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CHAPITRE 5: LA NORME DE LA PAIX DURABLE ET LA FORMATION DE L’ORDRE

5.4 La priorité de l’idéal normatif de paix dans l’ordre international

5.4.1 L’institutionnalisation d’un ordre juridique multilatéral

Dans cette section, on tente de voir les échos des projets de paix perpétuelle dans les milieux politiques domestiques et internationaux. Notre recherche ne sera pas exhaustive à cet effet, dans la mesure où, précisément, on n’examinera pas la seconde moitié du XIXe siècle et les efforts qui y ont été faits dans le sens de la construction d’un ordre juridique

et institutionnel international fondé sur l’idéal de paix. On se limitera au XXe siècle, et

notamment à quelques événements marquants qui en ont modelé les relations et la coopération internationales. Notre objectif consiste à la fois à observer et à repérer, dans ces événements du XXe siècle, les trois points saillants des différents projets de paix perpétuelle.

paix perpétuelle tel qu’il pouvait apparaître dans les travaux de certains théoriciens des relations internationales.

On peut avancer ici, selon les besoins de notre démarche et sans risque de se tromper, que trois points essentiels caractérisent le mieux ces projets politiques de paix perpétuelle: l’institutionnalisation d’une coopération multilatérale dont le but ultime est le maintien et la pérennisation de la paix entre États, l’abrogation du droit de la guerre autrefois reconnu aux États et la considération de la guerre comme hors-normes.

En ce qui concerne le premier point, à savoir l’institutionnalisation d’une coopération multilatérale dont le but ultime est le maintien et la pérennisation de la paix entre États, il suffit juste de rappeler que les travaux intellectuels des théoriciens des projets de paix perpétuelle n’ont pas arrêté les guerres interétatiques. Les guerres entre États ont continué et même atteint des proportions inquiétantes au XXe siècle. On en veut pour preuve ce qu’il est

historiquement convenu d’appeler désormais les Première et Seconde Guerres mondiales. En effet de 1914 à 1918, et de 1939 à 1945, l’Europe et bien d’autres continents (L’Amérique, l’Asie, l’Afrique) ont été gravement secoués par deux conflits interétatiques d’une envergure sans précédent et qui auraient entraîné de nombreux États dans l’engrenage de la violence meurtrière. Les pertes en vie humaines et les dégâts matériels qui en ont découlé furent énormes. Une fois de plus, les guerres entre États rappelaient la valeur d’une paix perpétuelle et la nécessité de rompre absolument avec une vision anarchique des relations internationales.

Dans cette perspective, les projets de paix perpétuelle élaborés par les philosophes et considérés jadis comme de simples utopies par les critiques, vont ainsi trouver peu à peu, à cause et grâce aux Première et Seconde Guerres mondiales, des échos favorables dans des milieux politiques à l’échelle de la planète. Ce qui, naguère, relevait de l’imagination et la pensée des philosophes va commencer à imprégner les décideurs et les acteurs de la vie politique. À cet effet, des hommes politiques et chefs d’États, comme par exemple Woodrow Wilson, Roosevelt, et bien d’autres vont faire du projet de paix perpétuelle leur cheval de

bataille en vue d’apaiser les rapports entre les États et les peuples233. De projet utopique, la

paix perpétuelle sera de plus en plus considérée, au XXe siècle, comme une priorité politique

réaliste dont les effets ne pouvaient être que bénéfiques.

On peut donc penser que l’institutionnalisation de la SDN en 1919 et plus tard celle de l’ONU en 1945 entrent dans le cadre de la mise en œuvre du projet de paix perpétuelle. Certes la première de ces institutions multilatérales, notamment la SDN, fut confrontée à des difficultés structurelles qui en avaient entraîné l’échec et la dissolution, mais il n’en demeure pas moins qu’elles ont essayé —qu’il s’agisse de la SDN ou de l’ONU— de donner corps et force à cette idée voulant que la paix perpétuelle entre les États soit une priorité dont l’approche passe indéniablement par la création d’un ordre institutionnel international.

L’examen du traité instituant la SDN et de la charte de l’ONU en fait d’ailleurs foi. Dès sa création, la SDN s’était fixée comme idéal à atteindre, aux termes des articles 3.3 et 4.4 de son traité, ‘’la paix du monde’’. En regard de cet idéal, le traité de la S.D.N faisait dès lors exigence aux États membres de réduire leurs armements et de respecter le critère de transparence sur la quantité d’armes à leur disposition. On pourrait donc dire que la SDN était en effet une institution multilatérale qui avait pour fin de regrouper les États en vue de ‘’la paix du monde’’. L’ONU qui en avait pris le relais, juste après la Seconde Guerre mondiale, s’inscrit également dans le même horizon de pensée et de pratique. Il suffit d’ouvrir sa charte constitutive pour constater, même à partir du préambule, qu’elle vise d’une part « à préserver les générations futures du fléau de la guerre» et, d’autre part, à «maintenir la paix et la sécurité internationales».

Cette thèse qu’on défend ici est aussi, à quelques différences près, celle de Goyard-Fabre. Dans un travail destiné bien plutôt à l’idéalité du droit en général et à la tâche de la philosophie du droit en particulier, Goyard-Fabre aborde, dans un court paragraphe, la question du droit international de la guerre et de la paix comme exemple pour illustrer son propos. Elle montre, en effet dans ce succinct exemple qui paraît significatif, que la vie

politique internationale classique fut essentiellement caractérisée par une recherche de l’idéal de paix. Certes en l’absence d’un supérieur commun, les États entraient en règle générale en guerres les uns contre les autres. À cet égard, la guerre était un sujet de réflexion majeur en relations internationales classiques. Mais, montre Goyard-Fabre, il ne s’agissait guère de se limiter à cet état de fait belliciste en en faisant un simple constat. C’est pourquoi, pour de nombreux penseurs, philosophes comme juristes de l’époque, il convenait donc d’assainir les relations entre États par un effort de recherche de la paix qui s’est finalement, bon gré mal gré, matérialisé par la mise en place progressive des différentes normes pour encadrer juridiquement toutes les opérations qui pouvaient être liées à la guerre. Il est, aussi, important de souligner que, pour Goyard-Fabre, « […] les résolutions de l’ONU et les conventions de Genève n’ont pas d’autre signification que le Projet de paix perpétuelle de Kant, qui est loin d’avoir le caractère chimérique et un peu fou qu’on lui a prêté234». En conséquence, on peut

raisonnablement penser que la SDN et l’ONU doivent, en réalité, prioritairement leur existence institutionnelle à l’idéal de paix. Qu’en est-il alors de l’abrogation du droit de la guerre et de la considération de la guerre comme hors-norme?

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