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Chapitre 4 Les arguments des verbes existentiels - Essais d’analyse syntaxique

4.5 Verbe copulatif

Une tout autre idée est de rapprocher les phrases existentielles26 des phrases copulatives27. Cette hypothèse est née dans le cadre de la grammaire générative et s’est développée principalement à partir de données anglaises sur la construction en there is. Pour expliquer la présence de there la grammaire générative postule une transformation appelée there-insertion (Milsark 1974, Stowell 1978, Chomsky 1981, Safir 1985). Cette transformation dérive la construction en there à partir d’une structure copulative comme (89) en déplaçant le sujet profond a book à droite du verbe be et en insérant à sa place la forme there (90).

(89) A book is on the table. (90) There is a book on the table.

Dans cette analyse, les deux constructions partagent la même structure prédicative de base, dans laquelle le SN pivot fonctionne comme l’argument de la coda, qui sert à son tour comme prédicat principal de la phrase. L’interprétation sémantique étant déterminée par la seule structure profonde, la transformation n’est pas censée changer le sens sémantique de la phrase. Il s’ensuit comme corollaire que there est nécessairement un élément vide de sens, un dummy, qui sert uniquement comme placeholder ou tenant lieu de la specifier position of IP.28

26 En revanche, Benveniste (1960 : 113) sépare très nettement deux emplois de être : la copule, marque grammaticale d’identité, et le verbe d’existence à sens lexical plein. L’utilisation du même verbe (en l’occurrence être) pour les phrases existentielles et pour les phrases attributives avec copule est une des caractéristiques typologiques des langues indo-européennes (Feuillet 1998 : 668-669).

27 Dans leur acception traditionnelle, les verbes copules peuvent exprimer une relation d’identité (comme dans Rome est la capitale de l’Italie), d’inclusion de classe (comme dans L’homme est un

mammifère) ou la participation à un ensemble (comme dans Nicolas Sarkozy est Français). Or, dans cette section, le mot a une conception nettement plus large. Il s’agit des verbes ergatifs (c’est-à-dire qui ne peuvent pas assigner de cas) qui prennent pour complément une proposition réduite (Hoekstra & Mulder 1990 : 2).

28 Pour les langues romanes, c’est surtout en italien que le statut du clitique ci dans esserci a fait l’objet de nombreux débats. Selon La Fauci & Loporcaro (1997 : 12) il ne peut pas s’agir d’un ci locatif, puisqu’il se combine sans problème et fréquemment avec un SP locatif. Mais si le clitique n’a pas de fonction locative, quel est alors son statut? On distingue principalement trois interprétations : celle de sujet, celle d’un explétif prédicatif et celle d’un clitique pro-prédicatif.

Selon Burzio (1986) le clitique ci dans les phrases existentielles est un sujet ou est co-indexé à la position sujet, c’est-à-dire qu’il fonctionne comme un tenant lieu du sujet (en position postverbale) de

111 Toutefois, il a souvent été noté que cette analyse pose plusieurs problèmes, notamment la conservation du sens, l’impossibilité de formaliser la règle et ses conditions d’applicabilité. Ainsi Milsark (1974) a déjà signalé que dans de nombreux cas le sens de la structure transformée est modifié, comme dans l’exemple suivant :

(91) There were not many boys on the bus. (92) Many boys were not on the bus.

Dans un cadre également génératif, Kuno (1972) propose une tout autre transformation qu’il appelle Locative Extrapostion. Cette transformation extrapose ou déplace le SP locatif vers la droite et le remplace par there. Dans son analyse there est donc un pro-adverbe, une copie cataphorique de la localisation où le SN introduit est affirmé d’exister, généralement un SP locatif postposé. Ainsi dans l’exemple (93) there serait co-indexé au SP in the garden.

(93) There is a dog in the garden.

la prédication. Pour lui des phrases du type (3) et (4) partagent la même structure sous-jacente et diffèrent uniquement en ordre linéaire à la surface. Pour lui la construction (4) est la structure de base et la structure (3) est dérivée par un mouvement à gauche du SN. En absence de ce mouvement, le clitique ci apparaît, qui est lié au SN postverbal et à la catégorie vide en positon sujet.

(3) Molti turisti sono sulla piaggia. (4) Ci sono molti turisti sulla piaggia.

Freeze (1992 : 568), qui travaille dans le cadre de l’hypothèse locative, rejette cette interprétation. Selon lui ci ne peut pas occuper la position sujet, puisque la négation précède le clitique ci (5) contrairement aux pronoms personnels sujet (6) :

(5) Non ci sono molti turisti sulla piaggia. (6) Lui non è venuto.

Selon Moro (1998 : 157), qui travaille dans le cadre des Principes et Paramètres, la construction existentielle avec esserci appartient à la famille des phrases copulatives inverses. Il s’agit alors d’une structure inversée dans laquelle le sujet conserve sa position à l’intérieur d’une proposition réduite qui est adjacente à la copule, tandis que l’élément clitique pro-prédicatif ci monte de la position où les prédicats sont générés (c’est-à-dire à l’intérieur de la clausette) en position préverbale. Ci est alors un élément pro-prédicatif et non pas le sujet de la prédication.

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Dans cette interprétation, le SP est parfois considéré comme un modificateur du SN. En effet, certains auteurs générativistes29 ont postulé que le SN et le SP forment une small clause (qu’on appelle communément clausette ou proposition réduite en français), c’est-à-dire une unité de prédication dans laquelle le SP fonctionne comme prédicat. Ainsi selon Mulder & Wehrmann (1989) et Hoekstra & Mulder (1990) les verbes existentiels sont mono-actanciels, leur unique argument étant un argument interne constitué d’une proposition réduite, contenant elle-même un argument thème et un argument locatif. En s’inspirant de Milsark (1974), Keenan (1987) remplace le terme SP par coda, ce qui permet de ne pas préjuger de la forme syntaxique de la coda30.

Dans une interprétation de la construction existentielle en termes de proposition réduite, la présence éventuelle d’un locatif ne sert pas à localiser un objet dans un cadre pour en valider l’existence, mais à le compléter. Citons le commentaire suivant de Rothstein (2004) :

Il faut donc selon moi considérer la tournure [THERE BE NP] comme étant seulement un préalable à la construction éventuelle d’une prédication d’existence explicite (ou implicitement récupérable) du GN post-copulaire mais ne la posant pas. La tournure requiert toujours de toute façon un deuxième be, lui aussi copule, qu’il faut alors rétablir dans la genèse de l’énoncé bien qu’il n’apparaisse pas dans sa structure linéaire, un deuxième be qui aura comme argument […] la totalité de la relation [THERE BE NP] « préalablement mise en œuvre » : [[THERE BE NP] BE + PP]. (Rothstein 1994 : 59)

Selon Rothstein (2004 : 72), la coda est une « forme qui intervient après et non un élément flottant ». Le fait que pour des raisons d’ordre informationnel, le SP peut être thématisé et se trouver dans le contexte antérieur ou en position initiale dans l’énoncé n’empêche en rien de le considérer comme ayant dans la genèse de la tournure un statut d’élément post-copulaire et donc de propriété attribuée à l’argument de gauche du second be. Seules des considérations pragmatico-discursives feraient que la coda n’apparaît que rarement sous forme explicite.

29 Pour différentes approches dans cette perspective, l’on peut consulter entre autres Stowell (1978), Safir (1985), Lasnik (1992) et Rothstein (2004).

30 Définissons donc ce que dans ces analyses on entend communément par coda. Comme le suggère le choix du terme, la coda se définit en premier lieu par sa position en queue de la phrase, c’est-à-dire qu’elle se trouve en principe à droite du SN de la phrase existentielle. La coda peut prendre plusieurs formes syntaxiques (Milsark 1976 : 3) : elle peut être vide (comme dans Il y a un problème), un complément locatif (comme dans Il y a un cheval dans le pré), une subordonnée relative (comme dans

Il y a des gens qui n’aiment pas la bière), un participe passé (comme dans Il y a eu trois soldats de

tués) ou un adjectif (comme dans Il y a une place de libre). Pour une analyse détaillée de la dernière phrase voir Furukawa (1989).

113 Or, le SP locatif est le seul type de coda qui peut s’antéposer pour des raisons pragmatico-discursives. Aussi la question se pose-t-elle (nous semble-t-il) de savoir si, en assumant l’existence de codas, le locatif constitue véritablement une occurrence de coda. En tout cas, il semble au moins avoir un statut spécial parmi les codas.

Quoi qu’il en soit, il est clair que dans ce type d’interprétation, la prédication se trouve entièrement dans la proposition réduite et le rôle de la copule est minime. Aussi n’est-il pas pour surprendre qu’il existe d’autres hypothèses ou le rôle du verbe existentiel se réduit encore davantage à celui d’un simple verbe support.