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Le spectre du transhumanisme et posthumanisme

B. LES INTERPRÉTATIONS DES GÈNES : DU DISCOURS BIOLOGIQUE AU

III. Les interprétations idéologiques des gènes

3. Du transgénisme au transhumanisme

3.2. Le spectre du transhumanisme et posthumanisme

Nouveau Prométhée des temps modernes détenant la « mystique de l’ADN »185, l’homme n’a pas changé son rêve de devenir non seulement le maître et possesseur de la nature extérieure mais aussi de sa nature intérieure, bref, de la vie. Fondée sur le principe du déterminisme génétique « supergène », la transgénèse ou transgénose a nettement gagné en audience à partir des années 90. Ce succès est dû à ses différentes fonctions vérifiées et vertus citées ci-dessus. Cet intérêt pour la transgénèse s’explique aussi par la justification de certains problèmes sociaux à partir des théories biologiques. Le gène expliquerait ce que les théologiens désignaient jadis par le péché pour justifier le mal dans la société. Le gène incarne le bien et le mal situé à l’intérieur même des individus et explique certaines valeurs américaines comme l’individualisme186. Mais en plus, le concept de gène est suffisamment maniable et s’adapte à toutes sortes de discours pour donner des réponses simples aux problèmes complexes des relations entre les sexes, de la déviance ou de la criminalité. On croirait que l’imaginaire de la transgénèse relève d’une science-fiction. Mais, il n’en est pas le cas. Elle relève plutôt de l’utopie ou d’un principe d’espérance d’un certain Ernst

185Dorothy Nelkin et Susan Lindee, La mystique de l’ADN, Paris, Belin, 1998. 186Stephen Jay Gould, La mal-mesure de l'homme, Paris, Odile Jacob, 1997.

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Bloch187 que critiquait jadis Hans Jonas. Il faut bien distinguer science-fiction et utopie. Bien que l’une et l’autre aient en commun cette « volonté de forcer les verrous du temps

pour ouvrir sur des espaces éloignés de notre quotidien »188, écrit Yolène Dilas- Rocherieux, la science-fiction est pressée, avide « d’accélérer le processus de

transformation » pour imaginer tout de suite des futurs parfaitement cohérents. « À

l’inverse », écrit-elle, « l’utopie est «rationnellement raisonnable», hostile au hasard,

méthodiquement élaborée entre déconstruction et reconstruction de manière à rompre avec l’ordre en place »189.

Le transgénisme n’est donc plus très éloigné du transhumanisme ou posthumanisme. Le transgénisme se dérobe de sa vision et de sa mission thérapeutique et devient donc une utopie qui veut rompre avec Homo sapiens pour créer un « homme nouveau » et devient ainsi le posthumanisme ou le transhumanisme. Certes, Daniel Jacques remarque que les fondamentaux des posthumanistes et transhumanistes sont souvent tournés en dérision, mais restent des idéologies inquiétantes pour l’avenir de nos sociétés190. Il s’agit pour le manifeste posthumaniste de reprendre à son compte une vieille ambition qui cesse d’être une métaphore de produire un « homme nouveau ». À l’image du communisme, « […],

plusieurs idéologies politiques ont voulu transformer radicalement les conditions d’existence de l’être humain »191. L’échec de ces idéologies politiques ou « la déconfiture

de cet idéal », a créé un « vacuum politique » rempli actuellement au moins en partie par «

l’utopie biogénétique », autrement dit le posthumanisme et le transhumanisme, lesquels veulent transformer l’homme dans son essence. Ces idéaux pensent et croient « régler le

problème humain, non pas dans les conditions sociales ou extérieures, mais à partir de la transformation de l’homme lui-même »192. A priori, on note une similitude entre le

187Ernst Bloch, Le principe espérance, Trad. Françoise Wuilmart, Paris, Gallimard, 1991. 188

Yolène Dilas-Rocherieux, L’utopie ou la mémoire du futur : De Thomas More à Lénine, le rêve éternel d’une autre société, Paris, Robert Laffont, 2000, p.142.

189Idem, p.142.

190Antoine Robitaille, Le nouvel homme nouveau. Voyage dans les utopies de la posthumanité, Québec, Boréal, 2007.

191

Daniel Tanguay, « De l’impasse nihiliste à l’utopie biogénétique. Remarques sur une rétractation de Francis Fukuyama, un roman de Michel Houellebecq, une conférence de Peter Sloterdijk et l’âme humaine », in Argument, vol.3, 2000-2001, p. 32-57

192Daniel Tanguay, « De l’impasse nihiliste à l’utopie biogénétique. Remarques sur une rétractation de Francis Fukuyama, un roman de Michel Houellebecq, une conférence de Peter Sloterdijk et l’âme humaine », in Argument, vol.3, 2000-2001, p.32-57.

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posthumanisme et le transhumanisme avec une ombre quelques fois. Ils estiment que l’humanité a encore du chemin à faire. De la préhumanité à l’Homo sapiens, il serait fondamental de concevoir et de se projeter de ce dernier à la posthumanité. Si les marxistes n’ont pas su transformer radicalement les conditions d’existence de l’être humain après avoir prétendu saisir le sens de l’histoire, les posthumanistes et transhumanistes estiment que, grâce à la robotique, à la bio-informatique, aux neurosciences, à la génomique et aux nanotechnologies, nous nous rendrons plus maîtres et possesseurs de la nature et des espèces.

Selon la définition du « World Transhumanist Association », repris par Antoine Robitaille, le posthumain est donc « un être dont les propriétés fondamentales dépassent tellement

celles des humains actuels » si bien qu’il ne fait aucun doute qu’il n’est plus humain « au

sens où on l’entend actuellement »193. Bien que les posthumanistes n’aient aucune idée des « surhumains », ils pensent tout de même qu’ils « seraient plus forts, plus intelligents, plus

résistants et qu’ils auraient une espérance de vie presque infinie »194. La seule différence entre les termes est que le transhumain fera toujours partie des « Homo sapiens » mais sera soumis à une mutation sans précédent vers une posthumanité. Pour avoir une idée, ce posthumain serait un organisme cybernétique, un homme modifié et amélioré, mutant, androïde, homme bionique, qui aura une part humaine « traditionnelle », quelques tissus, le cerveau, parfois la forme et une autre part modifiée génétiquement, qui donnera des êtres synthétiques195. Loin d’être seulement le champ de prédilection d’éminents scientifiques et philosophes à l’image de Lee Silver, Peter Sloterdijk, le posthumanisme est aussi divulgué par les gourous de certaines sectes comme le mouvement raëlien. Dans son livre

Géniocratie, Raël a présenté son plan pour une union politique pacifique dans le monde entier. Bien que son agenda politique réponde aux normes démocratiques, il exige que les membres de l’électorat aient un quotient d’intelligence minimal normalisé. Ce mouvement se moque du système politique actuel, le considérant comme insuffisant pour faire face à différentes crises contemporaines comme l’environnementalisme, la justice sociale, les droits de l’homme et le système économique actuel. Dans cette optique, la « géniocratie »

193Antoine Robitaille, Le nouvel homme nouveau. Voyage dans les utopies de la posthumanité, Québec, Boréal, 2007, p.13.

194Idem, p.13. 195Ibid., 2007, p. 13.

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propose un modèle économique différent appelé humanitarisme, issu du gouvernement du peuple pour le peuple… par les génies196. Cette méritocratie passe nécessairement par le clonage. Cependant, au-delà de cette conception fumiste du posthumanisme, certaines icônes de la science ne sont pas en reste. Antoine Robitaille rapportait les propos de James Dewey Watson qui déclarait sans ambages lors d’une conférence à l’Université de Californie en 1998 : « Il faudra que certains aient le courage d’intervenir sur la lignée

germinale sans être sûrs du résultat. De plus, personne n’ose le dire, si nous pouvions créer des êtres humains grâce à l’adaptation de gènes provenant de plantes ou d’animaux, pourquoi faudrait-il s’en priver ? Où est le problème ? ».

Mais, dans ce cas, quel genre d’être humain voudrions-nous créer ? Que pouvons-nous changer et que voulons-nous changer? Il va plus loin et s’interrogeait ainsi: « Si nous

pouvons produire un être humain meilleur en lui ajoutant des gènes, pourquoi devrions- nous nous empêcher de le faire?»197. Le célèbre généticien de l’Université de Princeton Lee Silver de son côté, a publié un livre au titre révélateur, Remaking Eden, dans lequel il soutient que la manipulation génétique de l’humain annonce rien de moins que le paradis198. William Haseltine ira jusqu’à déclarer que sa génération « allait être la première

dans l’histoire qui réussirait à trouver la voie vers l’immortalité »199. Certaines émissions télévisées américaines, comme « Extreme Make-Over » vont jusqu’à prétendre refaire l’homme comme on refait des voitures ou des maisons, faisant ainsi l’apologie de cette idéologie. On peut dresser la liste des pratiques posthumaines ainsi :

Un nombre croissant de parents aux États-Unis qui choisissent le sexe de leurs rejetons. Certains iront jusqu’à vouloir déterminer leur profil physique ou intellectuel par leurs gènes et réclament des «diagnostics préimplantatoires» pour ce faire. Des hormones de croissance sont prescrites à des enfants qui n’ont aucun problème de taille mais qui désirent simplement être plus grands200.

196Raël, Geniocracy, Government of the people, for the people, by the geniuses, Nova distribution, 2008. 197Antoine Robitaille, Le nouvel homme nouveau. Voyage dans les utopies de la posthumanité, Québec, Boréal, 2007, p.14.

198Voir Supra, p.11.

199Voir Sheila Rothman and David Rothman, The pursuit of perfection: the promise and perils of medical enhancement, New-York, Pantheon, 2003.

200Antoine Robitaille, Le nouvel homme nouveau. Voyage dans les utopies de la posthumanité, Québec, Boréal, 2007, p.15-16.

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Inquiet d’une société en déconstruction, Robitaille avertit qu’« un Extreme Make-Over

d’Homo sapiens semble en préparation »201. Cet « Extreme Make-Over » est souvent soutenu par bon nombres de scientifiques qui, consciemment ou non, prennent part à des courants marginaux du monde parfait que ces utopistes nous promettent. Le risque ici, est que « l’essentialisme génétique » ne tarde pas à devenir un discours autonome. N’est-ce pas réduire l’être humain à un « paquet de gènes » qui légitime l’injustice sociale, exclut le libre arbitre individuel et décharge la société de toute responsabilité en matière de problèmes sociaux et éducatifs ? L’imaginaire biotechnologique semble donc ouvrir une nouvelle voie dangereuse sur l’eugénisme, « moulé dans le langage séduisant du progrès,

de la raison et, par-dessus tout, de la compassion »202, destinée à améliorer et augmenter les performances de l’espèce humaine. Au-delà des fondements biologique, idéologique, philosophique, sectaire voire théologique comme le pélagianisme, nous allons considérer quelques méthodes qui permettront de donner une réalité à ces visions exaltées du futur et qui constituent une part inavouée, inexplorée de la culture contemporaine, avant de passer le témoin à certains auteurs qui voudraient nous mettre en garde contre ces utopies.

C. LES MÉTHODES DU REMODELAGE DE L’HOMME