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Notre idée est que la réforme du pengo fiscal a souffert d’un manque de légitimité. Pour corroborer cette idée, deux arguments vont être développés autour des conditions légales et sociales qui entourent cette réforme. Ces conditions permettent de souligner l’insuffisance des dimensions sociales et politiques de cette réforme. Le tax pengo a été introduit par un décret datant du 5 décembre 1945 et publié deux jours après dans le journal officiel, soit soit le 7, mais il faut attendre le 1er janvier 1946 pour que le décret entre en vigueur (Banyai, 1971, p. 5). La procédure légale par laquelle le pengo fiscal a été introduit, montre que le tax pengo n’a pas eu l’aval des autres forces politiques et groupes sociaux. La décision a été prise au niveau supérieur sans aucune consultation de la population10. Cela n’est pas surprenant, car des tensions existaient au sein de la coalition arrivée au pouvoir lors des élections d’octobre 1945, notamment en ce qui concerne le partage du pouvoir (Mende, 1948, pp. 172-3). Ce climat politique tendu pourrait expliquer pourquoi le « comité de reconstruction » (Huszti, 2016) s’est tenu plus tard, c’est-à-dire en mars 1946. À cette date, le pengo fiscal était déjà fragilisé.

Un autre élément qui jette des doutes sur les défaillances sociales de la réforme réside dans l’importance des entités responsables de la fixation du cours du tax pengo. Ce rôle a été assigné au ministre des Finances qui était en charge de la collecte des données sur les prix qui servait de

10. Contrairement à l’expérience de 1924, la sparkrone a été introduite suite à une consultation parle-mentaire.

4.4. PENGO FISCAL ET TENTATIVE DE STABILISATION EN HONGRIE EN 1946

base à la détermination du taux de change entre les deux unités monétaires domestiques (Banyai, 1971). Cet élément est très capital dans nos réflexions ; cela montre que les acteurs de l’économie et de la société n’ont pas pris part à la détermination de la valeur du pengo fiscal, ce qui l’a fragilisé et a rendu son acceptation difficile par les agents économiques. Si la réforme présente des avantages sur le plan économique, il reste que celle-ci n’a pas ni l’adhésion ni l’implication des groupes sociaux et des forces politiques, ce qui explique pourquoi le pengo fiscal n’a pas été accepté par les acteurs de la société. Le manque d’action commune autour du projet de réforme a conduit à son échec malgré les garanties économiques dont dispose le pengo fiscal pour son utilisateur.

4.4.3. De l’échec du pengo fiscal à un système basé sur l’or

La stabilisation de la monnaie hongroise a certes été rendue possible par les conditions économiques favorables, mais soulignons aussi les conditions politiques et sociales propices qui ont contribué à la réussite de ce plan. Les conditions économiques ont été bien résumées par Varga et Nogaro. Il s’agit de la bonne récolte enregistrée en 1946, de la mise en place d’une réforme fiscale puis d’une politique de prix et de revenu adéquate (Varga, 1949, 1959). Deux facteurs importants sont à distinguer dans cette réforme monétaire ; il s’agit de la question de la couverture et de la convertibilité en or du forint11

, et de l’aval des acteurs de la société dans l’élaboration de la réforme monétaire. S’agissant de la couverture de la nouvelle unité monétaire qui est le forint, des mesures ont été prises afin d’augmenter les réserves de devises nécessaires à la couverture de la nouvelle monnaie. Après des négociations avec les États-Unis, la Hongrie a pu bénéficier du rapatriement d’un important stock d’or emporté par l’armée allemande en 1945 (Etudes et conjoncture - Economie mondiale, 1946). Ce stock s’élève à 22 tonnes d’or soit une valeur de 32 millions de dollars-or (He, 2018), ce qui a permis à la Hongrie d’augmenter ses réserves de devise. Ainsi, les réserves de la Banque Centrale sont estimées à 44 millions de dollars-or, ce qui permet de couvrir le forint à hauteur de 51,76% (Etudes et conjoncture - Economie mondiale, 1946). La couverture de la nouvelle monnaie est assurée, mais force est de constater que le taux de couverture du forint au lieu d’être total n’est que partiel. En ce qui concerne la règle de convertibilité, soulignons avec Winklé (1947, p. 189) que le forint est convertible non seulement en or, mais aussi en monnaie étrangère.

11. Le forint a été introduit le 1er août 1946.

4.4. PENGO FISCAL ET TENTATIVE DE STABILISATION EN HONGRIE EN 1946

De plus, l’or ou les devises étrangères ne circulaient pas parallèlement au forint ; cette par-ticularité relative aux devises de rattachement et à la circulation de celles-ci font du nouveau régime un système d’étalon de change-or12. En adoptant ce système, les banques avaient l’obliga-tion de détenir 100% de leurs réserves (He, 2018, p. 112). Cette règle oblige les banques à limiter leurs prêts aux acteurs économiques, si bien que la politique monétaire perd son autonomie. C’est le constat fait par Winklé (1947, p. 189) : « Credits were extremely restricted. None were

granted at first for investment purposes. » Toutefois, l’État peut bénéficier de prêts à condition

que celui-ci fasse des dépôts en or ou en monnaie étrangère auprès de la Banque Centrale (He, 2018, p. 112). Les dispositifs qui entourent ce nouvel arrangement monétaire ont pour objectif d’éviter des politiques monétaire et budgétaire laxistes.

Le choix d’une monnaie gagée sur l’or dans un contexte d’instabilité monétaire, réduit les risques de fuite devant la monnaie, puisqu’elle est couverte et convertible en or ou en devise. C’est l’argument avancé généralement par les défenseurs des régimes d’étalon-or ou d’étalon change-or13

. Ainsi, le choix d’un système d’étalon change-or apporte une garantie aux agents économiques quant à la stabilité de valeur de la monnaie nationale — les règles de convertibilité et de couverture sont sources de confiance. Cependant, cette dernière a d’autres fondements d’ordre sociopolitique. En effet, sur le plan politique, la situation est particulièrement marquée par une coalition et une attente visant à stabiliser la monnaie nationale. Après un consensus entre les différents partis, la coalition valide le nouveau plan de réforme le 21 mai 1946 au conseil des ministres (Janos, 2016, p. 194). Cette action commune des partis politiques a été, selon nous, un élément très important dans la réussite du plan de réforme monétaire : c’est une condition essentielle et préalable à la mise en œuvre de toute réforme.

Ce consensus entre les différents leaders politiques envoie un signal fort aux acteurs écono-miques et sociaux quant à la stabilité et à l’avenir de la monnaie nationale, d’où la confiance des acteurs de la société dans la réforme monétaire : « Un élément important du succès de la

réforme monétaire de 1946 a été que l’opinion publique l’ait accueillie et l’ait accueillie avec confiance14. » (Varga, 1959, p. 92). Ainsi, la question de l’acceptation de la monnaie ne se pose

plus ; la dimension politique et sociale de cette réforme est très importante pour comprendre pourquoi le forint fut accepté par les agents économiques. L’action commune des groupes

so-12. Desquilbet et Nenovsky (2005) mettent en relief différentes variantes du système d’étalon-or. 13. Pour un examen détaillé du système d’étalon-or, voir Desquilbet et Nenovsky (2005).

14. « Ein wichtiges Element für den Erfolg der Wahrungsreform des Jahres 1946 war es, daß die öf-fentliche Meinung ihr mit Vertrauen entgegensah und begegnete. » (Varga, 1959, p. 92).

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ciaux et des forces politiques a été d’une importance capitale dans la réussite du plan de réforme monétaire d’août 1946. Pour comprendre la réussite de la réforme monétaire hongroise, il est important de distinguer les facteurs économiques, notamment la question de la couverture et de convertibilité du forint en or. Mais il est tout aussi nécessaire de considérer les facteurs sociopo-litiques qui ont concouru à la réussite de cette réforme. L’effet conjugué de ces deux facteurs a permis de stabiliser la monnaie hongroise.

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