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Il ne s’agit pas de dire que tout le monde « peut » être acteur, mais que nous « sommes » tous acteurs. Tout être humain créé de la spatialité, s’approprie l’espace par sa simple présence, et la moindre de ses actions et réactions est politique.

Je crois que les modes d’habiter ont un impact important sur la perception que l’on a de l’espace, mais également sur la manière dont celui-ci évolue et se transforme progressivement Je pense aussi qu’au-delà d’observer ses usages et ses réactions ils peuvent faire projets, dans une notion d’économie, de plus grande adaptabilité et tolérance aux usagers divers, et moins destructif des fragiles écosystèmes sociaux. Intégrer plus “d’architecte“ permettrait sans doute de faire émerger des solutions plus imaginatives et adaptées.

Ma question de recherche se présente donc ainsi:

Les usages et les pratiques peuvent-ils faire projet urbain ?

On ne peut évidemment pas penser les attitudes, déplacements et pratiques de l’espace déconnectés de leur contexte. Tout environnement naturel ou aménagé impose ses contraintes et ses logiques aux modes d’habiter et ceux-ci à leur tour transforment leur contexte. Mais la ville planifiée a-t-elle perdu sa flexibilité? Impose-t-elle ses contraintes sur les “corps urbains”(Paquot, 2006) sans réagir à leur longue usure de l’espace?

S’inspirant des outils de la sociologie « l’urbanisme immatériel » est déjà abordé dans les questions de diagnostic, mais ce qui m’intéresse c’est sa capacité à faire projet.

Les infrastructures ne peuvent pas toujours imposer leur fonction, comme au Caire où les trottoirs à l’européenne sont utilisés comme devanture et les piétons continuent de se partager la chaussée avec les autres modes de transport. On peut se demander si l’exemple inverse pourrait se produire. Sur la place de la gare de Renens (Rudler, 2017, p.15), où jusqu’à récemment (juillet 2018) une installation temporaire testait l’utilisation en espace de voirie partagé, et dans le cas où les passages cloutés seraient réhabilités, on peut se demander si les usagers de l’espace ne conserveraient pas, pour un temps au moins, les habitudes prises de libre circulation et de civilité. Un projet urbain, comme un passage piéton, peut parfois aussi être créateur d’incivilité, comme par exemple sur le pont de l’A1 à Ecublens où tous les enfants traversaient l’avenue du Tir-Fédéral pour ne pas faire le détour par le passage sous voie et, car à l’époque il ne fallait jamais attendre longtemps pour que les automobilistes s’arrêtent. Aujourd’hui, le feu qui a été mis en place est si long que beaucoup préfèrent les escaliers, les voitures ne concédant plus le passage à moins d’y être obligées. Est-il légitime de penser que le processus inverse est possible ? Que les habitudes peuvent avoir plus d’impact que les infrastructures ? C’était une des intuitions/hypothèses du projet “MauvaiseHerbe?“ qu’une modification progressive des habitudes, en libérant de nouveaux usages de la ville, pouvait soit rendre obsolètes et inutiles soit réhabiliter certaines infrastructures. « Les nouveaux usages de la rue, même naissants, sont le signe d’un changement » (Silva Grünig in Paquot, 2015)

LA MAUVAISE HERBE COMME HYPOTHÈSE EN ACTION :

« NE PAS S’EMPRESSER À L’ANALYSER ; SE FAMILIARISER AVEC, TOUT DOUCEMENT, LENTEMENT,

“PLATEMENT”. » PEREC, ESPÈCE D’ESPACE

Passer de la théorie à la pratique n’est pas toujours facile. En expérimentant sur le terrain, le laboratoire d’actions urbaines “Mauvaise Herbe?“ nous a permis de formuler par l’action

les intuitions, doutes, questionnements et envies traînés pendant ces deux années d’études et tâtonnés au travers de chaque travail académique. Cette recherche n’a pas été abordée de façon très linéaire, car l’hypothèse “Mauvaise Herbe?“ a finalement été posée avant de pouvoir, et pour pouvoir formuler la question de recherche.

Une intuition a généré un processus de mise en action (part 2), celle-ci a fait naître le concept d’urbanisme immatériel que je tente de définir comme une notion à part entière (part 1) et au regard duquel j’analyse mon terrain (part 3).

Créer les conditions de disponibilité indispensable pour saisir le réel, le temps du terrain Comme le met en avant le professeur Andrés Maragaño (de l’université de Talca), c’est une différente sorte de participation que d’être soi-même présent sur le terrain, de façon constante et accessible afin que les gens viennent spontanément établir le dialogue avec vous et pouvoir ainsi soi-même participer à cette communauté. «No era participación, avisamos que estábamos trabajando, si alguien quería nos podía ir a ver, teníamos una web abierta para que la gente nos escribiera cosas. Estábamos permanentemente en el lugar, entonces se paraban, conversaban, hablabamos de que.»5 (Maragaño, 2018) Dans ses ateliers, les étudiants sont amenés tout au long de leur cursus à réaliser leurs projets avec un tout petit budget impliquant recyclage et contribution, un fort investissement et le dialogue avec les communautés où le projet prend place. Ces projets doivent être à l’écoute et capables de se concevoir, de se modifier, voire de disparaître. Car la fin ou le recyclage est une part importante du projet, trop souvent oubliée dans notre architecture où tout est fait pour durer, parfois à tort. Comme le souligne l’architecte Lucien Kroll, la participation continue au travers des modifications qu’apporte la communauté, si le projet est résilient, capable d’évoluer et d’être restitué à la communauté.

Ne pas aller chercher les gens, mais les laisser venir, les met aussi plus à l’aise. D’abord, parce qu’on n’est pas toujours d’humeur, et que l’habitude d’être sollicité dans la rue rend méfiant, renfermé parfois, et que l’on peut avoir peur d’être mis en évidence. Ensuite, parce qu’étant chez lui, l’habitant peut se permettre légitimement d’interpeller les nouveaux venus. En laissant choisir quand et comment s’impliquer, les échanges deviennent plus naturels. (Plusieurs variations : l’observateur à distance, celui reste à côté et écoute mais ne participe pas, les indifférents, celui participe, celui détourne nos détournements, etc.)

[5] « Ce n’était pas de la participation, nous avons prévenu que nous serions au travail, qui le voulait pouvait venir nous voir, nous avions un web ouvert pour que les gens y écrivent des choses. Nous étions en permanence sur place, alors les gens s’arrêtaient, discutaient, nous en parlions. »

apéro Mauvais Herbe? à Bel-Aire et Veroix, GE

Le terme d’urbanisme immatériel s’est imposé peu à peu pour rassembler/regrouper l’ensemble des thématiques qui m’intéressait dans ce travail, mais également toutes celles que je n’ai pas encore réussi à formuler. Dans ma première partie, j’essaierai de définir puis d’expliquer à chaque fois en quoi chaque thématique illustre pour moi l’urbanisme immatériel, mais je voudrais brièvement ici rendre compte d’où m’est venu ce titre. Tout d’abord, malgré mes recherches je n’ai pas trouvé que ce soit en français, anglais ou espagnol mention de ce terme dans la littérature qui soit défini1 l’étymologie est donc propre à ce travail. Je souhaitais d’abord de regrouper ce qui est à mon sens le matériau et l’essence fondamentale de l’urbanisme et qui réside dans ce que l’on peut nommer des ressources immatérielles, tel que le temps, le dialogue, l’expérience, les ressources humaines, la communauté, le faire. De façon moins évidente peut-être le terme se forge aussi auprès d’une autre thématique qui me passionne énormément celle des architectures de mémoire. Une connaissance du monde organisée en images, dans des lieux familiers et selon l’ordonnance d’un parcours particulier. Et puis enfin le terme s’inspire du concept original qui a évolué pour donner le projet “Mauvais Herbe ?“ qui réfléchissait aux villes invisibles, dont la « ville des possibles », les utilisations non exploitées de notre urbanisme de forme, « la ville planifiée », comment une image projetée de la conception urbaine qui existe en deux dimensions dans des plans et des directives, plane sur l’espace réel que nous parcourons et modelons chaque jour. Et enfin une troisième, que nous n’avons pas abordée car elle appartient déjà davantage à la génération qui nous suit, la « ville numérique » et ses communautés virtuelles.

Cette première partie aborde l’urbanisme immatériel selon trois aspects, théorique (comment je le comprends), pratique (là où j’ai pu l’observer), et une troisième partie qui interroge les outils de transmission.