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Mégalopolis : première observation formelle du phénomène de la globalisation et de ses conséquences sur le territoire faite par Gottman (1961). Désignait initialement la conurbation d’agglomérations s’étendant de manière continue entre Boston et Philadelphie sur près de 600 kilomètres. Cette manifestation inédite ne peut être expliquée par des théories classiques ou des modèles centre-périphérie. Région dominée avant tout par un étalement urbain sans précédent, c’est l’accès à l’automobilité qui a permis un tel développement tout en renforçant la spécialisation de l’espace, accroissant ainsi le besoin en mobilité. De telles mégalopoles peuvent s’observer ailleurs : entre Londres et Rome ou sur l’île du Japon.

Edge-City : Garreau (1991) avait mis en lumière ces nouvelles formes spatiales reproduisant en tous points les fonctions d’un centre urbain, mais en périphérie — autour d’anciennes zones industrielles, dont les activités qu’elles accueillent se diversifient progressivement. Cette ville à la frontière de la ville se développe suite à l’éloignement des lieux de résidence du centre, devenu plus difficilement accessible. La redistribution des fonctions tertiaires de la ville se fait dans des espaces centrés

autour de nœuds de transport routiers devenant progressivement aussi important que les downtown en termes d’emploi.

Zwischendstadt : l’« entre-deux villes » qu’avait théorisé Sieverts (2000) fait parfaitement la synthèse des deux éléments décrits ci-dessus. Derrière ce terme, l’auteur décrit les nouvelles formes territoriales s’étant créées à l’extérieur des villes historique, caractérisée par une très forte automobilité et une spécialisation extrême où les formes se côtoient sans être réellement en contact — c’est le patchwork métropolitain devenu un bien à consommer dans un espace à la carte : les différentes formes de périurbanisation ou encore les Edge-Cities. En comparaison à l’acception originelle de la ville — dense et concentrant une multitude de fonctions —, la Zwischenstadt représente son antithèse, la non-ville — peu dense et aux fonctions éclatées. Pourtant, en regroupant une majorité des individus et une part importante des emplois, elle est devenue de facto la ville dans sa forme la plus actuelle.

3.1 Urbanisme

Avant d’explorer formellement la façon dont s’est saisi la discipline urbanistique des

« enjeux mobilitaires » (sic.) (Borja & al., 2013, p.2), voici un léger cadrage sur la pratique en elle-même, dans le contexte actuel :

3.1.1 Le projet urbain, réalité urbanistique au XXIe siècle

La pratique de l’urbanisme, loin d’avoir été constante tout au long de son histoire, a beaucoup évolué en fonction de ses époques, et ce notamment depuis les projets fondateurs cités dans le chapitre précédent. Si une multitude d’éléments peut être mobilisée pour expliquer cette évolution, le plus important est avant tout la transformation de notre système de production, dont l’avènement du néo-libéralisme et la globalisation qui l’accompagne ont transformé notre façon de produire la ville.

Sous le régime fordiste, la production urbaine s’est inspirée des principes industriels de sectorisation. Ceci correspond à ce que d’aucuns ont associé à la seconde modernité (Ascher, 2012) ou la ville de l’âge II3 (Lévy, 1999) : il s’agit de celle du modernisme, pour laquelle l’hygiénisme issu de la Charte d’Athènes a dominé l’action sur une ville fonctionnelle.

C’est la mise en œuvre d’une systématisation industrielle qui prendra la forme d’un zonage monofonctionnel tout en combinant production et consommation de masse — ce qui aura pour effet de générer des formes spatiales nouvelles, entre grands ensembles, maisons individuelles et hypermarchés (Ascher, 2012).

En suivant ce découpage théorique, on peut alors qualifier la période de ces dernières décennies comme le troisième âge de la ville. À la manière de la période précédente, caractérisée par l’adaptation de l’urbanisme à la société industrielle, la troisième modernité

— ou postmodernité (Ibid.) — est celle de la ville néolibérale, dont le contexte se caractérise par divers éléments — je les regroupe ici en trois points centraux :

• Compétition territoriale exacerbée : l’évidente uniformisation des espaces qu’amène la globalisation s’accompagne de processus forts de spécialisation locale. C’est l’adaptation territoriale à l’économie de marché, dont l’ouverture progressive autour du globe promeut des modes de vies et des formes urbaines semblables, tout en leur obligeant à se démarquer pour mieux se vendre (Lussault, 2017) dans ce « supermarché des villes en compétition » (Matthey, 2016, p.36).

• Incertitude croissante à mesure d’un désengagement de l’État, qui a progressivement perdu en moyens et en légitimité suite aux trente glorieuses. La dérégulation des marchés a graduellement exposé les villes aux aléas des conjonctures économiques tout en rendant obsolètes les stratégies de planification héritées des années soixante (Pinson, 2005).

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qui caractérise même aujourd’hui « l’organisation générale de la société » (Ibid., p.4). Si la gouvernance est devenue plus complexe, elle ne rime pas avec ingouvernabilité et le projet urbain, en tant que mode d’action négocié et interactionniste, permet l’inclusion de cette multiplicité toute nouvelle d’acteurs. De plus, le projet s’applique comme un instrument urbain transsectoriel et multiscalaire (Pinson, 2006). Dans une dynamique essentiellement concentrée sur la construction de la ville sur elle-même, le projet urbain n’est non plus un processus linéaire, mais une articulation incrémentale faite d’itérations entre ses différentes fonctions — stratégique, politique, technique et de réalisation (Lévy, 2006). La recherche a regroupé sous cette nouvelle forme d’action sur la ville deux types de projets, qui varient selon leur échelle : on y retrouve tant les « projets de ville », soit la vision stratégique à une échelle généralement supra-communale et un temps long, que les « projets urbains » dont le niveau et la portée de l’action peuvent varier selon l’objet et les acteurs. Toutefois, dans les deux cas, le projet est l’opportunité d’affirmer la place de la ville dans la compétition qu’elle mène face au reste du territoire (Pinson, 2006). Qu’il s’agisse alors de la requalification d’un morceau de ville afin d’en valoriser une spécificité ou d’une stratégie marketing à large échelle, les projets apparaissent systématiquement comme le rejet des planifications technocratiques de la moitié du siècle dernier (Lévy, 2006 ; Ingallina, 2010).

Certains auteurs parlent alors même d’une action urbaine par « nouveaux méga-projets » (Orueta & Fainstein, 2008). Nouveaux, car s’opposent aux gigantesques reconstructions qui ont fait suite à la destruction de villes entières pendant la Deuxième Guerre mondiale — Méga, car leur emprise spatiale, la transversalité de leurs actions ou encore la portée du discours les entourant, en font des objets d’une dimension physique et symbolique nouvelle. Souvent localisés dans des zones en restructuration ou ayant perdu leurs fonctions antérieures, ils peuvent prendre des formes aussi variées qu’importantes : rénovation et redynamisation de centres historiques ou de front de mer, nouvelles infrastructures de transport ou reconversion d’anciens sites industriels autour d’infrastructures phares (Fainstein, 2008). Le projet du musée Guggenheim à Bilbao est dans ce sens un des exemples les plus représentatifs (Pinson, 2006), comme ont pu l’être ceux du Front d’eau de la Clyde à Glasgow — dont les rives ont été régénérées, donnant tant un nouvel espace public qu’une image inédite à la ville (Ingallina, 2010) — ou du quartier de la Confluence à Lyon — d’anciennes friches industrielles passées à un nouveau centre urbain (Bonard & Felli, 2008).

3.1.2 La fabrique de la ville face à la mobilité

Au regard du contexte actuel de la fabrique de la ville, par (méga-) projets, et afin d’apporter à la revue de littérature quelques éléments plus concrets, il semble pertinent de se pencher sur le lien entre urbanisme et mobilité, au travers d’un regard historique ainsi qu’une exploration de certains exemples de politiques publiques.

Si l’impact de l’accroissement des mobilités sur les dynamiques territoriales, exploré au chapitre précédent, a illustré une relation forte entre ces deux éléments, il en va de même pour la pratique de l’urbanisme. Sans que cette problématique soit inédite, la nécessité de coordonner les enjeux d’aménagement et de transport est largement admise dans les milieux scientifiques et politiques. En effet, depuis la formalisation de l’urbanisme comme discipline

— dont la Théorie générale de l’urbanisation de Cerdà (1867) en marque l’avènement — les enjeux de déplacements et de circulation tiennent un rôle central dans la planification urbaine, comme peuvent en témoigner les quelques exemples illustrés dans ce chapitre.