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Chapitre 2 Les constructions existentielles - Eléments d’une définition

2.4 Construction existentielle dérivée

2.4.1 L’italien et l’espagnol

Pour l’italien et l’espagnol on peut distinguer entre l’inversion absolue et l’inversion locative, où il y a une expression locative qui apparaît en position préverbale.

2.4.1.1 L’inversion absolue en italien et en espagnol

L’inversion du sujet nominal est un phénomène complexe qui recouvre des constructions assez différentes selon les langues22. En espagnol et en italien tous les verbes, qu’ils soient intransitifs ou transitifs, permettent l’inversion sans qu’il soit nécessaire qu’un élément particulier (adverbe, SP locatif ou temporel) s’antépose.

Signalons tout d’abord que l’inversion nominale n’est certainement pas homogène au plan pragmatique (Marandin 2003 : 357). Il faut distinguer au moins deux cas d’inversion nominale absolue : l’inversion libre et l’inversion présentative23.

Dans l’inversion libre, la phrase inversée répond à une question en qui. Le SN en position postverbale est nécessairement étroitement focalisé. Seul le SN postverbal est rhématique, comme le montrent les exemples (42) et (43).

(42) Chi ha mangiato la mela? L’ha mangiata Maria. (43) ¿Quién comió la manzana ? Se la comió María.

En revanche, l’inversion présentative apparaît dans les énoncés à focalisation large (Pinto 1997 : 17), c’est-à-dire que l’énoncé entier est de nature rhématique. Il s’agit donc d’une construction thétique24.

Comme nous étudions l’inversion dans les constructions thétiques, nous nous pencherons dans ce qui suit exclusivement sur le deuxième type d’inversion.

22 Pour l’italien voir i.a. Burzio (1986) et Pinto (1997). Pour une analyse comparée de l’inversion nominale en italien et en espagnol voir Zubizarreta (1998). L’espagnol connaît aussi une construction appelée ordre emphatique étudiée entre autres par Contreras (1978).

23 Il n’y a pas de terme reçu pour l’inversion présentative. Malgré la confusion que pourrait engendrer cette dénomination, nous reprenons ici le terme utilisé par Marandin (2003 : 348), qui le reprend à Hetzron (1975 : 374).

24 Comme sa dénomination l’indique, l’inversion dite présentative est associée à un effet présentatif, c’est-à-dire qu’elle introduit un référent (entitity centered) ou un événement (event centered) dans l’univers de discours (Sasse 1987), voir 2.2.3.

55 Selon Marandin (2003 : 346) l’inversion présentative apparaît essentiellement dans trois types de contextes : dans les réponses à une question qu'est-ce qui se passe ? comme dans (44) et (45), dans les énoncés d'annonce réalisés hors de tout contexte conversationnel (discours out of the blue) comme (46) et (47), et dans le discours suivi (comme un récit) comme c’est le cas dans l’exemple (48) :

(44) ¿Qué pasa? Están tocando las campanas. (45) Che cosa succede ? Suona il campanello. (46) E' morto Gianni !

(47) Ha telefonato Gianni !

(48) [ha detto lei / eh può darsi che è sucesso così /comunque ci siamo chiariti / alla fine ho capito / vabbè / alla fine ti sei confusa /] è entrato il marito / ha detto / no / è stato meglio così (Marandin 2003 : 47)

La nature du verbe impliqué dans l’inversion dite présentative a fait l'objet de nombreux travaux descriptifs25. Pour l’espagnol Hatcher (1956 : 8-11) a regroupé les verbes apparaissant dans cette inversion en sept familles définies sémantiquement : verbes d’existence-présence (comme existir, encontrarse), absence (comme faltar), commencement (comme empezar), continuation (comme continuar), production (comme crecer), occurrence (comme ocurrir), apparition (comme aparecer) et finalement mouvement vers un lieu (comme venir, llegar, seguir).

Toutes les tentatives d’isoler une propriété de nature lexicale ou syntaxique commune à l’ensemble des verbes qui admettent l’inversion présentative ont échoué. Ainsi il a souvent été proposé d'associer l'inversion présentative à la construction inaccusative, mais même s'il est clair qu’il y a une forte affinité entre les deux constructions, l’inversion présentative n’est pas limitée aux seuls verbes inaccusatifs (comme le montre l’exemple (49)). En effet, Pinto (1997) observe que l'inversion présentative est possible avec des verbes inergatifs comme telefonare comme le montre (50). Par ailleurs, elle fait noter qu’elle n'est pas possible avec tous les verbes réputés inaccusatifs (du moins pas dans le contexte d’une réponse à focalisation large). Ainsi, comme le montrent (51) et (52), les verbes inaccusatifs impallidire et stufarsi sont inacceptables dans ce contexte.

(49) Che cosa è sucesso ? E’ entrata Beatrice.

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(50) Che cosa è sucesso ? Ha telefonato Dante. (51) Che cosa è sucesso ? # E' impallidito Berlusconi. (52) Che cosa è sucesso ? # Si è stufata Penelope.

Toutefois, quelques généralisations empiriques ont été avancées. Lambrecht (1994) a fait noter que les verbes sont faiblement ou non agentifs (d’où l’affinité avec la construction inaccusative) :

[…] there is an upper limit to the degree of agentivity a predicate can have to be exploitable as presentational and thus to be able to appear with presentational syntax or prosody (Lambrecht 1994 : 181) .

Sur le plan lexical la construction à inversion semble réservée aux verbes d'existence et d'apparition dynamique (Existenz-Verben et Verben des In-Erscheinung-Tretens dans la terminologie de Wehr (1984 : 6)). Les verbes entrare (53) et llegar (54) constituent les exemples par excellence des verbes d’apparition.

(53) E entrato il marito. (54) Llega el tren.

D’autre part l’inversion présentative apparaît souvent lorsqu’il y a une solidarité lexicale (terme dû à Coseriu 1967) entre le verbe et le SN postposé. Le sens du verbe interverti caractérise le référent du SN postverbal. Il y a donc un effet de redondance dans la relation SV, puisque le verbe traduit une activité ou un état caractéristiques du type d’entité que représente le référent du sujet (Cornish 2001 : 106). Le verbe subit en quelque sorte une perte de son contenu lexical et est réduit au niveau d’une pure copule locative-existentielle (Cornish 2005). Ainsi les cloches dans (55) sont supposées de sonner et les chiens dans (56) d’aboyer.

(55) Suonavano le campane. (56) Abbaiavano i cani.

La solidarité semantique est sans doute liée au critère discursif sous-jacent consistant dans la légèreté de l’apport d’information associé aux verbes apparaissant dans cette construction. En effet, il a souvent été noté que le verbe présentatif ne peut pas ajouter de nouvelle information au discours (e.a. Birner & Ward 1998 : 194). Selon Hatcher (1956 : 7), « les verbes nous disent seulement ou principalement que le sujet existe ou est présent, commence, continue ».

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2.4.1.2 L’inversion locative

Une autre construction à inversion nominale est l’inversion dite locative. Dans ce genre d’inversion le verbe est précédé d’un syntagme adverbial (un SP spatio-temporel). Sa configuration de surface est donc SP locatif - V - SN thème (Marandin 2003 : 373). (57) In questo palazzo ha vissuto un poeta (Pinto 1997 : 68)

(58) In questa università hanno studiato molti linguisti. (Pinto 1997 : 68)

Il n’est pas sans intérêt de noter que certains verbes inergatifs permettent l’inversion locative sans pouvoir apparaître dans une inversion présentative (absolue). Ainsi dans (59) la construction avec anidar est difficilement acceptable alors que dans (62) il n’y a aucun problème. Il en va exactement de même pour dormir dans (60) versus (63), et pour jugar dans (61) versus (64). Selon Borer (2005 : 276) ceci pourrait suggérer que la position du sujet postverbal dans les verbes inergatifs est différente selon la présence d’un complément locatif : avec un locatif il se trouverait en quelque sorte plus bas ou plus proche du verbe.

(59) ?? Anidan cigueñas. (60) ?? Han dormido animales. (61) ?? Juegan niños.

(62) En este árbol anidan cigueñas. (63) Aquí han dormido animales. (64) En este parque juegan niños.

Par la présence du locatif préverbal, l’inversion locative peut remplir la fonction discursive de focus présentationnel : la construction sert à introduire le référent du SN postverbal dans la scène décrite par l’argument locatif, de sorte que l’argument thème se transforme en focus d’attention (e.a. Bresnan 1994, Levin & Rappaport 1995 : 121).

In presentational focus, a scene is set and a referent is introduced on the scene to become the new focus of attention. In the core cases, a scene is naturally expressed as a location, and the referent as something of which location is predicated – hence, a theme. This imposes a natural selection of the <th loc> argument structure. (Bresnan 1994 : 22-23)

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Il est intéressant d’observer que dans les exemples ci-dessus on note une solidarité sémantique entre le locatif et le verbe. En effet, comme pour l’inversion nominale absolue, on a étudié la nature du verbe impliqué et on aboutit grosso modo à la même conclusion, c’est-à-dire que le dénominateur sémantique commun à tous ces verbes consiste dans la dénotation d’existence ou d’apparition d’une entité ou d’un état de choses. D’après Levin & Rappaport Hovav (1995) les verbes d’existence et d’apparition sont particulièrement appropriés parce qu’ils sont sémantiquement légers :

Here we turn back to the observation that the canonical locative inversion verbs are verbs of existence and appearance. Such verbs are inherently informationally light since they add no information to that provided by the preverbal PP, which, by setting a scene, suggest that something will exist on that scene; therefore, these verbs are expected in the locative inversion constructions. In fact, verbs of existence can often be replaced by the copula without a noticeable change in sentence meaning, and Hoekstra and Mulder (1990) even describe locative constructions as copular constructions. (Levin & Rappaport 1995 : 231).