• Aucun résultat trouvé

L’éthologie et les gènes

B. LES INTERPRÉTATIONS DES GÈNES : DU DISCOURS BIOLOGIQUE AU

I. Du discours biologique

4. L’éthologie et les gènes

Si les pathologies ont été très longtemps le dogme central du mécanisme génétique pour certains généticiens, d’autres sont allés très loin pour établir la relation entre génétique et comportements. Aujourd’hui, des débats récurrents se développent sur les rôles respectifs de la génétique et de l’environnement dans la genèse des comportements humains, aussi bien pour les comportements pathologiques que pour les comportements «normaux». Le balancier semble pencher vers le déterminisme génétique, lorsque l’accent était mis sur le rôle du milieu dans les décennies précédentes.

4.1. L’éthologie décryptée par les généticiens

À lire les journaux, il ne se passe un jour qu’on ne découvre les gènes de l’anxiété, de l’infidélité, de l’homosexualité, du crime, de la schizophrénie, de l’autisme, de l’alcoolisme, de l’inhibition sociale, du retard mental, de l’agressivité, de l’exhibitionnisme, de la pyromanie et de l’intelligence bien sûr, etc. Les résultats de certaines recherches sont à certains points de vue convaincants. Par exemple, l’hypothèse de l’origine génétique de l’autisme est acquise définitivement. Certaines recherches moins concluantes font des buissons creux avec des suppositions. Toutefois, si on ne peut réduire tous nos vices et toutes nos vertus dans un gène, on peut néanmoins admettre que tel ou tel gène favorise la capacité de mémorisation ou l’alcoolisme. Il est donc évident qu’il n’y a pas a priori de gène de l’intelligence ou de l’alcoolisme, inversement un gène prédispose à l’intelligence et à une addiction d’alcool lorsqu’il est associé à d’autres causes qui sont à chercher dans les

46

sphères psychologiques ou sociologiques. D’autres recherches ont abouti à des résultats discutables. Les travaux de Dean Hamer relatifs au gène de l’homosexualité n’ont pas été jusqu’ici concluants87, mais refutés par une autre équipe de généticiens88. Cependant, Dean Hamer n’est pas le seul scientifique à conclure à un lien de corrélation entre les gènes et les comportements.

En effet, pour Pierre Roubertoux, l’alcoolisme, l’intelligence, la violence, bref tous nos comportements en général seraient génétiques y compris le fonctionnement du cerveau. De la même manière que le fonctionnement du foie et du cœur est d’origine génétique, il existe aussi des gènes qui déterminent le fonctionnement cérébral. Le comportement n’étant qu’une émergence du fonctionnement cérébral, il existe donc des gènes du comportement. Il reste à comprendre dans quelle mesure. La consommation d’alcool, de drogues ou de tabac est généralement due à des mécanismes qui ont une base biologique. Or, il est évident que ces mécanismes ayant une base biologique sont en retour d’origine génétique. Il ne s’agit pas en fait de gènes spécifiques, mais de gènes produisant des protéines qui remplissent une fonction. Bien qu’il relativise le « tout génétique », il n’hésite pas à parler d’un eugénisme « constructif » dans la mesure où celui-ci permettrait de soigner des pathologies quand elles sont génétiques. Ainsi, pour Roubertoux, « Chaque comportement

aurait ainsi son gène et presque chaque vice et chaque vertu »89 par conséquent, « il n’y a

pas un comportement qui n’impliquerait aucun gène »90. De l’intelligence à la pathologie d’Alzheimer, en passant par le parkinson et les psychoses, Pierre Roubertoux présume que nos comportements sont le résultat des interactions entre les gènes lorsque chaque gène est impliqué dans un réseau d’acteurs biologiques sous l’influence de l’environnement. Le génome ne détermine donc pas nos conduites, mais procède à la recombinaison infinie de substances produites. Il écrit justement que la génétique est « la science des différences

entre individus et de leur transmission de génération en génération »91.

87Dean Hamer et Al., « A linkage between DNA markers on the X chromosome and male sexual orientation», Science, vol. 261, 16 juillet 1993.

88George Rice, Carol Anderson, Neil Risch et George Ebers, «Male homosexuality: absence of linkage to microsatellite markers at Xq28», in Science, vol.284, 23 avril 1999.

89Pierre Robertoux, Existe-t-il des gènes de comportement, Paris, Odile Jacob, 2004. 90Idem, p.26

47

Jean-Louis Serre croit pour sa part à une quelconque relation entre les gènes et le comportement. Si certaines théologies chrétiennes récusent la doctrine de la prédestination,

« pour les ultras de l’eugénisme comme Haeckel, au contraire, tout est écrit dans les gènes (l’intelligence, la beauté ou le paupérisme), ce qui justifie le salut de l’humanité par la sélection, dont la guerre n’est qu’une des formes et la Shoah, la forme ultime »92. Les ultra eugénistes se réfèrent au développement de l’éthologie au XXe siècle (des insectes sociaux, fourmis et abeilles de Jean-Henri Fabre93, aux oies de Konrad Lorenz) qui est venu conforter cette idée que les comportements sont génétiquement déterminés, donc innés puisque stéréotypés. Les débats qui ont agité les milieux scientifiques, l’opinion et même la justice américaine à propos du « chromosome du crime » suffisent pour se rendre compte de la place du génétisme. Au début des années soixante, une étude réalisée en Angleterre révèle qu’une frange d’hommes XYY (possédant un chromosome Y surnuméraire) était de 10 à 20 fois plus élevée dans les populations carcérales que dans la population générale, où elle est de 0- 09 %. Certes, les hommes XYY sont un peu plus grands que la moyenne et c’est une distinction notoire par rapport aux autres. Mais, un tel constat ou un fait statistique ne peut conduire à conclure une fausse interprétation et à établir une relation de cause à effet, avec l’idée sous-jacente que « c’est dans les gènes »94. Les comportements seront donc génétiquement déterminés comme le reconnaît Axel Khan :

Quand on regarde les espèces animales, beaucoup de comportements sont génétiquement déterminés. Ils ont été sélectionnés par l’évolution et se retrouvent chez l’homme : le comportement sexuel, l’instinct maternel, le réflexe de peur etc. Ce sont des comportements génétiques avantageux pour la conservation et la perpétuation de l’espèce. L’homme est un mammifère comme les autres et ces éléments de comportement prennent racine dans une base génétique sélectionnée par l’évolution95.

Le généticien Jean-Louis Serre revient à la charge que « tout ce qui est biologique dépend

des gènes, d’une manière ou d’une autre : dire d’un comportement qu’il n’en dépendrait pas est une absurdité, mais toute la question est de savoir de quelle manière est organisée cette dépendance »96. La génétique n’est pas cependant la seule à prouver le lien entre les

92Jean-Louis Serre, La Génétique, Paris, Le cavalier Bleu, 2006, p.53. 93Idem, p.55.

94Ibid., p.56.

95Entretien avec Axel Khan, Le Monde, janvier 1997.

48

gènes et les comportements. Il existe de très nombreuses recherches scientifiques qui cherchent, sinon des bases, en tout cas des liens génétiques avec divers comportements humains.

4.2. La psychologie et la détermination génétique

Thomas Bouchard avec ses études publiées en 1990 sur des jumeaux monozygotes est le psychologue qui a le plus défendu le déterminisme génétique en psychologie. Pourtant, ses travaux, souvent publiés avant vérification souffrent de nombreux travers97. En effet, T. Bouchard a conclu un à généticisme éthologique par le fait que des jumeaux éduqués séparément fument les mêmes cigarettes, ont les mêmes manies, la même tendance au bavardage98. À partir de ces études, dans les années 1990, les découvertes de tel ou tel gène du comportement vont proliférer avec un génétisme qui a de plus en plus d’audience. On parle de plus en plus des gènes de l’alcoolisme, de l’homosexualité, de l’introversion, de l’exhibitionnisme, de la toxicomanie, de la taquinerie, de la timidité, de la religiosité largement défendue par Thomas Bouchard99. Cette théorie est reprise avec mauvaise foi ou un manque d’objectivité par les médias de la « culture de masse » qui vont répercuter ces recherches de manière caricaturale notamment en répandant l’idée qu’il existerait des « bons » et des « mauvais » gènes. Certes, on pourrait dans une large mesure parler de « mauvais gènes » lorsqu’un gène muté est relié à une pathologie génétique. Mais malheureusement, cela devient dramatique lorsque les médias de masse finissent par influencer une large audience qu’il existerait des gènes du crime, la dépendance de sexe, d’alcool et d’intelligence, etc.

Cette représentation du mauvais gène reste essentielle d’un point de vue culturel pour le darwinisme social dans la mesure où l’on a toujours essayé de trouver un responsable au « mal » qui ronge la société et qui fut jadis à tort et à travers attribué au diable ou aux sorciers. Aujourd’hui, les dépendants de la drogue ou les homosexuels n’ont plus besoin d’un exorcisme mais d’une thérapie génique, car la « mauvaise graine » est actuellement le gène. Or, le choix du responsable n’est pas sans répercussions sur les remèdes à mettre en

97Thierry Rogel, « Une société dans ses gènes », in DEES, n°122, Décembre 2000, p.34

98Thomas Bouchard, « Quand les jumeaux séparés se retrouvent », in La Recherche n°311, 1998, p.28-32.

99

49

œuvre. Pour les croyants, Dieu est sollicité lorsque l’alcoolisme ou l’homosexualité sont perçues comme une transgression. S’ils sont reconnus comme conséquence de l’utilisation d’un produit, c’est l’industrie elle-même qui est remise en cause. Si c’est un problème social alors on s’inquiétera de l’environnement de l’individu. Mais si ces vices sont dus à un gène, alors la responsabilité n’est plus à situer au niveau de la société, de l’industrie et de l’individu et ce qui paraît être un problème social ou politique n’est plus qu’un problème génétique. Cette culture de masse ne s’arrête pas cependant aux mauvais gènes, mais développe aussi l’idée de « bon gène ». Il est à noter que l’idée de « bon gène » est un résultat complètement par défaut des recherches scientifiques. On parlera par exemple de « gène » à propos de la réussite médiatique d’une personne si elle est l’enfant de personnes célèbres. On fait l’amalgame entre génétique et hérédité. Les médias de la culture de masse, avec leur violence symbolique100, ont également recours à la métaphore du gène dans les publicités pour les produits de consommation. On craint que « l’atout génétique » d’une nouvelle automobile rende en retour acceptable l’idée que les enfants puissent être assimilés à des biens de consommation « bébés sur commande ou à la carte ».

Mais force est de constater que les bons gènes ne vont pas seulement avec les vertus. Un bon gène peut être aussi source d’un grand vice. En guise d’exemple, à en croire un mythe, le gène qui fut à l’origine du talent d’Elvis Presley est aussi responsable de son alcoolisme. Ce mythe est à l’origine de la théorie de la « courbe en cloche » de Murray et Herrnstein.