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Chapitre 2 Les constructions existentielles - Eléments d’une définition

2.1 Constructions existentielles

2.1.2 Restriction de définitude

Dans de nombreuses langues, on constate que les constructions existentielles sont soumises à une stricte restriction de définitude2, même si la force de celle-ci semble varier considérablement à travers les différentes langues concernées. Ainsi, pour les langues romanes, il est connu que la contrainte d’indéfinitude dans les CE s’impose nettement plus en espagnol qu’en français, en italien et en catalan.

En général, quelle que soit la langue en question, il paraît que seuls les SN faibles3, principalement indéfinis, peuvent suivre le verbe existentiel (6), alors que les SN forts, c’est-à-dire définis (7) ou universellement quantifiés comme tout N, chaque N (8), sont exclus. C’est ce phénomène qu’on appelle traditionnellement definiteness restriction4. (6) Il y a un homme dans le parc.

(7) *Il y a l’homme dans le parc. (8) *Il y a chaque homme dans le parc.

Il est évident que cette restriction de définitude ne puisse être de nature ni syntaxique ni morphologique, puisque – dans certaines conditions fort restrictives – un SN fort apparaît quand même dans ce contexte. Généralement il s’agit alors d’un SN formellement défini mais sémantiquement indéfini, c’est-à-dire d’un crypto-indefinite dans la terminologie de Milsark (1974 : 6). Ainsi le SN fort peut être défini par le biais d’une référence croisée comme dans (9) où il y a en quelque sorte transmission de l’indéfinitude du complément della polleria au SN dans son ensemble (Berruto 1986 : 72). La restriction de définitude se neutralise également dans une relative (10) (Escandell Vidal 1998) et dans le cas d’un superlatif (11) (Masullo 1996).

(9) C’è la donna della polleria che vuol essere pagata. (Berruto 1986 : 72) (10) los cuadros que había en el salón (Escandell Vidal 1998 : 262)

(11) No hay el menor indicio de culpabilidad. (Escandell Vidal 1998 : 261)

2 Clark (1978) et Lyons (1999) signalent qu’il existe des restrictions comparables dans des langues qui ne disposent pas de marques morphosyntaxiques exprimant la définitude, comme le russe.

3 Nous référons ici à l’opposition entre les déterminants weak et strong, introduite par Milsark (1974).

4 La littérature sur la restriction de définitude est immense. Voir i.a. Milsark (1974, 1977), Safir (1985), Reuland & ter Meulen (1987), Freeze (1993), Rando & Napoli (1978), Hannay (1985), Lumsden (1988), Prince (1992), McNally (1992), Abott (1993, 1997), Ward & Birner (1995) et Birner & Ward (1998).

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Cependant, les exemples suivants montrent que les exceptions à la restriction d’indéfinitude ne peuvent se réduire aux crypto-indéfinis. Dans (12) on trouve le nom propre Jean, dans (13) le SN le professeur (qui réfère à un professeur particulier et non défini par transmission de la subordonnée qui arrive) et dans (14) le SN démonstratif ce rôti. Nous reviendrons sur ce type d’exemples dans le chapitre suivant sous 3.2.2.1.

(12) Il y a Jean qui a téléphoné.

(13) Attention. Il y a le professeur qui arrive.

(14) Soit y avait le poisson, soit y avait ce rôti farci. (Jeanjean 1979)

Il existe un grand nombre d’analyses pragmatiques qui tentent d’expliquer la contrainte d’indéfinitude et autant qui visent les deux types d’exceptions mentionnées supra. Ces différentes études – pour la plupart pragmatiques5 – proposent généralement une approche soit en termes de nouveauté du référent, soit en termes de présupposition. Finalement, devant les difficultés à rendre compte de cette restriction, certains n’hésitent pas à la mettre en question.

2.1.2.1 Nouveauté du référent

La contrainte d’indéfinitude est souvent ramenée à une restriction pragmatique sur la nouveauté du référent introduit : la novelty condition. Ward (1999) montre de façon convaincante que l’interprétation de cette nouveauté diffère de langue en langue. Ainsi en anglais le référent du SN introduit doit être hearer-new ou inconnu de l’interlocuteur. Il ne peut s’agir ni d’un référent préalablement introduit dans le discours comme dans (15), ni d’un référent faisant partie des connaissances partagées comme the Mafia dans (16). (15) President Clinton appeared at the podium accompanied by three senators and the Vice

President. *There was behind him the Vice President. (Ward 1999 : 7)

(16) *If there’s the Mafia in Italy, it’s because there’s the Christian Democrat party. (Ward 1999 : 11)

41 En revanche, en italien, le référent introduit dans une CPE doit être discourse-new, mais il peut être hearer-old6. De ce fait, un exemple comme (17) est parfaitement viable, puisque mafia est une notion qui fait partie des connaissances estimées partagées avec l’interlocuteur. Il satisfait en effet le critère de nouveauté dans le discours, contrairement à l’exemple (18) où la Giulia apparaît déjà dans le contexte antérieur.

(17) Se c’è la mafia in Italia, è perché c’è la Democrazia Cristiana. (Ansa, apud Ward 1999 : 10) (18) A : Ho parlato con la Giulia oggi. Sta molto bene. B : Mi fa piacere. *A proposito, sai che

c’era la Giulia alla festa di Paolo ieri sera ? (Ward 1999 : 10)

De ce qui précède il ressort qu’il est indéniable que le statut informationnel et l’accessibilité cognitive d’un référent jouent un rôle important dans l’acceptabilité de référents définis dans les constructions existentielles.

2.1.2.2 Présupposition

Une autre tentative d’explication pragmatique s’est faite en termes de présupposition. Ainsi il y aurait un conflit entre la nature présupposée des déterminants définis (ou forts) d’une part et les conditions d’appropriation pragmatique (felicity conditions) des constructions existentielles de l’autre (Lumsden 1988). En effet, les constructions existentielles assertent l’existence d’un référent. Au cas où celui-ci est défini, cette assertion serait en conséquence superflue, puisque son existence est déjà présupposée par sa définitude, et constituerait une tautologie.

2.1.2.3 Mise en question de la restriction d’indéfinitude

Une tout autre approche consiste en la mise en question même de l’existence de la restriction d’indéfinitude, souvent en faveur d’une restriction de définitude sur les SN préverbaux. Voici un commentaire intéressant de Lambrecht à ce propos :

It is not the inverted but rather the non-inverted (preverbal) subject NP that is pragmatically constrained. Due to the association of preverbal position and topic status, this NP can only be interpreted as having an identifiable referent. (Lambrecht 2000 : 635)

6 Dans la terminologie de Prince (1981) il s’agit d’un unused referent, c’est-à-dire un référent connu de l’interlocuteur mais jamais utilisé dans le contexte précédent. L’interlocuteur n’a en quelque sorte qu’à le rendre actif. Ce type de référent s’oppose au brand new referent où l’interlocuteur doit à la fois créer une nouvelle entité dans l’esprit de l’interlocuteur et l’introduire dans le discours.

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En effet, il est communément admis que dans beaucoup de langues il existe une tendance à éviter les sujets indéfinis en position préverbale (e.a. Chafe 1987). Dans cette logique les constructions existentielles servent avant tout à permettre au SN indéfini d’apparaître en position postverbale. Souvent il apparaît alors un complément locatif en position préverbale. Pour certains, ce locatif constitue même l’élément clé dans la caractérisation des constructions existentielles.