dans la ville », je collaborais à la politique municipale de commande artistique publique. Durant cette période je découvrais le monde de l’administration et ses arts de faire3, surtout, j’observais4 la rencontre entre les acteurs de l’urbanisme auxquels je m’identifiais, et ceux de la commande publique auxquels, de fait, j’appartenais dans les procédures, lors des séances de travail, etc. Je voyais la manière dont devaient s’accorder deux mondes distincts : comment les urbanistes avec leur langage technique, leur rôle de spécialistes de l’espace, intégraient le référentiel artistique des historiens de l’art du FMAC

— et vice-versa. Plus tard, en 2014 — à l’occasion d’un stage, puis d’un emploi — dans un bureau d’urbanisme et de paysage à Genève, je découvrais le

années, remise en cause par le canton au vu de la pression foncière et de la forte injonction politique à produire du logement).

3 Empruntant la formule à Michel de Certeau, Béatrice Hibou définit les « arts de faire » administratifs comme « un système de savoirs et de savoir-faire considérés comme les

”bonnes manières” à suivre et qui s’institutionnalisent dans des normes, dans des procédures, dans des programmes » (Hibou, 2013, pp. 15–16).

4 Une observation « par opportunité » (Soulé, 2007), puisque j’utiliserai plus tard mes notes, archives et souvenirs de cette immersion pour une des études de cas de cette thèse (Chapitre 6).

quotidien de ces spécialistes de l’espace et, certes dans une moindre mesure, leur propre rapport à l’art, et la manière dont ils le mobilisaient ou non dans le projet urbain5. Ces deux incursions momentanées — d’octobre 2013 à mars 2014 au FMAC, d’avril 2014 à avril 2016 dans le bureau d’urbanisme —, dans deux milieux distincts, m’ont par ailleurs permis de nouer des contacts précieux et de construire un réseau de personnes-ressources que j’ai pu mobiliser lors du travail de recherche qui suivit.

Ces rencontres ponctuelles entre urbanistes et acteurs de la culture participaient, comme je le remarquais, d’un phénomène plus large. Face aux craintes ou oppositions exprimées, plusieurs initiatives, dans ces années-là, cherchaient à explorer de nouvelles manières de raconter la ville et le développement urbain — par la poésie, la culture, des formes artistiques de mise en contact entre les faiseurs de ville et ses habitants. Une « extension du domaine de compétence » (Matthey, 2014b, p. 3) de l’urbanisme portée par un monde professionnel qui cherche à gagner en légitimité, à davantage justifier son action et à dépasser les blocages politiques qui retardent ou neutralisent son activité. Ainsi, cette évolution discursive s’accompagne d’une évolution des pratiques de l’urbanisme. Documentée depuis la fin des années 1990 (voir entre autres Ascher, 2001; Bourdin, 2001b; Chalas, 2004a; Hayot & Sauvage, 2000; Toussaint & Zimmermann, 1998), cette transformation n’est certes l’apanage ni de Genève ni de la Suisse romande, mais elle semble s’y dérouler ici d’une manière particulièrement discutée. Avec sans doute un temps de retard sur ses voisins européens, la Suisse expérimente une réinvention des modèles de la production urbaine qui puise dans une remise en cause, voire une critique frontale, de la manière dont la ville était produite jusqu’à la fin du 20e siècle. Celle-ci pousse les urbanistes à se tourner, et à intégrer dans les processus, de nouveaux interlocuteurs, de nouveaux modes de réalisation du projet, et de nouveaux moyens de communiquer leur action.

5 Le bureau en question, comme d’autres, mais sans doute plus que les autres, collabore très régulièrement avec des artistes lors de concours et pour la réalisation de projets d’espaces publics.

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absorber cette croissance démographique, de nouveaux fronts de lutte s’ouvraient — et le débat s’imprégnait d’une gravité passionnelle — autour de la densification, de la mobilité ou de l’accès aux espaces naturels.

D’autre part, un large pan du débat politique genevois était occupé par un questionnement sur la place de la culture dans l’espace urbain. La fermeture de plusieurs lieux culturels et artistiques, pour des raisons réglementaires, ou lors d’opérations de densification urbaine, entraînait un dernier sursaut du mouvement squat et amorçait une mobilisation des acteurs culturels revendiquant de l’espace pour la création artistique dans la ville. De mon côté, je suivais des études de géographie à l’Université de Genève et je découvrais, à l’occasion de mon travail de bachelor, l’importante littérature sur la ville créative, sur l’embarquement des artistes dans les projets de rénovation urbaine, et surtout une littérature plus critique, au sein de laquelle Loft Living (Zukin, 1982) fît office d’ouvrage séminal.

En 2013, je me fis engager pour un stage de six mois au sein du Fonds d’art contemporain de la ville de Genève (FMAC) où, rattaché à la petite cellule « Art dans la ville », je collaborais à la politique municipale de commande artistique publique. Durant cette période je découvrais le monde de l’administration et ses arts de faire3, surtout, j’observais4 la rencontre entre les acteurs de l’urbanisme auxquels je m’identifiais, et ceux de la commande publique auxquels, de fait, j’appartenais dans les procédures, lors des séances de travail, etc. Je voyais la manière dont devaient s’accorder deux mondes distincts : comment les urbanistes avec leur langage technique, leur rôle de spécialistes de l’espace, intégraient le référentiel artistique des historiens de l’art du FMAC

— et vice-versa. Plus tard, en 2014 — à l’occasion d’un stage, puis d’un emploi — dans un bureau d’urbanisme et de paysage à Genève, je découvrais le

années, remise en cause par le canton au vu de la pression foncière et de la forte injonction politique à produire du logement).

3 Empruntant la formule à Michel de Certeau, Béatrice Hibou définit les « arts de faire » administratifs comme « un système de savoirs et de savoir-faire considérés comme les

”bonnes manières” à suivre et qui s’institutionnalisent dans des normes, dans des procédures, dans des programmes » (Hibou, 2013, pp. 15–16).

4 Une observation « par opportunité » (Soulé, 2007), puisque j’utiliserai plus tard mes notes, archives et souvenirs de cette immersion pour une des études de cas de cette thèse (Chapitre 6).

quotidien de ces spécialistes de l’espace et, certes dans une moindre mesure, leur propre rapport à l’art, et la manière dont ils le mobilisaient ou non dans le projet urbain5. Ces deux incursions momentanées — d’octobre 2013 à mars 2014 au FMAC, d’avril 2014 à avril 2016 dans le bureau d’urbanisme —, dans deux milieux distincts, m’ont par ailleurs permis de nouer des contacts précieux et de construire un réseau de personnes-ressources que j’ai pu mobiliser lors du travail de recherche qui suivit.

Ces rencontres ponctuelles entre urbanistes et acteurs de la culture participaient, comme je le remarquais, d’un phénomène plus large. Face aux craintes ou oppositions exprimées, plusieurs initiatives, dans ces années-là, cherchaient à explorer de nouvelles manières de raconter la ville et le développement urbain — par la poésie, la culture, des formes artistiques de mise en contact entre les faiseurs de ville et ses habitants. Une « extension du domaine de compétence » (Matthey, 2014b, p. 3) de l’urbanisme portée par un monde professionnel qui cherche à gagner en légitimité, à davantage justifier son action et à dépasser les blocages politiques qui retardent ou neutralisent son activité. Ainsi, cette évolution discursive s’accompagne d’une évolution des pratiques de l’urbanisme. Documentée depuis la fin des années 1990 (voir entre autres Ascher, 2001; Bourdin, 2001b; Chalas, 2004a; Hayot & Sauvage, 2000; Toussaint & Zimmermann, 1998), cette transformation n’est certes l’apanage ni de Genève ni de la Suisse romande, mais elle semble s’y dérouler ici d’une manière particulièrement discutée. Avec sans doute un temps de retard sur ses voisins européens, la Suisse expérimente une réinvention des modèles de la production urbaine qui puise dans une remise en cause, voire une critique frontale, de la manière dont la ville était produite jusqu’à la fin du 20e siècle. Celle-ci pousse les urbanistes à se tourner, et à intégrer dans les processus, de nouveaux interlocuteurs, de nouveaux modes de réalisation du projet, et de nouveaux moyens de communiquer leur action.

5 Le bureau en question, comme d’autres, mais sans doute plus que les autres, collabore très régulièrement avec des artistes lors de concours et pour la réalisation de projets d’espaces publics.

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Il se jouait-là, pensais-je, une intrigue qui méritait d’être approfondie. Aussi, une fois mon titre de master acquis en 2014, les questions ouvertes par le mémoire6

— l’importance du ressort culturel dans les discours de l’urbanisme, voire l’assujettissement des orientations des politiques culturelles à des considérations urbanistiques — commencèrent à se cristalliser sur celles amorcées lors de ma courte expérience professionnelle. Mes rencontres successives avec Laurent Matthey, puis avec Luca Pattaroni, ont permis leur concrétisation dans un projet de thèse. Laurent Matthey apportait sa connaissance ethnographique des mondes de l’urbanisme romand, tandis que mon projet s’inscrivait dans la lignée d’une recherche engagée par Luca Pattaroni et le Laboratoire de sociologie urbaine de l’EPFL (LASUR), intitulée La ville créative en question : les transformations socio-spatiales de la question culturelle à Lisbonne et Genève. Ma proposition de recherche doctorale consistait donc à poursuivre les travaux entamés par l’équipe du LASUR en interrogeant les notions de critique et d’autonomie de l’art dans le contexte de la « ville créative » et « garantie » (Breviglieri, 2013) avec une focale particulière sur la commande artistique publique, en comparant les programmes classiques de la commande et la reprise de ce mode d’action par les acteurs de l’urbanisme.

À l’été 2015 j’intégrais l’Université de Genève à l’ouverture d’un poste dans le cadre d’un nouveau master en développement territorial. Engagé comme assistant-doctorant, je me retrouvais en contact quotidien avec le monde de l’urbanisme, à travers les ateliers de projets, les interventions de professionnels, la participation aux événements en lien avec la cité (tables rondes, journées d’étude, rencontres entre monde académique et praticiens, etc.), ainsi que divers mandats de service réalisés durant mon engagement. Je continuais en outre, pour quelque temps et parallèlement à ma thèse, de travailler pour le bureau d’urbanisme qui m’avait engagé après mon master. Enseignant, chercheur, et dans une moindre mesure praticien, je me retrouvais aux

6 Maeder, T. (2014). Le pôle muséal de Lausanne. Enjeux et impacts urbanistiques des grands équipements culturels. Université de Lausanne, mémoire de master en géographie mention études urbaines.

premières loges des transformations en cours dans le monde de l’urbanisme genevois.

Des régimes d’urbanisation aux esprits de l’urbanisme

L’urbain, aussi bien comme formalisation matérielle, que comme processus de constitution de l’établissement humain, a connu d’importantes évolutions ; des contextes économiques, sociaux, technologiques différents ayant produit des villes différentes. Les sciences humaines s’attèlent, depuis la fin du 19e siècle7, à documenter ces transformations. L’urbanisme, à sa naissance au tournant du 20e siècle, avant que d’être un outil de politiques urbaines destiné à transformer la ville, répondait en effet à une « demande sociale de connaissances » (Scherrer, 2010, p. 187) et, depuis, n’a cessé de nourrir l’ambition d’être tout à la fois un art et une science (Paquot, 2013). À côté de l’urbanisme comme champ de pratique professionnel, s’est parallèlement développée, au sein de la discipline, une historiographie contemporaine de la ville, autour d’auteurs qui ont cherché à en expliquer les contours, les racines et les évolutions. Des premiers historiens de l’urbanisme comme Pierre Lavedan (1926) ou Gaston Bardet (1951), aux approches épistémologiques de Françoise Choay (1965, 1980), et plus récemment à une littérature qui s’est efforcée de comprendre l’évolution des métiers de la ville au défi d’une crise de l’urbain et de l’action publique (on pense notamment aux travaux de François Ascher, mais également à l’importante production intellectuelle du RAMAU8). Ou sur un plan plus local, aux travaux de Michel Bassand (1974, 2004) sur la métropolisation, et à ceux d’Antonio Da Cunha qui ont conduit à penser l’évolution de la ville en terme de régimes d’urbanisation (Bochet & Da Cunha, 2003; Da Cunha, 2005)9.

7 On peut penser, parmi les pionniers, aux travaux des réformistes anglo-saxons, de Jane Addams et de la Hull House, qui ont précédé l’École de Chicago. À ce sujet, voir les Hull House Maps and Papers publiés en 1895, ou le témoignage de Dorothea Moore (1897).

8 Réseau activités et métiers de l’architecture et de l’urbanisme.

9 Notons que beaucoup de poncifs de l’aménagement romand d’aujourd’hui — la représentation métropolitaine de la Suisse, et la politique fédérale des agglomérations qui en découle, ou l’importance accordée à la mobilité dans la planification — sont des héritages de la recherche en sociologie et en études urbaines des années 1970-1990.

De même, des générations de professionnels de l’urbanisme romands ont été

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Il se jouait-là, pensais-je, une intrigue qui méritait d’être approfondie. Aussi, une fois mon titre de master acquis en 2014, les questions ouvertes par le mémoire6

— l’importance du ressort culturel dans les discours de l’urbanisme, voire l’assujettissement des orientations des politiques culturelles à des considérations urbanistiques — commencèrent à se cristalliser sur celles amorcées lors de ma courte expérience professionnelle. Mes rencontres successives avec Laurent Matthey, puis avec Luca Pattaroni, ont permis leur concrétisation dans un projet de thèse. Laurent Matthey apportait sa connaissance ethnographique des mondes de l’urbanisme romand, tandis que mon projet s’inscrivait dans la lignée d’une recherche engagée par Luca Pattaroni et le Laboratoire de sociologie urbaine de l’EPFL (LASUR), intitulée La ville créative en question : les transformations socio-spatiales de la question culturelle à Lisbonne et Genève. Ma proposition de recherche doctorale consistait donc à poursuivre les travaux entamés par l’équipe du LASUR en interrogeant les notions de critique et d’autonomie de l’art dans le contexte de la « ville créative » et « garantie » (Breviglieri, 2013) avec une focale particulière sur la commande artistique publique, en comparant les programmes classiques de la commande et la reprise de ce mode d’action par les acteurs de l’urbanisme.

À l’été 2015 j’intégrais l’Université de Genève à l’ouverture d’un poste dans le cadre d’un nouveau master en développement territorial. Engagé comme assistant-doctorant, je me retrouvais en contact quotidien avec le monde de l’urbanisme, à travers les ateliers de projets, les interventions de professionnels, la participation aux événements en lien avec la cité (tables rondes, journées d’étude, rencontres entre monde académique et praticiens, etc.), ainsi que divers mandats de service réalisés durant mon engagement. Je continuais en outre, pour quelque temps et parallèlement à ma thèse, de travailler pour le bureau d’urbanisme qui m’avait engagé après mon master. Enseignant, chercheur, et dans une moindre mesure praticien, je me retrouvais aux

6 Maeder, T. (2014). Le pôle muséal de Lausanne. Enjeux et impacts urbanistiques des grands équipements culturels. Université de Lausanne, mémoire de master en géographie mention études urbaines.

premières loges des transformations en cours dans le monde de l’urbanisme genevois.

Des régimes d’urbanisation aux esprits de l’urbanisme

L’urbain, aussi bien comme formalisation matérielle, que comme processus de constitution de l’établissement humain, a connu d’importantes évolutions ; des contextes économiques, sociaux, technologiques différents ayant produit des villes différentes. Les sciences humaines s’attèlent, depuis la fin du 19e siècle7, à documenter ces transformations. L’urbanisme, à sa naissance au tournant du 20e siècle, avant que d’être un outil de politiques urbaines destiné à transformer la ville, répondait en effet à une « demande sociale de connaissances » (Scherrer, 2010, p. 187) et, depuis, n’a cessé de nourrir l’ambition d’être tout à la fois un art et une science (Paquot, 2013). À côté de l’urbanisme comme champ de pratique professionnel, s’est parallèlement développée, au sein de la discipline, une historiographie contemporaine de la ville, autour d’auteurs qui ont cherché à en expliquer les contours, les racines et les évolutions. Des premiers historiens de l’urbanisme comme Pierre Lavedan (1926) ou Gaston Bardet (1951), aux approches épistémologiques de Françoise Choay (1965, 1980), et plus récemment à une littérature qui s’est efforcée de comprendre l’évolution des métiers de la ville au défi d’une crise de l’urbain et de l’action publique (on pense notamment aux travaux de François Ascher, mais également à l’importante production intellectuelle du RAMAU8). Ou sur un plan plus local, aux travaux de Michel Bassand (1974, 2004) sur la métropolisation, et à ceux d’Antonio Da Cunha qui ont conduit à penser l’évolution de la ville en terme de régimes d’urbanisation (Bochet & Da Cunha, 2003; Da Cunha, 2005)9.

7 On peut penser, parmi les pionniers, aux travaux des réformistes anglo-saxons, de Jane Addams et de la Hull House, qui ont précédé l’École de Chicago. À ce sujet, voir les Hull House Maps and Papers publiés en 1895, ou le témoignage de Dorothea Moore (1897).

8 Réseau activités et métiers de l’architecture et de l’urbanisme.

9 Notons que beaucoup de poncifs de l’aménagement romand d’aujourd’hui — la représentation métropolitaine de la Suisse, et la politique fédérale des agglomérations qui en découle, ou l’importance accordée à la mobilité dans la planification — sont des héritages de la recherche en sociologie et en études urbaines des années 1970-1990.

De même, des générations de professionnels de l’urbanisme romands ont été

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Chaque génération a produit des connaissances spécifiques de l’urbain, qui elles-mêmes renseignaient des pratiques de l’urbanisme. Il apparaît alors que la ville ne naît pas uniquement d’une conjoncture, de ce que permet la technologie, ou des pratiques sociales et de mobilités de ses « acteurs ». La forme de la ville, les orientations stratégiques de son développement, les processus décisionnels qui forment sa gouvernance dépendent aussi grandement des cultures et des pratiques professionnelles de ceux qui la planifient et de la production de savoirs de ceux qui la pensent. Outre l’influence qu’exerce le contexte social, technologique et politique, elle est également le fruit d’un zeitgeist, d’un éthos professionnel basé sur des discours et des systèmes de justification — et, comme je viens de l’esquisser rapidement, d’un état de l’art scientifique, d’une circulation des savoirs et d’enseignements universitaires qui percolent lentement dans les pratiques professionnelles. En ce sens, les pratiques de l’urbanisme sont largement sous-tendues par les constructions théoriques qui les nourrissent. Il existerait, je le postule, une grande porosité entre ce que l’urbanisme produit comme outils, comme bonnes pratiques, et les discours critiques qui lui ont été adressés, tant par l’académie, par des impulsions extérieures, des groupes militants, que par la profession elle-même, désireuse de se réinventer en puisant hors de son domaine d’expertise.

On peut dès lors imaginer qu’à mesure que les référentiels, les justifications, les outils, les acteurs de l’urbanisme évoluent, ce sont des types de villes différents qui sont produits, en fonction des réponses différenciées que l’urbanisme, en tant que champ social et professionnel, apporte aux problèmes urbains qu’il identifie, mais également aux critiques qui lui sont adressées. J’établis ici une première analogie avec l’ouvrage de Luc Boltanski et Ève Chiapello Le nouvel esprit du capitalisme (1999). En reprenant à dessein un vocable weberien, les auteurs y décrivent les étapes successives de l’évolution de « l’esprit du capitalisme ». Après sa naissance à la fin du 18e siècle qui verra le développement fulgurant de l’industrie et du salariat, le capitalisme entre, au tournant du 20e siècle, dans son second esprit. Portées par les revendications ouvrières, les critiques de l’exploitation que subissent les travailleurs, des

biberonnées des enseignements de ces figures proéminentes de la recherche en architecture, en géographie et en paysage.

dispositifs de stabilisation et de sécurisation sont mis en place. Or, dans la seconde moitié du 20e siècle, le capitalisme, c’est la thèse des auteurs, entre dans son troisième esprit lorsque, là aussi, il parvient à intégrer les critiques qui lui étaient adressées pour se modifier. Face à la critique des années 1960-1970, dirigée contre les contraintes rigides du monde de travail, et l’inauthenticité de la production de masse, il s’est réorganisé vers plus d’autonomie et de polyvalence, vers une organisation en réseau plutôt qu’en organigramme, et en puisant dans la production culturelle comme source d’authenticité. Le point central de l’ouvrage, l’intégration de la critique dans la reconfiguration des structures, et in fine, son désamorçage, me servira de base pour l’analyse de l’évolution des cadres de la production urbaine dans ce début du 21e siècle. De la même manière qu’ont été décrits les esprits du capitalisme, il me semble pertinent de parler des différents esprits de l’urbanisme, qui lui aussi, depuis sa structuration en champ professionnel s’est énormément modifié, notamment sous les coups des critiques qui lui étaient faites.

On sait désormais que l’urbanisme est né d’une critique de la ville industrielle, en se constituant en un ensemble de savoirs scientifiques et de savoir-faire professionnels se proposant d’en résoudre les problèmes (sur la naissance des métiers de l’urbanisme, voir entre autres Bardet, 1951; Biau & Tapie, 2009;

Choay, 1965; Claude, 2006). Mais cet urbanisme-là, dont l’un des courants, le modernisme, connaîtra son apogée doctrinal en Europe continentale et en Suisse au sortir de la Seconde Guerre mondiale, subit aussi des critiques nourries, qui pousseront à leur tour à des réformes, tant de ses cadres administratifs, de ses outils, qu’au niveau de ses opérateurs et des options qu’ils prennent. Cette analogie à l’esprit du capitalisme, Laurent Devisme l’avait déjà faite dans La ville décentrée ; il y décrivait deux esprits de l’urbanisme — celui des années 1960 et celui des années 2000 —, des idéaux-types qui se distinguent tant par leurs pratiques que par leur outils  (Devisme, 2005). Dans une thèse soutenue en 2016, Pauline Ouvrard étend la recherche sur ce nouvel esprit de l’urbanisme par une ethnographie de ses coulisses, dans lesquelles elle perçoit un agir urbanistique qui se met en scène, se raconte et s’adapte à l’incertitude du contexte aménagiste (Ouvrard, 2016). Plus généralement, de nombreux auteurs, depuis une quinzaine d’années et dans des contextes relativement divers, ont identifié les différents visages d’une même évolution de la gestion et de la planification de la ville au tournant du 21e siècle. D’aucuns

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Chaque génération a produit des connaissances spécifiques de l’urbain, qui elles-mêmes renseignaient des pratiques de l’urbanisme. Il apparaît alors que la ville ne naît pas uniquement d’une conjoncture, de ce que permet la technologie, ou des pratiques sociales et de mobilités de ses « acteurs ». La forme de la ville, les orientations stratégiques de son développement, les processus décisionnels qui forment sa gouvernance dépendent aussi grandement des cultures et des pratiques professionnelles de ceux qui la planifient et de la production de savoirs de ceux qui la pensent. Outre l’influence qu’exerce le contexte social, technologique et politique, elle est également le fruit d’un zeitgeist, d’un éthos professionnel basé sur des discours et des systèmes de justification — et, comme je viens de l’esquisser rapidement, d’un état de l’art scientifique, d’une circulation des savoirs et d’enseignements universitaires qui percolent lentement dans les pratiques professionnelles. En ce sens, les pratiques de l’urbanisme sont largement sous-tendues par les constructions théoriques qui les nourrissent. Il existerait, je le postule, une grande porosité entre ce que l’urbanisme produit comme outils, comme bonnes pratiques, et les discours critiques qui lui ont été adressés, tant par l’académie, par des impulsions extérieures, des groupes militants, que par la profession elle-même, désireuse de se réinventer en puisant hors de son domaine d’expertise.

On peut dès lors imaginer qu’à mesure que les référentiels, les justifications, les outils, les acteurs de l’urbanisme évoluent, ce sont des types de villes différents qui sont produits, en fonction des réponses différenciées que l’urbanisme, en tant que champ social et professionnel, apporte aux problèmes urbains qu’il identifie, mais également aux critiques qui lui sont adressées. J’établis ici une première analogie avec l’ouvrage de Luc Boltanski et Ève Chiapello Le nouvel esprit du capitalisme (1999). En reprenant à dessein un vocable weberien, les auteurs y décrivent les étapes successives de l’évolution de « l’esprit du capitalisme ». Après sa naissance à la fin du 18e siècle qui verra le développement fulgurant de l’industrie et du salariat, le capitalisme entre, au tournant du 20e siècle, dans son second esprit. Portées par les revendications ouvrières, les critiques de l’exploitation que subissent les travailleurs, des

biberonnées des enseignements de ces figures proéminentes de la recherche en architecture, en géographie et en paysage.

dispositifs de stabilisation et de sécurisation sont mis en place. Or, dans la seconde moitié du 20e siècle, le capitalisme, c’est la thèse des auteurs, entre dans son troisième esprit lorsque, là aussi, il parvient à intégrer les critiques qui lui étaient adressées pour se modifier. Face à la critique des années 1960-1970, dirigée contre les contraintes rigides du monde de travail, et l’inauthenticité de la production de masse, il s’est réorganisé vers plus d’autonomie et de polyvalence, vers une organisation en réseau plutôt qu’en organigramme, et en puisant dans la production culturelle comme source d’authenticité. Le point central de l’ouvrage, l’intégration de la critique dans la reconfiguration des structures, et in fine, son désamorçage, me servira de base pour l’analyse de l’évolution des cadres de la production urbaine dans ce début du 21e siècle. De la même manière qu’ont été décrits les esprits du capitalisme, il me semble pertinent de parler des différents esprits de l’urbanisme, qui lui aussi, depuis sa structuration en champ professionnel s’est énormément modifié, notamment sous les coups des critiques qui lui étaient faites.

On sait désormais que l’urbanisme est né d’une critique de la ville industrielle, en se constituant en un ensemble de savoirs scientifiques et de savoir-faire professionnels se proposant d’en résoudre les problèmes (sur la naissance des métiers de l’urbanisme, voir entre autres Bardet, 1951; Biau & Tapie, 2009;

Choay, 1965; Claude, 2006). Mais cet urbanisme-là, dont l’un des courants, le modernisme, connaîtra son apogée doctrinal en Europe continentale et en Suisse au sortir de la Seconde Guerre mondiale, subit aussi des critiques nourries, qui pousseront à leur tour à des réformes, tant de ses cadres administratifs, de ses outils, qu’au niveau de ses opérateurs et des options qu’ils prennent. Cette analogie à l’esprit du capitalisme, Laurent Devisme l’avait déjà faite dans La ville décentrée ; il y décrivait deux esprits de l’urbanisme — celui des années 1960 et celui des années 2000 —, des idéaux-types qui se distinguent tant par leurs pratiques que par leur outils  (Devisme, 2005). Dans une thèse soutenue en 2016, Pauline Ouvrard étend la recherche sur ce nouvel esprit de l’urbanisme par une ethnographie de ses coulisses, dans lesquelles elle perçoit un agir urbanistique qui se met en scène, se raconte et s’adapte à l’incertitude du contexte aménagiste (Ouvrard, 2016). Plus généralement, de nombreux auteurs, depuis une quinzaine d’années et dans des contextes relativement divers, ont identifié les différents visages d’une même évolution de la gestion et de la planification de la ville au tournant du 21e siècle. D’aucuns

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ont décrit le tournant communicationnel de l’urbanisme (Healey, 1996), les nouvelles formes de la gouvernance urbaine (Hohn & Neuer, 2006), la réticulation des processus décisionnels (G. Pinson, 2009), le management urbain culturel (Richards & Palmer, 2010) ou la montée en importance du narratif dans la pratique et la communication de l’urbanisme (Matthey, 2014a).

La notion d’urbanisme de projet illustre cette évolution où le projet, pensé comme un processus itératif, est soumis à des intrants constants ; un urbanisme enjoint à « laisser tout ouvert » (Matthey, 2014b) — soumis aux soubresauts de la demande politique et aux réactions du public —, de moins en moins assuré dans ses orientations désormais mouvantes, il cherche une légitimité dans la narration, et appuie sa justification sur une rhétorique des valeurs, plutôt qu’un système de règles .

On commence alors à percevoir plus distinctement les contours de ce nouvel esprit de l’urbanisme qui, comme le nouvel esprit du capitalisme, se renouvelle par « un processus d’inclusion — de récupération — des critiques portées par la contre-culture des années 1960 » (Pattaroni, 2011, p. 47). Je résumerais à gros traits cette évolution lente de l’urbanisme en représentant quatre temps qui, comme je l’ai esquissé plus haut, décrivent un mouvement de balancier alternant critique et réformes.

1) Le premier temps est celui d’une critique de la ville, elle naît du constat d’une insuffisance d’action commune sur la ville industrielle, conduisant au désordre, à l’insalubrité, à la congestion et la pauvreté (Choay, 1965).

2) L’urbanisme prend source dans les limbes — « dans un de ces espaces intermédiaires entre ce qu’est l’espace urbain et ce qu’il devrait être » (Claude, 2006, p. 30) — puis se constitue en un nouveau corps de métier censé résoudre les problèmes identifiés dans la première phase. Il se forme par l’agrégation de différents savoirs techniques — celui des architectes, des ingénieurs, et des géomètres —, auxquels s’allieront par la suite des universitaires issus des sciences sociales (ibid., p. 47). Cette mise en ordre suit généralement les mêmes logiques que celles que connaît l’industrie au tournant du 20e : spécialisation, standardisation et scientisme (Ascher, 2001). Elle culmine dans les années 1960, avec la généralisation des principes de l’urbanisme moderniste.

3) En même temps que ce premier esprit de l’urbanisme atteint son apogée comme doctrine professionnelle, une critique se fait de plus en plus entendre

dès la fin des années 1950 environ. Elle est d’une part exogène — adressée par des artistes, des mouvements sociaux luttant contre la monotonie de l’architecture, l’aliénation des villes contemporaines — et endogène — la sociologie urbaine notamment, tend de plus en plus à remettre en question les principes de l’aménagement moderniste (Amiot, 1986; Le Breton, 2012;

Vadelorge, 2006).

4) Sous l’action d’un contexte social et économique en mutation, et sous l’impulsion des critiques, l’urbanisme développe de nouveaux outils, de nouvelles méthodes, intègre de nouveaux acteurs et de nouveaux savoirs pour adopter ce nouvel esprit de l’urbanisme que j’ai esquissé plus haut, et dont certain des aspects sont l’objet de cette thèse.

À ces quatre phases, je suis tenté d’en ébaucher une cinquième. Une critique, pour l’instant essentiellement académique, de ce nouvel urbanisme fluide. Elle émerge d’une part des courants néomarxistes en géographie comme une dénonciation du tournant entrepreneurial et néolibéral de la nouvelle gouvernance urbaine. Et se manifeste d’autre part comme une préoccupation, au sein des sciences sociales, vis-à-vis de cette récupération d’une grammaire critique dans l’appareil de production de la ville (Breviglieri, 2013; Carmo, Pattaroni, Piraud, & Pedrazzini, 2014; Matthey, 2016).

Art et ville, un mariage plusieurs fois consommé

Or, ce dernier mouvement d’intégration de la critique trouve dans le domaine de l’art et de la culture une illustration presque idéal-typique. Alors même qu’une part de la critique de la ville et de l’urbanisme — essentiellement dans la seconde moitié du 20e siècle — a été portée par des artistes et s’est déployée dans un travail artistique (plus ou moins en marge des mondes institutionnels), l’art et la culture tendent de plus en plus à intégrer directement le projet urbain, voire à venir essaimer dans les méthodes et les outils mêmes de l’urbanisme. Je ne reviendrai pas, dans cette introduction, sur une histoire exhaustive des rapports entre art et ville, thème par ailleurs déjà largement exploré (Miles, 2005; Ruby, 2001; Senie & Webster, 1998; Veyrat, 2013), j’en exposerai simplement ici les grandes lignes, afin d’introduire ce qui sera plus longuement explicité dans le reste de ce texte. Rappelons tout d’abord qu’avant l’émergence de l’urbanisme comme champ d’action technique, il

Références

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