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Critique de la psychologie de Bouchard

B. LES INTERPRÉTATIONS DES GÈNES : DU DISCOURS BIOLOGIQUE AU

II. Les écueils des discours biologiques des gènes

4. Critique de la psychologie de Bouchard

Apparemment, la génétique, l’éthologie ont toujours tenté de trouver une origine génétique à l’alcoolisme, l’homosexualité, l’agressivité et à quoi d’autre ? Mais nous pouvons aussi prendre nos distances avec cet innéisme contemporain pris en compte et défendu par l’éthologie, et relayé par la psychologie du comportement. Le grand prêtre du déterminisme génétique en psychologie fut Thomas Bouchard. Cette théorie n’a pas été épargnée par la critique en raison de la méthodologie plus ou moins rigoureuse que l’auteur a utilisée. Il est question ici d’individus pour lesquels la falsifiabilité n’est guère permise tout comme dans la génétique. Nous constatons avec regret que certains comportements de l’homme comme l’agressivité, l’alcoolisme sont déchiffrés à partir des résultats d’expérimentations sur les souris «knock-out», mais il reste à savoir si une telle transposition est possible.

De plus, on s’appuie sur des comparaisons pour mettre des corrélations en évidence. La méthodologie consiste à faire des liens entre les vrais et les faux jumeaux, entre les vrais jumeaux éduqués ensemble ou séparés à la naissance, entre les enfants issus d’une classe sociale et éduqués dans une autre, entre les membres d’une famille dans le cas d’une maladie récurrente dans cette famille. Les problèmes liés à la corrélation ne sont pas spécifiques à la génétique, mais relèvent de questions traditionnelles de logique communes

111Catherine Bourgain, « L’ADN va révéler de plus en plus d’information », in Libération, 31 janvier 2012. 112Idem, p.12

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à toutes les sciences exactes, expérimentales ou autres. La coexistence de deux phénomènes dans ce cas précis, (un génotype A et un phénotype B) n’établit pas a priori les liens de causalité éventuels qu’entretiennent A et B. Deux problèmes se posent. A priori, il serait difficile de définir simplement et de délimiter les composantes A et B. En second lieu, au moins sept possibilités se dégagent à partir des liens qu’entretiennent A et B113 : A est la cause de B, B est la cause de A. A et B entretiennent des causalités mutuelles avec des effets rétroactifs. Dans les cas suivants, un troisième facteur X peut entrer en scène représentant l’influence de l’environnement. A et X sont ainsi simultanément par exemple des causes d’un patrimoine génétique B. A peut représenter une bonne alimentation et X peut être le responsable de la taille de l’individu. A peut être la cause de X qui lui-même orchestre B. X pourrait finir d’être à l’origine à la fois de A et de B. En conclusion, A, X et B peuvent développer des relations de causalité entre eux mais qui ne sont pas nécessairement déterminantes et peuvent avoir plusieurs effets possibles. Ces exemples viennent contredire les méthodes et principes scientifiques qui considèrent que « Tout effet

doit […] avoir des causes »114. Les causes ne sont pas essentiellement et totalement déterminantes. « Affirmer que tout effet a des causes, ce n’est pas affirmer qu’un ensemble

de conditions causales ne peut aboutir qu’à une seule conséquence, qu’à un seul effet possible »115, dit Khan.

D’ailleurs, étant donné que la plupart des recherches en génétique des comportements s’appuient sur des analogies entre des jumeaux monozygotes et dizygotes, entre les jumeaux séparés ou éduqués ensemble, entre les enfants nés dans un environnement et éduqués dans un autre ou sur l’étude des maladies à caractère dominantes dans une famille, des hypothèses émises de ces analogies ne constituent a priori que des présomptions. Pour clore définitivement le sujet sur le déterminisme génétique en psychologie, il importe de découvrir un gène commun qui serait responsable des divers porteurs du phénotype qu’on cherche à étudier. Il est également nécessaire de trouver un lien de causalité entre le gène et le phénotype et non de formuler un déterminisme lié au hasard ou à un autre facteur non identifié. Un gène serait responsable d’une attitude psychologique particulière s’il codait

113Thierry Rogel, Introduction impertinente à la sociologie, Paris, Liris, 1999.

114Axel Khan et Yves-Charles Zarka, «Les gènes ont-ils de l’esprit?», in Paul Ricœur, interprétation et reconnaissance, Revue Cités, N°33, Paris, PUF, 2008, p.175.

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une protéine qui prend part au comportement analysé comme c’est le cas pour certaines affections. Par-dessus tout, il importe aussi d’identifier la place de ce gène dans la réalisation du comportement si le modèle classique de la génétique du comportement se résume ainsi : un gène, un comportement. Le déterminisme en génétique du comportement porte en lui-même dès lors les germes de sa propre contradiction parce que ce modèle classique, il faut le préciser, reconnaît l’apport de l’environnement au-delà d’un déterminisme simple. Par exemple, une personne prédisposée à la religiosité cherchera un environnement religieux116. Dans ce cas, l’environnement constitue un facteur qui aide au développement ou qui au contraire le freine mais n’en est pas la cause. En somme, nous pourrons retenir des hypothèses émises en génétique du comportement que la présence d’un gène qui n’est jamais découvert est toujours présumée. Le gène, bien qu’il soit une réalité est un concept flou qu’on ne peut pas réduire au quotidien de l’homme. Dès lors, nous dirions avec E. Keller qui estime que :

Les gènes ont vécu une période de gloire au XXème siècle, et ils ont inspiré des avancées incroyables et étonnantes dans la compréhension des systèmes vivants. En effet, ils nous ont amené aux frontières d’une nouvelle ère en biologie, une ère qui porte les promesses d’avancées encore plus étonnantes. Mais ces grands progrès nécessitent l’introduction d’autres concepts, d’autres termes, et d’autres façons de penser l’organisation biologique, diminuant ainsi inévitablement l’emprise que les gènes ont eue sur l’imagination des scientifiques de la vie ces dernières décennies117.

In fine, la thèse de Thomas Bouchard selon laquelle « la théorie génétique du

comportement peut expliquer tout ce que la socialisation peut expliquer, [même] mieux,

avec des statistiques et des résultats reproductibles »118 n’est pas fondée et donc irrecevable. D’ailleurs, Laurence Perbal souligne bien avant l’analyse des résultats présentés par Bouchard « les faiblesses méthodologiques »119 de sa théorie lorsque le généticien Khan et le philosophe Zarka invitent la science réductionniste à tenir compte des phénomènes d’émergence.

116 Thomas Bouchard, « Quand les jumeaux séparés se retrouvent », La Recherche, n°311, 1998, p.29. 117Evelyn Fox Keller, The century of the gene, Harvard University Press, 2000, p.147.

118Thomas Bouchard, « Quand les jumeaux séparés se retrouvent », La Recherche n°311, 1998, p.32. 119 Laurence Perbal, Gènes et comportements à l’ère post-génomique, Paris, Vrin, 2011, p.54.

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