• Aucun résultat trouvé

Analyse de l’épisode 2 de la crise monétaire hongroise de 1921-1924

Tensions politiques, sociales et crises hyperinflationnistes : le cas hongrois de

3.3. FAITS STYLISÉS ET ANALYSE DE L’ÉPISODE 2 DE L’HYPERINFLATION HONGROISE (1921-1924)

3.3.3. Analyse de l’épisode 2 de la crise monétaire hongroise de 1921-1924

Dans cet épisode, la couronne va d’abord être rejetée dans sa dimension de réserve de valeur, ce qui va engendrer une série de dépréciation du taux change. Cette dépréciation va, à son tour, alimenter la hausse des prix en Hongrie, ce qui va déboucher sur les pratiques monétaires telles que l’utilisation d’une monnaie étrangère dans le compte et dans le paiement.

De la hausse des prix à la détérioration de l’unité de compte domestique (1921-1923)

L’idée développée précédemment est que la fuite devant la couronne a entraîné une dépré-ciation du change et un ralentissement de l’activité économique provoquant ainsi des tensions inflationnistes. Deux facteurs sont essentiels pour comprendre le déclenchement des prix en Hon-grie. Il s’agit de la hausse des coûts liés à l’importation des biens (dépréciation du change), et de l’insuffisance de la production nationale. Nous avons souligné plus haut la forte progression des importations de biens en Hongrie entre 1921 et 1923. Or pendant cette période, la Hon-grie enregistre des dépréciations continuelles de son taux de change. Ce faisant, les coûts liés à l’importation des biens et services augmentent, d’où une hausse des prix intérieurs26. Ainsi, le paysage économique hongrois est marqué par une insuffisance de production, et surtout par une hausse des coûts de production. Cela explique les tensions inflationnistes enregistrées en Hongrie à partir du second semestre de l’année 1921. Dans cette phase marquée par une forte propension à importer, le lien entre le taux de change et les prix s’explique via la hausse des coûts des biens importés. Toutefois, la forte hausse des prix observée entre juin 1922 et février 1924 ne peut être liée uniquement à la baisse de la production et à la hausse des coûts à l’importation. Il est donc important de tenir compte de la présence de certaines pratiques monétaires.

La hausse des prix qui s’est amorcée depuis juin 1921 n’est pas sans conséquence sur la stabi-lité de l’unité de compte. En effet, cette dernière s’est détériorée avec l’augmentation continuelle des prix. Ainsi, la capacité de la couronne à évaluer correctement les grandeurs économiques est remise en cause. La hausse durable des prix fragilise la cohérence des prix relatifs, d’où une in-stabilité de l’unité de compte. De ce fait, les agents économiques développent d’autres pratiques

26. Mitzakis (1925) aboutit au même résultat dans son analyse de l’hyperinflation hongroise.

3.3. FAITS STYLISÉS ET ANALYSE DE L’ÉPISODE 2 DE L’HYPERINFLATION HONGROISE (1921-1924)

monétaires. En Hongrie, des monnaies étrangères ou des biens vont être utilisés comme unité de compte, notamment dans les opérations de prêts (Fenyo, 1923). De même, dans la fixation des prix, les agents économiques préfèrent utiliser des devises ou des biens en lieu et place de la couronne. De tels constats ont été faits par (Mitzakis, 1925, p. 176) : « Les prix en blé,

cou-ronne or, dollar se généralisaient de plus en plus ». Ces faits témoignent d’un rejet de l’unité

de compte domestique et officielle, qui est abandonnée au profit des monnaies étrangères et des biens. L’abandon de la monnaie domestique par les agents économiques apparaît alors comme le signe d’une crise de souveraineté monétaire27.

Les pratiques d’indexation ont des répercussions sur les prix intérieurs, car ces derniers suivent le cours du change. Or ce contexte est marqué par une dépréciation continuelle du taux de change. Ce faisant, le rythme de croissance des prix augmente. Le taux d’inflation mensuel atteint 97,9% en juillet 1923 (graphique 3.5). Graphiquement, on observe une forte sensibilité entre le taux de change et les prix à partir d’avril 1922 (graphique 3.5). Cette forte sensibilité entre ces deux variables atteste de la présence de phénomène d’indexation en Hongrie : les prix suivent l’évolution du change. Le lien entre les prix et le taux de change dans ce contexte de rejet de l’unité de compte est différent de celui généralement observé et mis en avant précédemment. Ainsi, lorsque l’unité de compte est rejetée, le lien entre le taux de change et les prix s’explique doublement28

.

27. Voir à ce sujet Théret (2007a,b) sur les différents types de crises monétaires. 28. Cette question sera traitée dans le chapitre 6.

3.3. FAITS STYLISÉS ET ANALYSE DE L’ÉPISODE 2 DE L’HYPERINFLATION HONGROISE (1921-1924)

s’intensifie, si bien que la dépréciation de la monnaie s’accélère entre 1922 et 1924. Malgré l’instauration en août 1922 d’une institution30 chargée de réguler le marché des changes, la dépréciation du change ne s’estompe pas, au contraire, elle s’accélère. Cela témoigne non seule-ment d’une démission des autorités hongroises dans la défense de la couronne, mais aussi d’un assèchement des réserves de devise. Pour lutter contre l’utilisation des monnaies étrangères dans les transactions intérieures, deux principales mesures ont été prises par les autorités hongroises. Il s’agit des amendes et des condamnations pénales (Mitzakis, 1925). Malgré ces mesures, la demande de devise augmente ; ce qui témoigne d’un rejet de la monnaie couronne.

Par ailleurs, l’utilisation du dollar américain dans le compte incite les acteurs économiques à détenir les moyens de paiement ayant la même unité la monnaie concurrente. Dans certains cas, les transactions se réalisent directement dans une unité de paiement étrangère. Les acteurs économiques recherchent de plus en plus la monnaie étrangère et l’utilise comme unité de paie-ment d’où une hausse de la demande de devise. Mitzakis (1925, p. 120) fait état d’un rejet de l’unité de paiement domestique entre la fin de l’année 1923 et le début de l’année 1924 : « Cette

pratique apparaît à un stade d’inflation déjà avancé, en l’espèce, on a pu l’observer en Hongrie dans le premier semestre de 1923 et de 1924. Elle a consisté d’abord à majorer tous les prix de gros et de détail d’un coefficient représentant les risques de dépréciation à venir, puis à relever continuellement les conditions d’achat et de vente des denrées suivant les à-coups observés dans la cote de change. Dès que la vitesse de dépréciation monétaire a commencé à rendre ces hausses vaines, les transactions en devises appréciées, céréales, etc., ont fait leurs apparitions. »

Après les pratiques d’indexation sur le cours de change, les acteurs économiques ont utilisé des unités de monnaie étrangère dans les paiements. Elles se poursuivent jusqu’en début d’année 1924 : « La crise de février 1924 avait fait perdre toute confiance au public dans la monnaie

nationale et des transactions importantes se traitaient couramment depuis cette époque en sokols, en blé, et en dollar. » (Mitzakis, 1925, p. 280). L’étude de cet épisode 2 met en évidence le rejet

de la couronne ; autrement dit, des unités de paiement étrangères et des biens ont été utilisés dans les transactions intérieures. L’utilisation de devises dans les paiements s’est traduite par une forte demande de devise, ce qui a nourri la crise de change. Cette fuite devant la monnaie s’observe à travers une baisse de la masse monétaire réelle (graphique 3.6). Face à cette crise de souveraineté monétaire, les autorités hongroises mettent en place une réforme monétaire et financière afin de restaurer la couronne. C’est ainsi qu’une nouvelle unité de compte est mise en

Outline

Documents relatifs