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Les variabilités épigénétiques

A. DE L’ONTOLOGIE ARISTOTÉLICIENNE AU DUALISME CARTÉSIEN

II. LA LECTURE SOCIOBIOLOGIQUE DE L’HOMME

2. Le mythe de la sociobiologie

2.1. Les variabilités épigénétiques

Nous pouvons dire avec certitude que les gènes déterminent certains comportements de l’homme, mais peut-on dire que toute la vie humaine est déterminée génétiquement. Certes, les gènes conditionnent certains champs de notre action, nous confèrent des aptitudes et des inclinations. Mais d’autres instances modèlent, colorent et imprègnent nos aptitudes et inclinations causant en dernier lieu le comportement humain. Cette confusion n’est rien d’autre que ce que les chercheurs appellent aujourd’hui les variabilités épigénétiques.

Une étude menée à l’université Columbia, aux États-Unis, consistait à examiner les effets de la famine de 1945 aux Pays-Bas sur les bébés conçus durant cette période. Les résultats furent surprenants. Les enfants nés durant cette période étaient pour la plupart d’un poids inférieur à la normale à la naissance. De plus, la taille et le poids des bébés nés de ces derniers sont également inférieurs à la moyenne. Comment peut-on expliquer un tel phénomène? Selon les chercheurs, les effets cocktail et papillon de la famine se seraient transmis aux petits-enfants. Cependant, les théories génétiques sur l’hérédité ne concèdent pas à une telle explication d’autant qu’elles n’admettent pas qu’un changement du milieu (l’environnement) puisse causer la modification du patrimoine héréditaire de l’ADN. Une aubaine pour les tenants de la variabilité épigénétique qui y voient un argument de taille pour élucider leur nouvelle théorie. Pour eux, il n’y a aucune raison pour que le changement survenu dans l’environnement puisse occasionner des mutations plus ou moins profondes de l’ADN des parents qui seront transmises à leur descendance. Comment ? En réponse, voyons quelles explications les chercheurs donnent sur les modifications de l’ADN. Les causes épigénétiques fonctionnent comme de véritables interrupteurs. Les modifications sur l’ADN « allument » ou « éteignent » les gènes. Du reste, nous savons depuis 1953 avec James D. Watson et Francis Crick, que l’ADN détient toutes les informations nécessaires au développement, au fonctionnement de l’organisme et est donc l’armature (support) de l’hérédité transmise dans la reproduction, puis incarne la mémoire de l’espèce et de la lignée. Mais force est de constater que les gènes ne détiennent pas à

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eux seuls, le secret de la vie357. Si l’ADN est ce code permettant de fabriquer les protéines et donc être le code capable de déterminer l’individualité, les phénomènes épigénétiques ont également un rôle à jouer. Les variabilités épigénétiques sont en quelque sorte un programme qui intervient pour paralyser ou activer l’action des gènes. Le milieu influe sur ces phénomènes épigénétiques qui subissent en retour de légères mutations. Étonnamment, la fréquence de ces épimutations est plus considérable que les mutations classiques de l’ADN. Mais, leur effet ne serait pas pris en compte car ils sont détruits lors de la production des ovules et des spermatozoïdes. Cependant, elles jouent un rôle certain dans le mécanisme d’adaptation au milieu. Isabelle Santos résume très bien les variabilités épigénétiques en reconstituant cette expérience :

En 1997, les chercheurs de l’Institut californien de technologie découvrent qu’une épimutation gouvernant la forme de la fleur de l’arabette des dames (une mauvaise herbe) était transmise à la génération suivante. Un an plus tard, une équipe allemande du Centre de biologie moléculaire d’Hindenburg tente une autre expérience sur la drosophile. Des embryons de cette mouche sont exposés durant une heure à une température de 37°C, soit près de 20°C de plus que la température normale à laquelle se développent les larves. On observe alors qu’une épimutation active certains gènes qui affectent la couleur des yeux. De jaunes, ils ont viré au rouge orangé. Et là encore la mutation se transmet aux descendants358.

En est-il de même chez l’homme ? Certes, l’exemple relatif à la famine aux Pays-Bas susmentionné est une preuve de la transmission des mutations génétiques, mais peut-on l’attribuer à des effets épigénétiques ? Pour en avoir la confirmation, les modèles animaux constituent l’espoir des chercheurs. Si une telle hypothèse, c’est-à-dire celle de l’hérédité épigénétique se précise, la théorie du « tout génétique » serait remise en cause. De nouvelles perspectives de traitement seront connues et mises en place. Il résulterait que certaines pathologies ne sont pas seulement causées par la variation de la séquence d’ADN mais peut-être aussi par des épimutations. En attendant que l’hypothèse de l’épimutation se confirme, pourquoi ne pas reconsidérer notre hérédité pour défendre l’idée que nous ne sommes pas que le pur produit de nos gènes ? D’ailleurs, certains gènes qualifiés de mauvais ou déficients deviennent source de salut en nous protégeant contre d’autres

357Jean-Jacques Kupiec, Pierre Sonigo, Ni Dieu, ni gène, pour une autre théorie de l’hérédité, Paris, Seuil, 2000.

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maladies. François Jacob dénonce aussi cette même confusion entre le point de départ et les causes dans les affirmations sociobiologiques sur l’éthique. Pour lui, il n’y a plus de raison de chercher dans l’évolution une explication des codes moraux, qu’une explication de la poésie ou de la mathématique ; biologiser de telle manière l’éthique est une dérive idéologique du scientisme. Il en va de même pour Daniel S. Lehman, qui affirme sans ambages que les variabilités environnementales sont indispensables au développement de tous les traits phénotypiques359. Que dirons-nous donc de Peter Richerson, Robert Boyd360 et plus tard de Richard Lewontin ?