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Chapitre 2 Les constructions existentielles - Eléments d’une définition

2.3 Les présentatifs existentiels

L’étiquette de présentatif est généralement utilisée de façon englobante pour désigner différentes formules françaises dont les attestions lemmatiques sont c’est, il y a, il est, voici et voilà. Syntaxiquement, le groupe des présentatifs forme un amalgame d’une grande hétérogénéité (Pierrard 1985). Aussi n’est-il pas surprenant que leur dénomination commune ainsi que la délimitation du paradigme aient fait l’objet de grands débats (Dassi 2003).

Les approches traditionnelles ont tenté de définir les présentatifs soit syntaxiquement en les identifiant à une partie du discours déjà existante, soit pragmatiquement sur base de leur fonction discursive (Grenoble & Riley 1996). L’analyse syntaxique la plus classique propose de ranger les présentatifs parmi les verbes d’existence :

Les présentatifs sont donc des verbes d’existence ou des tours ayant même sémantèse et même fonction, accompagnés d’un élément de référence situationnelle, ou comportant un tel élément. (Moignet et al. 1981 : 279)

51 Cette analyse pose toutefois quelques problèmes, parmi lesquels l’invariabilité du verbe voir dans voilà et voici. De ce fait, d’autres auteurs ont proposé de considérer les présentatifs comme une catégorie à part entière, la plus récente parmi les parties du discours (Bonnard 1984), ce qui a donné lieu à un grand « flottement terminologique » (Florea 1988 : 105)18. La dénomination de présentatif provient de Chevalier (1969), qui propose le critère syntaxique suivant permettant de les rassembler :

Associés à n’importe quel groupe nominal déterminé subséquent, ils constituent une phrase : C’est mon père. Il y a une poire. Voilà quelques débris. Pour cette raison, il est commode de les dénommer présentatifs. (Chevalier 1969 : 82)

L’unanimité est toujours loin d’être faite sur le statut linguistique des présentatifs (Feuillet 1998), du fait de la grande diversité qui entoure leur fonctionnement. On distingue en effet le présentatif prédicatif c’est (Morel 1992), les présentatifs existentiels il y a et il est et les présentatifs déictiques ou situationnels voici et voilà.

Si la classification syntaxique commune des différents présentatifs demeure problématique, il est bien admis que les présentatifs ont une fonction discursive commune, à savoir celle d’« introduire un élément nominal ou nominalisé – et pour ainsi dire mettre en relief un signifiant d’étendue plus ou moins considérable » (Dassi 2003 : 617). Pragmatiquement, les présentatifs sont donc des Rhemasignale, des signes de rhématisation - souvent considérés comme des traits d’oralité - qui aident le traitement des données par l’interlocuteur en coupant l’information nouvelle en blocs :

Und nicht nur werden in der Sprechsprache die Rhemata verteilt und nicht massiv eingesetzt sondern sie werden auch explizit vorgestellt durch eine Art Rhemasignal, das signalisiert : Vorsicht, jetzt kommt etwas, wovon noch nicht die Rede war. (Hausmann 1979 : 126)

18 Pour un aperçu chronologique détaillé nous renvoyons au travail fait par Bichard (1999 : 21-34), Schiller (1992 : 15-39) et Dassi (2003), qui se recouvrent dans une très large mesure.

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D’autre part, le regroupement de ces présentatifs assez différents est peut être plus adéquat qu’il ne semble à première vue, si l’on compare la situation à celle en anglais. En effet, le français distingue formellement entre la construction présentationnelle déictique voilà et existentielle (il) y a, alors qu’en anglais les deux types de présentatifs se rejoignent dans there is, qui peut jouer le rôle déictique (there is John) et générique (there are people who …). Les deux types de constructions présentent un nouvel élément dans un espace, soit l’espace du contexte présent (deixis), soit les connaissances encyclopédiques (existentiels) (Lambrecht 1994 : 352). En anglais, la construction présentationnelle en there est souvent considérée comme une extension métaphorique de la construction déictique en there (Lakoff 1987). Il semble donc que les présentatifs déictiques anglais et français ont connu une évolution comparable, malgré leurs origines historiques différentes (Bergen & Plauché 2005 : 11) :

The existential meaning of the il y a-construction is not compositional : the sequence of words il y a can also have a literal, non-idiomatic meaning of ‘He/it has there’. This non-idiomatic meaning of the construction suggests a metaphorical motivation for the constructional meaning of il y a. Interestingly, though, different metaphors motivate the presence of y and avoir. The use of y suggests the common metaphor EXISTENCE IS LOCATION HERE, which accounts for English coming

into being, going out of existence, and so on (Lakoff 1987). At the same time, the use of the verb avoir in this construction is motivated by the metaphor PROPERTIES ARE POSSESSIONS, which allows attributes to be referred to as possessed objects (Brugman 1981). (Bergen & Plauché 2005 : 32-33)

Au sein des langues romanes, les présentatifs semblent propres à la syntaxe française et sont souvent qualifiés de gallicismes (Léard 1992). Toutefois, il existe bel et bien des présentatifs comparables dans les autres langues romanes, notamment en italien :

Der Vergleich mit anderen Sprachen (Russisch, Englisch, Italienisch) zeigt (u.a. Koch/Österreicher, Berruto, Wehr) dass auch hier sprachliche Elemente existieren, die dem Begriff Präsentativum zuzuordnen waren (für das Italienische wird das inzwischen getan). Sie haben jedoch bei weitem nicht eine so hohe Frequenz und Verbreitung wie im Französischen und werden oft anders gebraucht bzw. Funktionen, bei deren Ausdruck sich das Französische der présentatifs bedient, werden in diesem Sprachen durch andere Mittel ausgedrückt. (Schiller 1992 : 25)

C’est Berruto (1986) qui a introduit le terme presentativi en italien pour référer justement à c’è, une formule qu’il dit « assai frequente nella conversazione comune quotidiana » (Berruto 1986 : 64). Toutefois, il ajoute le commentaire suivant :

[…] se occorre subito dire che il raggio d’azione e l’ambito di impiego di il y a è più vasto di quello italiano del c’è (Berruto 1986 : 61).

53 L’idée que la fréquence des présentatifs est plus élevée en français qu’en italien (Schiller 1995 : 294) réfère avant tout au fait que l’italien semble éviter les constructions existentielles avec une proposition subordonnée, comme on les trouve en français (39), même si elles ne sont pas inexistantes (41) (Ebneter 1974).

(39) Y a que cette voiture ne veut jamais démarrer du premier coup.19

(40) Maledetta macchina ; non vuol mai partire al primo colpo. (41) Cosa c’è ? C’è che tu mi fai le corna.

D’autre part, comme nous l’avons déjà mentionné, dans les énoncés thétiques événementiels, c’è subit la concurrence de la construction présentationnelle à inversion (c’est-à-dire à ordre syntaxique V–SN), ou encore la construction existentielle dérivée. Avant de nous concentrer définitivement sur les constructions existentielles pures, il convient donc de se pencher brièvement sur ces constructions existentielles dérivées.