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De la théorie du revenu à la théorie positive de la monnaie : le rôle des prévisions

Précurseurs méconnus de l’approche qualitative : les théories positives de la

2.1. Fondements de la théorie positive de la monnaie d’Aftalion

2.1.3. De la théorie du revenu à la théorie positive de la monnaie : le rôle des prévisions

La théorie psychologique de la monnaie est un prolongement de la théorie de revenu. Cette théorie a permis à Aftalion de combler les lacunes de la théorie du revenu. Celle-ci fournit de nouveaux fondements à la valeur de la monnaie ; le change est à la fois un « facteur quantitatif

et qualitatif » de la valeur de la monnaie : « La valeur sociale de la monnaie va résulter de ces appréciations individuelles [...] De la valeur sociale de la monnaie, fait objectif, nous remon-tons alors à sa valeur individuelle, aux mobiles internes, subjectifs, qui constituent le véritable fondement de la valeur de la monnaie [...] Dans ce fondement de la valeur individuelle de la monnaie, de même qu’au premier degré de l’explication, entrent des éléments quantitatifs et des éléments qualitatifs. » (Aftalion, 1948, pp. 388-91). La valeur de la monnaie provient des « appréciations individuelles » que les agents économiques ont de la monnaie nationale. Ces

appréciations individuelles ont deux composantes : l’une quantitative et l’autre qualitative. D’un point de vue quantitatif, la valeur de la monnaie dépend du revenu que chaque agent économique reçoit. Et, plus le revenu global en termes monétaires est élevé moins la monnaie a de la valeur. Il existe donc une relation décroissante entre le revenu et la valeur de la monnaie (Dangel-Hagnauer, 2002). Les prévisions constituent, dans la théorie psychologique, le facteur qualitatif permettant d’appréhender la valeur de l’unité monétaire. Aftalion associe à chaque régime monétaire les déterminants des prévisions. Les prévisions des agents économiques dé-pendent de l’évolution du taux de change : « Au cas d’inconvertibilité, le facteur du changement

des prévisions consiste surtout dans le change. C’est par les prévisions tenant aux variations du change que nous avons expliqué les variations des prix dans les pays où la dépréciation de la monnaie avait été extrêmement forte quelques années après la guerre de 1914. Dans le cas de la monnaie d’or ou d’argent, de billet convertible, les prévisions jouent un rôle beaucoup plus faible quant aux variations de la valeur de la monnaie tenant à la monnaie. » (Aftalion, 1948,

pp. 393-94). Selon Aftalion, le change est l’indicateur par le biais duquel les agents économiques forment leurs prévisions. Ainsi, une variation du change se traduit par une modification des prévisions, d’où une variation de la valeur de la monnaie. Par ses actions quantitatives et qua-litatives, la dépréciation du change conduit à des flambées de prix. Grâce à ces amendements faits à la théorie du revenu, Aftalion est désormais en mesure de donner une explication aux crises monétaires.

2.1. FONDEMENTS DE LA THÉORIE POSITIVE DE LA MONNAIE D’AFTALION

La théorie psychologique de la monnaie a permis à Aftalion d’expliquer les tensions infla-tionnistes observées en Allemagne après la Première Guerre mondiale. L’Allemagne fait partie d’ailleurs des cas dans lesquels la théorie du revenu était invalide. À ce sujet, il affirme que :

« l’action des facteurs psychologique est devenue quasi exclusive » (Aftalion, 1948, p. 312). C’est

le taux de change qui conditionne la psychologie des agents économiques. En d’autres termes, il oriente leurs décisions : « Le facteur psychologique en action tendait à être de plus en plus

la prévision. Comme on avait trop fréquemment constaté en Allemagne qu’au fléchissement du mark succédait une ascension des prix, on a admis, on a prévu de plus en plus que toute déprécia-tion du mark devait déterminer une diminudéprécia-tion du pouvoir d’achat intérieur de la monnaie, une hausse des prix. Cette prévision d’une hausse future accélérait la hausse, finissait par la rendre immédiate. La montée des prix s’accomplissait instantanément à toute variation du change, sans intervention des revenus, par une dépréciation directe de la monnaie. » (Aftalion, 1948, p. 309).

En fait, selon Aftalion, la prévision est le « facteur psychologique » par lequel la dépréciation du change entraîne une augmentation des prix, car par expérience les agents économiques savent qu’une dépréciation du change conduira à une baisse du pouvoir d’achat de la monnaie domes-tique.

Mais comment la hausse des prix se manifeste-t-elle concrètement ? Pour ce faire, Aftalion opère une distinction entre les prix d’achat et les prix de rachat. Selon lui, les prix pratiqués par les offreurs pendant les périodes de haute inflation dépendent non pas du prix d’achat, mais du prix de rachat des biens. Il développe à cet effet ce qu’il appelle la « politique de prix de

remplacement » pour appréhender l’impact des « facteurs psychologiques » sur les prix. Ainsi,

les « politiques de prix de remplacement » consistent à fixer les prix en fonction du « prix de

remplacement », c’est-à-dire du prix de rachat des biens. Ce dernier dépend de l’évolution du

cours du change. En effet, si la monnaie nationale se déprécie cela signifie que la valeur future des recettes va baisser. Dès lors, ils augmentent le prix des biens disponibles dans l’espoir de se réapprovisionner dans le futur. Cette stratégie nourrit la spirale inflationniste : « Ils vendent

aux prix auxquels ils peuvent eux-mêmes racheter leurs marchandises. Ou même à des prix tenant compte de la hausse qu’ils prévoient comme conséquence des baisses nouvelles du change national. Même les vendeurs de produits domestiques prévoient les conséquences des baisses du change et majorent leurs prix [...] Ils se basent non sur les prix auxquels ils avaient acheté, mais sur les prix auxquels ils pensent qu’il faudra racheter demain, après-demain, au moment où ils procéderont au réapprovisionnement du magasin. » (Aftalion, 1948, p. 309). Il montre comment

2.1. FONDEMENTS DE LA THÉORIE POSITIVE DE LA MONNAIE D’AFTALION

la dépréciation du change peut agir directement sur les prix via les facteurs psychologiques. Dans la pratique, ce sont les « politiques des prix de remplacement » menées par les offreurs qui nourrissent les tensions inflationnistes. Les offreurs indexent leurs gains sur le niveau des prix futurs — ce dernier dépend de l’évolution du change. Ces pratiques d’indexation mettent en exergue une défiance des agents économiques à l’égard de l’unité de compte domestique7

, mais pas un rejet de cette dernière. En effet, dans le processus décrit par Aftalion, les agents économiques continuent d’évaluer leurs gains réels dans l’unité de compte domestique. Raison pour laquelle les gains sont indexés sur les prix futurs.

Les prix ne sont plus expliqués par le comportement du consommateur (théorie du revenu) mais par le comportement du vendeur (théorie psychologique ou positive de la monnaie). Lorsque ce dernier anticipe une baisse de la valeur réelle des gains, il augmente les prix afin de se protéger de la baisse du pouvoir d’achat de la monnaie. Tant que le taux de change va se déprécier, les vendeurs vont anticiper une érosion de leurs gains, ce qui va nourrir la hausse des prix : « Le

change devient l’indicateur des prix, le baromètre de la valeur intérieure de la monnaie sur lequel tout le monde a les yeux fixés. Ce n’est ni par l’intermédiaire de la vitesse de circulation comme le voudrait la théorie quantitative, ni par l’intermédiaire des revenus comme le voudrait la théorie du revenu, que la dépréciation intérieure de la monnaie a lieu. C’est directement que cette dépréciation, que la hausse des prix suit la dépréciation extérieure. » (Aftalion, 1948, p.

247). La double relation entre le change s’explique, d’une part, à travers la variation du revenu. Une dépréciation du taux de change entraîne une hausse des revenus et des dépenses, ce qui conduit à un accroissement des prix. D’autre part, la relation change-prix s’explique via les prévisions. En effet, lorsque le taux de change se déprécie, les acteurs économiques prévoient par là une diminution du pouvoir d’achat de la monnaie domestique, ce qui fait que les offreurs augmentent leurs prix afin d’éviter l’érosion de leurs gains réels exprimés en monnaie nationale.

2.1.4. La théorie psychologique du change d’Albert Aftalion

Après avoir exposé les nouveaux fondements de la valeur de la monnaie, Aftalion cherche à expliquer les facteurs explicatifs du change. Il souligne les insuffisances des théories tradition-nelles du change. Fidèle à sa méthode, l’auteur confronte, la théorie de la parité des pouvoirs d’achat et la théorie de la balance des comptes aux faits. Il montre que dans certains cas, il y a

7. Voir à ce sujet Orléan (2011) sur la théorie psychologique d’Aftalion.

2.1. FONDEMENTS DE LA THÉORIE POSITIVE DE LA MONNAIE D’AFTALION

eu dépréciation du taux de change bien que le solde de la balance des comptes soit positif : c’est le cas par exemple de France entre 1922 et 1924. Quant aux limites de la théorie de la parité des pouvoirs d’achat, la théorie psychologique d’Aftalion exposée plus haut constitue en elle-même une remise en cause de la théorie de la parité des pouvoirs d’achat ; car selon Aftalion, ce sont les variations futures du taux de change qui détermine le niveau des prix. Dans ce cas, quels sont les déterminants du taux de change ?

Selon Aftalion, le change possède des fondements psychologiques. Comme dans le cas de la monnaie nationale, Aftalion montre que la valeur de la monnaie étrangère a deux facteurs étroitement liés, qui eux-mêmes sont fonctions des « appréciations individuelles » des agents économiques. Il s’agit, d’une part, des facteurs quantitatifs et, d’autre part, des facteurs quali-tatifs. Les facteurs qualitatifs sont essentiellement « la confiance » et « les prévisions » : « À la

lumière des expériences monétaires contemporaines on insiste souvent sur la grande importance en matière de change de ce qu’on appelle le facteur psychologique, la confiance, les prévisions. »

(Aftalion, 1948, p. 493). La valeur d’une monnaie étrangère comme une monnaie nationale est fonction de leurs pouvoirs d’achat futurs, de leurs attentes dans le futur. Le taux de change va être fonction des « appréciations individuelles » des unités monétaires nationales et étrangères. Cette attente ou l’utilité de cette dernière va dépendre de la quantité de devise détenues par les agents économiques. C’est en sens qu’Aftalion mobilise la « loi de l’utilité décroissante » afin d’intégrer les facteurs quantitatifs dans sa théorie psychologique du change. Cette loi implique que l’utilité de la monnaie étrangère diminue avec la quantité de devises détenue par les agents économiques. Plus une monnaie étrangère est rare, plus son utilité est grande, et plus sera élevé le prix de la monnaie étrangère : « le prix qu’on consent à payer pour le nombre d’unités

correspondant dépend de ce qu’on attend de de la dernière unité. » (Aftalion, 1948, p. 492). Dans

le cas du marché des changes, cette loi implique que la valeur de la monnaie étrangère augmente avec l’utilité de cette dernière. La quantité de monnaie nationale nécessaire pour acquérir une unité de devise augmente avec l’utilité découlant de la détention de la monnaie étrangère. Afin d’illustrer ses propos, Aftalion évoque le cas de la France : « Les véritables causes des mouvements

du change en 1925-1926 doivent être cherchées ailleurs que dans la balance des comptes ou que dans la circulation monétaire et les variations du pouvoir d’achat intérieur du franc. Le grand facteur des mouvements du change a encore été le facteur psychologique, la confiance plus ou moins grande dans le franc et son avenir. Mais cette fois, c’est la politique intérieure française qui a déterminé les variations de la confiance dans le franc. Politique intérieure, d’une façon

2.1. FONDEMENTS DE LA THÉORIE POSITIVE DE LA MONNAIE D’AFTALION

générale, mais plus particulièrement politique financière, politique fiscale [...] La fuite devant la monnaie se combine avec la fuite devant le fisc. L’exportation des capitaux prend d’énormes proportions. On recherche à tout prix les monnaies étrangères, titres étrangers pour se prémunir à la fois contre la baisse escomptée du franc et contre les exigences de la fiscalité. Le cours des changes étrangers s’élève fortement. » (Aftalion, 1948, p. 449). Nous pouvons affirmer qu’il y a

une relation décroissante entre l’utilité d’une devise et la confiance dans une monnaie nationale. Si cette dernière se dégrade, la monnaie étrangère va avoir une utilité élevée, ce qui va entraîner une dépréciation du taux de change.

En prenant pour fondement la théorie du revenu de Wieser, Aftalion aboutit à une théorie psychologique de la monnaie. Le cours de change constitue une variable essentielle de sa théorie. Le taux de change à un caractère à la fois quantitatif et qualitatif. En effet, la dépréciation du taux de change entraîne une hausse du revenu, ce qui provoque une augmentation de la demande des biens, d’où une hausse des prix. Cela constitue une première version de la théorie psychologique de la monnaie. Mais, lorsque la fluctuation des prix devient persistante alors les anticipations sur l’évolution du change sont primordiales. Les prévisions quant à la baisse du pouvoir d’achat de la monnaie sont faites sur la base de l’évolution du taux de change. Dans cette seconde version, le lien entre le taux de change et les prix est direct. Telle est l’essence de la théorie psychologique ou positive de la monnaie. Aftalion fait état d’une défiance de l’unité de compte, mais cette dernière n’est pas rejetée. Il n’y a donc pas de développement de pratiques monétaires parallèles. De ce fait, l’analyse proposée par Aftalion permet de comprendre les périodes de haute inflation, mais pas l’hyperinflation.

Toutefois, il est important de souligner qu’Aftalion n’est pas le seul économiste français de son époque à mettre en exergue le rôle du change dans la trajectoire des crises monétaires intervenues aux lendemains de la Première et de la Seconde mondiale ; Nogaro, un autre économiste français, contemporain d’Aftalion, souligne lui aussi le rôle prépondérant du change dans la trajectoire des phénomènes monétaires. Sa version de la théorie positive intègre le rejet de l’unité de compte et donc les pratiques monétaires parallèles dans la compréhension des crises hyperinflationnistes.

2.2. THÉORIE POSITIVE DE LA MONNAIE DE NOGARO : CONTRIBUTION À

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