• Aucun résultat trouvé

Si les deux exemples développés dans les encarts en amont illustrent bien l’approche d’un urbanisme réticulaire, la période du modernisme va quelque peu rompre avec les fondements de la discipline, sans pourtant remettre en cause l’importance de la circulation comme élément structurant de la ville : Le Corbusier ([1925] 1994, p.169) l’affirme lui-même en disant que « les transports sont à la base de l’activité moderne » et que « la ville disposant de la vitesse dispose du succès » (Ibid., p.77).

Toutefois, la ségrégation fonctionnelle que prône la Charte d’Athènes relègue la mobilité au rôle de liant des fonctions urbaines d’habitat, de travail et de loisir — alors qu’elle était l’un des deux piliers de l’essence urbaine pour Cerdà. En passant de l’unité de l’îlot à celle des grands-ensembles se voulant extrêmement denses, l’urbanisme fonctionnaliste de

l’époque moderne a fait de la mobilité non plus un but — la vialidad —, mais le support de la ville, qui commençait à cette époque à connaître des enjeux de congestion et qui devait subséquemment avant tout être fluide.

Dans une optique positiviste à l’égard de l’avancée nouvelle des technologies de la mécanique et de l’automobile, Le Corbusier propose par exemple dans son plan Voisin, de laisser une place particulièrement conséquente à la circulation. Sa maîtrise est, pour l’architecte, un moyen de contrôler la densité et ainsi apporter une meilleure qualité de vie (Dolowy, 2003).

Toutefois, comme l’histoire l’a montré, la séparation spatiale des fonctions, sur laquelle reposait le modernisme, n’a fait que repousser le problème des mobilités et des congestions, encore renforcé par des processus de métropolisation.

Politiques publiques entre aménagement et transport

Depuis l’époque des grands mythes de l’urbanisme mis en exergue plus haut, les politiques d’aménagement se sont elles aussi saisies des enjeux de mobilité, dans une volonté globale de coordination entre ces deux domaines. Les pages qui suivent ont vocations, non moins à passer en revue de manière exhaustive l’ensemble du cadre réglementaire relatif à la problématique, mais à faire le point sur les principaux enjeux de l’articulation entre planification territoriale et transport, ainsi que leurs évolutions récentes. Si ce qui suit met en exergue des exemples européens — largement plus traités dans la recherche —, la section relative au cas d’étude sera l’occasion de présenter spécifiquement les outils montréalais.

Les politiques publiques en matière d’urbanisme et de transport ont beaucoup évolué ces dernières années, en s’adaptant au cadre institutionnel les englobant. Si le projet urbain apparaît comme une modification des systèmes de gouvernance de la ville face aux enjeux libéraux imposés par la société globalisée, la transformation des outils de coordination entre transport et urbanisme tient notamment ses racines dans le contexte de compétition territoriale imposée aux acteurs de la planification. La recherche sur ces questions a fait l’objet de nombreux travaux et l’analyse de plusieurs cas d’étude (Guerrinha & Maksim, 2010 ; Kaufmann & Maksim, 2010 ; Paulhiac, 2004) ont permis de mettre en évidence l’évolution des courants ayant dicté l’action territoriale au croisement entre aménagement et transport ainsi que les transformations des outils de cette action :

En matière de politiques d’aménagement, le XXe siècle est avant tout marqué par le modernisme, dont nous avions vu les fondements au travers de l’exemple de la Charte d’Athènes. Cette période, qui a atteint son apogée dans les décennies 50 à 70, avec des politiques publiques acquises au développement de l’automobile, a vu une montée en puissance de l’idéologie techniciste et prôné des politiques d’aménagement particulièrement sectorisées, à l’image des principes de ségrégation spatiale des activités qu’elle préconise.

Comme tend à le montrer la recherche, cette période s’est traduite par une totale déconnexion des politiques d’aménagement et de transport, qui pouvant même « se contredire » (Ibid., p.231) : cela a engendré de fortes croissances des réseaux routiers tout autour du globe et des démantèlements importants des réseaux de tramway dans les métropoles européennes. En ont résulté globalement un étalement important et une croissance fulgurante de la banlieue.

Cette époque prônait l’image d’une « ville qui doit s’adapter aux transports » (Kaufmann &

Maksim, 2010, p.162).

Au sortir des trente glorieuses, les multiples crises des années 70 ainsi que la montée en puissance de considérations écologiques ont progressivement inversé la vision de l’automobile, dont on commençait à prendre conscience des multiples conséquences négatives. Malgré ce renversement idéologique, qui a bousculé les postulats sur lesquels s’appuyait la planification dans les décennies précédentes, son application s’est avérée particulièrement ardue. La volonté générale notamment de redévelopper l’offre de transports publics s’est soldée par des échecs. En effet, les structures spatiales héritées du modernisme, tout comme les comportements individuels, rendent de plus en plus difficile la mise en pratique d’un tel changement de paradigme : en termes de planification, l’approche sectorisée qui prévalait au milieu du XXe n’a fait que se renforcer dans les années 70 - 80 et dont « il est depuis difficile de s’extraire » (Ibid., p.164).

La fin des années 90 - début 2000 marque toutefois un tournant de la planification et la coordination aménagement - transport. En effet, l’intégration du développement durable comme objectif des politiques publiques n’a fait que complexifier la portée de l’aménagement du territoire, qui doit intégrer des dimensions environnementales et sociales nouvelles. À l’heure où la voiture est devenue « autant indispensable qu’indésirable » (Gallez, 2010a), les défis de la planification n’ont en fait que très peu évolué depuis la fin de la période moderniste. Aujourd’hui pourtant, la nécessité d’y faire face est plus largement reconnue, dans le but d’apporter une plus grande cohérence territoriale. Plus précisément, la recherche a mis en évidence deux enjeux centraux, auxquels ont essayé de répondre les politiques d’aménagement au tournant du dernier millénaire (Gallez, 2010a) : il s’agit de (1) la recherche de l’optimum de l’échelle planificatrice. Face à la complexité latente des cadres institutionnels, la nécessité de pouvoir agir sur un territoire fonctionnel est globalement reconnue. Et (2), la nécessité de coordonner des politiques sectorielles afin d’apporter une stratégie d’action territoriale transversale englobant des thèmes fortement sectorisés jusqu’alors.

Toutefois, le besoin est reconnu de réussir à dépasser la simple mise en compatibilité des documents de planification ou d’éviter le piège de la « standardisation des registres d’action » (Gallez, 2010a, p.220). En effet, il a été montré à quel point les projets de transports publics par exemple pouvaient endosser un rôle de solution universelle : porteurs puissants de l’image d’une ville moderne cherchant à se démarquer dans la compétitivité interurbaine actuelle, leur application trop systématique ne permet pas nécessairement de répondre de manière adaptée aux enjeux spécifiques du territoire (Ibid.). Cela a été le cas pour le projet métropolitain du Grand Paris, qui reste « d’abord un projet de métro » (Delpirou, 2014, p.1),

46

d’aménagement contradictoires en voulant par exemple lutter contre l’étalement urbain tout en appliquant une politique d’augmentation de l’offre routière (Guerrinha & Maksim, 2010).

Gilles Pinson (1998) avait également formulé un constat allant dans ce sens à la fin des années 90 déjà, à travers son analyse comparée de deux agglomérations françaises

— Rennes et Nantes : pour l’auteur, les nouvelles formes de gouvernance dépassant les cadres institutionnels traditionnels amenaient les acteurs de l’urbain à « confondre action concertée et action cohérente » (p.149). Pour ce type de recomposition institutionnelle territoriale, la recherche de cohésion des politiques tendait à supplanter la cohérence des produits finis, qui n’amènent pas plus de coordination intersectorielle.

Face à ces défis et malgré ces constats, plusieurs outils actuels, visant une plus grande cohérence de la planification territoriale, dont l’échec du modernisme a mis en lumière la nécessité, méritent d’être explorés. Voici un léger éclairage sur certains instruments en charge de cette coordination : transversaux, à l’image des plans d’agglomération, encore plus spécifiques comme les TOD ou les Contrats d’Axe.

Instruments transversaux et new regionalism

Les défis soulevés en amont ont amené au début des années 2000 plusieurs renversements dans les politiques d’aménagement — voir ci-contre les exemples suisses et français.

Dans les différents contextes, et c’est également le cas en Amérique du Nord comme nous aurons l’occasion de le voir par la suite, les collectivités publiques ont cherché, face à la compétitivité exacerbée, à développer de véritables projets de ville, au sens qu’a pu en donner Pinson (2006). C’est avant tout par une articulation aménagement - transport renforcée que les politiques publiques ont appliqué l’adaptation nécessaire afin de faire face aux enjeux territoriaux actuels. Dans la ligne des dynamiques du New Regionalism, des « mécanismes et des procédures officieux et flexibles » (Walter & Roy-Baillargeon, 2015, p.18) ont été préférés à des réformes importantes dans le but d’insuffler plus de cohérence territoriale. Ce sont avant tout des outils de gestion transversaux qui sont mis en place, afin de gérer sous une même étiquette les politiques touchant au territoire, et ce, sans nécessairement imposer un cadre strict et arrêté sur les modalités d’exécution (Ibid.).

Toutefois, la recherche soulève plusieurs nuances quant à ces nouveaux outils territoriaux : par exemple, sur la question de leur échelle d’action, bien que l’optimum territorial soit un objectif avéré des planificateurs, cherchant à optimiser leur échelle d’action pour correspondre à la réalité territoriale et se libérer des barrières de l’urbanisme aréolaire, sa réussite peut être remise en doute. En effet, dans la majorité des cas l’échelle institutionnelle appliquée ne relève que d’une décision politique, ce qui questionne la pertinence de ses limites, que certains auteurs jugent inadaptée (Delannoy & al., 2004). De la même manière, une crainte exprimée par la recherche est une considération trop restrictive des périmètres d’action, souvent basée sur un périmètre de migration alternative, comme l’aire urbaine en France.

D’aucuns manifestent des doutes quant à l’application systématique d’une telle définition basée sur une considération purement monocentrique de la ville, qui ne tendrait finalement qu’à se reproduire et se renforcer en contraignant l’action publique (Gallez, 2010a). Sur la question de la mise en cohérence et son application aux différentes échelles d’action, certains auteurs formulent des conclusions pessimistes vis-à-vis des stratégies-cadres de ces outils transversaux : l’imposition d’une vision commune à une échelle fonctionnelle ne suffit pas nécessairement à dépasser la forte fragmentation institutionnelle qui la compose. Elle tendrait même à diminuer la capacité des acteurs des échelles locales à planifier (Messer, 2016).