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Réforme financière, « fuite devant la monnaie » et dépré- dépré-ciation du change

Tensions politiques, sociales et crises hyperinflationnistes : le cas hongrois de

3.3. FAITS STYLISÉS ET ANALYSE DE L’ÉPISODE 2 DE L’HYPERINFLATION HONGROISE (1921-1924)

3.3.2. Réforme financière, « fuite devant la monnaie » et dépré- dépré-ciation du change

Pour comprendre l’instabilité persistante du change entre 1921 et 1924, nous mettons en avant les facteurs d’ordres financiers et économiques qui ont affecté l’offre et la demande de devise. En premier lieu, il y a la réforme financière hongroise menée en 1921 ; cette réforme menée par Roland de Hegedus, ministre des Finances à l’époque mérite une attention particulière, au regard de sa particularité et des conséquences que celle-ci a pu produire. En effet, l’objectif de cette réforme est d’engranger le maximum de ressources nécessaires pour financer les dépenses publiques sans avoir recours à la « planche à billets » (Mitzakis, 1925). Pour ce faire, les autorités

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s’orientent vers les revenus et les avoirs des agents économiques déposés dans les établissements bancaires. Ainsi, tous les dépôts dans les comptes courants et d’épargnes ont été imposés ; cet impôt est de 5% pour les montants supérieurs à 1000 couronnes et de 20% pour les montants supérieurs à 100000 couronnes (Mitzakis, 1925). Telle est la principale caractéristique de la réforme financière hongroise. Nous nous proposons d’analyser successivement l’impact de cette réforme sur le paysage politique et social puis sur le plan économique et monétaire.

Il est important de mentionner que cette réforme financière n’a pas l’adhésion de tous les groupes socioéconomiques. Le secteur agricole22 lance le mouvement de contestation : « Les

agrariens hongrois n’ont pas cessé de battre en brèche le système devant le Parlement, et ce qui est infiniment plus grave, ils ont opposé au recouvrement de l’impôt une résistance passive générale contre laquelle le fisc s’est trouvé impuissant. » (Bulletin Quotidien d’Information Économique,

1922, p. 2). Ce constat met en lumière l’absence d’un compromis politique en Hongrie nécessaire à la stabilité économique et monétaire. Le projet de réforme est rejeté par les agriculteurs ; ces derniers refusent tout compromis avec le gouvernement. Il s’en suit des tensions politiques autour du programme financier ; cette contestation des agriculteurs compromet la réussite de la réforme financière, et ce d’autant plus qu’ils sont rejoints par d’autres secteurs économiques.

La contestation gagne les autres secteurs de l’économie tels que l’industrie et le commerce. La défiance des différents secteurs de l’économie à l’égard de la ligne politique du gouverne-ment entraîne d’importants déséquilibres sur le plan économique, notamgouverne-ment sur le marché de change : « Devant les efforts des agrariens pour faire abroger la loi fiscale, les autres groupements

économiques réclament le remboursement intégral des sommes qui leur ont été demandées à ce titre. Les batailles politiques les plus âpres se livrent sur ce terrain fiscal, et l’on peut imputer à M. Hegedus, cette tournure que prennent les luttes de parti, car lorsque les impôts atteignent un poids excessif, il est indispensable qu’ils soient administrés par un gouvernement fort et stable, sinon ils deviennent la rançon des partis vaincus. » (Bulletin Quotidien d’Information

Écono-mique, 1922, p. 2). Ce constat est partagé par Mitzakis (1925, p. 159) : « Devant l’attitude des

milieux agricoles, le commerce (déjà éprouvé par une taxe sur le chiffre d’affaires de 3%) et l’industrie ont réclamé le remboursement des sommes qu’ils avaient payées au titre du nouvel impôt. Tout ce désordre s’est traduit dans le domaine politique par des violences et des luttes parlementaires qui ont préparé au dehors la hausse inverse des changes étrangers. »

22. Vu l’ampleur de la contestation, il semble que ce sont les grands propriétaires terriens qui ont lancé le mouvement de contestation.

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Orchestrée par les agriculteurs, la contestation gagne les autres secteurs et devient générale. Les tensions politiques s’exacerbent ; la démission du ministre des Finances en août 1921, prin-cipal artisan de cette réforme, souligne l’ampleur des tensions politiques et la forte mobilisation contre ce programme financier : la légitimité de ce gouvernement est remise en cause. Ce faisant, ces tensions politiques vont se traduire sur le plan monétaire par une perte de confiance dans la couronne. Les pratiques financières vont être orientées vers une devise étrangère. Dès lors, la demande des devises augmente, ce qui entraîne un choc sur les marchés des changes au second semestre de l’année 1921. Ainsi, les tensions politiques et sociales tout en détériorant la confiance dans les autorités, vont contribuer à la hausse de la demande de devise, ce qui va conduire à une dépréciation du change.

Les facteurs spécifiques au pouvoir d’achat des agents économiques sont tous aussi importants pour mettre en relief cette série de dépréciation de change enregistrée en Hongrie. Il s’agit principalement du poids des impôts sur les avoirs des agents économiques. En effet, pour éviter une baisse de leurs avoirs, les agents économiques ont non seulement retiré leurs avoirs des banques, mais ils les ont convertis en monnaies étrangères : « Devant la menace de l’impôt, les

milieux agricoles ont opéré le retrait presque total de leurs dépôts dans les banques. L’évasion des capitaux, leurs transformations en monnaies étrangères et une thésaurisation intense ont aussi préparé la pénurie ultérieure des liquidités et crédits et la grande crise économique de 1923-1924. » (Mitzakis, 1925, pp. 159-60). Ces pratiques financières parallèles des acteurs économiques

ont des impacts sur le marché des changes et sur l’activité économique.

La conversion des couronnes en devises va provoquer des demandes de monnaies étrangères ; celles-ci vont être utilisées dans l’épargne des acteurs économiques, ce qui va déboucher sur une pression sur les marchés des changes. Dès lors, le taux de change va augmenter considérablement ; le graphique 3.4 illustre la relation entre fuite devant la monnaie et dépréciation du change. Les avoirs disponibles dans les comptes courants et d’épargnes baissent par rapport à la masse monétaire totale. Ceux-ci ont fluctué autour de 10% de la masse monétaire totale entre septembre 1921 et janvier 1924. Les groupes socioéconomiques, notamment les agriculteurs, se sont servis du marché des changes pour se débarrasser de leurs unités de couronne, ce qui a entraîné une dépréciation du taux de change. Le cours du change est passé de 247 couronnes pour un dollar américain en juin 1921 à 944 en novembre 1921 ; c’est le début d’une longue série de dépréciation de la monnaie domestique.

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de comprendre en grande partie la dépréciation qui a eu lieu au premier semestre de l’année 1921. Toutefois, il est important de mentionner d’autres facteurs économiques relatifs aux échanges extérieurs et aux transactions internationales. Notons avec Fellner (1924a) que le déficit des comptes extérieurs s’élève à 293,56 millions de couronnes-or, avec un déficit commercial de près de 214 millions de couronnes-or. En 1923 et en 1924, le solde des comptes extérieurs reste toujours négatif, mais baisse par rapport à celui de 1922. De même, le solde commercial reste négatif entre 1923 et 1924 (tableau 3.3). Puisque les devises sont nécessaires pour l’importation des biens et services, le déficit commercial s’est traduit par des sorties de devise, ce qui a entraîné des pressions supplémentaires sur le marché des changes. Quant aux réserves de devise, celles-ci restent insuffisantes du fait de la faiblesse du niveau des exportations et des entrées de capitaux à l’exception de l’année 1924 où la Hongrie obtient un prêt international de près de 250 millions de couronnes-or24

. Deux facteurs ont entraîné la hausse de la demande de devise en Hongrie. Il y a d’abord les facteurs d’ordre économique, c’est-à-dire l’achat d’importants volumes de biens importés. Ensuite, il y a les pratiques financières parallèles des agents économiques qui se sont traduites par l’utilisation des devises dans l’épargne. Du côté de l’offre de devise, il y a la faible entrée des devises due à la dégradation du solde commerciale.

Tableau 3.3 – L’évolution de la balance des comptes de la Hongrie entre 1923 et 1924 (en millions de couronnes-or)

1923 1924

Crédit Débit Balance Crédit Débit Balance Marchandises 339,1 428,1 -89 575,6 706,9 -133 Lingots, espèces et billets 7,1 0,1 6 1,1 0,3 0,8 Mouvements des capitaux 37,1 24,7 12,4 275,4 179,7 95,7 Intérêts et dividendes 6,6 2,2 4,4 9,4 23,2 -13,8

Divers 38 33 5 42,3 29,9 12,4

Totaux 427,9 488,1 -60,2 903,8 940 -36,2 Source : Données25 de Société des Nations (1926)

24. Voir Fellner (1925) sur la question du prêt international accordé à la Hongrie.

25. Les crédits sont les entrées de devises alors que les débits sont les sorties. La balance est la différence entre les crédits et les débits. Par exemple, pour les marchandises, les crédits constituent les exportations alors que les débits constituent les importations ; la balance désigne le solde commercial.

3.3. FAITS STYLISÉS ET ANALYSE DE L’ÉPISODE 2 DE L’HYPERINFLATION HONGROISE (1921-1924)

3.3.3. Analyse de l’épisode 2 de la crise monétaire hongroise de

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