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La version post-Keynésienne de l’hyperinflation : les écrits précurseurs de Joan Robinson

Explications traditionnelles des phénomènes hyperinflationnistes : approche quantitative

3) L’équation quantitative de Chicago

1.3. L’approche qualitative des hyperinflations

1.3.3. La version post-Keynésienne de l’hyperinflation : les écrits précurseurs de Joan Robinson

Robinson (1938) s’est intéressée aux crises monétaires notamment à l’hyperinflation alle-mande de 1922-1923. Les idées de Robinson sur l’inflation et l’hyperinflation sont synthétisées dans deux articles14. Robinson construit son analyse de l’hyperinflation en mettant au coeur du raisonnement les rôles joués par le conflit de répartition et les variations du taux de change. Comme chez Helfferich, l’offre de monnaie n’est pas la cause de l’hyperinflation (Câmara et Vernengo, 2001).

De plus, elle montre que l’hyperinflation allemande est caractérisée par l’adoption d’une unité de compte extérieure et l’utilisation du dollar américain comme monnaie de refuge. Les écrits de Joan Robinson sur l’inflation ont pu déboucher sur trois phases qu’elle expose dans son article « War-Time Inflation » : « It is possible to distinguish three stages of inflation.

First, a sharp rise of prices relatively to costs of production. Second, progressive inflation of the "vicious spiral", when money-wage rates are raised to compensate the workers for the rise of prices. The rise of wages raises prices further, and so sets up a need for a further rise of wages, and so on and on. Third, the stage of hyper-inflation, when continuously rising prices set up an expectation of further rises, so that a scramble for goods sets in which ends in a complete collapse of the currency. » (Robinson, 1945, p. 89). Selon Joan Robinson, la première phase du

processus inflationniste est gouvernée par les coûts, la cause fondamentale de la hausse des prix est due à l’augmentation des coûts de production (schéma 5).

Ensuite apparait la deuxième phase caractérisée par la spirale prix/salaire qui matérialise le conflit autour du partage du revenu (schéma 5). Dans le même ordre d’idée que Robinson, Kaldor (1946a,b) souligne le rôle du conflit de répartition dans la dynamique de l’hyperinfla-tion hongroise de 1945-1946. Enfin, la troisième et la dernière phase, qui constitue la phase hyperinflationniste est matérialisée par la « destruction de la monnaie ». C’est dans son article

14. Il s’agit de « War-Time Inflation » en 1945 et de « The Economics of Hyper-Inflation » en 1938.

1.3. L’APPROCHE QUALITATIVE DES HYPERINFLATIONS

intitulé : « The Economics of Hyper-Inflation » qu’on retrouve l’analyse la plus approfondie de ces différentes phases. Cet article s’intéresse plus particulièrement à l’hyperinflation allemande des années 1920 dans laquelle apparaît successivement les différentes phases décrites ci-dessus. On peut identifier les deux premières phases à travers le passage qui suit : « Neither exchange

depreciation nor a budget deficit can account for inflation by itself. But if the rise in money wages is brought into the story, the part which each plays can be clearly seen. With the collapse of the mark in 1921, import prices rose abruptly, dragging home prices after them. The sudden rise in the cost of living led to urgent demands for higher wages. Unemployment was low (2 per cent of members of Trade Unions were unemployed August, 1921 ; 0.7 per cent in 1922), profits were rising with prices, and the German workers were faced with starvation. Wage rises had to be granted. Rising wages, increasing both home costs and home money incomes, counteracted the effect of exchange depreciation in stimulating exports and restricting imports. Each rise in wages, therefore, precipitated a further fall in the exchange rate, and each fall in the exchange rate called forth a further rise in wages. » (Robinson, 1938, p. 74). Ainsi selon Robinson, la

dépréciation du mark tout en renchérissant les prix des biens importés, entraîne une hausse des prix intérieurs : on retrouve donc la première phase décrite par Joan Robinson plus haut. L’aug-mentation des prix intérieurs provoquée par la hausse des prix des produits importés entraîne une baisse du salaire réel des travailleurs, ce qui conduit à des revendications salariales afin de compenser l’érosion de leur salaire réel. Si l’augmentation des salaires est accordée, cela conduit à une accélération des prix, car les salaires constituent une charge pour les entreprises. Nous sommes en présence de la deuxième phase exposée ci-dessus : la boucle prix/salaire matérialise le conflit qui oppose les salariés et les entrepreneurs autour du partage du revenu. Le rôle du conflit de répartition dans la dynamique de l’inflation est central, toutefois, la dépréciation du taux de change nourrit elle aussi la spirale inflationniste.

Quant à la troisième phase c’est-à-dire la phase hyperinflationniste proprement dite, Ro-binson (1938, p. 76) donne les caractéristiques de celle-ci. Elle montre que le mark a perdu progressivement ses fonctions de réserve de valeur, de paiement et de compte au profit du dollar américain : « The mark lost the characteristics of money in three stages. By the autumn of 1921

it had ceased to function as a ’store value’. The demand for money to hold disappeared when the expectation of a continuous rise in prices became general. This is one aspect of the increase in velocity of circulation, and marks, as I have suggested, the transition from moderate inflation to hyper-inflation. In the late part of 1922 the mark ceased to function as a "unit account". It

1.3. L’APPROCHE QUALITATIVE DES HYPERINFLATIONS

became more and more common to reckon all prices, and to fix wage rates, with reference to the exchange rate, so that, in effect, the dollar was the unit of account. The mark note never ceased altogether to function as a "medium of exchange", but it was to a large extent displaced by foreign currency and the "stable value" instruments of various kinds which were improvised. »

L’hyper-inflation, selon Joan Robinson, est caractérisée par le développement des pratiques monétaires et financières parallèles. Le dollar américain est de plus en plus utilisé comme réserve de valeur, unité de compte et moyen de paiement (schéma 5). L’analyse de Robinson prend en compte non seulement les facteurs déclencheurs de l’inflation en Allemagne, mais aussi des facteurs qui ont concouru à l’exacerbation de la spirale inflationniste. Quant à l’hyperinflation, Joan Robinson souligne la présence des pratiques monétaires et financières parallèles qui ont consisté en l’uti-lisation d’une monnaie étrangère dans le compte et dans les paiements. Cet aspect des crises hyperinflatonnistes est en adéquation avec notre approche de l’hyperinflation dans la mesure où la monnaie domestique est abandonnée au profit d’une unité de monnaie étrangère.

Kaldor15à l’instar de Robinson (1938) souligne l’importance des pratiques monétaires paral-lèles dans la trajectoire de l’hyperinflation allemande : « Tous ces exemples avaient en commun

que le taux de hausse des prix y avait atteint la dimension d’une « hyperinflation »(plusieurs centaines de pour cent par an) avant de s’arrêter brusquement. Comme les grandes plaies du passé, elles se résorbent d’elles-mêmes, brutalement. La question est de savoir pourquoi. A mon avis - hypothèse dont la vérification nécessiterait beaucoup de recherches - c’est parce que prix et revenus « s’indexent » d’autant plus à l’inflation que celle-ci est galopante. Ainsi en Allemagne en septembre 1923, du journal au salaire quotidien en passant par le billet de train, absolument tout était « indexé » au cours du dollar US sur le marché au jour le jour [...] Si le cours du dollar ne bougeait pas de la journée, les prix et les salaires (exprimés en billions ou trillions de marks) restaient stables ce jour. » (Kaldor, 1985, p. 105). Récemment, ce sont les travaux de

Marie (2014) et Charles et Marie (2016, 2017) qui donnent une version plus aboutie de l’analyse post-Keynésienne de l’hyperinflation. Leur analyse prend en compte des éléments déjà présents chez les précédents auteurs post-Keynésiens comme Joan Robinson et Kaldor. Le conflit de ré-partition constitue la principale source de la hausse initiale des prix, cette dernière conduisant à l’émergence des pratiques d’indexation des prix et des salaires sur le cours du change. La phase ultime c’est-à-dire l’hyperinflation consiste à la substitution de la monnaie nationale par une

15. Il y a aussi les travaux de Carvalho (1991) qui soulignent l’importance des pratiques d’indexation dans la trajectoire des hyperinflations.

1.3. L’APPROCHE QUALITATIVE DES HYPERINFLATIONS

Orléan (2007a) a mis en évidence trois phases dans la dynamique des crises monétaires. Les phénomènes d’indexation constituent la première phase des crises hyperinflationnistes. Il écrit :

« Il y a crise monétaire dès lors que cette conflictualité s’exprime au grand jour et que l’unité de l’espace monétaire se trouve remise en cause [...] Son stade premier est le développement des pratiques d’indexation, à savoir le fait que différents acteurs économiques ne croient plus en l’unité de compte existante et utilisent divers supports pour rédiger leurs contrats. Le stade suivant de la crise est la fuite généralisée devant la monnaie en tant que moyen de réserve et la thésaurisation de nouveaux instruments. Le stade final est le refus pur et simple de la monnaie dans les transactions. » (Orléan, 2007a, p. 9)

Les phénomènes d’indexation sur le change, expression d’une détérioration de l’unité de compte, sont les symptômes permettant de saisir le déclenchement d’une crise monétaire. Dans cette phase, les agents économiques se réfèrent à une unité de compte extérieure et stable pour évaluer les grandeurs économiques. C’est ainsi que les producteurs indexent les prix sur le taux de change. Dans ce cas de figure, les prix suivent le taux de change. Si ce dernier se déprécie alors le taux d’inflation augmente. Ce point de vue est partagé par Salama et Valier (1990, p. 141) : « C’est la substitution de la fonction d’unité de compte qui alimente surtout le processus

hyperinflationniste ». Cette idée est initiée par les auteurs comme Nogaro (1922a) ou Robinson

(1938) dans leurs analyses des crises monétaires intervenues au lendemain de la Première Guerre mondiale.

La deuxième phase d’une crise hyperinflationniste, selon Orléan, est caractérisée par la dé-térioration de la fonction de réserve de valeur de la monnaie. Dans cette phase, la monnaie nationale ne sert plus de réserve de valeur : les agents économiques recherchent d’autres mon-naies plus stables pour la constitution de leur épargne liquide.

Enfin, la dernière phase des crises monétaires est caractérisée par le rejet de la monnaie en tant que moyen de paiement. En définitive, les crises monétaires traduisent une détérioration progressive des fonctions cardinales de la monnaie. Orléan (2007b) a ainsi fourni un indicateur permettant de saisir le rejet de la monnaie nationale. Il s’agit du rapport (M/P), qui évalue la masse monétaire réelle. Une baisse de cet indicateur traduit alors la perte de confiance dans la monnaie : « La variable M/P, en ce qu’elle évalue la quantité de monnaie réelle désirée par

les acteurs économiques, est un bon indicateur pour appréhender, tout au long de la période, les progrès de la crise monétaire. On peut y avoir une mesure grossière du degré de confiance éprouvée par la population allemande pour sa monnaie nationale. » (Orléan, 2007b, pp. 195-96).

1.3. L’APPROCHE QUALITATIVE DES HYPERINFLATIONS

Ainsi, une baisse drastique de cet indicateur signale la progression de la crise monétaire. L’apport de l’approche institutionnaliste est d’avoir mis en évidence le rôle des pratiques monétaires et financières parallèles dans la trajectoire des hyperinflations. Cette approche tient compte non seulement de la détérioration de l’unité de compte domestique, mais aussi de la sub-stitution de celle-ci par une monnaie étrangère dans la dynamique des crises hyperinflationnistes. Un autre apport est d’avoir identifié les facteurs sociopolitiques qui affectent la confiance dans la monnaie et donc les pratiques monétaires des acteurs économiques. Ces éléments qualitatifs sont d’une importance capitale pour la compréhension des phénomènes hyperinflationnistes.

Un autre courant de pensée, le néo-structuralisme, s’est intéressé aux crises monétaires in-tervenues en Amérique latine dès la fin des années 1970. Ils orientent leurs recherches sur les facteurs qui nourrissent ou entretiennent la spirale inflationniste.

1.3.5. Les néo-structuralistes et les crises hyperinflationnistes en

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