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3.2 Les verbes existentiels spécifiques

3.2.1 Verbes existentiels en français

Le français dispose d’une multitude de verbes existentiels, à savoir les verbes personnels être et exister et les locutions existentielles il est, il existe et il y a. Afin de révéler leur signification spécifique, nous aurons principalement recours à la technique de l’opposition par paire entre les différents verbes existentiels.

3.2.1.1 Exister et être

Le verbe exister14 dans son emploi personnel est le seul verbe existentiel qui permet à proprement parler de prédiquer l’existence, c’est-à-dire le seul qui permette de poser l’existence comme si c’était une propriété.

Mais même si exister semble signifier moins une localisation qu’une « appartenance au réel » (Touratier 2006 : 175), l’on a souvent affirmé que le verbe implique une localisation, en ce sens que le verbe pose la localisabilité du SN. Ainsi Culioli (1999 : 45) a fait observer que ceci explique pourquoi on ne peut pas utiliser exister avec une localisation explicite sans une modulation sur cette localisation. Dans l’exemple (29) la modulation est exprimée par l’opérateur de restriction ne … que.

(27) Les fantômes existent.15

(28) ? les fantômes existent dans les châteaux hantés. (29) Les fantômes n’existent que dans les châteaux hantés.

Comme Feuillet (1998 : 703) le fait noter, l’existence absolue peut également s’exprimer par un emploi dit absolu ou intransitif (c’est-à-dire sans attribut du sujet) du verbe être, comme dans l’exemple prototypique Dieu est16.

14 Il n’est pas sans intérêt de rappeler l’étymologie du verbe exister. L’étymon latin existere équivaut à

ex-sistere fait apparaître deux éléments, un verbe locatif (sistere) et le préfix locatif ek- (Méry 2006). Le sens premier de ex-sistere était donc ‘se dresser’, ‘se manifester’, ‘se révéler’ (Maillard 1985).

15 Les exemples (27) à (29) ont été repris à Culioli (1999 : 45).

16 Il en va de même en latin dans la formule Cogito, ergo sum du philosophe Descartes, en anglais dans to be or not to be, ou encore en italien dans Ei fu, la célèbre phrase écrite par Manzoni à l’occasion de la mort de Napoléon.

77 D’après Méry (2006 : 133) la reconnaissance de tels énoncés passe par la perception de l’absence d’un attribut du sujet après la copule. Ce manque est alors comblé par l’auto-repérage (Dieu est équivaut à Dieu est ce qu’il est) et provoque une neutralisation sur le plan qualitatif, de sorte que les opérations se voient confirmées au plan quantitatif. Il s’agirait uniquement du passage d’une valeur nulle à une valeur non-nulle. En effet, l’existence n’est pas graduable : « On n’existe pas plus ou moins, on existe ou on n’existe pas ».

Toutefois, Touratier (2006 : 170) observe que ce type d’emploi de être comme verbe d’existence est relativement limité et qu’il appartient « presque exclusivement au jargon philosophico-théologique ». Il explique la rareté de l’emploi intranstif de être par rapport à celui de exister, par le fait que dans cet emploi intransitif être n’est employé qu’absolument, c’est-à-dire sans le moindre circonstant, ce qui n’est pas le cas d’exister (Touratier 2006 : 176). Voici quelques exemples illustratifs :

(30) Je transforme ce ‘je pense donc je suis’ qui m’a tant fait souffir – car plus je pensais, moins il me semblait être – et je dis : on me voit, donc je suis (Sartre, apud Touratier 2006 : 170). (31) Que la lumière soit, et la lumière fut (la Bible, apud Touratier 2006 : 171).

(32) Soit un triangle ABC. (Le Goffic 1993 : 195, apud Touratier 2006 : 171)

Dans le discours quotidien, on ne se préoccupe pas tant d’asserter l’existence absolue de telle ou telle entité que de la présenter dans une situation discursive donnée (Lambrecht 1994 : 179). Elle est donc rarement pertinente17 dans le discours (Lakoff 1978 : 470).

3.2.1.2 Il est et il y a

En français le verbe être d’existence apparaît également dans une construction impersonnelle sous la forme de il est. On a souvent noté que il est n’est que l’équivalent littéraire et recherché de la formule plus courante et plus familière il y a18. Il est vrai que il est a tendance à apparaître dans des tours stéréotypés comme les incipits de contes comme nous l’avons déjà observé dans 1.1.2. Toutefois, les choses sont nettement plus complexes, car les deux formes présentatives n’ont pas la même distribution et la commutation entre les deux formes est soumise à des contraintes d’emploi qui n’ont pas encore été étudiées exhaustivement (voir Schiller 1992, Dassi 2003, Méry 2006).

17 Pour la notion de pertinence voir la loi d’informativité de Ducrot (1972) et le principe de pertinence de Sperber & Wilson (1986).

18 D’après Wagner (1964 : 11) l’emploi de il est n’a jamais été courant et doit même en ancien français être considéré comme un latinisme.

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Néanmoins, il semble être admis que il est peut commuter avec il y a dans le cas où l’affirmation d’une existence s’accompagne d’un prédicat à valeur caractérisante, c’est-à-dire qu’il est indispensable qu’en plus de l’opération posant l’existence (opération quantitative) il y ait attribution d’une propriété différentielle (opération qualitative) (Dassi 2003 : 431, Méry 2006 : 163).

(33) Il y a des lions en Afrique.19

(34) *Il est des lions en Afrique.

(35) Il y a des lions en Afrique qui n’ont pas de crinière. (36) Il est des lions en Afrique qui n’ont pas de crinière.

Le point essentiel c’est qu’une propriété différentielle permet d’opposer ce qui dans une classe donnée possède la propriété à ce qui ne la possède pas. Cette propriété peut être mentionnée sous la forme d’une proposition relative (37) ou d’un post-modificateur adjectival (38).

(37) Il est des jours –avez-vous remarqué ?- où l’on se sent plus léger qu’un oiseau (Verlaine,

apud Méry (2006 : 141)

(38) Sans doute les idées se projettent en raison directe de la force avec laquelle elles se conçoivent, et vont frapper là où le cerveau les envoie, par une loi mathématique comparable à celle qui dirige les bombes au sortir du mortier. Divers en sont les effets. S’il est des naturels tendres où les idées se logent et qu’elles ravagent, il est aussi des natures vigoureusement munies, des crânes à remparts d’airain sur lesquels les volontés des autres s’aplatissent et tombent comme les balles devant une muraille ; puis il est encore des natures flasques et cotonneuses où les idées d’autrui viennent mourir comme des boulets s’amortissent dans la terre molle des redoutes. Rastignac avait une de ces têtes pleines de poudre qui sautent au moindre choc. (Balzac, Le père Goriot, apud Méry 2006 : 143)

Souvent il s’agit d’énoncés génériques dans lesquels des propriétés différentes sont attribuées à des sous-classes successives (Léard 1992 : 88). Ceci est souvent souligné par des mots comme autres, aussi, encore, enfin.

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3.2.1.3 Il existe et il y a

En français on peut aussi poser l’existence avec des constructions dites impersonnelles commençant par il existe. Une première caractéristique essentielle à souligner est que, contrairement à il y a, il existe paraît réservé à l’expression de l’existence non spécifique (40). Dans les exemples suivants, Kleiber (1981 : 223) montre que il existe n’est compatible qu’avec les relatives non spécifiantes (dont le prédicat est non spécifiant)20, alors que il y a admet les deux types de relatives :

(39) Il y a des singes qui sont gros. (40) Il existe des singes qui sont gros.

(41) Il y a des singes qui ont été attrapés hier soir. (42) *Il existe des singes que ont été attrapés hier soir.

Ceci est confirmé par l’observation fait par Martin (2002 : 84) qui signale qu’on dira il y a ou bien il existe une solution, une issue, une méthode, mais seulement il y a un avantage, il y a de l’illusion à tout cela (et non il existe) :

La solution, l’issue, la méthode… ont une existence indépendante du lieu ou du moment, une existence perçue comme non contingente. L’avantage ou l’illusion, qui sont de l’ordre du jugement, de l’appréciation, ne sont pas au contraire ressentis comme existant en soi. Et dès lors, seul il y a est possible. Il existe ne devient acceptable (et encore…) que dans un contexte de généricité : on peut se ‘pacser’ à bon compte. Mais il existe tout de même, du côté du mariage, un avantage incontestable… . (Martin 2002 : 84)

De même, Martin (2002 : 80) fait noter que il y a est uniquement commutable avec il existe lorsque il y a exprime l’existence en soi (dans la réalité, dans le monde). En revanche, dans le cas de l’existence occurrentielle il y a un … tel que n’est pas commutable avec il existe un … tel que:

(43) Il y a une maladie qui … (44) Il existe une maladie qui…

20 Kleiber (1981) distingue les prédicats spécifiants, qui entraînent une lecture existentielle de leur sujet indéfini, des prédicats non spécifiants, qui provoquent une lecture non existentielle de leur sujet indéfini.

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(45) Il y a un moustique qui vient de me piquer (46) ? Il existe un moustique qui vient de me piquer

Cette distinction correspond en pratique à celle faite par Anscombre (1996 : 95) qui oppose un il y a existentiel à un il y a présentatif. Seul le premier permet de caractériser des éléments d’une sous-classe, tel que c’est le cas dans les exemples (43) et (44).

3.2.1.4 Il existe et il est

Culioli (1990 : 94, 1999) et Méry (2006) signalent que dans le schéma il existe des X, il faut un nom indéfini et un qualificateur, comme c’est aussi le cas de il est (supra). Ce qualificateur peut être un adjectif qualificatif comme dans (48) ou une relative dite déterminative comme dans (49).

(47) *Il existe des fleurs.21

(48) Il existe des fleurs stériles.

(49) Il existe des fleurs qui n’émettent pas d’odeur. (50) *Il est des fleurs.

(51) Il est des fleurs stériles.

Toutefois la nécessité d’un qualificateur a une justification différente avec il existe qu’avec il est. Méry (2006 : 145-146) montre avec les exemples ci-dessous que les deux tours impersonnels ne sont pas interchangeables.

(52) Il existe une solution. (53) *Il est une solution. (54) Il existe plusieurs accès. (55) *Il est plusieurs accès. (56) Il existe deux sorties. (57) *Il est deux sorties.

81 La forme impersonnelle il existe n’a pas besoin d’une propriété différentielle (comme c’est le cas de il est). S’il y a un qualificateur adjectival comme stériles dans (48), celui-ci fournit le site nécessaire à l’opération effectuée par il existe. Cette interprétation permet d’expliquer pourquoi certains mots, tels que solution, sortie et accès, peuvent apparaître sans qualificateur. En effet, ils contiennent leur propre site de par leur caractère intrinsèquement relationnel. Ainsi toute solution est solution d’un problème, tout accès est accès d’un lieu donné etc. (Culioli 1990 : 196-197).

3.2.1.5 Conclusion

De ce qui précède, il ressort qu’en français les différents verbes existentiels être, exister, il y a, il est et il existe n’apparaissent pas tous dans les mêmes contextes. Ils s’opposent par la nécessité d’une propriété différentielle ou non, le type de référent introduit, son caractère nécessairement générique ou non etc. Des trois expressions existentielles présentatives (il y a, il est et il existe), il y a est sans doute celle qui est de l’emploi le plus fréquent et le moins contraint (Méry 2006 : 146). Bref, il est loin d’être évident de considérer les verbes existentiels comme un groupe homogène.

Cherchons maintenant la réponse à notre deuxième question, à savoir s’il existe également des différences dans la signification d’un même verbe existentiel à travers différentes langues.