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Le contrôle de la qualité des nouveaux humains

C. LES MÉTHODES DU REMODELAGE DE L’HOMME

I. L’ère des reprogrammations génétiques

1. Le contrôle de la qualité des nouveaux humains

Conscient du bien-fondé de l’ingénierie génétique, le sociologue américain, Amitai Etzioni s’alarmait de la nouvelle allure et surtout du risque de chamboulement de l’objet des recherches de la génétique. Il avertit en ces termes : « Ce qui sera sans doute, au début,

simplement un contrôle biologique de la maladie, pourrait se transformer en une tentative de créer des surhommes »205. Celui-ci n’est pas le seul à voir le danger des biotechnologies pointer à l’horizon. Le généticien Bentley Glass craignait la transmutation des fins de la génétique en un eugénisme aveugle imputables à certaines idéologies, une instrumentalisation des biotechniques par certains politiques. Il présumait qu’à l’avenir, les individus malformés ou inaptes sur un quelconque plan n’auraient pas le droit de vivre. Les communautés futures décideront des critères des droits de vie. Il voit dans la pression démographique, une raison suffisante pour pratiquer l’eugénisme, comme Malthus qui rendra la régulation eugénique inéluctable. Il écrit très justement que « les droits de

l’homme qui étaient autrefois sacrés, vont devoir évoluer considérablement »206 en faisant allusion à la querelle des pro-vies et pro-choix, les nouvelles définitions de l’homme que promeuvent Tristam Engelhardt207, Michael Tooley208. L’évolution naturelle est en train de cesser ainsi son cours normal pour passer la main à la sélection artificielle par l’entremise de l’ingénierie génétique. Nous passons de la modification du génome humain à une autre version de l’eugénisme qui veut contrôler la qualité de la vie humaine.

L’eugénisme n’est plus seulement cette idéologie galtonienne voulant purifier la société de ses tares209 mais aussi une politique consistant à améliorer l’Homo Sapiens par le biais du contrôle et de la manipulation des facteurs héréditaires. L’amélioration de l’espèce humaine est possible par une intervention indirecte sur les gènes, comme nous venons de le montrer, avec les manipulations génétiques. Jusqu’ici, nous avons exposé les différentes formes de remodelage de l’homme, sans poser véritablement le problème. Ces techniques eugéniques présentent une kyrielle de facettes dont certaines prêtent plus à discussion que d’autres.

205Amitai Etzioni, Genetic Fix: the Next Technological Revolution. New York: Macmillan Publishing Co., Inc., 1973

206Arthur J. Snider, « The genetic control of man », in Science digest, April 1971, p.56.

207 Tristam H. Engelhardt, The foundation of bioethics, Oxford University Press, 2nd Edition, 1996.

208

Michael Tooley « Abortion and Infanticide», in Philosophy and Public Affairs, Vol. 2, 1972, pp. 37-65.

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Dans un premier temps, l’eugénisme dans sa version simple consiste à une modification ou à une interruption du développement biologique de l’embryon ou du fœtus. Les parents procèdent à l’élimination de l’embryon ou du fœtus lorsqu’il est très défectueux. Dans un deuxième temps, la forme la plus développée de l’eugénisme est celle communément appelée l’eugénisme négatif qui exige un examen systématique des bébés ou des personnes qui désirent avoir un enfant, dont le but est de réduire le plus possible les gènes défectueux pour le bien de la société. Enfin, l’eugénisme positif est celui pratiqué également par les Aryens qu’Hitler avait encouragés qui consiste à une tentative volontaire et consciente de produire en masse des types humains nouveaux ou améliorés210. Dans sa version simple ou développée (négatif ou positif), l’eugénisme a pour devise, l’éradication des « tares génétiques ». Mais avant de nous attarder sur les expressions des diverses formes de l’eugénique, il convient d’énumérer les techniques du contrôle de la qualité de vie sans développer les problèmes que celles-ci posent.

Parler du contrôle de la qualité des nouveaux humains, c’est faire appel à l’expertise des conseillers génétiques en vue de l’examen du fœtus dans la matrice. Cette technique du contrôle de la qualité du nouveau-né agite le problème juridique relatif au fœtus et surtout à celui de la détermination du fœtus comme personne humaine. Ce débat est très loin de faire preuve de consensus. Les puristes, notamment les théologiens conservateurs définissent la vie humaine comme la fécondation de l’ovule par le spermatozoïde. Mais cette thèse n’est pas dénuée de fondements. C’est ici et à ce moment qu’est imprimé le programme qui déterminera l’avenir du futur être humain dans ses grandes lignes. Cependant, elle souffrirait de plusieurs insuffisances selon les libéraux. À cette thèse puriste considérée de désuète, s’oppose le protestantisme qui pense que la vie commence avec le premier mouvement du fœtus. Il importe de noter au passage, que l’église catholique romaine autorisait l’avortement au Moyen-âge jusqu’au premier mouvement du fœtus211. D’autres thèses sur la détermination de la vie humaine sont en vogue comme le battement du cœur, l’apparence humaine, le fonctionnement cérébral et la naissance proprement dite. Notre souci n’est pas d’étendre le débat sur le statut de la vie du fœtus liée à des techniques du

210 Vance Packard, L’homme remodelé, Paris, Calmann-Lévy, 1979, p.229.

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contrôle de la qualité des nouveau-nés, mais de parler du caractère eugénique de ces techniques de contrôle. En conséquence, quels seraient les fondements de l’eugénisme ? Nous tenons à rappeler au passage que nous ne sommes pas opposés aux conseils génétiques et que nous croyons moralement défendables certaines techniques de contrôle, dans la mesure où l’objectif de la médecine est de sauver des vies humaines. Mais, que dirions-nous des politiques coercitives massives dont l’unique objectif est de dépister les fœtus mal équipés génétiquement ou d’en empêcher la conception ? Nous voulons éviter de faire allusion ici à des politiques pré et post-nazies qui s’inscrivent dans un eugénisme négatif, car avant même l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir, une frange de scientifiques et d’hommes politiques allemands étaient favorables à l’eugénisme212. Certes, la politique eugéniste dans le vent dans l’Allemagne nazie, qui fait partie d’un programme plus vaste que l’on peut reconnaître d’« eugénico-raciste »213 a été élaborée dès 1933. Basée sur des techniques à vocation scientifiques et organisées, cette politique eugéniste est réduite à un ensemble de lois et de décrets ayant pour objectifs, d’une part de favoriser la fécondité des humains considérés comme supérieurs à travers une politique nataliste (Lebensborn214), et d’autre part d’empêcher la reproduction des humains considérés comme génétiquement déficients (diabétiques, myopes), inférieurs et socialement indésirables (les criminels, arriérés mentaux, homosexuels) ou racialement « impurs » (Juifs, Tsiganes, Noirs). Nous voulons parler de l’obligation de se soumettre au conseil génétique, de la stérilisation obligatoire comme c’était le cas autrefois aux États-Unis, de l’interdiction de se reproduire sans avoir un permis et de l’examen systématiques des nouveau-nés. De telles pratiques sont fondées sur le fait que l’État n’a pas seulement le devoir mais aussi le droit de réduire le nombre d’individu présentant des tares d’origine génétique. Une telle apologie évoque l’argumentaire selon lequel la sélection naturelle est violée par l’homme qui aurait stimulé la dégradation considérable du patrimoine génétique.

212 Paul Weidling, Hygiène raciale et eugénisme médical en Allemagne, 1870-1932, Paris, La Découverte, 1998.

213 Benoît Massin, « Stérilisation eugénique et contrôle médico-étatique des naissances en Allemagne nazie: la mise en pratique de l’utopie médicale », in Les Enjeux de la stérilisation, Paris, Institut National d’Études Démographiques, (INED), 2000, p. 64.

214Le Lebensborn était une organisation dans l’Allemagne nazie destinée à augmenter le taux de naissance d’enfants « aryens » en permettant à des filles-mères d’accoucher des enfants en anonyme et de les remettre à la SS qui en assurerait la charge puis l’adoption sous la coupole de l’État et sous l’administration de la SS (Schutzstaffel). Le «Lebensborn» un mot forgé de l’allemand ancien à partir de « leben » (vie) et «Born » (fontaine) et qui désigne en français par « Fontaines de vie».

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