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CHAPITRE 3: LES ÉVOLUTIONS NORMATIVES DU MODÈLE DE L’ÉTAT

3.4 Rousseau et les exigences de la souveraineté démocratique

3.4.3 La valeur de la liberté et de l’égalité politiques en démocratie

Pour Rousseau, il est particulièrement indispensable de mettre l’accent sur la mise en place d’un cadre institutionnel juste qui garantit autant la liberté que l’égalité entre tous les membres et qui, par conséquent, leur permet de participer aux décisions destinées à organiser leur vie en collectivité. Ainsi, un État court le risque d’être injuste s’il est fondé sur l’exclusion politique de certains de ses membres. En ce sens, il n’est donc pas pertinent de laisser à certains membres, en l’occurrence, ceux qui sont riches et forts, le pouvoir de prendre des décisions qui seront appliquées aux autres. Chaque membre de la société devrait participer à la formation de la loi afin que nul n’en soit au-dessus. À ce propos, Rousseau

144 Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social. Présentation, notes, bibliographie et chronologie par Bruno

Bernardi, Paris, Flammarion, 2001, p. 129.

145 Il est néanmoins indispensable de noter que Rousseau ne tient pas compte de la participation politique des

écrit: « en général ce serait une grande folie d’espérer que ceux qui dans le fait sont les maîtres préféreront un autre intérêt au leur146», c’est pourquoi « dans une cité bien conduite,

chacun vole aux assemblées147».

Il est intéressant de remarquer que Rousseau recourt à la notion de contrat social et à celle de la volonté générale pour soutenir sa thèse. Il s’agit ici de rappeler que le contrat social, comme tout autre contrat, est un acte qui ne doit pas son existence à une seule volonté. Il existe en vertu du consentement de plusieurs volontés et institue une matière à laquelle tous les contractants doivent participer sur un pied d’égalité. À cet effet, la notion de contrat social permet d’une part de considérer l’État comme découlant de la volonté de tous ses membres; et d’autre part et de façon tout à fait pratique, il est un acte d’engagement citoyen que les individus doivent en permanence accomplir pour créer et adapter les structures politiques à leurs réalités en vue d’une plus grande liberté et d’une plus grande justice. En ce sens, on peut certainement comprendre pourquoi Rousseau marque sa préférence pour la démocratie comme lieu par excellence de l’émergence de la volonté générale.

La démocratie permettrait aux individus d’être des citoyens actifs prenant eux-mêmes directement part aux différentes délibérations et décisions destinées à encadrer leur coopération au sein de l’État. De plus, dans la mesure où elle rend possible d’un point de vue normatif la participation de tous, il est raisonnable de penser, selon Rousseau, que les participants aux assemblées démocratiques n’adopteront pas, à la majorité, des lois inégales et injustes qui accorderaient des privilèges aux uns et menaceraient la liberté ou l’autonomie des autres. Dans ce contexte, estime Rousseau, les participants aux assemblées démocratiques ne pourront qu’adopter des lois qui sont compatibles avec la volonté générale. C’est-à-dire des lois équitables qui mettent particulièrement l’accent sur le bien commun ou l’intérêt public148.C’est en obéissant à ce genre de lois démocratiques et équitables au sein

d’un État que tous les citoyens pourront jouir de leurs droits et libertés.

146 Rousseau, Discours sur l’économie politique, Paris, Flammarion, 1990, p. 64.

147 Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social. Présentation, notes, bibliographie et chronologie par Bruno

Bernardi, Paris, Flammarion, 2001, p. 133.

Si la structure institutionnelle que propose Rousseau dans Du contrat social n’est point adaptée à toutes les situations, il n’en demeure pas moins que l’idée qui la sous-tend est pertinente. Pour Rousseau, l’objet premier des considérations morales d’un État doit être d’assurer à tous les citoyens et non à quelques-uns les droits et libertés. Pour y parvenir, l’État ne doit donc pas fonctionner sur la base des règles inéquitables et injustes qui traitent inégalement les citoyens : distribuant des privilèges aux uns et asservissant les autres. Bien au contraire, il devrait s’appuyer, suivant l’esprit de la volonté générale, sur des lois équitables et justes auxquelles les citoyens doivent légitimement consentir. De fait, selon Rousseau, les droits et libertés ne seront une réalité que si les inégalités et injustices sociales sont aussi combattues, c’est-à-dire si l’État est, à juste titre, conçu comme le produit de la volonté de tous les associés qui doivent, en principe et en fait, avoir part égale aux grandes décisions les concernant. En revanche, s’il est considéré comme une simple propriété au bénéfice d’un monarque ou d’une minorité, il ne peut que renforcer les droits et libertés pour une poignée de personnes (les puissants et les riches) et exacerber les inégalités, rendant ainsi le discours sur les droits et libertés partial et idéologique. Que retenir donc de ces différentes approches de politique intérieure?

3.5 Conclusion

Deux idées majeures étaient au cœur de ce chapitre. Premièrement, nous avons voulu montrer la disjonction historique qui va s’opérer, au tournant de la modernité, entre la monarchie absolue et les structures fondamentales de l’État moderne. Si la monarchie absolue avait pu faire ses preuves au sens où elle pouvait garantir une paix relative, elle va cependant ouvrir la voie à de nombreux dérapages despotiques de nature à asphyxier les citoyens. Face à ces dérives de tyrannie, les attentes normatives à l’égard de l’État, dans l’ordre domestique, vont connaître une évolution considérable, mieux, un bond qualitatif. Dépassant la simple revendication de la paix, les citoyens formuleront désormais des requêtes d’une puissance inouïe en faveur de la protection de leurs libertés et de leurs droits fondamentaux. Dans la foulée de ces revendications, de nombreux penseurs comme la Boétie, Locke, Rousseau, en viendront, sans pour autant rejeter l’appareil de l’État moderne, à remettre radicalement en

cause la monarchie absolue. Aussi auront-ils le mérite de prouver que l’État, en tant que modèle d’organisation du politique, est en tout point irréductible à l’absolutisme monarchique.

La seconde idée consistait à démontrer que la voie dans laquelle sera engagé l’ordre public domestique conduira à la promotion et la valorisation de la démocratie. Quelles qu’aient été leurs tendances politiques et leurs interprétations diverses, les penseurs seront en général d’accord sur un point dont le consensus n’aura de cesse de s’approfondir et de s’élargir, au fil des siècles, en matière de politique intérieure. Ils vont de toute évidence souligner l’important rôle du libre consentement populaire et défendre, chacun à sa manière, la démocratie comme étant l’un des rares régimes politiques qui parvient à articuler adéquatement, dans des conditions d’égalité politiques, les impératifs de sécurité et de liberté individuelle. Ainsi, en nous appuyant sur une analyse des philosophies de Locke et de Rousseau, nous avons pu montrer que, pour ces auteurs, il était inacceptable qu’un État excipe, en matière de politique intérieure, de la paix pour supprimer ou réduire les libertés des citoyens. De fait, selon eux, le minimum normatif que l’on doit pouvoir attendre d’un État est qu’il soit démocratique, qu’il fournisse et protège, dans les conditions d’égalité, les libertés et les droits fondamentaux des citoyens. Et, par leur participation, les peuples doivent eux-mêmes veiller sur ces aspects cruciaux de la vie politique. Il importe ici de souligner que ces évolutions normatives et démocratiques de l’État moderne seront décisives dans la formation du système institutionnel international étant donné que l’idée d’un système institutionnel international va longtemps pâtir de la volonté de puissance des monarques et des idées non démocratiques.

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