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Les décalages de l’ordre institutionnel international actuel et l’emprise des grandes

CHAPITRE 7: L’IDÉÉ D’UN ORDRE INSTITUTIONNEL INJUSTE CONÇU POUR LES

7.2 Un ordre institutionnel actuel injuste conçu pour les intérêts des pays occidentaux

7.2.1 Les décalages de l’ordre institutionnel international actuel et l’emprise des grandes

Pour mettre en évidence l’injustice qui serait inhérente à l’ordre institutionnel international actuel, Held recourt à plusieurs types de décalages. Il en cite particulièrement quatre. Il y a, par exemple, les décalages moral, interinstitutionnel, juridictionnel, et de légitimité qui profiteraient, au bout du compte, substantiellement aux grandes puissances occidentales. Par décalage moral, Held entend l’intérêt disproportionné dont bénéficient les normes économiques et commerciales en comparaison des autres normes internationales. Même si plusieurs normes d’ordre économique, social, éthique, environnemental et politique, coexistent mondialement, elles sont loin à ses yeux de disposer d’une égale attention. Non seulement elles peuvent entrer ─et entrent effectivement─ en conflit mais encore l’arbitrage se fait la plupart du temps en faveur des règles commerciales ou économiques. De fait, les normes économiques paraissent bénéficier à son avis de toute l’attention possible, prenant ainsi le dessus sur les autres types de normes.

Par décalage interinstitutionnel, Held entend le déséquilibre qui existe entre les organisations internationales. En lien avec le décalage moral, il remarque que les organisations économiques comme le FMI et l’OMC disposent des procédures plus contraignantes que d’autres institutions rattachées par exemple aux questions des droits de l’homme ou d’environnement. À ce titre, il semble même d’avis que ces procédures contraignantes sont souvent conçues pour protéger les intérêts des pays riches et défavoriser les pays pauvres287.

287 «Il faut bien reconnaître que, si le commerce international offre d’énormes possibilités aux hommes et aux

pays les plus défavorisés pour s’arracher à la pauvreté, et à toutes les nations pour améliorer leur bien-être et leur protection sociale, ses règles de fonctionnement sont fortement structurées en vue de protéger les intérêts de plus aisés et de s’opposer à ceux des pays les pauvres» Voir «Chapitre 3: La régulation de la mondialisation économique: éléments d’une nouvelle politique», Op. cit, p. 116.

De plus, il soutient qu’il est difficile de voir les grandes institutions du système international actuel, comme l’ONU, l’OMC, la BM, ou encore le FMI coopérer véritablement ensemble. Chaque institution semble travailler dans l’isolement. Dans ce contexte, elles conçoivent des programmes d’intervention qui n’ont, la plupart du temps, rien à voir avec des programmes d’autres organisations ou, dans d’autres cas, viennent les doubler ou les concurrencer. À cet égard, la division institutionnelle du travail, au niveau international, demeure floue et constitue, en conséquence, un goulot d’étranglement d’un point de vue de l’efficacité des institutions multilatérales. Elle multiplie les coûts de l’inaction, parce qu’on ne sait pas, avec précision, de quelles institutions relèveraient certaines questions qui touchent de plein fouet la vie politique internationale. Dans cette optique, on constate plutôt des incohérences dans les interventions et des dédoublements. Plus grave encore, selon Held, ces institutions, quand elles ne parviennent pas à résoudre certains problèmes suite à leurs interventions, n’ont de comptes à rendre à personne, ni devant une autre institution internationale ni devant les peuples. Elles ne sont donc pas imputables.

Held se penche aussi sur le décalage juridictionnel. Même s’il reconnaît que les diverses organisations internationales tendent à participer de plus en plus aux décisions importantes, il souligne cependant, avec force, le fait que les puissants États continuent à être des acteurs clés qui exercent encore une influence considérable. La plupart des décisions relèvent de leur initiative. Pourtant, nombre d’entre elles, prises souvent unilatéralement par ces États, en l’occurrence les grandes puissances, peuvent affecter les individus dans d’autres États, sans que ces derniers ─soit directement soit par le biais de leurs représentants─ ne soient associés à l’examen ou l’évaluation de ces décisions. Pour Held, cela pose l’épineux problème des externalités qui est d’autant plus aigu en raison de l’absence patente d’une organisation supranationale qui aurait pu les contrebalancer. Étant donné le défaut d’un organe supranational, les États puissants jouissent donc allègrement d’une grande liberté et sont plus prompts, en usant de bien des raccourcis, à tirer profit de leurs avantages. De fait,

les institutions internationales apparaissent être à la remorque des États puissants tels les États-Unis ou, à tout le moins, se laissent aisément contourner par eux288.

Enfin, Held évoque le décalage sur le plan de la légitimité. À ce propos, il soutient qu’il est évident que l’examen attentif de la scène internationale fait apparaître une pluralité de groupes qui parlent au nom des individus et peuples de la planète sans qu’ils n’aient explicitement reçu de mandat de ces derniers289. Même s’il reconnaît le travail qu’ils

accomplissent, il estime que ces divers groupements et organisations sont loin d’être représentatifs. Pour leur part, les États qui sont en principe, pour l’instant, les seuls acteurs pouvant faire valoir leur légitimité et représentativité le font souvent bruyamment. Soumis aux impératifs de la Realpolitik, ils succombent souvent à une sorte d’arrogance politique qui tire sa force de la «source éminemment vertueuse qu’est le demos» qu’ils disent représenter. Ils usent ainsi de leur légitimité et représentativité de façon à les mettre trop souvent au service des intérêts particuliers et du consensus de Washington290. En définitive, même s’il

tend à reconnaître certaines avancées internationales d’ordre économique, politique, juridique, Held considère que «le jeu politique dominant dans la ‘’cité transnationale’’ reste géopolitique291» et que les organisations internationales, dépourvues de représentativité et de

légitimité, sont quelquefois «des avant-postes des intérêts particuliers» de puissants États.

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