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CHAPITRE 4: GUERRE ET ANARCHIE ENTRE LES ÉTATS

4.2 Les relations internationales dans la pensée théologienne

4.2.3 La vision des relations internationales de Suarez

On trouve, chez Suarez, une idée semblable de la communauté politique entre les États et les peuples. En effet, Suarez part d’abord du constat qu’il n’existe aucun pouvoir politique supranational entre les différents États. Il n’est d’ailleurs pas souhaitable, pense-t-

169 On pourrait se questionner sur ce que peut bien vouloir dire agir avec mesure chez Francisco de Vitoria. 170« Bien plus, supposons que les Espagnols aient apporté tous leurs soins à montrer aux barbares [les Indiens],

en paroles et en actes, qu’ils ne veulent pas troubler leur paix ni porter préjudice à leurs intérêts. Néanmoins, si les barbares persistaient dans leur méchanceté et cherchaient à perdent les Espagnols, ceux-ci pourraient alors les traiter non comme des innocents mais comme de perfides ennemis, exercer contre eux tous les droits de la guerre, les spolier, les emmener en captivité, déposer leurs anciens chefs et en instituer de nouveaux, en agissant cependant avec mesure et selon l’importance de l’affaire et des injustices». Francisco de Vitoria « Troisième partie: Titres légitimes de la domination des Espagnols sur les Indiens» Leçon sur les Indiens, Genève, Librairie Droz, 1966, p. 90.

171« Lorsqu’il est évident que l’on fait la guerre pour de justes raisons, il faut la faire non pour la perte de la

nation contre laquelle on doit combattre, mais pour la poursuite de son droit, la défense de sa patrie et de son État et pour obtenir qu’un jour la paix et la sécurité soient le résultat de cette guerre». Francisco de Vitoria « Conclusion: Les trois règles de la guerre» Leçon sur le droit de guerres, Genève, Librairie Droz, 1966, p. 155.

il, qu’il en existe un172. À ce titre, il est donc important, selon lui, de respecter les États dans

leurs différences et leur diversité, parce que, précisément, les hommes sont appelés à vivre dans les limites des États bien précis. Un pouvoir politique supranational, en l’espèce, ne peut être que le paravent d’un despotisme à la fois expansionniste et tentaculaire; c’est pourquoi il ne peut pas d’une part, matériellement, se réaliser et, d’autre part, moralement être souhaité173. Il s’agit, en définitive, pour Suarez de reconnaître et de célébrer la diversité

des peuples et des États.

De fait, selon lui, la division de l’humanité en une pléiade d’États ne doit pas être considérée comme signifiant l’absence de relations entre les États. Les États, quoique distincts, ne sont pas moins liés les uns aux autres. À cet égard, il y a entre eux non seulement une unité du genre humain mais aussi et surtout une unité politique et morale grâce à la fraternité et l’aide mutuelle qu’ils peuvent se rendre les uns aux autres. Ainsi, selon Suarez, aucun État, aussi souverain soit-il, ne peut se passer des rapports avec les autres174. Loin de

se suffire à elle-même et de nous couper de toutes influences extérieures, la souveraineté condamne plutôt les États à coopérer et à développer des échanges.

Et, pour mieux encadrer ces échanges, il a été établi quelques règles communes qui permettent de s’accorder sur un certain nombre de pratiques. Il s’agit ici, pour Suarez, de reconnaître l’importance du droit des gens qui constitue un ensemble de règles à dominance coutumière que partagent sinon toutes les nations, du moins la quasi-totalité d’entre elles175.

On pourrait noter au passage que, pour Suarez, la finalité à laquelle le droit de gens doit son existence est d’une part l’avènement de la paix et, d’autre part, la facilitation et le renforcement des échanges multiformes entre États. En effet, sans un code de conduite

172 « Il n’est pas nécessaire pour la conservation ou le bien être naturel que tous les hommes se rassemblent

dans une communauté politique unique. Au contraire, la possibilité en est réduite et cela serait d’autant moins avantageux». François Suarez. « Modalité en fonction de laquelle le droit des gens a été créé» Des lois et du

Dieu législateur, Paris, Dalloz, 2003, § 2, pp. 640-641.

173 François Suarez, Op. cit, § 3, p. 641. 174 François Suarez, Idem, § 9, p. 627.

175 « […] les préceptes du droit des gens se différencient des préceptes du droit civil parce qu’ils ne sont pas

formulés par des lois écrites mais par des coutumes non de tel ou tel État ou province, mais de l’ensemble ou de la quasi-totalité des nations». François Suarez, Ibidem, § 6, p. 624.

commun à tous les États, ces derniers seront tentés d’agir arbitrairement, compromettant ainsi sévèrement les échanges et le climat de paix. Aussi écrit-il à ce propos:

La totalité des hommes n’est parvenue à se rassembler dans un corps politique unique, mais elle s’est plutôt divisée en plusieurs communautés. Or, pour que celles-ci puissent s’entraider et préserver la paix et la justice dans leurs relations mutuelles (ce qui est nécessaire au bien-être universel) il fallut, dans leurs relations mutuelles, mettre en vigueur, comme par accord et par consentement commun, quelques droits communs. C’est ce que l’on a appelé droit des gens, et il a été institué par la coutume et la tradition, plus que par disposition légale […]176

Il semble tout aussi important de mentionner que la conception du droit des gens de Suarez ne vise pas à la mise en place d’un ordre institutionnel international ou d’un système multilatéral interétatique. Notons à ce propos que Suarez n’y voit aucune importance; à ce titre, le droit des gens ne fait qu’intervenir les États (à vrai dire les monarques parlant au nom de ces États) à travers le respect des coutumes qui auraient pris naissance entre eux177. C’est

en ce sens que, selon lui, les États sont aussi tenus, coutumièrement, de respecter le droit de la guerre s’ils sont victimes d’une injustice. Il en découle que, pour Suarez, les États ont juridiquement le droit de faire la guerre entre eux dans les limites de ce que prescrit le droit des gens. Dit autrement, si le droit des gens vise à préserver les échanges et la paix, il n’interdit pas de se faire la guerre dans des situations jugées exceptionnelles.

Suarez n’exclut certes pas la possibilité, pour les États, de régler leurs différends autrement: par exemple, par des voies pacifiques. Mais s’inscrivant dans l’horizon de pensée et de pratique de son époque, il estimera que le droit des gens en son temps a toujours reconnu la guerre comme un des moyens de règlement des différends. C’est pourquoi, il faut l’autoriser (la guerre) et en respecter du même coup le droit178. Comme Vitoria, Suarez

adhère aussi à l’idée qu’il appartient aux monarques de chaque État de faire respecter le droit des gens coutumier en cas d’injustice. Il est donc possible de penser que Suarez va céder, ici en grande partie, aux pratiques de son temps où le monarque était considéré, en politique

176 François Suarez. « Modalité en fonction de laquelle le droit des gens a été créé » Des lois et du Dieu

législateur. Paris, Dalloz, 2003. § 3, p. 642.

177 Lucien Bély, Jean Bérenger, et André Corvisier, Guerre et paix dans l’Europe du XVII, Paris, Sedes, 1991,

pp. 49-67.

internationale, comme l’ultime recours dans la réparation des injustices commises par un État voisin ou étranger179.

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