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L’homme et la nature dans la tradition grecque

A. DE L’ONTOLOGIE ARISTOTÉLICIENNE AU DUALISME CARTÉSIEN

I. AUX FONDEMENTS DE LA CRISE ÉCOLOGIQUE

1. L’homme et la nature dans la tradition grecque

L’histoire de la biologie a pris un nouveau tournant au début du XIXème siècle et au courant du XXème siècle avec son prodigieux développement dont l’objet est de rendre compte de la vie et des vivants comme ils se présentent à l’observation, avec l’excellente intention d’expliquer les causes et les liaisons immuables entre les phénomènes vitaux qui les régissent. Mais expliquer le vivant reste impossible tant qu’on ne parviendra pas à le dé- finir. La définition du vivant revient à cette équation inévitable qu’est l’individu (individuum), en d’autres termes d’indivisibilité (adiaireta) même si l’« indivisibilité a

manifestement plusieurs sens, n’admettant pas tous la même rigueur »269. Il importe de dire que le vivant est un individu doté d’une unité intérieure et surtout d’une autonomie envers le milieu ambiant. Cependant, cette unité et cette autonomie restent relatives, sans absolues pour deux raisons. La première est que certaines parties, une fois isolées de l’organisme sont en mesure de se reconstituer en un organisme entier, sans pour autant endommager l’unicité du vivant qui reste un tout constitué de parties interdépendantes270. La deuxième raison est relative au principe d’osmose, car la vie cellulaire n’est possible que par des échanges avec le monde extérieur et une perméabilité. Mais, un individu reste avant tout quelles que soient les lois d’interdépendance et d’échange, une réalité unique et originale ayant une essence propre avec une capacité particulière d’organisation. Mais comment

269 Thomas De Koninck, Aristote, l’intelligence et Dieu, Paris, Presse Universitaire de France, 2008, p.101. 270 Louis-Marie Morfaux, Patrice Henriot, «La connaissance du vivant», in Philosophie, Notions et textes, Paris, Armand Colin, 1979, p.130.

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peut-on rendre compte de cette capacité d’organisation du vivant ? Une réponse monolithique à la conception du vivant reste jusqu’ici impossible et continue de diviser les biologistes tout comme les philosophes. Contrairement au vitalisme, synonyme de « la

simple reconnaissance de l’originalité du fait vital »271 qui voit dans la vie une réalité spécifique différente, irréductible à la matière qui reste inexplicable sans le recours à la finalité, le mécanisme surtout cartésien tente de réduire les propriétés vitales à des phénomènes physico-chimiques.

Cette entreprise cartésienne consiste en fait à résoudre l’épineux problème des rapports de l’âme et du corps, de l’esprit et de la matière en comparant le corps de l’animal et celui de l’homme à une machine. À partir de « l’appréhension des natures simples »272qui sont purement intellectuelle, matérielle et commune, le cartésianisme a su permettre de concevoir sans ambigüité ce que sont ces deux réalités simples et indépendantes, nous voulons parler du corps et de l’âme. Cette appréhension du corps comme pure matière s’inscrit en faux contre l’idée inspirée des Grecs en général, et en particulier celle d’Aristote qui fut d’ailleurs longtemps dominante dans l’enseignement scolastique, selon laquelle la vie n’est possible que par l’action d’un principe d’animation, d’une force immatérielle qu’est l’âme, anima. Certes, selon Aristote, tout être est un ensemble défini en matière et forme. Pour preuve il a toujours averti de ne pas réduire toute une maison aux bois utilisés pour sa construction et qu’« il faut garder à l’esprit qu’on ne doit pas

seulement faire mention de la matière et voir là le but de la recherche, mais qu’on doit s’attacher à la forme totale ; ainsi considère-t-on une maison tout entière et non pas seulement les briques, le mortier, les bois »273. De la même manière qu’une maison ayant une fondation avant d’être élevée, l’être vivant a pour matière le corps et pour forme l’âme qui lui donne sa configuration et le principe de son mouvement. L’âme est la forme d’un corps qui a la vie en puissance : « L’âme est l’entéléchie première d’un corps naturel

organisé. Aussi n’y a-t-il pas lieu de se demander si l’âme et le corps ne font qu’un, pas plus que pour la cire et la figure ni, en général, pour telle matière singulière et ce dont elle

271 Georges Canguilhem La connaissance de la vie, Paris, Vrin, 1965, p.195. 272 Thomas De Koninck, Aristote, l’intelligence et Dieu, Paris, PUF, 2008, p.106. 273Aristote, Traité de l'Âme I, 5, 645a.

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est la matière »274. Cette conception hylémorphique aristotélicienne donnera au vivant un statut spécial275. Il est bien connu que, pour Aristote, le principe de la vie est l’âme (anima). Notre vocabulaire en a gardé d’ailleurs la trace : un être vivant est un être animé, un être non vivant, un être inanimé. Cette âme est un principe, ce n’est donc pas une chose, car un principe ne peut jamais exister seul. La conjugaison de l’âme avec un autre principe qu’est la matière pour former un être vivant s’avère donc indispensable: « L’âme […] est la forme

d’un corps naturel ayant la vie en puissance »276 « et comme l’âme est la forme qui confère

la vie à l’être qu’elle anime »277, elle serait en conséquence la cause de son existence278. L’âme est communément aussi appelée par les aristotéliciens médiévaux la forme

substantielle 279 à en croire Bernard Baertschi. Elle serait donc « le principe de la vie ; en

cela, elle est responsable des activités du vivant : la nutrition et la reproduction pour tous les vivants, la vie sensible (cognitive, affective et conative) pour les animaux, la vie rationnelle et intellectuelle pour les êtres humains »280.

Pour mieux cerner l’enjeu du rapport entre l’homme et la nature dans la tradition grecque, la compréhension de l’hylémorphisme s’avère nécessaire. Avant d’arriver à l’hylémorphisme qui accorde à l’âme le principe fondamental de la vie, Aristote ne cesse de se poser la question sur la nature des êtres, compte tenu des comportements constatés entre les êtres vivants et les êtres inanimés, comme les minéraux, des comportements auxquels on ne peut donner ni la même interprétation ni la même cause. En conséquence, l’âme est un principe de vie non seulement responsable des fonctions spécifiques du vivant, mais qui accorde aussi une forme substantielle au corps. Bernard Baertschi ira considérer « le

raisonnement du Stagirite » comme « un type d’inférence bien connu dans les sciences

expérimentales, que Charles Sanders Peirce appellera « abduction », à savoir un raisonnement par lequel une hypothèse est formulée pour que des faits surprenants jusque-

274Aristote, Traité de l’Âme, II, 412a 22. Voir aussi Bernard Feltz, La science et le vivant, Bruxelles, De Boeck, 2004, p.166.

275

Pierre-Marie Morel, De la matière à l’action, Aristote et le problème du vivant, Paris, Vrin, 2007, p.18.

276

Aristote, De l’âme, Trad. J. Tricot, Paris, Vrin, 1969. p. 67.

277 Bernard Baertschi, La vie artificielle et le statut moral des êtres vivants artificiels, Berne, OFCL, 2009, p.33.

278

En fait, une des causes : la cause formelle, avec laquelle concourent les causes matérielle.

279Bernard Baertschi, La vie artificielle et le statut moral des êtres vivants artificiels, Berne, OFCL, 2009, p.33.

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là puissent être expliqués »281. Par ce raisonnement, on comprend mieux pourquoi l’hylémorphisme aristotélicien finit par considérer que les végétaux, les animaux et les humains sont des vivants ayant un principe de vie, donc une âme mais à des degrés différents. Pourquoi un tel vitalisme, et comment est-il arrivé, Aristote, à cette réflexion? Pour le fondateur du Lycée, les vivants (les humains, les végétaux et les animaux) ont une forme substantielle ou un principe de vie qu’est l’âme. Il établira une hiérarchie entre les trois formes d’âmes, que sont l’âme végétative, l’âme sensitive et l’âme rationnelle, donc une hiérarchie fondatrice d’une gradation des valeurs et des statuts moraux. Il n’est cependant pas le seul ni le dernier à croire en une hiérarchie des âmes. La philosophie médiévale, en l’occurrence la philosophie thomiste fera cette récupération et réappropriation de la hiérarchie des âmes après les stoïciens en ces termes : « Les êtres les

plus imparfaits sont mis à la disposition des plus parfaits ; les plantes en effet se servent de la terre pour leur nourriture, les animaux des plantes et les hommes des plantes et des animaux (…) Or tout ce qui est par participation est soumis à ce qui est par essence et de façon universelle »282.

Cette schématisation permet de mieux expliquer et comprendre la théorie aristotélicienne sur l’hylémorphisme, la gradation de l’âme, le polythéisme des valeurs et les différentes conceptions de la dignité humaine. Ainsi, le biocentrisme affirme que les êtres animés ont une valeur intrinsèque plus grande que celle des êtres inanimés, une raison qui autorise les vivants à utiliser les êtres inanimés à des fins instrumentales. Le respect de la vie est conditionné par la conscience, la raison, la sensation, etc… facultés que les êtres inanimés ne possèdent pas et qui constituent des preuves qui permettent d’évaluer les diverses formes de vie d’une part, et qui, d’autre part, influencent les débats sur la dignité humaine en cours entre les penseurs libéraux incarnés par Tristam Engelhardt et les penseurs plus traditionnalistes comme Hans Jonas et Thomas De Koninck. En guise d’exemple, Raymond G. Frey objectera à Peter Singer qui défend la cause des animaux, que l’homme n’est pas à mettre sur le même olan que l’animal. Il écrira d’ailleurs que :

281

Bernard Baertschi, La vie artificielle et le statut moral des êtres vivants artificiels, Berne, OFCL, 2009, p.34. Voir aussi Charles Peirce. « How to make our Ideas clear », in Popular science monthly, January 1878, p. 286.

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Tandis que nous partageons beaucoup d’activités avec les animaux, comme manger, dormir et nous reproduire, aucune combinaison de telles activités n’approche la richesse d’une vie adulte normale, où l’amour, la famille, les amis, l’art, la musique, la littérature, la science et les autres produits de la raison et de la réflexion ajoutent immensément à nos vies283.

Cependant, les diverses formes de l’âme (végétative, sensitive et intellectuelle) forment une ribambelle, nous voulons dire une suite ou une série dont chaque terme suppose le précédent avec une double conséquence. Pour preuve, bien que l’animal soit caractérisé par ses facultés sensitives, motrices, l’homme par sa faculté intellectuelle et les végétaux par leur faculté nutritive, tous ces vivants signent une propriété commune. De tout ce qui précède, il appert d’une part que pour Aristote, le corps ne se réduit pas à la matière, rien que la matière, un corps-machine qui se mue soi-même. Il y a une forme substantielle qui régit toutes les formes de vie, l’âme. D’autre part, les vivants ont une appartenance commune à des degrés différents. Il y a entre les vivants, une continuité logique et non une rupture. Il y a chez Aristote un prolongement ontologique qui conforte le sentiment de proximité entre l’homme et l’animal en marquant leur appartenance à une nature commune. Nous pourrons conclure ce passage aristotélicien que l’âme n’existerait pas sans le corps et n’est donc pas cette substance indépendante qu’elle sera chez Descartes plus tard. Ce dernier amorce une rupture profonde avec l’aristotélisme, une rupture que Jean-Luc Marion a baptisé la « métaphorisation »284.

Si l’aristotélisme est encore à l’ordre du jour ou toujours pris en compte lorsqu’il est question du rapport entre les êtres vivants et leur milieu naturel, la biologie aristotélicienne a été en revanche complètement laissée pour compte en raison de l’émergence de la nouvelle science au XVIIème siècle. Le paradigme de l’hylémorphisme a cédé la place au paradigme mécaniste inauguré par Galilée, Descartes et Boyle qui ont pris à partie la conception aristotélicienne du monde, reprise et développée par la scolastique médiévale. Par exemple, dans The Origin of Form and Qualities paru en 1666, Robert Boyle fait une méthodique diatribe de l’aristotélisme. En quoi consiste-telle ? Comment comprendre les principes sur lesquels les scolastiques se fondent pour établir leur théorie ? La forme

283

Raymond G. Frey, « Medecine, Animal Experimentation, and the Moral Problem of Unfortunate Humans», Social Philosophy and Policy, Bowling Green, CUP, 1996/2. p.207.

284Jean-Luc Marion, Sur l’ontologie grise de Descartes, Paris, Vrin, 1975, voir aussi Thomas De Koninck, Aristote, l’intelligence et Dieu, Paris, Presse Universitaire de France, 2008, p.96.

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substantielle ou l’âme serait à la base de toutes les fonctions vitales et expliquerait dans une plus large mesure les mouvements des êtres, vivants et non vivants285. Cette forme est la même chez tous les êtres d’une espèce et rend compte de tout ce qui caractérise cette espèce. Cependant, personne n’est capable de dire en quoi consiste l’âme, cette entité mystérieuse. Il faut donc trouver une autre explication. Boyle s’estime en mesure de fournir toute une autre indication sur les différentes fonctions des corps naturels : « tous les

changements que subissent les corps, bien loin d’être les effets d’une forme substantielle, ont lieu mécaniquement [mechanically] en vertu du mouvement, des dimensions, de la figure et de la disposition des parties de ces corps »286. En d’autres termes, les diverses formes de corpuscules dans l’univers sont mues par elles-mêmes. Ces mouvements sont propres pour les corps inanimés autant que les corps animés. Cette conception du mouvement fait l’écho à celle de Descartes. Les vivants (les végétaux, les animaux et les humains) ne sont par conséquent qu’une sorte de machine : « Nous voyons des horloges,

des fontaines artificielles, des moulins, et autres semblables machines, qui n’étant faites que par des hommes, ne laissent pas d’avoir la force de se mouvoir d’elles-mêmes »287, écrit Descartes. Le cartésianisme réduit ainsi les êtres vivants à la matière qui se meut elle- même. À en croire Descartes, l’âme ou la forme substantielle n’est rien d’autre que les propriétés des corpuscules. Il écrit très justement à ce propos : « Ce que nous appelons

leurs formes substantielles [n’est] autre chose en eux que les diverses figures, situations, grandeurs et mouvements de leurs parties »288. Les formes substantielles remplacées par les propriétés des corpuscules par Descartes et ses neveux deviennent ce que John Locke a dénommé les qualités premières. Celles-ci sont censées expliquer toutes les opérations des corps mais rapidement, on va se rendre compte que ce n’est pas le cas et qu’il faut invoquer encore d’autres propriétés. Tel est l’avis de Pierre-Louis de Maupertuis pour qui les qualités premières ou les formes substantielles de la physique cartésienne (le mouvement et l’étendue) ne sont plus suffisantes pour expliquer les phénomènes de la nature : « Les

astronomes furent ceux qui sentirent les premiers le besoin d’un nouveau principe pour les

mouvements des corps célestes […] La chimie en a depuis reconnu la nécessité ; et les

285

Robert Boyle, The Origin of Form and Qualities, in The Works of the Honourable Robert Boyle, Londres, 1966, Tome 3, p. 46.

286

Idem, p.13.

287René Descartes, L’Homme, Éd. Adam & Tannery, Tome XI, p. 120.

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chimistes les plus fameux aujourd’hui, admettent l’attraction, et l’étendent plus loin que

n’ont fait les astronomes »289.

Il appert que la philosophie de la nature chez Aristote, qui remonte aux présocratiques, donc à la philosophie de la nature chez les Grecs, est holistique et propose un ensemble dont l’homme fait partie intégrante. Mais cette conception holistique de la nature a été écourtée et remplacée par une conception dualiste, mécanique, fondée par une science réductionniste qui plonge l’humanité dans une crise écologique. Cette différence et ce changement furent constatés par Charles De Koninck lors d’une conférence prononcée lors d’un mardi universitaire en ces termes :

Les images de l’univers que nous rencontrons dans la cosmologie grecque et médiévale sont tellement différentes de celles que nous forme la science moderne, que certains historiens de la science croient voir, dans la transition de l’un et de l’autre, une sorte de mutation de l’intelligence humaine. Elles diffèrent au point qu’on ne peut même les comparer290.

Pour lui, ce changement n’est pas une mutation de l’intelligence, un progrès comme le fait savoir la science moderne, mais une différence plus profonde que la mutation de l’intelligence, un problème qui relève de la philosophie de la nature : « Nous n’entendons

pas diminuer cette différence, dit-il. Nous la verrions plus profonde encore que ceux qui parlent de mutation, si vraiment on pouvait ignorer désormais les problèmes plus primitifs et plus communs, mais d’analyse difficile, qui relèvent de ce que nous appelons la philosophie de la nature »291. Tel fut aussi le triste et amer constat de Vittorio Hösle qui voit dans la crise écologique actuelle, une rupture entre l’homme et la nature. Il écrit justement :

Au fondement de l’actuel règne de la technique moderne et de la pensée technique se trouve une rupture entre rationalité instrumentale (Zweckrationalität) et rationalité axiologique (Wertrationalität). Et c’est cette rupture qui permet d’expliquer la présente crise écologique, de même que,

289 Pierre Louis Moreau de Maupertuis, Vénus physique, Paris, 1745, p. 121.

290Charles De Koninck, « Deux images de l’univers, l’antique et la moderne », 13 fév.1945, in Archives Charles De Koninck, n°385, p.1.

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d’une manière générale, le sentiment de désorientation (Steuerungsprobleme) qui afflige nos sociétés modernes292.

Cette crise écologique relève d’une relation singulière entre la « nature » et l’ « être humain » qui soulève un problème d’ordre ontologique sans précédent dans l’histoire de l’univers. Pour mieux comprendre la nature spécifique du lien qui nous unit à la nature, Hösle n’hésite pas à comparer le lien entre l’homme et la nature avec celui du cœur au corps au moyen de cette illustration :

Lorsque l’on dit « les plantes et les animaux », on entend dans cette relation, la liaison de deux choses en tant qu’elles prennent place au sein d’un concept plus général, qui est celui de l’espèce. Plantes et animaux sont ici tenus dans une entière opposition, dans la mesure où ils sont des entités distinctes et complètes. Par ailleurs, lorsque l’on dit «le cœur et le corps», on entend plutôt un rapport qui est celui d’une partie à l’égard d’un tout. Il serait bien absurde de vouloir chercher à opposer le cœur au corps et vice versa : sans le corps, le cœur n’est plus qu’un amas de cellules organiques, et sans le cœur, le corps est cadavre293.

Le rapport entre l’être humain et la nature devient de plus en plus complexe dans la mesure où il se rapporte simultanément à ces deux types de relations : « D’une conception

«totalisante» de la nature chez les Anciens, écrit-il, nous sommes aujourd’hui passés à une conception «hétérogène» de la nature ; la nature est pour nous devenue l’autre de l’être humain »294. Certes, la physis désignait le tout ou un holos de l’être en mouvement et l’être humain était conçu comme prenant place au sein de cet ensemble à titre de fondement idéel (ideelle Grund) de l’essence de l’être chez les Grecs. Ceux-ci n’ont jamais établi un rapport d’opposition entre l’être humain et la physis295, remarquait le russe Anatoli V. Achutin. Mais reste à savoir comment une pareille métamorphose a pu survenir. Il faut noter que la philosophie de la nature a été marquée par la succession de plusieurs conceptions dans l’histoire. On enregistre ainsi volontiers au sein de l’histoire des idées, le développement successif de cinq grandes conceptions de la nature, une succession d’idées qui ne cesse de creuser le fossé grandissant entre l’être humain et la nature.

292Vittorio Hösle, « Die geistesgeschichtlichen Grundlagen der ökologischen Krise » ou « Les fondements culturels et historiques de la crise écologique », Trad. D. Parenteau in Laval théologique et philosophique, vol. 63, n° 2, 2007, p.387.

293 Idem, p.390 294Ibid., p.390.