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Une deuxième différence morphosyntaxique très nette entre les présentatifs existentiels dans les trois langues est l’absence ou la présence d’accord entre le verbe existentiel et sa séquence nominale. En linguistique théorique, il existe un grand nombre d’explications de la vacillation qui existe parmi les différentes langues du monde quant à l’accord verbal dans la construction existentielle. A ce sujet, Pollock (1983) invoque l’existence d’un paramètre d’accord faible ou fort, qui diviserait les langues en deux groupes : d’une part les langues d’accord faible (comme l’anglais et l’italien) et d’autre part les langues d’accord fort (comme le français et l’espagnol). Or, dans les langues qui nous concernent la question semble plus complexe, car, même si c’est à des degrés très différents, toutes les trois semblent montrer une certaine vacillation.

11 C’est également le cas de l’anglais (there is) et du roumain (a fi).

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1.2.1 Il y a

Le français constitue le cas le plus simple. En principe, il n’y a jamais d’accord entre le verbe existentiel et sa séquence nominale, qui est pour cette raison généralement considérée comme l’objet direct du prédicat existentiel. Ainsi dans (22) il n’y a pas d’accord avec le SN des hommes. L’accord se fait avec le sujet explétif il, que Maillard (1985) appelle régisseur verbal. Il s’agit donc d’une construction impersonnelle. Nous y reviendrons plus en détail sous 1.3.

(21) Il y a un homme dans le jardin. (22) Il y a des hommes dans le jardin.

Or, il est bien connu que l’accord verbal des constructions impersonnelles fait l’objet de nombreuses hésitations de la part des francophones. Ainsi Berrendonner (1991) fait observer que les accords non normatifs sont fréquents dans des constructions comme Ils ne restent que quelques personnes où il y a confusion avec les constructions à sujet inversé comme Restent les questions.

A ce propos il est intéressant que Fernández Fuertes (2003 : 44) signale un accord occasionnel de il y a en langue écrite moins soignée. En effet, une recherche superficielle sur Google fournit tout de suite de nombreux exemples comme (23) où la locution existentielle apparaît au pluriel sous la forme de ils y avaient.

(23) Hello! C est une question très précise. Pour ceux qui sont en prépa a saint michel de Picpus je voudrais savoir combien de personnes chaque année en fin de premiere année ECS doivent quitter la prépa. Et pour quels motifs Parce qu'ils ne travaillent pas assez ou uniquement parce qu'ils ne progressent pas assez? Parce que je suis interessée par cette prépa et je l ai eu au deuxieme tour mais on m a dit qu'ils y avaient beaucoup d élèves qui partaient entre la première et la deuxieme année. monica (http://www.prepa-hec.org/forum/passage-deuxieme-annee-t5882.html, 24/05/2009)

Mais quelle que soit la valeur qu’on puisse raisonnablement attribuer à cet exemple13, il nous semble qu’il s’agit là d’un phénomène exceptionnel.

13 Il semble pourtant que les réflexions sur l’usage de données linguistiques en ligne sont globalement positives (Defrancq 2006).

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1.2.2 C’è

En italien, le verbe existentiel s’accorde généralement avec le SN postverbal comme l’attestent les exemples (24) et (25), qui est pour cette raison souvent considéré comme le sujet de esserci. Il faut noter ici qu’on observe le même type d’accord dans la phrase existentielle anglaise qui utilise également le verbe copule be pour exprimer l’existence (26) - (27).

(24) C’è un uomo nel giardino. (25) Ci sono uomini nel giardino. (26) There is a man in the garden. (27) There are men in the garden.

Cependant, il existe dans la langue actuelle une tendance vers l’invariabilité du verbe comme dans (28), même si le c’è invariable est encore cantonné dans le registre familier de l’italien (Koch & Österreicher 1990, Koch 2003).

(28) C’era dei contadini. (Koch 2003 : 158)

On constate d’ailleurs un phénomène parallèle en anglais où there is tend à être invariable en langue familière (Bolinger 1977 : 116, Lazard 1994 : 12, Lambert 1998 : 341), comme dans l’exemple (29) :

(29) There is soldiers down in the city. (Lambert 1998 : 341)

1.2.3 Hay

L’espagnol occupe une position intermédiaire entre l’italien et le français. Dans la plupart des variantes de l’espagnol péninsulaire central, le verbe existentiel haber ne s’accorde pas avec sa séquence nominale, qui se comporte sur ce plan comme un objet direct. C’est pourquoi on appelle hay l’emploi unipersonnel de haber (cf. Delport 2004).

(30) Hay un hombre en el jardín. (31) Hay hombres en el jardín.

25 En revanche, dans d’autres variantes de l’espagnol l’on observe fréquemment l’accord grammatical entre le verbe et le constituant nominal dans la plupart des temps et modes14. Les exemples ci-dessous, que nous citons d’après Montes Giraldo (1982 : 384), illustrent l’accord à l’imparfait (32), au passé simple (indefinido) (33), et au passé composé (perfecto compuesto) (34) :

(32) Se sabe que en las logias norteamericanas habían también oficiales ingleses (Ciencias Sociales 3, 1981, p. 118)

(33) No hubieron presos políticos, ni torturas, ni asesinatos. (Desarrollo Indoamericano 27, 1950) (34) En la historia de la humanidad han habido períodos de auge concorde de la ciencia y el arte

(Ciencias Sociales 3, 1981, p. 118)

Dans certaines variantes populaires hispano-américaines15, on trouve même des formes comme hayn ou haen à l’indicatif présent comme dans (35).

(35) ¿Quiénes hayn adentro?

Finalement, à côté de l’accord en nombre comme dans (32) à (34), l’accord peut également se faire en personne comme dans (36), ce qui est toutefois nettement plus rare (Alcaide Lara 1997).

(36) Habíamos cinco personas en la clase.

En guise de conclusion, nous pouvons dire que seul en français, l’accord entre le SN postverbal et le verbe existentiel est vraiment exceptionnel. Cette caractéristique est étroitement liée à la présence d’un sujet explétif dans cette langue.

14 La variation est sensible à des aspects géo-linguistiques et socio-linguistiques, qui ont été étudiées dans le détail ; pour une discussion voir entre autres Kany 1969, Quilis 1983, Miles 1990, Koch & Österreicher 1990, Fontanella de Weinberg 1992, De Mello 1994, Koch 1994, Alcaide Lara 1997, Díaz-Campos 2003, Freites Barros 2003. L’accord se fait surtout dans les variantes hispano-américaines, mais également en andalou, en portugais (Brauer-Figueiredo 1999) et en catalan (Ramos 1998, Rigau 1994, 1997). L’extension sociale de l’accord en castillan parlé à Barcelone pourrait s’expliquer par l’influence du catalan où hi ha s’accorde en nombre avec son sujet (Blas Arroyo 1999). Signalons finalement que le phénomène n’est pas restreint aux langues ibéro-romanes. On le constate également en allemand oral où on trouve dans certaines variantes des phrases comme es geben dies

Jahr viele Äpfel (Koch 2003 : 167).

15 Kany (1969 : 166) signale l’existence de ces formes en Argentine, Montes Giraldo (1982 : 384) en Colombie et Lapesa (1980 : 587) au Vénézuela.

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