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Révolution bolchévique, remise en cause de l’autorité poli- poli-tique et coexistence de deux monnaies

Tensions politiques, sociales et crises hyperinflationnistes : le cas hongrois de

3.2. Faits stylisés et analyse de l’épisode 1 de l’hyper- l’hyper-inflation hongroise (1919-1924)

3.2.1. Révolution bolchévique, remise en cause de l’autorité poli- poli-tique et coexistence de deux monnaies

Lorsque les Bolchéviques prennent le pouvoir le 21 mars 1919, la Banque Centrale située en Autriche refuse de mettre en possession des révolutionnaires des couronnes austro-hongroises pour le fonctionnement de l’économie hongroise : « L’imprimerie des billets de banque était

à Vienne [...] La banque d’émission refusa à la Hongrie prolétarienne tout nouveau crédit, et néanmoins il fallait se procurer de l’argent pour faire face aux dépenses de l’État. » (Varga,

1922, p. 171). N’ayant pas accès aux couronnes austro-hongroises, les Bolchéviques émettent une nouvelle monnaie appelée « couronne blanche7» (Varga, 1922). Cette monnaie est contestée

par les agriculteurs — ces derniers refusent l’utilisation de ces unités de monnaie blanche ; ils préfèrent utiliser les unités de monnaie bleue, c’est-à-dire la couronne austro-hongroise dans les transactions intérieures. Cette dernière avait cours légal en Autriche et en Hongrie avant l’arrivée des Bolchéviques. La monnaie bleue est émise par la Banque Centrale austro-hongroise située en Autriche.

Le refus de la couronne blanche de la part des agriculteurs peut s’expliquer par des facteurs d’ordres politiques et institutionnels. En effet, certaines mesures prises par les Bolchéviques ont dégradé les relations entre ces révolutionnaires et le secteur agricole : « La plus grosse erreur

a été d’attribuer les terres confisquées aux grands propriétaires à des coopératives alors que les paysans et le prolétariat agraire s’attendent à leur distribution8. » (Molnár, 1996, p. 335). Cette

confiscation des terres explique pourquoi les mesures prises par les révolutionnaires vont être remises en cause par les agriculteurs (grands exploitants et petits producteurs indépendants). Il y a d’un côté la frustration des grands propriétaires terriens qui ont été dépossédés de leurs terres. De l’autre côté, il y a les petits propriétaires déçus de n’avoir pas reçu les propriétés confisquées par les révolutionnaires. À l’époque de la révolution, la population agricole représentait environ 67% de la population totale (Teleki, 1923).

Dans cette période révolutionnaire, nous voulons particulièrement insister sur la réaction des agriculteurs face aux mesures prises par les révolutionnaires. De fait, l’introduction de cette

nou-7. Elle est appelée ainsi, car cette monnaie était imprimée sur du papier blanc, voir à ce sujet Young (1925).

8. Pour plus de détails sur la question de la réforme agraire en Hongrie, voir Mattyasovszky (1925).

3.2. FAITS STYLISÉS ET ANALYSE DE L’ÉPISODE 1 DE L’HYPERINFLATION HONGROISE (1919-1924)

velle monnaie constitue un moyen pour les Bolchéviques d’évincer la couronne austro-hongroise principale unité monétaire avant la prise de pouvoir des révolutionnaires. Le refus de la mon-naie légale est un moyen pour le secteur agricole de mettre en cause la légitimité et l’autorité des révolutionnaires. Le secteur agricole contestant l’autorité des Bolchéviques et les idéaux ré-volutionnaires va refuser la monnaie blanche9. Les agriculteurs refusent tout paiement dans la monnaie blanche ; et n’acceptent que la couronne austro-hongroise, c’est-à-dire la monnaie bleue, ce qui va se traduire par une coexistence de monnaies pendant le régime révolutionnaire (Varga, 1922).

Sur le plan opérationnel et technique, plusieurs éléments ont ébranlé la confiance dans la monnaie blanche. En effet, cette dernière était facilement falsifiable (Lampland, 2016), ce qui a fragilisé la confiance dans la couronne blanche. De plus, l’absence d’une Banque Centrale autonome10

a rendu la gestion de cette monnaie très difficile. Ces défaillances techniques et institutionnelles combinées au déficit de légitimité de l’autorité politique ont renforcé la défiance dans la monnaie blanche. Ces faits mettent en relief la question de l’acceptation et de la confiance dans la monnaie. En effet, la couronne blanche n’est pas acceptée de manière régulière dans les paiements, elle n’est pas acceptée par une grande partie des acteurs économiques, cela traduit une crise de « confiance méthodique11». Cette détérioration de la confiance méthodique est due à

l’illégitimité du pouvoir politique et des autorités monétaires. Dans notre cas, le nouveau régime politique n’a pas l’adhésion de tous les acteurs économiques ; le secteur agricole ne partage pas les valeurs et idéaux des Bolchéviques. C’est ce que nous dit Varga (1922) : « Il se forma un

« disagio » entre la « monnaie blanche » et la « monnaie bleue », « disagio » résultant d’un niveau moins élevé des prix dans les Etats limitrophes de la Hongrie ainsi que du refus des paysans, — provoqué en partie par leur esprit conservateur et en partie par leurs opinions

9. Ce caractère sociopolitique de la monnaie a été souligné très tôt par Orléan (1980, p. 271) : « Le fractionnement de l’espace monétaire est la forme la plus achevée de remise en cause du pouvoir monétaire. On voit comment une monnaie, ne respectant pas les contraintes de reproduction du lien social, finit par être rejetée hors de la circulation. » .

10. Il s’agit de l’ensemble des services de la Banque Centrale et pas seulement l’impression des billets de banque.

11. Selon Aglietta et Orléan (2002, p. 104) : « La confiance méthodique est fondée sur la routine ou la tradition, elle procède de la répétition des actes qui mènent les échanges à bonne fin et les dettes privées à leur règlement. Ce type de confiance exprime une dimension sécuritaire par adhésion commune à la règle expliquée. » Théret (2007b, pp. 44-45) souligne que la confiance méthodique est liée aux instruments de paiements alors que la confiance éthique est liée à l’unité de compte : « On peut alors considérer que ce qui différencie ces deux formes de confiance est que la confiance méthodique concerne les moyens de paiement tandis que la confiance éthique est attachée au système de compte. ».

3.2. FAITS STYLISÉS ET ANALYSE DE L’ÉPISODE 1 DE L’HYPERINFLATION HONGROISE (1919-1924)

sciemment contre-révolutionnaires, — d’accepter la « monnaie blanche ». » Il y a là une crise

de « confiance éthique12» qui va se répercuter sur la « confiance hiérarchique13». En Hongrie, les autorités monétaires ne sont pas indépendantes du pouvoir révolutionnaire. De ce fait, si le pouvoir est illégitime et remis en cause, les autorités monétaires le seront aussi. Ainsi, l’absence de confiance éthique débouche sur une perte de confiance hiérarchique, d’où une crise de confiance méthodique. Cette dernière s’est accentuée du fait de la détérioration continue de la confiance hiérarchique qui s’explique par l’incapacité des autorités monétaires à assurer la stabilité et la qualité des couronnes blanches.

Afin d’éviter l’éviction de la couronne blanche, les révolutionnaires prennent deux mesures phares ; ils interdisent le cours légal de la monnaie concurrente, c’est-à-dire la couronne austro-hongroise, considérée désormais comme une devise étrangère (Varga, 1922). La seconde mesure est « la peine de mort » dans le but d’obliger les agents économiques à accepter la couronne blanche : « Issue of money in the name of the Soviet government did not succeed, even when

the death penalty was threatened for people who refused acceptance. » (Dornbusch, 1992, p. 410).

Malgré ces mesures prises par les Bolchéviques, la monnaie blanche a fait l’objet de rejet par une grande partie de la population, signe d’un rejet de l’autorité politique et monétaire ; il en découle des répercussions sur le plan économique. Ces raisons politiques, institutionnelles et techniques permettent de comprendre comment la monnaie blanche a fait l’objet d’un refus non seulement auprès des agriculteurs, mais aussi auprès d’autres acteurs économiques, notamment les entreprises privées. Le refus de la monnaie blanche dans les paiements a conduit à une concurrence de monnaie pendant la période de révolution. Il y a d’un côté le secteur agricole et les entreprises privées, utilisateurs de monnaie bleue et de l’autre côté le secteur public utilisateur de couronne blanche (Varga, 1922). La contestation de cette dernière finit par gagner le secteur public, car certains agents de l’administration publique exigent la couronne bleue dans les paiements : « La section des Finances du gouvernement des soviets était quotidiennement

assiégée par des députations venant réclamer le paiement en « monnaie bleue ». » (Varga, 1922,

12. Selon Théret (2007b, p. 25) : « La confiance éthique enfin relève de l’autorité symbolique du sys-tème des valeurs et des normes collectives, qui fonde l’appartenance sociale ; une monnaie dispose d’une confiance éthique dès lors que ses modes d’émission, de distribution et de circulation paraissent assurer la reproduction de la société en tant que communauté d’appartenance, c’est-à-dire dans le respect de ses valeurs et normes constitutives. ».

13. Selon Théret (2007b, p. 25) : « La forme hiérarchique de la confiance renvoie quant à elle au fait que la monnaie – la stabilité du système d’unités de compte et de la valeur des moyens de paiement – est garantie par un pouvoir collectif qui lui-même inspire confiance en tant que représentant ou partie prenante d’une souveraineté protectrice. ».

3.2. FAITS STYLISÉS ET ANALYSE DE L’ÉPISODE 1 DE L’HYPERINFLATION HONGROISE (1919-1924)

p. 172)

Le rejet de la monnaie blanche a provoqué une instabilité de change entre les deux unités monétaires concurrentes. À ce sujet, Varga (1922, p. 174) soutient que : « Pour les paiements à

faire à l’Etat, les particuliers se servaient des nouveaux billets parvenus entre leurs mains. Dans les paiements aux paysans, les exploitations et les membres du régime étatiste devaient, sauf menace directe de la puissance publique, s’acquitter en "monnaie bleue". L’employé de l’Etat, par exemple, recevait son traitement en "monnaie blanche" ; il pouvait avec cet argent payer son logement et tous les produits réglementés par l’Etat, mais il ne pouvait pas, avec cet argent, obtenir d’un paysan un seul œuf. Comme la balance commerciale et financière était favorable aux particuliers par rapport à l’Etat, parce que l’Etat achetait aux paysans plus que les paysans ne pouvaient acheter à l’Etat, toute la "monnaie bleue" s’accumula peu à peu entre les mains des particuliers, et la "monnaie bleue" bénéficia d’une forte prime sur la "monnaie blanche". Cela donna lieu à un commerce, interdit mais florissant, sur les deux sortes de monnaies : à la fin de la dictature, la nouvelle monnaie perdait 50% par rapport à l’ancienne. » La monnaie utilisée

par les agriculteurs permet d’acquérir la plupart des biens, ce qui fait d’elle la principale unité de paiement. Ainsi, la recherche de cette dernière a entraîné une hausse de la demande de monnaie bleue pour les utilisateurs de couronne blanche, ce qui a provoqué une pression sur le marché des changes, d’où une dépréciation du change. Le rapport de force entre les deux groupes est en faveur des agriculteurs puisqu’ils ont un poids considérable dans l’économie hongroise. De ce fait, la couronne bleue s’est imposée comme la principale unité de paiement. L’évolution du taux de change entre les deux unités monétaires domestiques souligne l’importance de la couronne austro-hongroise dans les pratiques monétaires des agents économiques.

3.2.2. Analyse de l’épisode 1 de l’hyperinflation hongroise de

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