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Urbanisme immatériel : Le projet par l'habiter, un terrain pour la Mauvaise Herbe?

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Master

Reference

Urbanisme immatériel : Le projet par l'habiter, un terrain pour la Mauvaise Herbe?

ARCE, Patricia

Abstract

Peut-on faire projet urbain sans bâtir, uniquement par les usages et les pratiques habitantes ? La réflexion se développe autour du laboratoire d'actions spontanées “Mauvaise Herbe?“ qui avait pour but de penser la ville par l'action et d'oser l'espace public. En tentant d'influer le vécu de l'espace et d'explorer de nouveaux usages possibles, cette expérience dégage des pistes de diagnostic, mais aussi celles d'un urbanisme immatériel. Sur la base d'un cadre théorique qui traverse les questions de matérialité, d'art d'habiter et de tactique citoyenne, ainsi que d'exemples pratiques présentés sous les appellations urbanisme minimal, micro et incrémental, le concept d'urbanisme immatériel parcourt différentes approches à partir de l'idée qu'un espace est habitable car il est habité et non l'inverse. Le contexte de la participation permet de réfléchir sur le rôle de l'urbaniste-aménagiste face aux appropriations et transformations quotidiennes de l'urbain et d'explorer ainsi les questions de qui fait la ville, pour quels motifs et avec quels outils. Il est possible d'être moins couteux, plus [...]

ARCE, Patricia. Urbanisme immatériel : Le projet par l'habiter, un terrain pour la Mauvaise Herbe? . Master : Univ. Genève, 2018

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:112086

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Faculté des sciences de la société

Maîtrise universitaire en développement territorial

Directeur/trice : Dr. Lisa Lévy, Dr. Marta Alonso Expert/e : Dr. Raphaël Languillon

Urbanisme Immatériel

Septembre 2018

Mention Architecture du paysage

Patricia Arce

Mémoire no : 35

Le projet par l’habiter, un terrain pour la Mauvaise Herbe?

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0 INTRODUCTION ...7

0.1 PRÉAMBULE ... 7

0.2 CONTEXTE: LA PARTICIPATION ... 8

0.3 QUESTION DE RECHERCHE ...12

1. URBANISME IMMATÉRIEL ... 15

1.1 URBANISME IMMATÉRIEL EN THEORIE ...15

1.1.1 MATÉRIEL OU IMMATÉRIEL ? ...17

1.1.2 PHÉNOMÉNOLOGIE DE L’HABITER (gens) ...21

1.1.3 APPROCHE PAR LES USAGES ET TACTIQUES (espace+gens) ...22

1.2 L’URBANISME IMMATÉRIEL EN PRATIQUE ...27

1.2.1 URBANISME MINIMAL (gens) ...27

1.2.2 MICRO-URBANISME (espace + gens) ...29

1.2.3 INCRÉMENTAL (espace) ...32

1.3 OUTILS POUR L’URBANISME IMMATÉRIEL ...37

1.3.1 Outils de conception et chantier, Comment le penser ? ...37

1.3.2 outils d’observation et de documentation, Comment le lire? ...38

1.4 SYNTHÈSE ...43

2. “MAUVAISE HERBE?” ... 47

2.1 METHODOLOGIE ...48

2.1.1 AVANT : préparation (dire ce qu’on va faire!) ...52

2.1.2 PENDANT : réflexion dans l’action (On fait comme on a dit !) ...53

2.1.3 Présentation des actions “Mauvaise Herbe?“ ...54

2.1.4 APRÈS : réflexion sur l’action (on dit ce qu’on a fait!) ...60

2.2 GRILLE D’OBSERVATION ET CRITÈRES ...63

2.2.1 Les incontournables : temporalité et lieu ...63

2.2.2 Les critères de la grille, comment mettre une coche et éviter l’arbitraire dans le subjectif ...66

2.2.3 Les biais ...69

2.2.4 La face cachée de l’analyse : direct-indirect ...70

2.3 ANALYSE ...71

2.3.1 Restituion des observations ...71

2.3.2 Trois réflexions ...72

3. CONCLUSION... 77

I. RÉFÉRENCES ... 82

II. MIND MAPs ... 86

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Je tiens à remercier ici chaleureusement toutes les personnes qui m’ont encouragé et aidé dans la réalisation de ce mémoire.

Mes remerciements à Lisa Lévy et Marta Alonso pour le temps qu’elles m’ont consacré et dont la critique précieuse m’a accompagnée au bout de ce travail.

Mes remerciements également à tous ceux qui ont acceptés de me parler et de répondre à mes questions dans le cadre des entretiens ou de discussions informelles, ainsi qu’à mes relectrices.

Et un grand merci à l’équipe de la Mauvaise Herbe ?

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0.1 PRÉAMBULE

Ce mémoire est la conclusion de mes années d’études en architecture et urbanisme, des questionnements et des pistes que ces expériences ont fait émerger. En traversant plusieurs thèmes auxquels je suis sensible, je vais essayer de dégager des pistes sur le rôle de l’urbaniste. Ce travail est un retour sur une expérience de terrain “Mauvaise Herbe?“, qui sera présentée en deuxième partie. C’est ce laboratoire qui m’a permis dans un premier temps de poser mes hypothèses sous forme d’actions, puis de reformuler mes réflexions autour de la thématique de l’urbanisme immatériel.

La mauvaise herbe portait, parmi ses nombreuses intentions, la volonté d’agir. L’acte comme laboratoire, comme outil pédagogique, mais aussi comme inspiration pour alimenter le débat un autre jour. Car, si la question de comment “faire la ville“ ensemble a suivi ces deux années d’études, les exemples que l’on rencontre sont rarement satisfaisants (participation alibi), ou restent “exceptionnels“ (Lucien Kroll, Patrick Bouchain), et certaines propositions prometteuses actuelles1 ne pourront être réellement évaluées qu’avec le recul. Il me semble qu’il est important, même sans certitude, de produire le plus grand nombre de propositions et d’expériences afin de diversifier les outils à disposition. Car malgré quelques expériences intéressantes, notamment les contrats de quartier de Vernier, l’actuelle lenteur institutionnelle des grands projets urbains semble se concilier difficilement avec des démarches ponctuelles de participation, localement et temporellement influencées.

L’envie de revenir à un urbanisme de la rue, collectif plutôt que sectoriel, a germé avec un projet d’atelier sur Vevey “mosaïque urbaine”. Nous voulions proposer un projet de développement et de densification qui préserve toute la diversité du lieu. Diversité de types de bâtis, de styles, de types de logements et de commerces, de voies de circulation alternative, de jardins et de végétation, etc. Où est le travail de l’urbaniste dans tout ça ? Comment formaliser tout ça sans en ôter le charme ? Nous n’étions pas loin de dire que le projet consistait à ne rien faire et à laisser plus de liberté aux habitants pour continuer leur joli travail d’appropriation. Un peu comme quand Hundertwasser disait que les habitants devaient avoir le droit de modifier la façade depuis leurs fenêtres aussi loin que leurs bras pouvaient aller. La propriété à portée de bras ! Nous souhaitions des outils pour n’intervenir que par petites touches de-ci de-là, pour corriger quelques erreurs précédentes qui concernaient particulièrement des recoupements parcellaires, et qui fassent preuve de patience et de flexibilité face au rythme de vie du lieu.

Ce mémoire se situe dans la continuité de ces questionnements. Propose une réflexion autour d’une notion à la fois théorique et pratique, l’urbanisme immatériel, non comme une solution définitive, mais comme une attitude face au projet sous forme d’expérimentation.

[1] Par exemple le démarche “participative“ de URBZ pour la conception d’une PLQ à Versoix, dans le cadre de laquelle “Mauvaise Herbe ?“ est intervenu au tout début.

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0.2 CONTEXTE: LA PARTICIPATION

La question de la participation semble être inévitable aujourd’hui si l’on s’intéresse à l’urbanisme. Face à des problématiques urbaines pressantes - densification, sortir du tout voiture, développement durable - la nécessité de penser la ville autrement est devenue une évidence. Jan Gehl, Jane Jacobs et d’autres encore, nous font peu à peu intégré l’idée de répondre aux besoins des gens et pas uniquement à ceux de la voiture, des flux ou de la

croissance. Pour prendre en compte l’opinion collective, on parle actuellement de participation, et avec la concertation elles sont de plus en plus exigées dans le cadre de projets publics2. Mais si des échelles pour qualifier la participation existent dans les sciences sociales, celle-ci ne définit pas encore une méthode pour “faire la ville ensemble“. Il est nécessaire de se demander à chaque fois qui participe ? de quelle manière ? et dans quels buts ?

Qu’on parle de participation, d’urbanisme tactique, autogéré ou généreux, d’anti-urbanisme, de nouveaux communs, d’action collaborative, d’urbanités libres, d’acupuncture urbaine, de handmade-urbanism ou de renouveau vernaculaire, le contexte actuel de l’expérimentation projectuelle et tout-à-fait passionnant. D’autant que le flou entourant encore aujourd’hui ces démarches “participatives“ permet d’arriver avec des idées nouvelles à tester, et malgré tout

« d’avoir l’air pseudo-sérieux en faisant des tours en charrette ! » (Copil, MH, 2018)

Qu’une poignée de personnes puissent faire la ville en demandant l’expertise de personne qui ne s’y “intéresse pas“ me semble incongru. « Collective rather than individual right since changing the city inevitably depends upon the exercise of a collective power over the process of urbanization » (rohit Shinkre, in Paquot, 2014).

L’ urbanisme, de plus en plus pluridisciplinaire et qui nécessite de nombreuses expertises (politique, juridique, urbaniste, architecture, ingénieur mobilité, environnement, etc.) reconnaît à présent l’expertise citoyenne. L’expertise d’années d’expérience dans l’“habiter“. Pourtant si l’intention est juste, cette “expertise“non intentionnelle s’exprime différemment et doit s’articuler d’une manière différente. L’expertise professionnelle a les compétences techniques.

L’expertise citoyenne consiste à habiter, un savoir-faire quotidien qui modèle son environnement [2] Un exemple à Genève avec la LGZD : Art. 5A

Echelle de participation selon G. Jouffroy et échelle de participation citoyenne de Arnstein, 1969

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selon les moyens à disposition. Il ne s’agit pas d’intégrer ces deux approches, mais plutôt de les articuler. C’est ce que je vais tenter de défi nir dans ma première partie sur l’urbanisme immatériel.

Si l’on peine à trouver de nouvelles propositions à la participation c’est peut-être qu’on ne se pose pas la bonne question, ou que celle-ci se formule encore de façon imprécise ? La formulation du terme participation, et son utilisation, me semble être porteur de l’idée que ce sont les professionnels/institutions du “faire la ville”, qui ayant déterminé le temps, l’espace du projet et son programme, invitent la population/les citoyens/habitants, à venir participer. (Sans m’attarder ici sur les raisons utopiques ou politiques, les biais ou les mécanismes de ces procédures, car ce qui m’intéresse c’est le concept de participation.) N’est-ce pas cette dynamique entre professionnel et usager qui devrait être inversée ? Car

« nous sommes arrivés à une situation étonnante : l’impérative participation des habitants à la fabrique de leur ville est actée, inscrite dans la loi ! Ne devrions-nous pas plutôt nous poser la question de savoir comment nous, architectes, pouvons participer à la vie de la société, comment nous, pouvons-nous mettre au service de nos citoyens. Et comment, avec nos propres outils, nous pouvons contribuer à une construction collective. » (Collectif Etc in Paquot, 2012) Je souhaite ici renverser ce mouvement et considérer la participation du professionnel dans le projet d’usagers. Il s’agirait de « Tenter une « participation des architectes au territoire », plutôt que d’une participation habitante classique, renversant le postulat habituel » (Hallauer, 2017). Ne pas inviter l’habitant autour de la table pour participer au “projet », mais le rejoindre sur le terrain pour participer à la ville.

« Si vous ne faites pas partie de la solution, vous faites partie du problème » (Elridge Cleaver)3

« La société industrielle est la seule qui s’eff orce de faire de chaque citoyen un élément qu’il faut abriter et qui est donc dispensé du devoir de cette activité communautaire et sociale que j’appelle l’art d’habiter » (Illich, 2005, p.758). La manière dont on envisage la participation dépend de ce que l’on considère comme urbanisme, le bâti ou l’habiter.

Devisme parle de « l’informalité de la vie urbaine, qui comporte bien plus de ressources que de problèmes » et de « l’improvisation comme d’un art d’usagers » (Devisme, 2013, p. 38).

La ville est un terreau fertile de questions posées et de réponses proposées, les théories sont nombreuses et les initiatives le sont tout autant, elles s’alimentent souvent l’une l’autre. De là, le rôle de l’aménageur ne devrait-il pas être celui d’observer, de relever et de donner plus d’”espace» à ce que la ville (les habitants) d’elle-même fournit ? Un urbanisme à l’écoute qui prend son temps ? Sans cela, plutôt que de porter préjudice à l’équilibre fragile des villes, Jaime Lerner enjoint à « ne rien faire de toute urgence » (Lerner, 2007).

L’ADN de la ville en ce qu’elle est, fut et sera, se trouve dans ses rues. Il faut aller à son écoute, pas besoin de proposer des projets, les rues en sont pleines, ce sont la manifestation de besoins réels. Oublions les grandes stratégies, la fabrique de la ville est un dispositif essentiellement vivant et ouvert où l’expert attentif doit agir comme un guide pour soutenir des pratiques entravées et révéler des potentiels. L’expertise citoyenne s’exprime par son agir, la “Mauvaise Herbe?“ a voulu faire de même.) Les habitants font la ville

[3] Lors d’une conférence-débat sur la questi on de l’hébergement d’urgence (Urbanités, SIA, 2015 ), deux intervenants avaient soulever cett e problémati que qui m’avait beaucoup intéressée. En bref, pour l’un, l’ampleur de la tâche s’accroissait avec le nombre de réfugié ainsi que les diffi cultés liées au manque de moyen, en ce cas fi nancier. Alors que dans une autre approche plus collaborati ve, chaque individu représentait un potenti el qui alimentait, d’une certaine manière, les moyens en termes de compétences, pouvant être mise à contributi on pour trouver et mett re en place des soluti ons. Je voulais relever ici que la manière dont on envisage la parti cipati on dépend de ce que l’on considère comme urbanisme, le bâti ou l’habiter ?

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quotidiennement avec, malgré ou contre les stratégies urbaines planifiées, mais sans habitant, la ville n’est pas ville.

Ce que je souhaite présenter avec la thématique de l’urbanisme immatériel, c’est que ce sont ces habitants qui font la ville de manière spontanée, sa fonction première étant d’être leur lieu d’habitat. La ville doit être le produit de ce savoir-vivre et non des « nombreux constructeurs qui sont constamment en train d’en modifier la structure pour des raisons que leur sont propres » (Lynch, 2005, p.2) William H. Whyte relevait comment souvent les carences dans la planification de l’espace public sont rattrapées par les vendeurs et les acteurs de rues. L’expression de

l’expertise citoyenne a peut-être une temporalité différente de celle de la planification ? Il y a une interinfluence entre les modes de vie et leur cadre. « The question of what kind of city we want cannot be divorced from the question of what kind of people we want to be » (David Harvey, The right to the city). Et nous avons dangereusement délégué à des tiers la modélisation de nos espaces urbains qui nous conditionnent. (Hallauer, 2017, p.43) Peut-on encore la subvertir par notre manière de l’approprier ?

« Ce ne sont pas les murs qui font la cité, mais les hommes » Platon

Même si ce n’est pas le sujet de ce mémoire (et que je souhaite éviter le débat !), ce thème à bien évidemment une portée politique. D’abord parce qu’il est impossible de parler d’espace public sans parler de politique et puis parce qu’il est à la fois un « espace » politique et un objet ou un outil politique. Le risque étant, suivant une tendance actuelle, de faire des espaces publics

« apolitisés ». C’est du moins ainsi que je perçois par exemple les quartiers du Flon et du Rôtillon à Lausanne, qui illustrent selon moi cette tendance. Ces « espaces publics » se rapprochent pour moi davantage de dispositifs de contrôle, visuel et d’usage. Ils sont lisses, n’offrent aucune accroche à l’appropriation, mise à part l’occupation des terrasses ou des commerces on ne peut pas faire grand-chose d’autre. Je suis sûre que l’usure créera des opportunités de porosité et que le consommateur pourra y redevenir citoyen. Mais ce n’est pas ainsi que j’aime à vivre et à concevoir la ville. Alors quelles sont les conditions d’appropriation de notre environnement ? Quels espaces habitons-nous réellement en ville ? L’urbanisme peut nous déposséder de notre statut de citoyen contre celui de consommateur, mais peut-il nous déposséder également de notre “art d’habiter“ où est-ce à travers lui, passivement ou activement, que nous récupérons notre milieu ?

« Dans un contexte de déprise urbaine qui la voit apparaître, la déprise d’œuvre répond à la maîtrise d’œuvre, par la quête du recouvrement des savoirs qu’aura révélé le vernaculaire : faire, laisser faire, faire faire. Nourrie d’improvisation, de processus et d’expérience (Zask, 2011), cette attitude affirme finalement le rôle de vecteur rhétorique et mobilisateur que joue le vernaculaire dans la réinvention de pratiques urbaines » (Hallauer, 2017, p.3)

L’interaction entre bâti et habiter peut s’exprimer par l’échelle. Dans ses projets, Gehl mesure la ville selon l’échelle humaine sur le plan de perception sensoriel et de rythme de déplacement, et non selon l’échelle de la voiture. Elle peut s’exprimer par les modes de gestion.

« Il devrait y avoir des manières de considérer l’espace public comme un commun et qu’il puisse être approprié par des groupes de personnes » (Copil, MH , 2018). Ou dans les techniques utiliser, c’est le savoir non docte dont, pour Ivan Illich, nous avons été dépossédés, qui nous met en relation avec notre environnement. En le comprenant d’abord, et le “réparant“ ensuite.

En même temps que l’architecture vernaculaire, nous avons aussi perdu le rapport à la main (Sennett, 2010), cette évidence du faire et du fait qui nous rend les choses familières. Cette intuition forgée dans la pratique et qui est plus rapide et parfois plus efficace que la pensée. Cette compréhension crée un lien entre celui qui la laissé la “trace“ et celui qui la lie ; et qui peut donc

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intervenir à son tour en ajoutant la sienne ? D’un point de vue de la pratique, il y a une relation entre la main et la pensée, où le geste précède et déclenche la réflexion. Le « Collectif, Etc » introduit le travail de la main comme une des trois constituantes de leur travail avec la pratique du bricolage4, qui pour eux engendre ces propres mécanismes de réflexion (Chiappero, 2017, p.68).

L’idée soutenue à travers l’urbanisme immatériel repose sur une inversion dans la

conception même de la notion de participation. On peut en effet remettre en question le terme de “participation“ comme le fait Joëlle Zask qui lui oppose/propose celui de “contribution“

(Hallauer 2017, p.311 et Chiappero, 2017, p.55), ou encore le collectif Etc. qui lui préfère celui d“’implication“ (ibidem p.53). Zask, il me semble, rapproche davantage la participation du

« commun » que de l’outil institutionnel, qu’elle imagine fluctuant. Pour elle il y a trois aspects en jeu « prendre part, apporter une part et recevoir une part » (Chiappero, 2017, p.265). Il y a une relation importante entre le projet urbain et l’habitant, l’adaptation se fait et doit se faire dans les deux sens, la contribution permet de créer des liens. Je relève ici l’importance des interactions qui revient dans tous ces questionnements sur le “ faire la ville ensemble“.

Quand l’attention finit par se focaliser sur les formes (à la mode) que prennent ces vecteurs d’interaction, il délaisse les participants au profit d’une autorité qui peut ainsi facilement assimiler ces « subversions ». (Douay, 2016, p.12) Le “quoi“ est donc moins important que le

“comment“, et c’est aux habitants de l’imaginer selon leurs besoins, leurs envies et leurs moyens.

Un habitat se doit d’être en mouvement, multiple et chaotique. Ce chaos qui n’est pas désordre mais créatif « the kind out of what life evolves » (rohit Shinkre, in Paquot, 2014). Car cette complexité, pourtant acceptée et largement développée en théorie semble pourtant niée dans la recherche de la solution technique.

Lucien Kroll nous dit que « l’architecte ne devrait pas chercher à inventer, mais seulement à être à l’écoute de la complexité ». J’ai souvent entendu comparer le travail de l’architecte urbaniste à celui du chef d’orchestre (Claude, 1989). Imaginons un orchestre alors, celui-ci n’a pas besoin d’un chef d’orchestre pour jouer. Les musiciens peuvent jouer de toute façon, alors que le chef d’orchestre, même en écoutant tout le monde, n’a pas les moyens de reproduire seul la musique. Par contre, il est à l’écoute, donne la voix, pacifie, organise et fait émerger l’harmonie de la cacophonie. C’est cette vision du rôle de l’urbaniste que je souhaite suivre et développer : un chef d’orchestre qui participe de la musique qui préexiste.

[4] Les deux autre sont la construction en résidence, qui impose un changement de posture, et la construction éphémère, pour les possibilités d’expérimentation qu’elle offre.

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0.3 QUESTION DE RECHERCHE

Il ne s’agit pas de dire que tout le monde « peut » être acteur, mais que nous « sommes » tous acteurs. Tout être humain créé de la spatialité, s’approprie l’espace par sa simple présence, et la moindre de ses actions et réactions est politique.

Je crois que les modes d’habiter ont un impact important sur la perception que l’on a de l’espace, mais également sur la manière dont celui-ci évolue et se transforme progressivement Je pense aussi qu’au-delà d’observer ses usages et ses réactions ils peuvent faire projets, dans une notion d’économie, de plus grande adaptabilité et tolérance aux usagers divers, et moins destructif des fragiles écosystèmes sociaux. Intégrer plus “d’architecte“ permettrait sans doute de faire émerger des solutions plus imaginatives et adaptées.

Ma question de recherche se présente donc ainsi:

Les usages et les pratiques peuvent-ils faire projet urbain ?

On ne peut évidemment pas penser les attitudes, déplacements et pratiques de l’espace déconnectés de leur contexte. Tout environnement naturel ou aménagé impose ses contraintes et ses logiques aux modes d’habiter et ceux-ci à leur tour transforment leur contexte. Mais la ville planifiée a-t-elle perdu sa flexibilité? Impose-t-elle ses contraintes sur les “corps urbains”(Paquot, 2006) sans réagir à leur longue usure de l’espace?

S’inspirant des outils de la sociologie « l’urbanisme immatériel » est déjà abordé dans les questions de diagnostic, mais ce qui m’intéresse c’est sa capacité à faire projet.

Les infrastructures ne peuvent pas toujours imposer leur fonction, comme au Caire où les trottoirs à l’européenne sont utilisés comme devanture et les piétons continuent de se partager la chaussée avec les autres modes de transport. On peut se demander si l’exemple inverse pourrait se produire. Sur la place de la gare de Renens (Rudler, 2017, p.15), où jusqu’à récemment (juillet 2018) une installation temporaire testait l’utilisation en espace de voirie partagé, et dans le cas où les passages cloutés seraient réhabilités, on peut se demander si les usagers de l’espace ne conserveraient pas, pour un temps au moins, les habitudes prises de libre circulation et de civilité. Un projet urbain, comme un passage piéton, peut parfois aussi être créateur d’incivilité, comme par exemple sur le pont de l’A1 à Ecublens où tous les enfants traversaient l’avenue du Tir-Fédéral pour ne pas faire le détour par le passage sous voie et, car à l’époque il ne fallait jamais attendre longtemps pour que les automobilistes s’arrêtent. Aujourd’hui, le feu qui a été mis en place est si long que beaucoup préfèrent les escaliers, les voitures ne concédant plus le passage à moins d’y être obligées. Est-il légitime de penser que le processus inverse est possible ? Que les habitudes peuvent avoir plus d’impact que les infrastructures ? C’était une des intuitions/hypothèses du projet “MauvaiseHerbe?“ qu’une modification progressive des habitudes, en libérant de nouveaux usages de la ville, pouvait soit rendre obsolètes et inutiles soit réhabiliter certaines infrastructures. « Les nouveaux usages de la rue, même naissants, sont le signe d’un changement » (Silva Grünig in Paquot, 2015)

LA MAUVAISE HERBE COMME HYPOTHÈSE EN ACTION :

« NE PAS S’EMPRESSER À L’ANALYSER ; SE FAMILIARISER AVEC, TOUT DOUCEMENT, LENTEMENT,

“PLATEMENT”. » PEREC, ESPÈCE D’ESPACE

Passer de la théorie à la pratique n’est pas toujours facile. En expérimentant sur le terrain, le laboratoire d’actions urbaines “Mauvaise Herbe?“ nous a permis de formuler par l’action

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les intuitions, doutes, questionnements et envies traînés pendant ces deux années d’études et tâtonnés au travers de chaque travail académique. Cette recherche n’a pas été abordée de façon très linéaire, car l’hypothèse “Mauvaise Herbe?“ a finalement été posée avant de pouvoir, et pour pouvoir formuler la question de recherche.

Une intuition a généré un processus de mise en action (part 2), celle-ci a fait naître le concept d’urbanisme immatériel que je tente de définir comme une notion à part entière (part 1) et au regard duquel j’analyse mon terrain (part 3).

Créer les conditions de disponibilité indispensable pour saisir le réel, le temps du terrain Comme le met en avant le professeur Andrés Maragaño (de l’université de Talca), c’est une différente sorte de participation que d’être soi-même présent sur le terrain, de façon constante et accessible afin que les gens viennent spontanément établir le dialogue avec vous et pouvoir ainsi soi-même participer à cette communauté. «No era participación, avisamos que estábamos trabajando, si alguien quería nos podía ir a ver, teníamos una web abierta para que la gente nos escribiera cosas. Estábamos permanentemente en el lugar, entonces se paraban, conversaban, hablabamos de que.»5 (Maragaño, 2018) Dans ses ateliers, les étudiants sont amenés tout au long de leur cursus à réaliser leurs projets avec un tout petit budget impliquant recyclage et contribution, un fort investissement et le dialogue avec les communautés où le projet prend place. Ces projets doivent être à l’écoute et capables de se concevoir, de se modifier, voire de disparaître. Car la fin ou le recyclage est une part importante du projet, trop souvent oubliée dans notre architecture où tout est fait pour durer, parfois à tort. Comme le souligne l’architecte Lucien Kroll, la participation continue au travers des modifications qu’apporte la communauté, si le projet est résilient, capable d’évoluer et d’être restitué à la communauté.

Ne pas aller chercher les gens, mais les laisser venir, les met aussi plus à l’aise. D’abord, parce qu’on n’est pas toujours d’humeur, et que l’habitude d’être sollicité dans la rue rend méfiant, renfermé parfois, et que l’on peut avoir peur d’être mis en évidence. Ensuite, parce qu’étant chez lui, l’habitant peut se permettre légitimement d’interpeller les nouveaux venus. En laissant choisir quand et comment s’impliquer, les échanges deviennent plus naturels. (Plusieurs variations : l’observateur à distance, celui reste à côté et écoute mais ne participe pas, les indifférents, celui participe, celui détourne nos détournements, etc.)

[5] « Ce n’était pas de la participation, nous avons prévenu que nous serions au travail, qui le voulait pouvait venir nous voir, nous avions un web ouvert pour que les gens y écrivent des choses. Nous étions en permanence sur place, alors les gens s’arrêtaient, discutaient, nous en parlions. »

apéro Mauvais Herbe? à Bel-Aire et Veroix, GE

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Le terme d’urbanisme immatériel s’est imposé peu à peu pour rassembler/regrouper l’ensemble des thématiques qui m’intéressait dans ce travail, mais également toutes celles que je n’ai pas encore réussi à formuler. Dans ma première partie, j’essaierai de définir puis d’expliquer à chaque fois en quoi chaque thématique illustre pour moi l’urbanisme immatériel, mais je voudrais brièvement ici rendre compte d’où m’est venu ce titre. Tout d’abord, malgré mes recherches je n’ai pas trouvé que ce soit en français, anglais ou espagnol mention de ce terme dans la littérature qui soit défini1 l’étymologie est donc propre à ce travail. Je souhaitais d’abord de regrouper ce qui est à mon sens le matériau et l’essence fondamentale de l’urbanisme et qui réside dans ce que l’on peut nommer des ressources immatérielles, tel que le temps, le dialogue, l’expérience, les ressources humaines, la communauté, le faire. De façon moins évidente peut- être le terme se forge aussi auprès d’une autre thématique qui me passionne énormément celle des architectures de mémoire. Une connaissance du monde organisée en images, dans des lieux familiers et selon l’ordonnance d’un parcours particulier. Et puis enfin le terme s’inspire du concept original qui a évolué pour donner le projet “Mauvais Herbe ?“ qui réfléchissait aux villes invisibles, dont la « ville des possibles », les utilisations non exploitées de notre urbanisme de forme, « la ville planifiée », comment une image projetée de la conception urbaine qui existe en deux dimensions dans des plans et des directives, plane sur l’espace réel que nous parcourons et modelons chaque jour. Et enfin une troisième, que nous n’avons pas abordée car elle appartient déjà davantage à la génération qui nous suit, la « ville numérique » et ses communautés virtuelles.

Cette première partie aborde l’urbanisme immatériel selon trois aspects, théorique (comment je le comprends), pratique (là où j’ai pu l’observer), et une troisième partie qui interroge les outils de transmission.

1.1 URBANISME IMMATÉRIEL EN THEORIE

Cette partie s’articule en trois volets pour saisir et définir ce que j’entends par urbanisme immatériel. Une première définition exprime simplement l’opposition entre le matériel et l’immatériel, on est dans un rapport sensoriel. La deuxième aborde l’aspect phénoménologique en opposant la chose (logement), à l’acte ou à l’art (habiter), on est dans un rapport culturel. Et la troisième approche qui regarde les usages de l’espace et présente l’opposition que de Certeau fait entre stratégies et tactiques, on est ici dans un rapport social ou politique.

Cette définition est motivée par trois constats :

[1] Pendant les corrections post-soutenance j’ai trouvé cette ouvrage que n’ai pas encore pu me procurer : REVEDIN Jana (sous la direction de.), mai 2018, « Construire avec l'immatériel : Temps, usages, communauté, droit, climat... de nouvelles ressources pour l'architecture », Editions Alternatives

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L’excès :

Parce qu’on a les moyens, on oublie parfois qu’il existe des solutions plus simples. « Cuantas más personas haya en las calles, menos policía necesitaremos »2, disait Jane Jacobs (Jacobs, 2011). Et n’est-ce pas la solution la plus simple, en plus de la plus efficace ? Je vois un excès dans la conception urbaine autour de moi. Excès de planification, de dépense, de construction. On approche tous les problèmes en ajoutant, par le plus, jamais par le moins. Le moins, c’est ce qui se perd dans le processus. Par exemple, on pense que l’on manque de logements et l’on répond à ce besoin qu’on définit en construisant et en densifiant. Mais l’on oublie le marché, que le nombre de logements vides ou non occupés est énorme, peut-être suffisant à la demande.3 Il faut voir également ce que l’on considère comme un logement acceptable, 45m2 par personne? Sans m’opposer ni à la planification ni à la densification, je constate qu’il peut y avoir de multiples solutions si l’on prend en compte directement le besoin ou le problème posé et si l’on pense le projet par les usages également.

Les besoins réels :

Il faut aussi s’adresser à un besoin réel. Le designer Victor Papanek a milité dans son travail pour la prise en compte des besoins réels comme d’une responsabilité sociale. Pour lui, tout le monde étant naturellement designer, le professionnel n’a sa place que s’il met ses capacités au service de besoins réels. Il s’agit de penser en logique d’usager avant de penser en logique de marché. (Papanek, 1974). La configuration de nos villes n’échappe pas à cette réflexion: « Ce qui m’intéresse moi, ce sont les dysfonctionnements/inefficacités de la ville, ce qui fait qu’on s’y perd.

Je pense d’ailleurs que le recours aux nouvelles technologies [smart city] sert surtout le capital et les flux financiers qui régissent la configuration de nos villes et cela ne fait que diminuer notre propre engagement.” (Bradley L. Garett, city manifesto :8)

Ce travail se concentre sur l’espace de la rue, l’espace public ou l’espace ouvert. Comment lire la manifestation des besoins dans la ville ? Ceux-ci ont-ils la liberté de s’y manifester ? Faut-il s’interroger sur cette absence par une incapacité ou une difficulté à dialoguer avec son environnement, ou simplement par l’absence de besoin ? Ou celui-ci trouve-t-il réponse ailleurs, par exemple dans l’espace privé ? Effectivement, en Suisse, contrairement à ce qui peut se trouver à Tokyo, les logements sont spacieux, “équipés“ et ne nécessitent peut-être plus l’utilisation de l’espace en commun et de ses services. Bien entendu, ce confort domestique ne concerne jamais l’ensemble de la population, ce qui dans le désintéressement de la majorité, précarise davantage les populations dépendantes de cet espace partagé, par situation financière ou morale.

Il ne s’agit pas d’inventer, mais d’observer. Les gens sont spontanément créatifs quand il s’agit de répondre à leurs besoins. (ex: posé un bout de tape pour couvrire la caméro de son ordinateur) Il faut observer pour connaître les besoins réels et ne pas s’empresser de proposer une solution unique qui figerait l’imagination. Et il est possible de répondre à un besoin autrement que par un objet (de consommation).

L’over design est le résultat d’un faux besoin et d’un excès

« One of the biggest challenges I’ve had in my career as a developer was over-design. I would spend a lot of time in the design phase only to discover later that most of my concerns never needed to be addressed and so my efforts were wasted. » David Bernstein

[2] « Plus il y aura de personnes dans les rues, moins nous aurons besoin de police. »

[3] Constat basé notamment sur les recensements annuels faits de logements vacants de l’ALJF (Association pour le Logement des Jeunes en Formation)

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Un exemple cité par Nicolas Soulier est celui des places de jeux pour enfants. Les plus modernes, répondant scrupuleusement aux ingénieuses exigences européennes, tendent à être complètement délaissées alors que la rue, les terrains vagues et les friches en tout genre ont toujours autant de succès pour leur flexibilité et leur résilience. Jouer réclame une liberté.4

L’over-design c’est un peu une simplification de la situation vers une seule fonction, avec le plus souvent une mise en œuvre qui réclame beaucoup de moyens. Alors qu’une intervention très simple, voire minimale, peut mieux répondre à une situation complexe et accueillir une superposition de fonctions. Si l’on accepte qu’on ne peut comprendre ni contrôler tous les paramètres. L’excès de spécialisation rend vulnérable, car les usages et leur évolution/

mutation ne sont pas prévisibles. “Nous courrons le risque d’avoir des espaces urbains tellement bien prédéfinis qu’ils n’offrent plus d’autres possibilités que leur fonction première.

Et ce n’est pas une bonne chose” (Rudolf D. Klöckner, city manifesto :05), car cela nous prive

“des espaces d’inventions où l’on peut faire les choses différemment, ce sont des espaces de liberté fondamentaux. Une société devrait se mesurer presque à ça.” (Marc Armengaud, city manifesto:6) ) Faire la place aux usages et aux appropriations c’est aussi une façon de penser le projet ouvert et de soulever des pistes pour planifier l’imprévisible, le mouvant.

1.1.1 MATÉRIEL OU IMMATÉRIEL ?

La première image c’est la dualité plein/vide, comme a pu la représenter Nolli, mais qui peut être également caractérisée par le privé et le public ou par le non-accessible et l’ouvert.

Mais ensuite, on peut dire que si l’urbanisme matériel est bâti, alors ce vide étant également bâti, l’immatériel est ce qui l’occupe, ce que Gehl nomme “life between buildings”. Pourrait-on

alors parler en termes de lieu et de temporalité, le matériel ayant une constance alors que l’immatériel se réinvente, s’écrit à chaque instant ? L’urbanisme immatériel implique-t-il alors de penser aux modes d’habiter plutôt qu’à l’habitat ? Le bâti, inerte, a besoin d’être habité pour faire ville. Les mouvements et les usages qui occupent l’espace le dessinent, comme spatialité, mais également comme mythologie partagée. « L’urbanité n’est-t-elle rien d’autre au total que la somme immense de telles minutes, de tels « riens », où se jouent dans l’espace, entre public et privé, des échanges qui peuvent être aussi bien visibles que discrets et furtifs, en tout cas considérables, car ils touchent à l’essence de la vie ? » (Gourdon, 2001, p.157)

Ashihara définit Tokyo comme une permanence des modes d’habiter et une impermanence du bâti à l’inverse des villes européennes.

On peut faire l’exercice de distinguer de façon caricaturale ce que serait la ville purement matérielle, le bâti, de la ville purement immatérielle, ses habitants. Dans le premier cas, il existe des villes désertées, mais les gens sont présents par leurs traces, la ville elle-même étant une trace de leurs modes de vie. Un morceau de ville réellement vide pourrait être un aéroport quand il n’y a personne, les traces y sont pratiquement inexistantes. Un autre cas extrême, comme

[4] Une alternative intéressante sont les “playstreet“ ou “peatoniños“ où pour offrir un espace de jeu aux enfants, des rues sont temporairement fermées à la circulation motorisée. Non seulement une alternative à la stérilisation et à la normalisation ennuyeuse et reléguée des espaces de jeu, mais une proposition face la vulnérabilité des enfants dans la ville qui offre la possibilité de nouvelles représentations sociales. (Thisse, 2017, p.8)

« SO I LEAVE YOU WITH THE THOUGHT THAT BUILDINGS MAY BE LESS SOLID THAN THEY SEEM, EXISTING INVISIBLY IN THE MIND OF THE ARCHITECT BEFORE THEY ARE BORN; REMEMBERED INVISIBLY DOWN THE AGES IN THE MEMORIES OF THE GENERATIONS » YATES FRANCES, ARCHITECTURE AND THE ART OF MEMORY, IN MAROT, 2010, P.19

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cela s’est beaucoup vu en Espagne, où la spéculation immobilière a fait apparaître des « villes » entières qui restent vides tant que personne ne vient s’y installer. C’est le non-lieu par excellence.

Des gens sans ville, ce pourrait être par exemple un camp de réfugiés, ou le premier cas d’étude de Kon Wajiro (présenté plus bas) et la population de Tokyo après le grand tremblement de terre de 1923. De façon moins tragique, c’est aussi des enfants qui jouent dehors. Mais ici aussi, que ce soit par les usages (organisation des zones de jeux et de leur fonction, ex : cette plaque d’égout est un “cric-crac“) ou des micro interventions (cabane) les gens créent immédiatement de la spatialité.

S’intéresser aux usages plutôt qu’à la structure qui les contient à pour moi deux intérêts principaux. D’une part, revenir au pourquoi plutôt qu’au comment, et ensuite simplifier le projet urbain en termes de coûts et de temps. Pour développer ce concept, je vais commencer par présenter quelques personnages et actions qui pour moi l’illustrent et l’expliquent.

Mouvant- non mouvant,

Pour l’architecte Hiroshi Sambuichi le “vide“ a un caractère, il dépasse le négatif du plein. Il ne s’agit pas de modeler l’espace avec le bâti, car cet espace ouvert a une architecture propre faite d’éléments mouvants (soleil, vent et eau). La vitesse, la direction et la densité de ces matériaux peuvent être déterminés par la topographie comme par l’architecture dont ils sont l’essence.

Il traduit les attentes du client comme le désir de modifier ces paramètres. Les matériaux non-mouvants (verre, bois, pierre,…) lui servent à contrôler la vitesse, direction et densité des matériaux mouvants. (Sambuichi, 2011). Pour produire une architecture intégrée qui soit accepté par le site, il observe celui-ci au minimum pendant un cycle de saisons, pour suivre la météo. Il apprend la topographie et le fonctionnement de cet équilibre dans lequel il trouve le moyen de s’intégrer en y participant autant qu’il en tire parti. En pensant ainsi l’espace comme un événement, et non comme quelque chose de statique, il crée des écosystèmes plus que des architectures.

Sub-urbanisme, tirer le programme du site

Dans son « manifeste prospectif » du Sub-urbanisme (Marot, 2010) Sébastien Marot présente le site comme matrice du projet. Le programme émerge de la représentation du site et de l’exploration de ses strates spatio-temporelles. La mémoire devient ainsi la matière de l’architecture qui elle en est l’outil.

Hiroshi Sambuichi

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On ne peut présenter le sub-urbanisme sans son pendant le sur-urbanisme, tendance de l’architecture moderne, et dont le « delirious NY » de Rem Koolhaas est interprété par Marot comme étant son « manifeste rétroactif ». Le Sur-urbanisme c’est la négation du site par le programme, ou sa substitution, l’architecture créant son propre site. Le sub-urbanisme ne s’oppose pas au programme, mais l’utilise comme outil d’exploration. A l’image des projets incrémentaux de Lucien Kroll, il s’agit davantage d’un processus que d’un produit pouvant être remis en question à chaque étape et dont l’image finale n’est pas connue d’avance.

Privé/public

La lisière entre public et privé est un lieu d’intégration auquel il faut redonner une épaisseur significative. Alors qu’aujourd’hui, même les seuils des bâtiments tendent à disparaître,

conceptuellement et physiquement.

Alors que « sous Hausmann les rues et avenues, accessibles et gratuites, rivalisaient de confort avec les logements encore mal équipés » (Paquot, 2014), les qualités domestiques de privacité, confort et d’usages ont peu à peu intégrés les intérieurs privés. Aujourd’hui, la taille et le confort de nos logements hébergent la majorité de nos activités, alors qu’au Japon « le coût extrêmement élevé du foncier fait que des activités typiquement domestiques en Occident, soient accomplies dans l’espace public ou semi-public lui donnant une forte densité » (Alonso, 2015, p.42). Ashihara (Ashihara, 1994) remarque que les japonais ont une relation à leur foyer qu’il compare à la chambre à coucher/au lit chez les occidentaux. Partant de là, il étend donc l’usage domestique aux espaces publics qui deviennent les autres pièces du foyer.5 . Avec la modernité, les logements, qui jusque-là imposaient la promiscuité des personnes et des usages, vont se

[5] « Pourquoi ne pas privilégier la dispersion ? Au lieu de vivre dans un lieu unique, en cherchant vainement à s’y rassembler, pourquoi n’aurait-on pas, éparpillées dans Paris, cinq ou six chambres ? J’irais dormir à Denfert, j’écrirais place Voltaire, j’écouterais de la musique Place Clichy, je ferais l’amour à la Poterne des Peupliers, je mangerais rue de la Tombe-Issoire, je lirais près du Parc Monceau, etc. Est-ce plus stupide en fin de compte que de mettre tous les marchands de meubles faubourg Saint-Antoine, tous les marchands de verrerie rue du Paradis, tous les tailleurs rue du Sentier, tous les juifs rue des Rosiers, tous les étudiants au quartier Latin, tous les éditeurs à Saint-Sulpice, tous les médecins à Harley Street et tous les noirs à Haarlem ? » (Perec Georges, Espèces d’espace, 1974, p. 116)

Francis Alys, Zocalo, 1999 L’ombre devient un lieu spatialisé par son occupation tout au long de la journée

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spécialiser et l’espace individuel privé va prendre de l’importance. Parallèlement, plusieurs fonctions et usages vont se ségréguer/zoner dans la ville, « et si l’on prolonge encore le dedans dans le dehors en plaçant une chaise sur le pas de la porte ou en ouvrant une fenêtre du rez-de- chaussée, ce n’est que pour un instant. Chacun chez soi ! » (Paquot, 2009, p.57). Mais le quartier, la rue conservent parfois ce caractère de seuil mi-privé, mi-public, qui nous permet de rentrer et de sortir de la ville. L’enjeu, en termes de réglementation, est de déterminer ou de redéfinir ce qui relève de l’usage public, ou de l’usage privé interdit dans l’espace public. Juridiquement et factuellement qui est propriétaire de l’espace public ? Qui le régule ?

Domesticité

« Je sors de chez moi et j’entre en ville » (Paquot, 2014, p.205)

Comment être chez soi dans l’espace ouvert ? L’espace ouvert peut-il avoir la fonction d’être notre salon, notre cuisine, notre chambre, notre bibliothèque, notre terrasse… ? L’absence d’un certain confort (toilettes publiques, bancs, accès à l’eau potable) peut rendre difficile de se sentir de chez soi en ville, alors que notre mobilité nous rend de plus en plus urbains. Julien Damon plaide en faveurs des « servitudes d’aisances », ou plus explicitement le « droit de pisser ».6

Pour moi, ce concept de domesticité implique un espace ouvert de la ville plus accueillant et accessible à tous, pour devenir « Ce dehors dans lequel se construit le dedans » (Sébastien Thiery, in Paquot 2015)7. Gourdon postule que la rue et en quelque sorte le plus petit dénominateur commun de la ville. On la retrouve du couloir des maisons jusqu’à la grande artère, la rue fait le lien entre les échelles, mais aussi entre le public et le privé8, et les points de croisement sont d’égale importance. (Gourdon, 2001, p.90) ?

Urbanisme par le domaine public : La rue

Le mouvement moderne a amené la « négation totale de la rue en tant qu’espace public : la rue est devenue une machine à circuler. » (Alonso, 2015, p.30)

Contrairement à la voirie fonctionnelle pour circuler, qui accompagne généralement un urbanisme pensé par parcelle qui isole le bâti, lui tourne le dos, quand la ville est pensée par son espace public la rue relie et met en relation les maisons qui s’ouvrent sur elle. (Soulier, 2017)

« Vivre ensemble dans le monde c’est dire

essentiellement qu’un monde d’objets se tient entre ceux qui l’ont en commun, comme une table est située entre ceux qui s’assoient autour d’elle; le monde, comme tout entre-deux, relie et sépare en même temps les hommes.

Le domaine public, monde commun, nous rassemble, mais aussi nous empêche, pour ainsi dire, de tomber les uns sur les autres. Ce qui rend la société de masse si difficile à supporter ce n’est pas, principalement

[6] un des projets de l’association du Vallon, des toitoi à défaut de mieux sur la place du quartier.

[7] Un exemple est la ville de Venise, qui peut facilement être perçue comme un unique bâtiment, un intérieur en extérieur avec des rues comme couloirs, des places comme salons et un plafond peint de ciel.

[8] Venise m’a toujours donné l’impression d’être un intérieur plus qu’un extérieur. Non pas un juxtaposition de maison mais une unique architecture vivante, une grande maison. Peut-être est-ce dû à que je perçoit ses rues comme des couloirs et ses places comme des salons ? et un plafond peint par James Turrell

Wajiro Kon, déplacement dans la mai- son, combien de fois chaque membre

à franchis chaque seuil.

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du moins, le nombre de gens; c’est que le monde qui est entre eux n’as plus le pouvoir de les rassembler, de les relier ni de les séparer. La propriété privée enlève à ses possesseurs l’en commun. » (Arendt, in Paquot, 2009, p.26) Pour Nicolas Soulier, c’est la rue qui peut remplir ce rôle de médiateur entre habitants, mais aussi entre habitants et bâti. (Soulier, 2012, p.280)

En perdant la rue, on perd la promenade, la flânerie, la déambulation... On perd aussi la ville, car elle cesse d’être un tissu, un ensemble connecté qu’on traverse en produisant du sens.

« Lieu de gratuité, la rue est aussi un territoire ouvert et disponible » (Paquot, 2006, p.90) qui nous permet de nous approprier la ville, et de détourner les usages imposés par une logique marchande. Paquot continue en disant qu’il s’agit d’une appropriation, non au sens de faire sien, mais de devenir « autre au contact de » qui détermine l’habitabilité d’un lieu. Rues et cheminements offerts sont indissociables du statut de citadin-citoyen.

1.1.2 PHÉNOMÉNOLOGIE DE L’HABITER (gens)

L’immatériel ce n’est pas simplement ce qui ne peut être touché. Pour l’Unesco9, un patrimoine immatériel est un patrimoine vivant reconnu comme tel par une communauté.

Le Carnaval de Bâle10 est tangible par bien des aspects, mais ce ne sont pas tant les costumes, par exemple, que leur conception, les danses ou les paroles que l’esprit dans lesquelles elles s’expriment. On peut donc séparer la chose, le bien rival, de l’art de faire, partagé et vivant.

du nom au verbe

Ivan Illich distingue les actions propres de l’homme de leur “objectivation“ qui en fait des bien rivaux de consommation. Par exemple, tout le monde travaille mais seuls certains ont accès à l’emploi et au salaire, bien rare qui se cotise. Nous savons tous “habiter“ et pourtant nous nous réduisons à être les consommateurs d’un logement. Le logé « n’est pas plus libre de se frayer un chemin sur l’autoroute que de percer un trou dans ses murs. Il traverse l’existence sans y inscrire de traces. Les marques qu’il dépose sont considérées comme des accrocs- des signes d’usures » (Illich, 2005, p.757), alors qu’elles sont les vestiges d’un habitat façonné par ses mains.

Pour Ivan Illich, le logement est un bien de consommation alors que l’habiter est un art. Pour Thierry Paquot, nous avons davantage besoin d’un lieu à habiter que d’un logement. Formuler autrement, ne confondons pas le besoin avec la chose. Et pourtant, on parle de droit au logement plutôt que de « liberté d’habiter » (Illich, p.759).

L’habiter est culturel, local et individuel, les sentiments qui lui sont associés et les actions qui doivent y être réalisées ne dépendent pas des structures, mais sont facilitées par elles. Il est davantage constitué de mythes et de rituels que de béton. La relation au “chez-soi“ est un sentiment qui peut être créer autrement que par un contexte bâti, par exemple au travers de l’acte de manger. La lecture est un moyen de s’abstraire du public au privé (Paquot, 2009, p.56).

Dans son article pour Tokyo Totem, Maiko Arriete Aoki, fait allusion à la “safe-zone” créer en prenant son repas. C’est donc la nourriture, et plus encore les “rituels” et la sensation de bien- être qui l’accompagnent, qui façonne cette spatialité, la répétition du geste rappelant le souvenir, l’ambiance. Pour Roland Barthe, le sucre pour les américains, ou le vin pour les français sont

[9] https://ich.unesco.org/en/what-is-intangible-heritage-00003 [10] Classé patrimoine immatériel par l’UNESCO depuis 2017

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bien plus qu’un aliment, une “attitude“,(Barthe, 1961 p.978), car « la nourriture tend sans cesse à se transformer en situation. » (Barthe, 1961 p.986)

C’est cette immatérialité de la ville qui m’interpelle, et que j’explore avec l’expérience menée par la Mauvaise Herbe? .

Les interactions

« L’architecte, l’urbanisme et le paysage deviennent écologie lorsqu’ils préfèrent les relations aux résultats » (Thierry Paquot)

Chez de nombreux auteurs, notamment Jane Jacobs (Jacobs, 2011, p.55), William H. Whyte ou Jan Gehl, on retrouve cette idée que la ville c’est la rue - l’espace public- l’entre bâti, et la rue c’est les gens.

La ville c’est la rue, le lieu partagé, commun, celui de la rencontre et de la sérendipité, des usages et des pratiques. Dans un contexte où l’on mentionne beaucoup que les villes, les capitales en tout cas, se ressemblent de plus en plus, l’ambiance d’une rue lui est toujours propre. Le décor peut être le même, mais les odeurs de nourriture, les gens, la végétation, les manières de se déplacer, le type et le style des véhicules, le temps des discussions, la taille des pigeons et plus encore, tous ces éléments uniques distinguent chaque ville, chaque quartier et chaque rue.

C’est aussi l’espace que l’œil perçoit le mieux. Du bâti ou des infrastructures, l’usager de la ville n’en perçoit que les rez-de-chaussée et leurs aménagements

(Jan Gehl). Rarement il prendra du recul et lèvera le nez sur le rythme étudié d’une façade, mais il ressentira chaque jour la continuité monotone des murs aveugles d’un pâté de maisons

ou le dynamisme d’une rue animée. (D’où l’importance d’un certain fourbi de bord de rue, comme le nomme Nicolas Soulier (Soulier, 2017, conférence), qui tricote, anime la rue, et parle d’occupation humaine (ex : les vélos devant les maisons, qu’il compare aux chevaux devant le saloon et qui annonce si le lieu est bien rempli et animé)).

Seules des politiques actives de stérilisation peuvent venir à bout de cet écosystème résilient et dynamique, par la désintégration de la rue ou en rendant l’environnement si hostile que plus rien ne s’y pratique. « C’est l’interaction, non le lieu ou l’espace, qui fait la vie en ville. La ville est essentiellement conditionnée et produite par les interactions des individus et des groupes qui y vivent ou y exercent une activité. » (Selon Melvin Webber, Gourdon, 2001, p.245)

1.1.3 APPROCHE PAR LES USAGES ET TACTIQUES (espace+gens)

Usages et Pratiques

Pour repenser la ville telle qu’on la façonne au quotidien avec nos gestes et pratiques.

Piétonisation et joli mobilier urbain participent à faire de la ville un décor

(Gourdon,2001,p.158), certes agréable, mais qui bien souvent ne tolère plus l’initiative personnelle, l’appropriation ou domestication partielle ou momentanée de l’espace et

l’invention de nouveaux usages et fonctions, tels qu’encouragés par la “ Mauvaise Herbe?“. Il y a privatisation du commun quand le “planifié par quelqu’un“ empêche “l’improvisation par tous“.

Marta Alonso présente le cas des jardins potagers de Vidy, dont la qualité n’est pas esthétique mais « réside dans la liberté d’usages qu’on peut réaliser dans ce vide urbain ». Toute une population y trouve un « espace de socialisation à l’abri d’une consommation à laquelle ils ne

« OUBLIONS LES CHOSES, NE CONSIDÉRONS QUE LES RAPPORTS » BRAQUE

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peuvent pas accéder » (Alonso, 2015, p.43). « L’absence de prise en compte de l’existant, pas seulement des constructions, mais aussi des usages existants sur un vide implique que la protection urbaine proposée par les experts amènera à effacer ce lieu à haute fréquentation sans proposer d’espaces alternatifs pour ses usagers » (ibidem). La vie urbaine est trop complexe pour pouvoir être complètement planifiée. Laisser des marges où les besoins oubliés peuvent être rattrapés est donc essentiel.

Tactique ou stratégie que langage (graphique) ?

Les expériences menées par les étudiants de l’EPFL sur la place de la gare de Renens ont été bien accueillies, à raison elles sont en train d’être pérennisées par les services publics. Mais l’expérience semblait avoir eu plus d’impact dans sa phase expérimentale. Cette impression n’est pas significative, j’en profite néanmoins pour me poser des questions sur ce qui change ou se perd avec la pérennisation. L’esthétique des marquages, bricolés genre fête de village contre le marquage routier, officiel, a-t-elle une influence ? Ou la curiosité de la nouveauté, qui rend prudent, plus attentif quand on ne connaît pas ? Peut-être aussi que l’expérience temporaire était suffisamment amusante pour jouer le jeu, mais qu’un réel changement d’habitude nécessite plus de temps ?

Positif

Il y a quelque chose de très positif à considérer la ville par ce qu’elle a d’immatériel et au travers des gens plutôt que du bâti. L’espèce humaine s’est adaptée et a su adapter des environnements naturels extrêmement défavorables. Cette idée me fait penser qu’on peut avec la même ingéniosité s’adapter aux environnements urbains, même les plus terribles, les modifier pour créer des conditions plus favorables. Et bien sûr, s’il aurait fallu mieux faire et qu’il faudrait faire mieux à partir de maintenant, il n’est pas nécessaire de détruire pour recommencer. En construisant ou reconstruisant trop, on fait différent mais pas forcément mieux et l’on commet d’autres erreurs. Et puis la “vie“ peut mettre du temps à recoloniser cet espace. Il ne faut peut-être pas réécrire l’urbain, mais le relire.

« Sans commencer par tout démolir, rien qu’avec des modifications aux points stratégiques, sans beaucoup de mal et de moyens financiers. Toute maison, aussi laide et malade soit-elle, peut guérir. » (Hundertwasser, 1990) Lucien Kroll a sa propre façon de s’attaquer au phénomène de la détérioration des grands ensembles, il essaie de les subvertir en quelque sorte, de faire autrement avec l’existant. « Il existe toujours une autre solution que de détruire des quartiers malgré tout appropriés par leurs habitants. »

La ville est le résultat et l’image des gens qui l’habitent. Actuellement, il y a deux forces opposées. La planification faite par les services publics est fortement dépendante de l’économie et agit par grands gestes qui ont une temporalité très longue de prévision, mais une temporalité très courte de réalisation. Et l’action citadine, toujours en mouvement, qui ajuste, polie, perturbe, adapte et s’adapte, crée l’ambiance et le génie du lieu, et agit sur la ville dans l’immédiat, par petites touches qui se cumulent sur le long terme à l’image de l’usure de marches d’escaliers et que De Certeau nomme l’urbanisme tactique.

Hundertwasser , Immeuble “soigné “ « LES TRANSAUTOMATISTES ET TOUS CEUX QUI SE SITU- ENT AU-DELÀ DE L’ARCHITECTURE INHABITABLE ONT UNE FAÇON DE PROCÉDER PLUS HUMAINE. ILS NE VEULENT PLUS DÉTRUIRE. POUR SAUVER L’ARCHITECTURE FONC- TIONNELLE DE LA RUINE MORALE, IL FAUDRA RÉPANDRE SUR LES PAROIS DE VERRE PROPRES ET LES SURFACES LISSES DE BÉTON UN PRODUIT DE DÉCOMPOSITION AFIN QUE LE CHAMPIGNON DE LA MOISISSURE PUISSE S’Y FIXER. IL EST TEMPS QUE L’INDUSTRIE RECONNAISSE QUE SA MISSION FONDAMENTALE EST DE PRATIQUER LA MOI- SISSURE CRÉATIVE! » HUNDERTWASSER, 1964

chemin créé collectivement par l’usure

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De Certeau  et l’urbanisme tactique

Cette dualité, De Certeau l’exprime avec la stratégie et la tactique11. La stratégie correspond à la planification, elle relève de ce qui est matériel et relativement permanent, et de ce qui peut se représenter sur une carte ou un plan. Pour qui n’a pas accès à la stratégie, il y a la tactique.

Celle-ci est aussi fondée sur des paramètres bien réels, mais moins quantifiables : les ambiances, le contexte, des opportunités, des usages. « Les stratégies misent sur la résistance que

l’établissement d’un lieu offre à l’usure du temps ; les tactiques misent sur une habile utilisation du temps, des occasions qu’il présente et aussi des jeux qu’il introduit dans les fondations d’un pouvoir » (De Certeau , 1990, p. 63). Pour De Certeau, le citoyen s’approprie son environnement par sa manière d’habiter et les gestes les plus anodins du quotidien.

« L’urbanisme tactique ne se pose pas en s’opposant à la planification urbaine institutionnelle et à l’urbanisme de projet. Il s’insère dans un espace laissé vide par les failles d’un système qui néglige par trop souvent l’échelle de la vie quotidienne. » (Douay 2016, p.18) Cette articulation peut-elle devenir autre chose qu’un oubli ? Peut-on apprendre des tactiques pour intégrer des espaces d’indétermination et de l’inattendu dans la planification ? Le risque existe de voir disparaître les “tactiques“ quand leur forme est ré-utilisée en négligeant le fond. Les parking-days, tel qu’ils sont organisés aujourd’hui ne relèvent-ils pas plus de la stratégie que du mouvement citoyen pour réclamer un espace à la voiture ? Même s’il a le mérite de combler une faille de la planification institutionnelle en s’intéressant à la vie quotidienne, « dans quelle mesure l’urbanisme tactique est-il toujours un modèle alternatif ou bien n’est-il devenu qu’une énième variante ou variable d’ajustement du modèle dominant ? » (Douay, 2016, p.18)

« Mais du coup, la manière dont un urbaniste, ou quelqu’un qui va faire la ville donc un urbaniste au sens large, la manière dont tu vas réussir à créer des opportunités, à intervenir au bon moment, à retourner des choses pour qu’elles soient vu d’une manière différente, c’est ça finalement qui fera que le projet,… la manière d’être un bon urbaniste ? » (Copil, MH , 2018)

Deux exemples à Renens et Lausanne

Observations faites pendant les chantiers de la “Ficelle” à Lausanne, et ceux de la nouvelle gare de Renens.

Ceux qui pratiquent la gare de Renens aux heures pointes connaissent la difficulté qu’il y avait pour accéder au quai quand un train, ou pire deux trains, arrivaient en même temps, et que la foule qui s’engouffrait comme un seul homme vers l’escalier refoulait irrémédiablement toute personne qui essaierait de monter. A ce stade, autant renoncer le temps que la foule se disperse, on avait perdu son train. Pourtant, pendant les travaux pour l’agrandissement de la gare, l’attitude des usagers semblait avoir changé. Gentiment, un couloir s’est formé pour laisser la circulation dans les deux sens. Pourtant l’escalier n’avait pas changé de largeur, même s’il s’était rallongé. Il y a bien un ascenseur, mais il est peu utilisé et ne peut pas expliquer à lui seul une diminution du flux. Alors qu’est-ce qui a influencé ce nouveau civisme pragmatique? La modernisation des infrastructures incite-t-elle à des comportements plus urbains? L’allongement de l’escalier d’une volée de marches motive-t-il un comportement plus prudent? Comprendre cette question aiderait certainement à mieux planifier cet espace.

Moins récent, à Lausanne les travaux de l’ancienne “Ficelle”, aujourd’hui le M2, ont eu un impact sur les modes d’occuper la ville. Même s’il est difficile d’être objectif sans observations plus détaillées avant et après les travaux. L’affaissement de la place St-Laurent a forcé le

[11] Le terme urbanisme tactique aurait pour la première fois été utilisé aux USA à propos des premiers « parking days » dont la définition est donné par Mike Lydon dans « Tactical Urbanism: Short-term Action for Long-term Change ». Dans cette définition, il s’agit d’un “urbanisme transitoire“ plus que d’une pratique quotidienne.

escalier de la gare de renens, avant et pendant les travaux noir: personnes qui descendent bleu: personnes qui montent

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déplacement de ses résidents de plein air vers la place de la Riponne12, ce qui a repoussé certains des groupes habituels de ce lieu vers la pente de la cathédrale où les habitués des coteaux gazonnés se sont à leur tour redirigés partiellement vers d’autres parcs. Une perturbation qui retrouva son équilibre rapidement, mais laisse un environnement légèrement nouveau pour ceux qui y étaient habitués y qui demeurent après la fin des travaux.

Communs

Pour l’économiste Elinor Ostrom, les communs ont l’avantage de permettre la cohabitation de différents modèles où chacun peut trouver son compte, plutôt que de planifier un modèle unique qui convient, dans le meilleur des cas, à une majorité.

Pour Ivan Illich, « l’espace public ne remplace pas, mais détruit les communaux », car les communaux n’ont pas une forme ou un mode de gestion fixe. Ils sont définis par trois éléments indispensables, mais variables : une ressource - une communauté - un ensemble de règles sociales. Le commun est donc la dynamique ou les interactions entre ces trois facteurs.13 Ostrom défend l’intérêt de ces systèmes complexes, car par leur absence de forme “rigide“ ils s’adaptent parfaitement, localement, et ils sont résilients. Mais selon elle, (Ostrom 2009) ils ne sont pas appréciés à leur juste valeur, car leur institutionnalisation n’est pas aussi visible que les modes de gestion privée ou étatique. Il nécessite donc une part de confiance, qui ne peut être contrôlée en amont mais nécessite néanmoins un suivi.

Cette autogestion est pour Lefebvre l’exemple de la participation réelle (droit à la ville). La gestion du commun peut se refléter dans la participation. C’est ainsi que pour Joëlle Zask « la participation active des citoyens au repérage de leurs intérêts assure qu’un intérêt public soit un intérêt commun aux participants – et non un «intérêt général» transcendant les participants réellement existants. » (Hallauer, 2017) L’intérêt commun, étant essentiellement relationnel, permet de dépasser le clivage qu’il existe entre l’intérêt général et particulier. Celui-là fait qu’on se demande si l’espace public est à tout le monde ou à personne; l’intérêt commun le rend à la communauté.

[12] La place de la Riponne propose à présent de nouveau aménagements.

[13] « Dans l’espace public de la rue, tout se tient. Tout aménagement est insuffisant en soi, s’il n’est pas relayé par un fonctionnement qui en assure l’efficacité : une règle claire et des gardiens. » (Gourdon,2001, p.114)

Le cas de l’arrêt M1 - Mouline, Lausanne Le muret séparant le quai de la “prairie“

était très utilisé pour s’assoir, il palliait le manque de banc, et offrait une agréable exposition à la brise et au soleil contrairement aux abris.

Après les travaux, et probablment pour emêcher les personnes de traverser en dehors du sentier, l’accès au quai a été grillagé d’une manière qui empêchait les personnes de s’assoir.

Après quelque temps les grillages ont été partiellement déformés vers l’arrière afin de permettre de nouveau l’utilisation de ce “banc“.

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Contrat de Quartier

Cette mise en commun participative trouve peut-être un exemple avec les contrats de quartier de Vernier à Genève. L’attribution d’un budget, alloué en avance pour ces contrats, permet aux habitants de proposer des projets qui, s’ils sont acceptés par un comité mix14, pourront être réalisés rapidement. Dû aux fréquents échanges entre les porteurs de projets et les services communaux, ceux-ci apprennent autant à travailler et à envisager le projet autrement que les habitants apprennent le fonctionnement du projet. L’apprentissage se fait donc des deux côtés, et il en ressortira peut-être de nouvelles initiatives intéressantes.

Accompagner les gens pour mener leur projet, c’est aussi ce que fait le Collectif la Nizanerie à Nantes, pour faire de la rue un endroit où l’on a plaisir à s’arrêter et la réhabiliter dans sa fonction politique. « On n’est pas là pour faire à la place des gens, mais pour les accompagner et les aider à matérialiser leurs idées. »15 Par cette démarche, la Nizanerie favorise une posture de facilitateur à la place de celle de décideur.

L’aménagiste doit se rendre disponible. Il est très satisfaisant d’arriver dans un

environnement où tout le monde s’affaire et de voir tout de suite ce qu’il y a à faire, comment on peut participer, aider ou s’asseoir dans un coin pour faire la conversation. A l’inverse, quand on ne comprend pas on a l’impression d’être dans le chemin, et si on essaie d’aider on dérange davantage, c’est très désagréable. Pour ça il faut comprendre les non seulement, la structure et la tâche à accomplir mais aussi les mouvements et interactions déjà à l’œuvre. Mais pour participer à cette ville en réinvention il faut observer comment elle se fait.

[14] Deux membres du Conseil administratif (exécutif communal), dont le Maire, élu pour

une année assure la présidence tournante, un-e membre par partis représentés au Conseil municipal (législatif communal), un-e représentant-e de l’association des locataires, un-e membre de l’association des commerçant-e-s du quartier, un-e représentant-e des travailleurs-euses sociaux-ales du quartier, un-e représentant-e d’une association de quartier, un-e habitant-e du quartier (contrat de quartier de Vernier, 2012)

[15] Table ronde “Mauvaise Herbe ?“

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