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L'urbanisme à l'heure de la mobilité généralisée. Questionner la réponse de la planification urbaine face à l'injonction à être mobile au travers de l'évaluation d'un grand projet d'urbanisme à Montréal

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Academic year: 2022

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Master

Reference

L'urbanisme à l'heure de la mobilité généralisée. Questionner la réponse de la planification urbaine face à l'injonction à être mobile au

travers de l'évaluation d'un grand projet d'urbanisme à Montréal

DEVAUD, Julien Yoann

Abstract

La relocalisation en 2015 du Centre Universitaire de Santé McGill — pôle d'emploi pour plus de 10 000 personnes — au sein de l'agglomération de Montréal fait figure de cas d'étude inédit permettant d'interroger les conséquences de la localisation des grands équipements de services ainsi que certaines formes d'urbanisme par méga projet, dans le contexte sociétal actuel. Ce contexte, c'est celui du néolibéralisme, où notre rapport à l'espace est avant tout dicté par une mobilité exacerbée, que certains qualifient de généralisée, ayant infiltré

l'ensemble de nos relations sociales et spatiales. En devenant un impératif de flexibilité, cette mobilité s'est progressivement développée comme valeur sociale centrale et valorisée.

L'injonction dont elle fait l'objet en fait un réel révélateur d'inégalités socioterritoriales. Cette étude du cas montréalais est ainsi l'opportunité de questionner la prise en compte de l'enjeu inédit, mais global de la mobilité et ses liens avec les inégalités sociales, dans la planification urbaine à l'heure actuelle. De même, en proposant une [...]

DEVAUD, Julien Yoann. L'urbanisme à l'heure de la mobilité généralisée. Questionner la réponse de la planification urbaine face à l'injonction à être mobile au travers de l'évaluation d'un grand projet d'urbanisme à Montréal . Master : Univ. Genève, 2018

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:110969

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Faculté des sciences de la société

Maîtrise universitaire en développement territorial

Directeur/trice : Dr. Lisa Lévy

L’urbanisme à l’heure de la mobilité généralisée

Juin 2018

Mention Aménagement du territoire et urbanisme

Julien Dévaud

photos : Julien Dévaud

Questionner la réponse de la planification urbaine face

à l’injonction à être mobile au travers de l’évaluation

d’un grand projet d’urbanisme à Montréal

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Un travail de mémoire, quand bien même répond-il à des interrogations purement personnelles, ne peut être considéré en bout de course comme un exercice exclusivement individuel et c’est pourquoi je tiens à remercier chaleureusement celles et ceux qui m’ont appuyé et aiguillé durant l’ensemble de ce parcours : avant toute ma directrice, Lisa Lévy, pour son temps et ses conseils systématiquement judicieux ; Sébastien Lord, pour m’avoir offert la chance de rejoindre son équipe de recherche et pour son accueil extrêmement chaleureux en terres québécoises ; toute l’équipe du 3615, dont Michel Desprès et Zara Zahavi ; ainsi que celle du projet de recherche dont Florian Chalimbaud et Ariane Paradis ; pour leur disponibilité et leur soutien, un grand merci.

Au moment de terminer ce travail, je tiens également à remercier tout mon entourage

— je pense à Laurence, Sarah, Alexandre — qui m’a poussé lors de la rédaction de ce travail. Finalement, un merci tout particulier à Florence, pour son soutien infaillible en toutes circonstances.pénis

Remerciements

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02

Résumé

Mots-clés

La relocalisation en 2015 du Centre Universitaire de Santé McGill — pôle d’emploi pour plus de 10 000 personnes — au sein de l’agglomération de Montréal fait figure de cas d’étude inédit permettant d’interroger les conséquences de la localisation des grands équipements de services ainsi que certaines formes d’urbanisme par méga projet, dans le contexte sociétal actuel. Ce contexte, c’est celui du néolibéralisme, où notre rapport à l’espace est avant tout dicté par une mobilité exacerbée, que certains qualifient de généralisée, ayant infiltré l’ensemble de nos relations sociales et spatiales. En devenant un impératif de flexibilité, cette mobilité s’est progressivement développée comme valeur sociale centrale et valorisée.

L’injonction dont elle fait l’objet en fait un réel révélateur d’inégalités socioterritoriales.

Cette étude du cas montréalais est ainsi l’opportunité de questionner la prise en compte de l’enjeu inédit, mais global de la mobilité et ses liens avec les inégalités sociales, dans la planification urbaine à l’heure actuelle. De même, en proposant une évaluation transversale du projet de redéploiement du CUSM, cette étude sera également l’occasion d’interroger les conséquences sociales de la pratique de l’urbanisme.

Mobilité, inégalité, urbanisme, planification, coordination justice spatiale, injonction à la mobilité, Transit oriented development

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Abréviations

AD : Aires de diffusion

CGD : Centre de gestion de déplacements CUSM : Centre universitaire de santé McGill

EPCI : Établissement public de coopération intercommunale LAU : Loi sur l’aménagement et l’urbanisme

MRC : Municipalités régionales de comté MTQ : Ministère des transports du Québec

NGD-CDN : Notre-Dame-de-Grace - Côte-des-Neiges (arrondissement de Montréal) OCPM : Office de consultation publique de Montréal

PDUES : Plan de développement urbain, économique et social PGD : Plan de gestion de déplacements

PMAD : Plan métropolitain d’aménagement et de développement PPU : Programme particulier d’urbanisme

PT : Plan de transport PU : Plan d’urbanisme

RMR : Région métropolitaine de Montréal de recensement SCOT : Schéma de cohérence territoriale

SR : Secteurs de recensement

STM : Société de transports montréalais

TC / TP : Transports collectifs / Transports publics TIM : Transports individuels motorisés

TOD : Transit oriented development

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Table des matières

2. Éléments

théoriques 15

2.1 Mobilité

15

2.1.1 Revue du concept

15

2.1.2 Définition retenue

19

2.1.3 La mobilité généralisée

20

2.1.4 L’injonction à la mobilité

23

2.2 Inégalités

25

2.2.1 De la précarité à l’exclusion

25

2.2.2 Inégalités sociospatiales

26

2.2.3 Inégalités de mobilité

27

2.2.4 Politiques publiques face aux

inégalités

29

2.3 Accessibilité

32

2.4 Notions-clés

34

3. La ville et la

mobilité 39

3.0.1 Dynamiques spatiales dans le contexte de mobilité généralisée

39

Des formes inédites

40

3.1 Urbanisme

41

3.1.1 Le projet urbain

41

3.1.2 La fabrique de la ville face à la

mobilité

42

Expériences espagnoles

43

Broadcare city

43

Charte d’Athène

44

Exemple d’instruments transversaux

47

3.2 Une pluralité de conceptions

51

Cadrage théorique

1. Introduction 07

1.0.1 Cas d’étude

08

1.0.2 Problèmatique

10

Hypothèses de travail 10

(8)

éTude de cas

5. Méthodologie 77

5.0.1 Analyse de la documentation écrite

77

5.0.2 Analyse des données quantitatives

78

6. Discussion 83

6.1 Urbanisme et mobilité dans la

planification montréalaise

83

6.1.1 Niveau montréalais

83

6.1.2 Niveau du redéploiement

87

6.1.3 Niveau du redéploiement : PGD

90

6.1.4 Niveau métropolitain

92

6.1.5 Constats et synthèse

96

6.2 Le CUSM face aux inégalités

sociales

98

6.2.1 Géographie sociale de Montréal

98

6.2.2 Évolution de l’accessibilité au CUSM

102

6.2.3 À qui profite la relocalisation

105

6.2.4 Où profite la relocalisation ?

108

7. Conclusion 113

7.0.1 Urbanisme et mobilité : constats

113

7.0.2 Urbanisme et mobilité : perspectives

115

7.0.3 Limites et ouvertures

116

4. Le redéploiement

du CUSM 57

4.1 Contexte montréalais

57

4.1.1 Politiques entre amémagement et transport : évolution des référentiel

58

4.2 Contexte du projet

64

4.2.1 Gouvernance

66

4.2.2 Historique

69

4.3 Les outils de l’articulation amé-

nagement - transport

71

4.4 Les acteurs et leurs outils

75

(9)
(10)

1. Introduction

« Vivre, c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner », écrivait Georges Perec dans son Espèce d’Espaces (1974). L’auteur français, qui a toujours fait de la géographie un point central de son œuvre, replace dans cette simple déclaration, ce qu’il considère comme l’essence même de la condition humaine : le passage d’un espace à un autre, le mouvement, la mobilité. Et les multiples recompositions des sociétés humaines, tout comme des territoires sur lesquels elles ont évolué, ne sauraient lui donner tort : La mobilité, de valeur montante…

Depuis la Deuxième Guerre mondiale, le nombre de déplacements individuels quotidiens et leur distance n’ont fait qu’augmenter globalement. De plus, l’impact des trente glorieuses et la démocratisation de l’automobile ont contribué à faire de la mobilité une valeur positive (Orfeuil, 2010). À l’heure de la globalisation, certains auteurs parlent même d’un contexte de « mobilité généralisée » (Bourdin, 2004), qui a infiltré l’ensemble de nos relations sociales et spatiales. Dans ce monde caractérisé par le passage et les flux, le besoin d’être mobile conditionne ainsi notre façon de vivre notre milieu de vie, qui n’est dès lors plus que traversé, consommé. Ceci est appuyé par l’augmentation exponentielle de la mobilité ces cinquante dernières années : dans un couple urbanisation / transport générant des dynamiques entraînantes dont il est difficile de se défaire, les déplacements quotidiens ont encore été renforcés au fur et à mesure que les activités se sont réparties plus loin des centres et des lieux de résidence.

La croissance de la mobilité comme réalité sociospatiale, mais aussi comme thème de recherche a permis de mettre en lumière de nouvelles formes de déplacements, totalement inédites, comme la pendularité à très longue distance ou encore la multirésidentialité (Ravalet & al., 2015). Néanmoins, ces observations sont le révélateur du basculement s’étant opéré progressivement : d’une situation de promotion de la mobilité individuelle, le monde a basculé dans une relation de nécessité vis-à-vis d’elle. Elle est devenue un prérequis afin de vivre le territoire tel qu’il s’est constitué ces derniers siècles.

… à générateur d’inégalité…

L’injonction à la mobilité, qui a été mise en lumière par de nombreux chercheurs (Kaufmann

& Jemelin, 2004 ; Baqué & Fol, 2007, Maksim, 2011), découle indéniablement des impératifs de flexibilité imposés tant par le marché du travail que par la répartition spatiale différenciée des lieux d’activité, de loisir et de commerce. Elle touche différemment l’ensemble des individus et est un facteur de clivages sociaux : en devenant une réelle condition pour espérer vivre une vie sociale et professionnelle qualifiée de normale, la mobilité va progressivement exclure les individus aux caractéristiques socio-économiques les plus faibles et les maintenir

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08

montrer l’inégale répartition de la précarité sur le territoire métropolitain partout en occident et notamment dans le contexte nord-américain. De manière générale, ces poches sont essentiellement situées proches du centre, sans être continues spatialement. Toutefois, les dynamiques actuelles tendent à montrer une précarisation croissante de la proche banlieue en Amérique du Nord (Ades & al., 2009).

… et son rôle en urbanisme ?

Les questions de mobilité ont été partie prenante de la discipline urbanistique tout au long de son histoire. Pourtant, que l’on pense aux premiers courants de pensée sur la planification de la ville tout comme à des exemples plus récents, la mobilité s’est trop souvent résumée en urbanisme à une question circulatoire, se basant d’ailleurs sur « une adhésion sans retenue au culte de l’automobile » (Beaudet & Wolf, 2014, p.8).

Malgré des recompositions politiques actuelles en faveur et des mouvements qui auront tenté d’en prendre le contre-pied, comme le Transit Oriented Developpement dans le contexte nord-américain, il semble que l’aménagement du territoire n’ait que très peu dépassé cette conception ingénieuriale de la mobilité ; ignorant ainsi l’importance croissante qu’elle a pu prendre en tant que phénomène social global ayant de très lourdes conséquences en termes de (dés-) équilibres territoriaux. À l’époque du développement durable, l’urbanisme devrait pouvoir servir des objectifs de justices spatiales, dans une perspective de droit à la ville, en intégrant de manière étendue les problématiques sociales de la mobilité.

1.1 Cas d’étude

Ce travail de mémoire s’inscrit dans un projet de recherche, auquel j’ai eu la chance de prendre part, lancé par l’Observatoire de la mobilité l’Université de Montréal et Sébastien Lord qui y est professeur, s’intitulant : les logiques, arbitrages et choix de mobilités des ménages en territoire métropolitain. Une enquête sur une relocalisation stratégique de plus de 10 000 travailleurs à Montréal, Canada. Questionnant les conséquences d’un grand projet d’urbanisme d’une ampleur inédite, l’étude s’intéresse au déménagement du Centre Universitaire de Santé McGill (CUSM) au sein de l’agglomération montréalaise qui s’est tenue en 2015. Plus précisément, c’est sur les mobilités quotidiennes de ses employé.e.s relocalisé.e.s que l’analyse se concentre, afin d’évaluer en profondeur comment ceux-ci ont fait face au changement forcé, mais anticipé, de leur lieu d’emploi — dont la localisation joue de manière générale un rôle central sur la formation des espaces de vie quotidienne.

Pour bien appréhender les mécanismes d’adaptation à l’œuvre dans un tel cas, l’ambition de ce projet est de pouvoir mener une analyse sur un temps long, tout en intégrant au mieux les ménages impactés par cette relocalisation : cette prise en compte d’échelles temporelles et spatiales étendues est l’occasion d’approfondir la recherche sur la question des mobilités quotidiennes, qui peut être lourde de conséquences tant sociales, environnementales qu’économiques. En allant étudier les déterminants des mobilités des ménages — au niveau des déplacements quotidiens ou des choix résidentiels —, cette recherche vise, à terme, à formuler des recommandations afin de promouvoir une mobilité plus durable.

Le projet d’étude s’effectue en plusieurs phases : une première, dans laquelle s’inscrit ce travail, basée essentiellement sur des documents de planification ainsi que des indicateurs quantitatifs afin de mener des analyses sur l’amont du projet de relocalisation. Durant mes six mois de travail à l’UdeM j’ai pu, entre autres, participer à l’élaboration du questionnaire transmis aux presque 10 000 employé.e.s relocalisé.e.s et qui marque la deuxième étape du projet de recherche, qui nous fournira un vaste jeu de données permettant d’effectuer de

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multiples travaux de recherche sur les adaptations des employé.e.s du CUSM. Finalement, une fois les données issues du questionnaire traitées, l’étude prévoit une série d’entretiens individuels réalisés avec quelques employé.e.s, afin de connaître plus précisément les tenants et aboutissants de leur mobilité.

En plus du présent travail, j’ai écrit en parallèle un mémoire pour mon certificat complémentaire de géomatique, basé sur le même cas d’étude, mais centré sur des questions d’accessibilité dans le cadre de la relocalisation d’un lieu d’emploi. Le déplacement du CUSM fait figure d’exemple parfait pour mettre en lumière les conséquences de certaines formes d’action urbaine aujourd’hui — ici la localisation d’un grands équipement, générateur d’emplois — sur les mobilités quotidiennes de milliers d’individus, tout en questionnant la faisabilité des objectifs de report modal fixé pour ce type de gestes urbanistique.

Le redéploiement du CUSM

Le Centre Universitaire de Santé McGill est l’hôpital anglophone de Montréal — dont le territoire est partagé avec le CHUM, francophone. Depuis presque une vingtaine d’années, le CUSM a la volonté de relocaliser ses activités et la majorité de ses services dans un seul complexe au sein de l’agglomération montréalaise. La relocalisation s’est déroulée en 2015, lorsque les 10 000 employé.e.s ont progressivement été déménagés sur le site Glen, le nouveau complexe de santé du CUSM, situé au sud-ouest du centre-ville à quelques kilomètres des anciens sites. Durant l’ensemble du processus de conception du projet, la mobilité et l’accès au site, particulièrement enclavé, ont été des enjeux de taille. Le complexe se trouve à côté d’une station de métro et de train de banlieue et non loin d’un échangeur autoroutier desservant deux autoroutes structurantes au niveau national (voir figure 1 &

2, pp.71-72). Les aménagements du site ont notamment intégré le creusement d’un tunnel reliant l’hôpital à la station de métro ou encore la création de plusieurs pistes cyclables.

La relocalisation du CUSM, par son ampleur, peut être décrite comme un mégaprojet d’urbanisme : l’emprise spatiale, le nombre d’individus concernés tout comme les acteurs impliqués ont d’ailleurs fait de ce déplacement un processus long et difficile à mettre en place. Par sa localisation de plus, un tel projet concerne des enjeux plus larges que ceux liés à l’hôpital. En effet, particulièrement enclavé, le site Glen est bordé de quartiers aux portraits socio-économiques très variés et dont l’objectif est de pouvoir profiter de l’arrivée d’un pôle d’emploi et des retombées positives qu’il amènera. La visibilité d’un tel projet en fait également une préoccupation à l’échelle montréalaise, dont la ville espère pouvoir profiter de l’image d’une métropole dynamique dans le cadre d’une compétition intermétropolitaine (Ville de Montréal, 2004). En étant une relocalisation imposée, les quelque 10 000 employé.e.s du site ont dû faire face à une importante modification de leur espace de vie et les enjeux de leur mobilité méritent d’être questionnés. C’est le but du projet de recherche, qui va permettre, au travers de l’étude de l’adaptation des employé.e.s face à un tel événement, d’interroger les politiques actuelles de localisation de grands équipement et les conséquences que celles-ci peuvent induire.

(13)

10

1.2 Problématique

Dans le contexte de mobilité généralisée, l’injonction que celle-ci génère s’est imposée à tout un chacun, alors que tout le monde n’est pas doté des mêmes ressources afin d’y répondre. Face à ce constat, une question se pose au regard de l’urbanisme et du rôle que celui doit jouer :

Comment les enjeux de mobilité sont-ils intégrés dans les grands projets d’urbanisme actuels ? Et comment ceux-ci tiennent-ils comptent de la géographie des inégalités socioéconomiques dans leur planification ?

L’étude de cas de la relocalisation du CUSM permettra également d’apporter un éclairage sur les interrogations suivantes :

• Sur quel conception de la mobilité se base cette forme d’action urbaine par grand projet ?

• La localisation des grands équipements de ce type participe-t-il au renforcement de l’injonction à la mobilité ? Ou au contraire, par une prise en compte des structures et déséquilibres socio-économiques, permet-elle de desservir plus largement un objectif de justice spatiale ?

Hypothèses de recherche

i. Dans les formes d’urbanisme telles qu’observées de nos jours, la question de la mobilité tient une place centrale — comme cela a été le cas depuis les premières formes de planification urbaine —, mais elle n’a pas su évoluer avec les modifications de la réalité de la mobilité, au regard de son poids sur le plan social et les lourdes conséquences qu’elle peut avoir. Nous poserons l’hypothèse d’un « impensé de la mobilité » (Paulhiac, 2008) dans l’urbanisme, au vu de ce qui a été postulé jusqu’ici.

L’injonction à la mobilité telle que décrite plus haut n’est que peu prise en compte dans la fabrique urbaine de nos jours.

ii. En n’intégrant que peu des questions de mobilité et les différentiels individuels qui la caractérisent, l’urbanisme, dans ses formes actuelles, ne fait que renforcer cette fameuse injonction et le besoin de flexibilité de chacun tout comme les déséquilibres socio-économiques existant dans le territoire métropolitain. Cela aura également été le cas pour le CUSM, dont la relocalisation, par un besoin d’adaptation, a explicitement nécessité la mobilisation de capacités mobiles pour ses employé.e.s et sa clientèle.

iii. En s’inscrivant dans une géographie montréalaise emprunte de certains patterns propres à la situation des métropoles nord-américaines, le CUSM, dans son choix de relocalisation, se sera sensiblement rapproché de populations aisées, situées dans des quartiers péricentraux (Ades & al., 2009). La relocalisation du CUSM favorise donc essentiellement des individus au capital de mobilité plus important ; qui auront pu faire face plus facilement à la nouvelle exigence de flexibilité imposée par le changement de leur lieu d’emploi. De fait, il est possible de postuler que ce projet ne desserve pas un objectif de justice spatiale.

(14)
(15)

Cadra ge th Éorique

(16)
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2. Éléments théoriques

La revue de littérature qui va suivre a pour but de mettre en lumière le contexte évoqué dans l’introduction de ce travail et de son lien avec les inégalités sociospatiales afin de mieux pouvoir appréhender la façon dont l’urbanisme interagit avec ces deux éléments.

Le cadrage théorique se concentre avant tout sur l’exploration de concepts en lien avec la question de recherche, ainsi que leurs interconnexsions : mobilité, inégalité et accessibilité.

L’exemplification se fera ensuite avec l’étude de cas, se situant à l’interface des trois éléments.

2.1 Mobilité

Au centre du projet de recherche du CUSM, le concept de mobilité occupe une place essentielle de cette analyse et mérite d’être défini de manière univoque. Pourtant, donner une définition d’un tel concept relève de l’exercice de style, tant il est complexe. Dépendamment du champ d’études dans lequel on se situe, on observe que la mobilité désigne tant un franchissement spatial (en géographie), un flux de transport (en ingénierie) ou un changement d’état (en sociologie). Loin d’étendre la portée du concept, cette multiplicité des acceptions est vue comme un obstacle à l’avancée du savoir en la matière (Ravalet & al., 2015). Elle nécessite d’ailleurs un travail de mise en lumière important, qui va être fait dans les lignes qui suivent, en commençant par un cadrage historique du concept, dont la complexité remonte à la première partie du siècle dernier :

2.1.1 Revue du concept

Conception sociale de la mobilité : de Sorokin à l’École de Chicago

C’est en premier lieu dans les sciences sociales qu’apparaît le concept de mobilité, qui définissait alors un déplacement dans l’espace social, et non géographique, qu’il soit vertical

— variation dans l’échelle sociale — ou horizontal — variation de statut (Sorokin, 1927).

Le concept évolue quelque peu avec les travaux des chercheurs issus de l’École de Chicago, intégrant alors la dimension spatiale de la mobilité, sans être pour autant l’objet central de leur étude. Ces premières analyses d’écologie urbaine étaient avant tout centrées sur la relation entre les individus « urbains » et leur milieu de vie, notamment par les interactions sociales avec les autres citadins, qui sont caractérisées par un contexte d’accroissement des mobilités individuelles. En effet, la ville de Chicago, comme le reste des États-Unis

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16

mécanismes de différenciation sociale dont la mobilité est le vecteur tout comme le révélateur. En ce sens, elle apparaît pour les sociologues de l’École de Chicago comme une mesure de « désorganisation sociale » (Ibid., p.202), de rupture de l’équilibre, participant aux transformations urbaines que connaît le métabolisme de la ville (Burgess, [1925] 1979).

Elle « entraîne toujours un changement de position dans l’espace » (Park [1926], 1979, p.202) — que l’on parle de mobilité quotidienne ou résidentielle.

La rupture entre sciences sociales et techniques

La suite des analyses sur les questions de mobilité a vu la recherche se diviser en deux domaines, largement distincts l’un de l’autre :

• D’un côté en sociologie, la mobilité est devenue un thème de recherche récurrent, en conservant la définition initiale de Sorokin, soit le changement d’état, de rôle ou de position, mais sans dimension géographique.

• De l’autre, l’analyse du mouvement spatial, qui a suivi la rapide démocratisation de la motorisation individuelle et la systématisation de la pendularité automobile qui l’accompagne depuis les années 30 en Amérique du Nord. Ce deuxième faisceau de l’analyse de la mobilité, bien qu’ayant été ignoré par l’École de Chicago — pourtant contemporain à l’émergence de l’automobilité — a très vite été capté par les sciences du trafic et de l’ingénierie, ayant émergé aux États-Unis suite à la Première Guerre mondiale et aux premiers développements de la motorisation individuelle.

Ces deux approches sont symétriques : si pour la première ce sont les changements de position sociale ainsi que leur origine qui sont au cœur de l’analyse — laissant la question spatiale implicite — c’est l’inverse pour la seconde. Celle-ci se limite en effet à une analyse sur du court terme, postulant ainsi « une stabilité temporelle des comportements individuels » (Gallez & Kaufmann, 2009, p. 4) ; de l’autre côté l’approche sociologie, dans la lignée de la conception écologique de l’École de Chicago, étudie précisément ces déséquilibres sociaux, et ce sur une perspective temporelle plus étendue.

Longtemps concentré sur la prise en compte des flux, totalement déconnectée de la dimension individuelle, l’analyse des mobilités spatiales va dès les années 70 s’élargir quelque peu, suite notamment à la crise pétrolière de cette époque et des remises en question du primat de l’automobile qui l’accompagnent. En passant à la notion de déplacements, ces analyses deviennent plus transversales et intègrent notamment les paramètres de fonction individuelle — tout en restant proche cependant des modèles initiaux de maximisation d’utilité sous contrainte. Cette avancée dans la recherche aboutit à une séparation en quatre formes de mobilités spatiales (Ibid.) :

Temporalité courte Temporalité longue Interne au bassin de vie Mobilité quotidienne Mobilité résidentielle Externe au bassin de vie Voyage Migration

Dans les années 80, les recherches sur les modes de vie urbains amènent deux conclusions particulièrement essentielles dans la compréhension du concept de mobilité — voire dans la remise en question de sa définition — telle que traitée en sociologie depuis, et tel que considéré dans la suite de ce travail :

• Les déplacements ne sont que très rarement une demande pour eux-mêmes et leur compréhension nécessite dès lors une intégration très large des déterminants permettant de saisir leurs raisons et leurs conséquences.

• Si les déplacements sont conditionnés par le milieu urbain, ils vont eux-mêmes

(20)

l’impacter : ce deuxième point fera l’objet de développement plus fort dans la suite de la revue de littérature, sur le lien entre mobilité et dynamiques spatiales.

La formulation de ces deux éléments remet en cause la séparation présentée précédemment et appelle à une conception systémique de la mobilité. Certains comportements inédits mis en exergue par la recherche de la fin du siècle dernier poussent d’ailleurs dans le même sens : même si ces formes de « grande mobilité » (Ravalet & al., 2015) seront développées plus précisément dans les chapitres suivants, on peut ici s’attarder sur l’exemple de la multirésidentialité. Pour des raisons liées au travail et aux dynamiques de couples, il a été observé que certains individus disposent de plusieurs logements, un pour la semaine proche du lieu d’emploi et un pour le week-end — des formes de « living apart together » (Ibid.). En associant des déplacements de longues distances sur une base plurihebdomadaire, ce type de mobilité dépasse le cloisonnement spatiotemporel définit un amont dans le but de multiplier le nombre de sphères sociales et d’activité de la vie quotidienne (Kaufmann, 2008).

L’émergence d’une approche systémique

En débordant des cadres observés jusqu’ici, ces comportements individuels d’hypermobilité vont amener une conception nouvelle et intégratrice du concept de mobilité que Bassand (1986, p.25) définira en disant qu’elle est « un phénomène social total […] jamais seulement un déplacement, mais toujours une action au cœur de processus sociaux de fonctionnement et de changement ». L’auteur a ainsi ouvert la porte à une conception systémique de la mobilité, pour laquelle les échelles tant spatiales que temporelles se co-influence et dont le mouvement spatial implique un changement d’état au niveau social (Bassand & Brulhardt, 1980). Cette analyse rompt avec la séparation sociale/technique observée jusqu’ici, tout en plaidant pour une plus forte intégration de la multidisciplinarité dans l’analyse de la mobilité, devant considérer tant les flux que leurs déterminants à des échelles micro et macro. En parlant de « phénomène total », Bassand pointe également la nécessité de faire de la mobilité un objet d’étude de premier plan car elle « est un aspect central du changement d’une société » (Ibid., p.156).

Cette double composante — sociale et spatiale — se base donc sur la définition qu’avaient formulée les travaux issus de l’École de Chicago en la définissant comme la mesure d’un changement (Park [1926], 1979). Sur cette base, nombre de chercheurs ont depuis opéré une distinction claire et univoque entre déplacements et mobilité, le premier étant le mouvement spatial, soit la réalisation physique du deuxième, qui ne définit qu’un potentiel — réalisé ou non (Kaufamnn & Jemelin, 2004). Cette démarcation se base sur les premières conceptions sociologiques de la mobilité, qui avait été formulées déjà par Burgess ([1925] 1979, p.140) lorsque celui-ci parlait d’un « état de mobilité potentielle […] et du nombre de stimulations ».

Ce parti pris conceptuel s’inscrit également dans la droite ligne des travaux de McKenzie (1927) qui avait très joliment opposé la mobilité — les déplacements événementiels marquant la trajectoire de vie de l’individu considéré — à la fluidité — soit un déplacement sans impact.

(21)

18

un cadre campagnard et un travail en plein CBD — soit une façon de conserver leur « univers familier, leurs relations sociales, l’attachement au lieu de vie » (Gallez & Kaufmann, 2009, p.6). Dès lors, ils évitent de se confronter à l’altérité et donc au changement. Ces pratiques spatiales très fluides sont autant de moyens d’éviter au maximum l’irréversibilité de certaines mobilités, au sens de Mckenzie (1927) — qui marquent une histoire de vie, par exemple un déménagement ou une migration (Kaufmann, 2008). L’exemple le plus fréquent est celui d’un businessman parcourant un monde globalisé et accessible : il jouit d’une très forte liberté de mouvement, au sens du déplacement, mais pourtant, son « rapport à ce qui est autre est quasi inexistant » (Ibid., p.27) ; il ne se confronte pas à l’altérité en se déplaçant d’un Hilton ou centre de congrès à l’autre ; il est donc peu mobile.

La mobilité potentielle : capital spatial et motilité

Deux conceptions transversales de la mobilité, ayant émergé au début des années 2000, semblent particulièrement intéressantes à approfondir à ce stade, sans pour autant trop s’y attarder.

Ce sont avant tout les écrits de Jacques Lévy qui, dans une perspective purement sociologique, vont amener des pistes théoriques pour la suite de la recherche sur les questions de mobilité. En développant ce qu’il appelle le capital spatial (Lévy, 2003), l’auteur se place dans la droite ligne des travaux de Bourdieu. Valeur individuelle cumulable, à l’image d’un capital culturel ou relationnel, le capital spatial est défini comme « l’ensemble des ressources accumulées par un acteur, lui permettant de tirer avantage, en fonction de sa stratégie, de l’usage de la dimension spatiale de la société » (Ibid., p. 147). Les ressources dont parle l’auteur sont à la fois :

• Le patrimoine : l’ensemble des lieux et des réseaux pour lesquels un acteur a acquis une capacité d’usage. Un exemple limpide est celui du métro, dont l’usage est globalement semblable d’un bout à l’autre de la planète.

• Les compétences, dont peuvent user les acteurs afin d’étendre leur portefeuille de patrimoine. Ces compétences passent notamment par la maîtrise des différentes métriques de l’espace ; ce que Lévy appelle habilement la « métrise », soit la capacité d’articuler et de tirer profit au maximum des différentes échelles et vitesses du territoire pour en maximiser l’utilisation.

L’arbitrage entre ces deux ressources permet de réaliser un déplacement, ce que Lévy décrit comme « la virtualité de la mobilité » (Lévy, 2000, p.158) ; c’est le résultat du triangle formé entre « le souhaité, le possible et le réalisé » (Ibid., p.159). Bien que peu repris dans la littérature par la suite — notamment au regard du concept qui va suivre —, le capital spatial a l’avantage de formaliser une considération individuelle de la mobilité, dont le différentiel pourra être facteur d’inégalité — point qui sera largement traité dans les chapitres suivants.

Vincent Kaufmann a lui développé le concept de motilité (2004), grâce à un habile parallèle avec les sciences naturelles : en biologie, la motilité décrit la capacité d’un organisme à pouvoir se déplacer. L’auteur, dont les travaux suivent directement ceux de Lévy1, décrit la motilité comme « la manière dont un individu ou un groupe fait sien le champ du possible en matière de mobilité et en fait usage pour développer des projets » (Kaufmann & Jemelin, 2004, p.5). En définissant la capacité de chacun à être mobile, le concept dépend de trois facteurs :

• Conditions individuelles d’accès permettant de profiter de l’offre de transport existante

— le revenu, les capacités physiques.

1 Vincent Kaufmann n’hésite d’ailleurs pas à formellement parler de la motilité comme d’un capital (Kaufmann, 2008)

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• Les compétences des acteurs afin de tirer profit de l’offre. Il s’agit des savoir-faire tout comme de la capacité organisationnelle, la possession d’un permis, la maîtrise d’une langue et des connaissances techniques permettant de réaliser un déplacement.

• Les projets de mobilité représentent finalement l’appropriation faite de l’offre permettant de réaliser un dessein plus large — l’aspiration à la sédentarité ou le développement d’une vie de famille.

Très proche dans leur conception transversale et leur approche à l’échelle individuelle, les deux concepts présentés ici sont à la base de la définition de la mobilité qui va suivre. Si la motilité a fait l’objet de plus de travaux dans l’histoire récente, le concept est fortement inspiré des travaux de Lévy, qui sera central pour le chapitre suivant.

2.1.2 Définition retenue, entre virtuel, souhaité et réalisé

Face à la polysémie du concept de mobilité, qui a été mis en lumière à travers l’étude historique des différentes conceptions s’étant succédé, voici quelques paragraphes résumant la posture adoptée pour la suite de ce travail, synthèse des pages précédentes.

À la frontière entre phénomène social et spatial, la mobilité doit être appréhendée de manière systémique, afin de dépasser les simples analyses de flux et dans le but de tenir compte des différentiels individuels, à la base de nombreuses inégalités. Distinguer la mobilité des déplacements apparaît donc comme évident, notamment au regard de formes inédites de rapport à l’espace mises en lumière par la recherche ces dernières décennies.

Jacques Lévy décrit d’ailleurs très bien cette situation lorsqu’il écrit que « nous sommes impliqués dans le mouvement même lorsque nous sommes arrêtés » (Lévy, 2004, p.198).

C’est donc la définition donnée par Kaufmann (2008) et reprise par plusieurs travaux issus du Laboratoire de Sociologie Urbaine de l’EPFL ensuite (Ravalet & al., 2015 ; Vincent-Geslin, 2015) qui semble la plus pertinente ici. La mobilité est donc à définir comme les conditions permettant l’intention puis la réalisation d’un franchissement de l’espace géographique, impliquant un changement social (Kaufmann, 2008, p.16). Elle se décompose en trois paramètres distincts :

• Champs des possibles : à chaque contexte ses conditions spécifiques. On parle ici des réseaux de transport dans leur accessibilité, disponibilité, variété (ferroviaire, routier, collectif, espace dévolu à la mobilité active), performance, mais également de l’ensemble des configurations urbaines et territoriales. De la même façon, le marché de l’emploi est à inclure ici, tout comme les possibilités de formation.

• Potentiel individuel : c’est ici la capacité de chacun de faire usage des possibilités leur étant offertes. Il s’agit donc du capital individuel de mobilité — terme qui sera utilisé pour décrire cette capacité, prenant grandement les traits de la motilité de Kaufmann

— que la place dans le cycle de vie — notamment au regard des projets familiaux — et le parcours professionnel vont fortement influencer. Il est basé sur les trois piliers

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y inclura donc tant les déplacements pendulaires domicile-travail, la mobilité résidentielle que les migrations ou les voyages. D’ailleurs, chacune de ces formes aura un impact sur les autres : un déménagement impactera la pendularité domicile-travail ; tout comme l’arrivée d’un enfant par exemple. L’arrivée de certains groupes sociaux dans un quartier va impliquer d’autres changements par la suite; de la même façon, une migration engendrera souvent des voyages de retour sur le lieu d’origine, etc. (Bassand & Brulhardt, 1980). Toutefois, dans le cadre de ce travail, je limiterai la définition de la mobilité aux individus, sans faire le même pas que certains auteurs du courant de la mobility turn, qui inclus dans sa conception tant les objets que les idées ou les communications.

Avec la définition de la mobilité telle que donnée plus haut, il existe tout de même un point auquel il faut prêter attention : ce ne sont pas les contextes offrant un champ des possibles plus vastes qui donneront lieu à plus de mobilité. Si l’exemple du businessman international en était déjà le révélateur, d’autres études permettent de mettre en avant la très forte, mais nécessaire distinction à opérer entre mobilité et liberté. Notamment, l’étude des portraits des

« grands mobiles » (Ravalet & al., 2015) permet de tirer certaines conclusions vis-à-vis des raisons les poussant à adopter ce type de comportements spatiaux. La pendularité de très longue distance apparaît à l’issue de la recherche comme n’étant pas le fruit d’un choix parmi de nombreuses opportunités, mais plutôt un arbitrage effectué dans une situation de fortes contraintes. Elle est d’ailleurs généralement vécue comme un élément négatif, ou purement temporaire (Ibid.). Les grands déplacements réversibles dont il est question semblent être plus une résignation face aux exigences du marché du travail ; ou de l’issue de la pesée des intérêts faite entre vie de famille et professionnelle. Si les prouesses technologiques nous ayant permis de repousser les barrières de notre mobilité nous ont libérés de certaines contraintes de distances, elles n’ont fait qu’en générer de nouvelles — ce point sera d’ailleurs soulevé dans le chapitre traitant de l’injonction à la mobilité. En conclusion une plus grande liberté de mouvement n’est pas synonyme de mobilité tant qu’elle s’accompagne d’une obligation à se déplacer.

2.1.3 La mobilité généralisée

La complexité des concepts que l’on vient d’explorer tient également au fait que la réalité qu’ils décrivent a très fortement et rapidement évolué dans la dernière période historique et notamment dans la deuxième moitié du XXe siècle. La multiplication et la diversification de l’ensemble des mobilités — qu’elles soient physiques, sociales ou autre —, en transformant le rapport des individus à l’espace tout en modifiant profondément la géographie des sociétés modernes, a poussé le sociologue Alain Bourdin à formuler la thèse du paradigme de « mobilité généralisée » (Bourdin, 2004). Celle-ci définit ainsi une caractéristique centrale et inédite de nos modes de vie, où l’extension quantitative et la diversification qualitative des manifestations de la mobilité se sont infiltrées de manière générale dans l’ensemble de nos rapports à l’espace, nos liens sociaux, nos systèmes de valeurs (Lannoy & Ramadier, 2008). Pour l’auteur, ce paradigme est avant tout l’artefact d’un contexte plus large : celui de la consommation et de l’individualisme, dont l’exponentielle croissance des déplacements n’est que la matérialisation. D’aucuns parlent même de la mobilité comme d’une composante du « nouvel esprit du capitalisme » (Boltanski & Chiapello, 1999). L’avènement de ce que Bourdin appelle les personnalités « hypercontemporaines » (Ibid., p.95) a changé le rapport aux valeurs collectives. Ces dernières étant devenues une part du contexte et non plus une contrainte, les individus ne sont plus en situation de responsabilité. L’affaiblissement des appartenances à ces normes n’a fait que renforcer la différenciation individuelle, grâce à une

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augmentation de l’accès aux opportunités de vivre et de consommer. Au regard des textes mentionnés et des différents apports théoriques, la mobilité généralisée se caractérise avant tout par les trois éléments suivants :

a. Elle est d’une ampleur inédite

Ce que montre l’ensemble des indicateurs : le temps quotidien dévolu au transport est en augmentation, alors qu’il est resté constant de nombreuses années. Il était en Suisse d’un peu plus de 70 minutes entre 1980 et 1994 et a gagné plus d’une vingtaine de minutes entre 1994 et 2010, avant de stagner à nouveau depuis (Kaufmann, 2014 ; OFS, 2012). De même, dans nos régions, les déplacements quotidiens sont plus longs : ils ont gagné 5,3 % de distance en moyenne en Suisse depuis 1980 (OFS, 2017), marquant à quel point nous nous déplaçons plus loin, plus vite et plus longtemps.

De la même façon au niveau international, toutes les données marquent une augmentation fulgurante et celle des réfugiés est la plus frappante : il y en avait 52 millions en 2015 alors qu’ils n’étaient que 21 mio en 2000 — et 2,5 mio en 1970 (Pouchard & Breteau, 2015). Les flux touristiques eux aussi ont connu explosion durant les 50 dernières années, passant de 11 millions d’arrivées de touristes dans le monde en 1970 à plus de 800 mio en 2005 (Dehoorne

& al., 2008). En plus de cette très forte avancée quantitative de la mobilité — ou tout du moins des flux de déplacements —, celle-ci s’est diversifiée dans ses supports et ses motifs. Par exemple, dans l’analyse des mobilités quotidiennes, les déplacements domicile-travail ont perdu leur première place de générateur de flux au profit des mobilités de loisir, représentant aujourd’hui en Suisse 37 % de l’ensemble des déplacements, contre 23 % pour motif travail ; cette augmentation tient d’ailleurs en grande partie son explication dans les modes de vie urbains comme élément se développant parallèlement de l’augmentation de la densité des villes (Munafò, 2016).

L’ensemble de ces augmentations donne aujourd’hui certaines formes de mobilité d’une portée toute nouvelle, dont des pendulaires de très longues distances, soit à plus de quatre heures de déplacement par jour. Ces cas extrêmes, bien que marginaux, représentaient tout de même 6 % de la population suisse en 2000 (Ravalet & al., 2015).

b. Elle est omniprésente

De fait, elle réduit la différenciation spatiale des lieux, tel qu’elle existait jusqu’à récemment. Dans ce modèle d’une connexité toute nouvelle, les barrières spatiales sont floutées, générant une fragmentation de nos sphères d’activité, qu’elles soient publiques ou privées, professionnelles ou familiales — par exemple avec le télétravail donnant une fonction inédite au logement (Kaufmann, 2008). De la même façon, la distinction ville/

campagne peut être aujourd’hui remise en cause sous bien des aspects. Sans explorer les tenants morphologiques — qui seront étudiés plus loin —, la connexité spatiale a ainsi brouillé toute possibilité de définir de manière unilatérale la ville, tout comme la non-ville (Wiel, 2005).

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avant tout par un effritement des liens traditionnels, est une caractéristique de la mobilité généralisée au sens de Bourdin, pour qui l’individuation croissance est l’expression du modèle de marché, appliqué à la dimension sociospatiale. Selon l’auteur, ce paradigme est avant tout la manifestation du capitalisme et de la consommation — économique, des lieux, mais aussi des relations sociales (Bourdin, 2004).

Finalement, cette omniprésence se décèle également à travers l’investissement des questions de mobilité au centre de débats toujours plus nombreux, de nouveaux observatoires

& centres de recherches, tout comme de nombreuses nouvelles politiques publiques, sur lesquelles nous reviendrons plus en détail (Lannoy & Ramadier, 2008).

c. Elle se renforce d’elle-même

C’est le résultat de deux dynamiques distinctes : (1) tout d’abord, la mobilité est depuis longtemps associée à une valeur positive — en ne retenant d’ailleurs que l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme postulant que tout le monde a le droit de se déplacer de manière libre et égale. L’immobilisme n’est ainsi pas promu, puisqu’il est quasi systématiquement perçu comme la conséquence d’un faible capital mobile ou exacerbant des inégalités déjà prégnantes. Dans cette perspective, seules les conditions de la réalisation de la mobilité sont généralement remises en question, nullement le fait que celle-ci doive fondamentalement s’accomplir (Lannoy & Ramadier, 2008). Ainsi, le fait d’être mobile est même devenu une condition sine qua non de participation à la vie sociale collective (Orfeuil, 2010).

De plus (2), lorsque l’on parle de transport, on se retrouve face à un problème insoluble puisque « l’offre suscite constamment la demande » (Wiel, 2005, p.38). C’est-à-dire qu’à force de mettre en place les conditions de réalisation de plus de mobilité, celle-ci tend à s’accomplir de fait, augmentant la nécessité de lui offrir plus de conditions de réalisation.

Elle n’est ainsi que le « palliatif à la dispersion des composants urbains » (Wiel, 1999, p.189) dont la localisation n’a été possible que grâce à une mobilité nouvelle. Que ce soit pour l’habitat — par mouvement généralement centrifuge — ou les activités — dans des dynamiques plus complexes —, chacune des mesures améliorant les conditions de mobilité aura un impact qui va valoriser ou non certains espaces. Les transformations résultantes et le nouveau trafic induit appelleront donc de nouvelles interventions afin de maintenir un niveau de vitesse suffisant (Ibid.) — cette considération de la ville comme organisme fait d’équilibres en mouvement sera développée par la suite.

Un élément venant renforcer ce constat est le budget temps de transport, qui avait été mis en lumière dans les conclusions des travaux de Yacov Zahavi dont la conjecture joue un rôle fondamental dans cette dynamique entraînante. Ce dernier avait pointé du doigt le fait que chaque individu possède un budget temps moyen constant et que toute augmentation dans les vitesses de transport n’était pas réinvestie dans d’autres activités — en diminuant globalement le temps de transport —, mais dans plus de déplacements (Zahavi, 1974).

Bien qu’aujourd’hui le budget temps quotidien ait augmenté, la conjecture de Zahavi reste d’actualité. Cette augmentation n’est autre que le signe d’une emprise toujours plus forte de la mobilité sur nos modes de vie. Les nouvelles dynamiques spatiales de métropolisation renforcent la nécessité de tout un chacun d’être mobile, à mesure que les fonctions territoriales se voient explosées spatialement.

Certaines critiques peuvent toutefois être formulées à l’encontre de cette notion de mobilité généralisée, malgré l’évidente réalité sociospatiale recouverte par ce paradigme. En effet, si en moyenne, les manifestations de mobilité ont augmenté au cours des 50 dernières années, ce n’est de loin pas le cas pour tous les groupes sociaux qui ne la vive pas de la même

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façon (Gallez & Kaufmann, 2009). À ce titre, l’opposition séduisante entre hypermobilité

& immobilité ne permet pas de décrire l’ensemble des disparités dans les potentiels, tout comme dans les stratégies pour faire face aux impératifs sociaux de flexibilité. Bien que l’on puisse vouloir combattre l’immobilité, celle-ci peut également être le moteur — ou l’indicateur — d’une mobilisation de réseaux locaux. De la même manière, comme cela a déjà été mis en avant, l’hypermobilité de certains comportements, comme les pendulaires de très longues distances, ne représente pas systématiquement une situation de très forte mobilité, mais plutôt une soumission à des contraintes plus importantes, dans une volonté globale de sédentarité (Ravalet & al, 2015). Un autre exemple allant dans ce sens est celui du tourisme international : à la différence des migrations, marquant un réel changement social tout comme spatial, les flux touristiques, qui dépendent largement des moyens de transport disponibles, ne permettent pas systématiquement de parler de mobilité, selon la définition retenue pour ce travail. En effet, en adoptant des postures et comportements similaires dans des contextes différents, le touriste n’est pas confronté à l’altérité et n’engage pas de changement de position sociale (Kaufmann, 2014).

Ces quelques considérations mises en lumière, on est ainsi en droit de remettre en question la notion d’hypermobilité et même celle de mobilité généralisée. En effet, ne serait-il pas plus pertinent de parler ici de « fluidité généralisée », au sens de McKenzie (1927), où l’augmentation des déplacements n’est pas nécessairement signe d’une plus forte mobilité ? Cette question est volontairement laissée en suspens pour ces quelques lignes, car même si ce débat terminologique peut rester ouvert, les conséquences de la réalité qu’il décrit restent importantes et mesurables.

Dans un monde de consommations, les avancées technologiques et l’évolution des comportements ont augmenté des « libertés », encore sublimées par une individuation croissante. Malgré tout, ces dernières ne peuvent être vues que de façon positive, tant elles s’accompagnent de contraintes inédites, à mesure que les précédentes — celle de la distance notamment — disparaissaient. Pourtant, que l’on parle de libertés nouvelles de vivre le territoire, ou des contraintes qui leur sont associées, le tout résulte par une augmentation de l’exigence d’être flexible et mobile. Ainsi, pour clore ce chapitre et apposer une réponse à la question des termes à employer ; que l’on parle de mobilité ou de fluidité généralisée, c’est avant tout l’injonction qui en est faite qui représente au mieux le contexte en question ; c’est-à-dire celui d’une flexibilité imposée.

2.1.4 L’injonction à la mobilité

Mise en lumière par de nombreuses recherches traitant tant d’enjeux de mobilité que d’inégalités socio-économiques (Kaufmann, 2008 ; Bacqué & Fol, 2007 ; Orfeuil, 2010 ; Jouffe, 2015), elle est le revers de la médaille de la mobilité généralisée, tout en étant une composante ayant infiltré notre vie sociale. En effet, en tant que matérialisation du capitalisme et de l’individuation croissante des modes de vie, la mobilité est progressivement devenue

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des acteurs » (Massot & Orfeuil, 2005, p. 81), l’extension du champ des possibles — qui nous a permis de réunir des modes de vie encore inconciliables il y a quelques dizaines d’années — s’est vite transformée en une réelle exigence. Elle marque le renversement entre une situation d’accroissement des possibles à celle ou ces possibles doivent avoir été intégrées par tout un chacun. Cette croyance s’est retrouvée dans des politiques publiques, ayant posé le « présupposé implicite que la mobilité […] est à la portée de tous » (Orfeuil, 2010, p.3). C’est l’exigence de posséder un capital mobile qui doit permettre de faire face à l’avènement inédit d’un champ des possibles dont l’extension qualitative, offerte par les conditions nouvelles de déplacements, a fait de la mobilité une valeur socialement qualifiante.

Cette injonction à la mobilité, ou à la flexibilité, impose à chacun une capacité à se défaire des contraintes de distance, sociales et spatiales. Elle est avant tout vraie pour le marché du travail, où la nouvelle « norme mobilitaire » (Borja & al., 2013, p.102) est imposée directement sur les épaules des employé.e.s ayant tout intérêt à s’y soumettre. Dans cette perspective, l’injonction est même vue par certains chercheurs comme une nouvelle forme de domination dans le monde du travail (Vignal, 2005). Au-delà des rapports de force que cette exigence dessine ou accentue, elle impose une flexibilité à chacun — quelle que soit sa position sociale. De manière égale du chômeur devant réussir à être suffisamment mobile pour étendre son champ de recherche d’emploi que des parents divorcés devant s’entendre pour des logements compatibles (Kaufmann, 2008). La recherche tend d’ailleurs à montrer que c’est particulièrement le cas pour les individus moins qualifiés, dont les emplois tendent à s’éloigner des centres-villes et à des horaires parfois difficilement conjugables avec des modes de vie familiaux (Orfeuil, 2010).

D’une valeur montante, la mobilité est rapidement devenue vecteur d’inégalités (Fol, 2010) dans la mesure où elle est « la condition d’une inscription “normale” dans la vie sociale » (Jouffe & al., 2015, p.1), « un prérequis » (Orfeuil, 2010, p.4). Le lien entre les deux phénomènes semble alors assez évident au vu des paragraphes qui précédent : en étant une norme sociale, la flexibilité va d’autant exclure les individus qui posséderont un capital mobile plus faible que les autres. On peut affirmer que « l’accès à la mobilité est différencié selon les groupes sociaux » (Jouffe & al., 2015, p.3) et leurs caractéristiques socio-économiques. Les personnes les mieux dotées de différents capitaux seront plus aptes à décider de leur localisation et ainsi de leur accès au marché de l’emploi ; à l’inverse des plus défavorisés. La mobilité est donc révélatrice de situations de déséquilibres spatiaux, et dans une certaine mesure, son accès ou non, pourra renforcer ces inégalités. Le lien entre les deux enjeux est prégnant et mérite donc d’être approfondi au travers de l’étude des questions d’inégalités.

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2.2 Inégalités

Thème absolument central en sociologie, les inégalités renvoient à la distribution différenciée des ressources entre individus, dans l’espace social et spatial. Si elles peuvent être de tout type, ce sont généralement sur des questions avant tout économiques qu’elles intéressent la recherche. Dans notre cas, c’est le lien qui vient d’être évoqué entre les inégalités socio-économiques et celles de mobilités qui nous intéresse. Si la capacité à se mouvoir est fonction de déterminants individuels, alors les personnes les moins bien dotées de différents capitaux auront d’autant plus de peine à être mobiles (Urry, 2007). C’est volontairement que ce chapitre va étudier les inégalités « par le bas », en traitant avant tout des questions de précarité.

2.2.1 De la précarité à l’exclusion

Les notions de précarité et de pauvreté doivent être considérées au sein du contexte dans lequel elles s’inscrivent. En reprenant la définition de pauvreté de George Simmel, qui l’associait à l’état « d’un individu devant être assisté » (Simmel 1908), on voit à quel point ces notions sont socialement construites. Bien que la pauvreté puisse être définie de manière absolue, elle l’est généralement selon des critères relatifs, en fonction du lieu et de l’époque.

La pauvreté est à comprendre comme une notion multidimensionnelle, définissant l’état d’un individu dans lequel il ne lui est plus possible d’assumer le coût de son existence, ou de vivre dignement (Da Cunha & al., 1995). En situation de pauvreté, il s’expose ainsi à des processus d’exclusion — sur lesquels nous reviendrons. Le manque que décrit cette définition touche autant le capital économique, social que mobile d’un individu. Évidemment, dans une société extrêmement monétisée comme la nôtre, la question économique joue toutefois un rôle prédominant. Le concept même de pauvreté introduit l’idée de rupture, de hiérarchie entre les individus, dont certains seront plus riches et aptes à faire face aux difficultés que d’autres. Ce point amène une multitude de considérations politiques dans la fixation de seuils de pauvreté, qui ne sont pas pris en compte ici, mais qui peuvent nous renseigner sur la difficulté de définition de tels concepts, ainsi que leur rôle central dans les politiques sociales. Cette fracture unique entre deux parts de la population, entre les riches et les pauvres, ne permet pourtant pas de saisir toute la complexité et la multitude des situations de pauvreté. Elles se caractérisent plutôt comme un phénomène continu, formé de plusieurs couches correspondantes chacune à différents niveaux de pauvreté et qui rapprochent progressivement les individus vers des situations d’exclusion, à force de descendre dans la stratification sociale. Le concept de précarité semble alors particulièrement adapté pour décrire ce gradient, et peut se définir comme un état de vulnérabilité, un manque partiel de différents capitaux qui peut mener, si elle est durable, à des situations de pauvreté, voire d’exclusion2 (Ibid.).

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comprendre comme la situation de mise à l’écart d’une part de la population, à l’extérieur des barrières symboliques de notre société (Da Cunha & al., 1995). L’état d’exclusion dans lequel peuvent se trouver des individus poussés à la marge de la société résulte de différents processus ; un individu ne naît pas exclu, c’est un état qui progresse dans le temps. D’une totale intégration dans la vie sociale, un individu peut être progressivement plongé dans une situation d’exclusion à force d’être de plus en plus vulnérable, au croisement de deux vecteurs : la fragilisation et la diminution des réseaux relationnels ainsi que le manque d’intégration par le travail ; dont la précarité croissante — par une montée du chômage et des contrats à durée déterminée ou d’intérim — engendre une situation de forte dépendance. Loin d’une opposition manichéenne inclus/exclus, ce double manque engendre un glissement progressif vers la pauvreté et l’exclusion (Castel, 1995 ; Paugam, 1991).

Situation actuelle de la précarité et l’exclusion

Il est difficile de dresser un bilan univoque de la situation de l’exclusion aujourd’hui : si la globalisation a indéniablement fait baisser la pauvreté extrême dans bon nombre de régions du monde, les disparités à ce sujet restent fort nombreuses. En s’attardant uniquement sur un critère économique, la proportion de personnes vivant avec moins de 5,5 $ par jour représentait encore 48 % de la population mondiale en 2010 (Banque Mondiale, 2018).

De même, plusieurs données peuvent nous montrer que les inégalités ne diminuent pas : aujourd’hui, les 8 individus les plus nantis au monde détiennent autant de richesses que la moitié la plus pauvre de la population ! Ces inégalités sont d’ailleurs croissantes puisqu’en 2014 on comptait encore 62 personnes appartenaient à ce club des plus riches (Oxfam, 2017).

En reprenant également les indicateurs mis en avant ci-dessus, les conclusions sont mitigées : si le taux de chômage est globalement en baisse en Europe suite à la crise des subprimes, cette situation s’est accompagnée d’une très forte augmentation de la précarité de l’emploi dans toutes ses formes — les CDD représentaient, début 2015, 85 % des nouveaux contrats d’embauche en France (Gautié, 2016). De la même façon, le taux de ménage composé d’une seule personne a totalement explosé, passant en suisse de 6 à 32 % entre 1970 et 2012 (OFS, 2018). Bien que l’inadaptation de l’État providence ou l’évidente transformation des structures salariales jouent toutes deux un rôle dans le développement des conditions renforçant l’exclusion (Da Cunha & al., 1995), c’est avant tout la croissante autonomie individuelle qui doit être pointée du doigt. On rejoint ici la thèse de la mobilité généralisée, dont la cause centrale est avant tout notre mode de fonctionner globalisé et dérégulé, menant à une atomisation subséquente des structures sociales.

2.2.2 Inégalités sociospatiales

À la façon des écrits de l’École de Chicago, le territoire doit être vu comme une projection au sol des hiérarchies sociales. La mise en relation physique de groupes de populations aux caractéristiques hétérogènes va cristalliser spatialement les inégalités observables entre les différentes strates sociales (Da Cunha & al., 1995). Ce sont différents mécanismes, volontaires ou non, qui œuvrent dans cette dynamique hétérogénéisante et qui va progressivement renforcer les clivages entre populations : la ville apparaît ainsi comme un espace discontinu et différencié où les clivages sociaux sont souvent sublimés. Le regroupement progressif de populations aux mêmes caractéristiques socio-économiques dans des espaces similaires peut se faire de différentes façons :

• Par une logique économique avant tout : c’est le mécanisme d’une rente foncière

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différenciée. Le prix du marché du logement permettra aux plus avantagés de choisir leur localisation alors que les plus démunis devront la subir, leur choix étant d’autant réduit que leurs différents capitaux sont faibles.

• Également par une logique sociale : c’est par une combinaison de comportements spatiaux se manifestant en fonction d’une perception consciente ou non de facteurs comme le sexe, l’âge ou la religion, que des formes de ségrégation spatiale pourront apparaître. C’est ce que Schelling a appelé la « tyrannie des petites décisions » (Schelling, 1980). Par nos choix individuels de localisation, nous cherchons à nous rapprocher des personnes qui nous ressemblent — ce que l’auteur définit comme une exigence minimale en matière de voisinage ; « ne pas se retrouver en petite minorité » (Schelling, 1980, p. 154). Une fois la tendance engagée, celle-ci ne peut que se renforcer : en partant d’un agencement spatial complètement mixte, il suffit de quelques modifications pour pousser la majorité des ménages à déménager à leur tour.

• Finalement une logique politique peut elle aussi renforcer ces clivages, par exemple à travers des politiques de logements sociaux. La concentration de telles habitations dans une certaine zone engendre une accumulation d’individus disqualifiés.

Cette spatialisation des inégalités peut prendre des manifestations parfois extrêmes, comme cela a été souligné par la recherche, que l’on parle d’un côté de gated communitites — ségrégation par le haut — ou de quartiers défavorisés, de ghettos — par le bas. Si la première illustration est un regroupement et un enfermement de populations riches, la seconde représente des espaces accumulant les désavantages, soit de réelles zones d’exclusion.

Pour les sociologues de l’École de Chicago, le ghetto est même une institution, dont la stigmatisation et l’isolement se transforment en cercle vicieux duquel il devient difficile de se défaire. Ceci sera encore d’autant plus fort que les réseaux sociaux qu’ils peuvent mobiliser sont faibles. Dans ce tableau, la mobilité et le capital mobile jouent évidemment son rôle, que nous allons explorer dans les paragraphes qui suivent.

2.2.3 Inégalités de mobilité

Si dans les analyses sociologiques mises en avant dans le chapitre précédent, la mobilité n’apparaissait pas, c’est l’occasion de traiter de son rôle central dans ces quelques lignes.

De la même façon qu’un manque de capital économique ou relationnel, un faible capital mobile définit un état de précarité et fait partie du tableau général des inégalités. Son rôle est toutefois plus important que pour les autres capitaux, car il agira comme un facteur aggravant, participant à sa propre reproduction (Orfeuil, 2010) : c’est-à-dire qu’avec un faible capital mobile, il sera d’autant plus difficile pour un individu de rallier des opportunités inégalement réparties sur le territoire et ainsi de s’inscrire dans des réseaux socioprofessionnels, le maintenant ainsi éloigné de ressources qui lui auraient permis d’améliorer sa mobilité.

Nous sommes donc face à une relation de coinfluence entre inégalités et faible mobilité (Maksim, 2011) : cette dernière est donc autant une conséquence d’un état de précarité latent

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