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Injustice du système international actuel et quête d'un nouvel ordre mondial électif : le cosmopolitisme institutionnel en question

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Academic year: 2021

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Injustice du système international actuel et quête d’un

nouvel ordre mondial électif: le cosmopolitisme

institutionnel en question

Thèse

Michel Esdras Franck MIAMBANZILA

Doctorat en philosophie

Philosophiae Doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

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RÉSUMÉ

J’entends défendre une position qui s’inscrit dans le cadre du projet de démocratie globale. Cette position se distancie cependant de certaines thèses en philosophie politique contemporaine, notamment les thèses du cosmopolitisme institutionnel, qui présupposent que le système international actuel serait fondé sur un schème de coopération injuste conçu pour les intérêts des pays occidentaux et défavorable en général aux pays les plus pauvres. Le problème de ces thèses est qu’en présupposant cela, elles finissent généralement par en appeler à une profonde refonte démocratique des institutions internationales. Nous soutiendrons qu’un tel parti pris, qui ne nous semble d’ailleurs pas plausible, perd de vue les véritables lieux où il conviendrait de soutenir les réels processus démocratiques. Si nous concédons que les institutions internationales actuelles rencontrent quelquefois d’énormes difficultés face à certaines problématiques mondiales, une telle reconnaissance ne conduit pas en déduire qu’elles sont foncièrement injustes. Nous arguerons que le projet de démocratie globale devrait plus se préoccuper de réels processus démocratiques qui ont cours dans toutes les régions du monde, en accompagnant les peuples et les individus qui, à l’intérieur des États encore autocratiques ou despotiquement doux, ont soif de liberté.

Dès lors, il n’est pas seulement question d’un simple transfert des vivres et de ressources monétaires vers les pays pauvres. Il faut bien plus s’intéresser aux divers facteurs (politiques, économiques et sociaux) de nature à susciter chez une population l’éveil de la conscience citoyenne, l’urgence de la participation, la passion du débat public raisonné, et la défense des libertés et de la qualité de vie, autant de paramètres qui sont nécessaires à l’éclosion de réels processus démocratiques. De fait, notre approche vise à renforcer l’esprit de colégislateur et l’empowerment des peuples et des individus, ouvrant ainsi à la démocratie d’infinies possibilités d’ancrage autant au niveau national qu’international.

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TABLE DES MATIÈRES

Page

RÉSUMÉ... iii

LISTE DES ABRÉVIATIONS ET DES SIGLES ... ix

DÉDICACE ... xi

REMERCIEMENTS ... xiii

INTRODUCTION GÉNÉRALE ... 1

CHAPITRE 1: COSMOPOLITISME INSTITUTIONNEL ET RELATIONS INTERNATIONALES ... 9

1.1 Introduction ... 9

1.2 Held et les défis de la mondialisation ... 11

1.3 La social-démocratie et le nouvel ordre cosmopolite ... 16

1.3.1 Les limites de la coopération internationale actuelle ... 16

1.3.2 Principes cosmopolites et structures institutionnelles supranationales ... 20

1.4 Tentative de critiques à l’adresse de Held ... 23

1.5 Conclusion ... 26

CHAPITRE 2: LA CONSTRUCTION DE L’ÉTAT MODERNE ... 29

2.1 Introduction ... 29

2.2 L’émergence de la souveraineté étatique ... 30

2.2.1 Un contexte politique marqué par l’Église et les guerres ... 30

2.2.2 L’influence politique de l’Église ... 30

2.2.3 Les conséquences calamiteuses de la guerre... 34

2.2.4 Guerres et influence de l’Église dans la pensée politique de Thomas d’Aquin, Dante et Marsile de Padoue ... 37

2.3 Les caractéristiques du modèle de l’État moderne ... 44

2.3.1 L’affirmation du principe de territorialité ... 44

2.3.2 L’affirmation du principe de souveraineté ... 50

2.4 Conclusion ... 58

CHAPITRE 3: LES ÉVOLUTIONS NORMATIVES DU MODÈLE DE L’ÉTAT ... 61

3.1 Introduction ... 61

3.2 La monarchie absolue à l’épreuve des critiques ... 63

3.2.1 La confusion de l’État et du monarque ... 63

3.2.2 Mores et la critique de l’absolutisme ... 66

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3.3 Plaidoyer pour une démocratie représentative et libérale Chez Locke ... 69

3.3.1 Les citoyens comme fondement et ciment de la société politique Chez Locke ... 70

3.3.2 La fonction représentative des institutions ... 72

3.3.3 La valeur de la protection légale des droits et libertés ... 73

3.4 Rousseau et les exigences de la souveraineté démocratique ... 75

3.4.1 L’existence des inégalités sociales de fait ... 75

3.4.2 La démocratie et la vision de l’homme naturel ... 78

3.4.3 La valeur de la liberté et de l’égalité politiques en démocratie ... 79

3.5 Conclusion ... 81

CHAPITRE 4: GUERRE ET ANARCHIE ENTRE LES ÉTATS ... 83

4.1 Introduction ... 83

4.2 Les relations internationales dans la pensée théologienne ... 84

4.2.1 L’idée d’une communauté politique mondiale chez Vitoria ... 84

4.2.2 La reconnaissance du droit de la guerre ... 87

4.2.3 La vision des relations internationales de Suarez ... 89

4.2.4 La contribution de Cumberland ... 92

4.3 La valorisation du réalisme politique dans les matières internationales ... 96

4.3.1 Anarchie et prudence dans les relations internationales chez Bodin ... 96

4.3.2 Hobbes et la révocation en doute de l’idée d’une communauté internationale ... 98

4.4 Conclusion ... 101

CHAPITRE 5: LA NORME DE LA PAIX DURABLE ET LA FORMATION DE L’ORDRE INSTITUTIONNEL INTERNATIONAL ... 103

5.1 Introduction ... 103

5.2. L’idée d’une limitation du droit de la guerre chez Grotius ... 104

5.3 Les projets de paix perpétuelle et l’approche institutionnelle des relations internationales . 108 5.3.1 L’ordre multilatéral et la paix chez Crucé ... 108

5.3.2 L’idée d’une société des nations permanente chez l’abbé de Saint-Pierre... 110

5.3.3 Kant et la construction d’une société des nations démocratiques ... 115

5.4 La priorité de l’idéal normatif de paix dans l’ordre international ... 119

5.4.1 L’institutionnalisation d’un ordre juridique multilatéral ... 119

5.4.2 L’abrogation du droit de la guerre et l’illégalité de la guerre en droit international ... 122

5.5 Conclusion ... 128

CHAPITRE 6: LES VOIES DE LA PAIX INTERNATIONALE ... 131

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6.2 Le système international actuel: son principal objet et ses mécanismes ... 131

6.2.1 Paix et choix des mécanismes d’échange politiques ... 134

6.2.2 La paix et le choix des mécanismes d’échange économiques... 136

6.2.3 Les échanges politiques et économiques au service de la paix internationale chez Keynes et Damalas ... 140

6.3 Les voies commerciales et démocratiques de la paix internationale dans la pensée politique et philosophique ... 143

6.3.1 La liberté de commerce et la formation des douces mœurs chez Montesquieu ... 143

6.3.2 La démocratie et le rejet légitime de la guerre chez Kant ... 146

6.3.3 De Tocqueville et les influences démocratiques sur les normes de comportement social ... 149

6.3.4 La reformulation contemporaine de la thèse de paix internationale ... 151

6.4 Conclusion ... 153

CHAPITRE 7: L’IDÉÉ D’UN ORDRE INSTITUTIONNEL INJUSTE CONÇU POUR LES INTÉRÊTS DES PAYS OCCIDENTAUX ... 155

7.1 Introduction ... 155

7.2 Un ordre institutionnel actuel injuste conçu pour les intérêts des pays occidentaux ... 156

7.2.1 Les décalages de l’ordre institutionnel international actuel et l’emprise des grandes puissances chez Held ... 157

7.2.2 Le plaidoyer en faveur d’un nouvel ordre supranational ... 159

7.3 Nielsen et l’impérialisme américain ... 163

7.3.1 L’idée gouvernement démocratique mondial ... 165

7.4 Un ordre institutionnel international au service de l’hypocrisie occidentale chez Pogge ... 168

7.4.1 Pour des institutions supranationales démocratiques ... 171

7.4.2 Chung et l’idée d’un schème de coopération internationale foncièrement injuste ... 174

7.5 Examen critique de la pertinence de l’idée d’une injustice systémique au cœur des institutions internationales ... 177

7.6 Conclusion ... 181

CHAPITRE 8: LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ MULTIDIMENSIONELLE ET ANCRAGE SOCIAL DE LA DÉMOCRATIE ... 185

8.1 Introduction ... 185

8.2 La vision dominante de la pauvreté ... 186

8.2.1 La perspective de la capabilité et l’idée de la pauvreté multidimensionnelle ... 189

8.2.2 La pauvreté, une forme de non-liberté ... 194

8.2.3 L’impératif de lutte contre la pauvreté multidimensionnelle et rôle d’agent des individus ... 198

(8)

8.3 Lutte contre la pauvreté multidimensionnelle et progrès démocratiques ... 201

8.3.1 L’incidence de l’instruction et des lumières chez Condorcet ... 201

8.3.2 Démocratie, capabilités et débat public chez Sen ... 203

8.3.3 Débat public et impacts sur la gouvernance institutionnelle nationale et mondiale ... 206

8.4 L’impératif de lutte contre la pauvreté multidimensionnelle et autres défis ... 210

8.4.1 Le cas du terrorisme international ... 210

8.4.2 Le cas de la responsabilité et de la protection environnementale ... 213

8.5 Conclusion ... 217

CONCLUSION GÉNÉRALE ... 219

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LISTE DES ABRÉVIATIONS ET DES SIGLES

BM Banque mondiale

CI Cosmopolitisme institutionnel FMI Fonds Monétaire International

GATT L’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce OCI Organisation du commerce international

OMC Organisation mondiale du commerce ONU Organisation des Nations Unies

OTAN Organisation du traité de l’Atlantique Nord

PNUD Programme des Nations Unies pour le développement PNUE Programme des Nations Unies pour l’environnement RDC République démocratique du Congo

RDH Rapport sur le développement humain SDN Société des Nations

URSS Union des républiques socialistes soviétiques

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DÉDICACE

À ma conjointe Huguette Lumingu à qui je souhaite plein succès dans l’écriture de sa thèse, à Michelson Zola Miambanzila et Michaeleann Mena Miambanzila, nos deux enfants, pour qu’ils trouvent ici l’exemple des questions fondamentales qui préoccupent leurs parents.

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REMERCIEMENTS

Je voudrais remercier ici quelques-unes des personnes qui ont participé, de près ou de loin, à la réalisation de cette thèse. Parmi elles, je souhaiterais d’abord exprimer ma reconnaissance à Jocelyn Maclure ─mon directeur─ qui a fait preuve de générosité et de patience pendant tout le temps qu’aurait duré la rédaction des différents chapitres qui forment l’ossature de cette thèse. Je ne doute pas que ses remarques m’ont été d’une grande utilité. Elles m’ont souvent permis de rester collé à mon sujet et d’éviter les digressions qui pouvaient m’en éloigner. Grâce à lui, j’ai ainsi peu à peu cerné les exigences reliées à ma position et été capable de les formuler le plus simplement que j’ai pu.

Ensuite, j’aimerais dire ma sincère gratitude à ma famille et belle famille, particulièrement à ma mère, Tsouma Élisabeth, à ma belle-mère Pauline Bimba Kapela, mon beau-père, Bernard Bunga Lumingu, ma conjointe, Huguette Lumingu, pour leur soutien moral sans limites pendant les fréquents moments de doute, d’incertitude et de démotivation auxquels j’étais souvent en proie. Ils n’ont pas cessé de m’encourager et de me rappeler la profonde fierté qu’on ressent lorsqu’on s’engage à achever courageusement une œuvre qu’on aurait commencée.

Enfin, dans l’exercice de ma profession en tant qu’enseignant, j’ai tiré un grand bénéfice de nombreux échanges de vues auxquels j’ai participé. À ce titre, je voudrais remercier tous mes collègues du département de philosophie au Collège d’Alma. Pour citer rapidement leurs noms, il s’agit de François Privé, Frédéric et Gilles Plamondon, Marjorie Desbiens, et Steeve Simard, avec qui j’ai fréquemment eu des discussions instructives sur les enjeux de la vie politique internationale. Je leur suis également reconnaissant de m’avoir encouragé à présenter certaines de mes positions lors des conférences souvent organisées pendant les semaines du développement durable et interculturelles qui se tiennent au Collège d’Alma, respectivement à l’automne et l’hiver. Pour terminer, je ne saurai passer sous silence ma dette à l’égard de nombreux étudiants que j’ai rencontrés et accompagnés dans le cadre de mes cours. Ces rencontres avec les étudiants ont été d’intéressantes occasions qui m’ont permis de tester la pertinence de certains aspects traités dans cette thèse.

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

Cette thèse est une contribution au débat, actuellement en cours en philosophie politique contemporaine, sur les enjeux de la démocratie et de la justice mondiale. Dans ses grandes lignes, ce débat s’articule principalement autour d’un ensemble de questions qui traduisent, sur le fond, les préoccupations mondiales de notre temps. En effet, quel que soit le consensus acquis sur la valeur sociopolitique de la démocratie, celle-ci n’est pas encore la pratique politique la mieux partagée dans toutes les régions du monde. Encore aujourd’hui, dans de nombreux pays, elle est loin de guider les processus électoraux et politiques publiques. De fait, plusieurs individus et peuples en sont encore arbitrairement privés.

Tout naturellement, face à une telle situation de déficit mondial de démocratie et aux problèmes qu’elle soulève, les interrogations sont multiples. L’une d’elles, récurrente en philosophie politique contemporaine, est de savoir comment faire, ou sur quelles variables insister pour que la démocratie ait une réelle extension mondiale. Historiquement, cette interrogation est née de la constatation de nombreuses injustices et privations arbitraires, dont souffre une large partie de la population mondiale ─individus et peuples. De fait, on présuppose avec raison que la démocratie, quelles que soient ses imperfections et ses lacunes, serait peut-être le régime politique le mieux outillé pour garantir sinon l’équité et la justice, du moins pour faire reculer les injustices. Elle aurait ainsi un rôle protecteur. À ce titre, l’idée maîtresse du débat actuel, en philosophie politique contemporaine, consiste à explorer les voies et moyens pour ‘’globaliser’’ la démocratie. Notre contribution reprend à son compte cette idée et défend, en conséquence, la pertinence normative du projet de la démocratie et de la justice mondiale1.

1 Tout au long de ce travail, nous n’aborderons pas directement les problèmes de tensions et de désaccords

raisonnables entre les majorités et les minorités dans les démocraties modernes et pluralistes. Toutefois, beaucoup d’aspects que nous défendons peuvent être exploités face à pareilles problématiques. À notre sens, il y a certainement deux écueils à éviter minimalement. D’abord, il faut renoncer à diaboliser les majorités, à avoir d’elles une image démoniaque qui les présenterait comme des tortionnaires des minorités. En général, elles comprennent les malheurs et l’humanité des minorités. Ensuite, il faut résister à la tentation qui considère souvent les minorités comme des vecteurs d’instabilité et de dissolution du lien social. Les majorités comme les minorités, à moins d’être animées d’une défaillance morale profonde comme la mauvaise foi ─ce qui est rare─ sont en général prêtes à s’engager dans des processus démocratiques de valorisation de la discussion publique pour essayer de désamorcer la nature potentiellement explosive et dévastatrice de leurs désaccords et

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Cependant, il importe beaucoup de noter que l’approche que nous entendons défendre tout au long de ce travail se distingue de nombreuses théories en philosophie politique contemporaine. Elle se distingue, par exemple, de la théorie du cosmopolitisme institutionnel, tel qu’il apparaît dans la version heldienne, et aussi dans d’autres approches comme celle de Kai Nielsen, Thomas Pogge et Ryoa Chung axée sur la défense et l’instauration des institutions supranationales cosmopolites2.

Pour justifier cette distinction, on s’appuiera au moins sur deux raisons. D’abord, la plupart de ces approches ont, dans leur orientation, une focalisation institutionnelle forte. De fait, elles proposent souvent d’instaurer un ensemble d’institutions nouvelles qui doivent se superposer aux États. Dès lors, elles présument en général que le projet de la démocratie et de la justice mondiale n’aurait de chance de se réaliser que si l’on parvenait à édifier une nouvelle architecture institutionnelle mondiale. Or, rien n’oblige à voir une relation de cause à effet entre ces deux aspects. Il est autrement possible, à notre avis, de faire avancer la démocratie et la justice dans le monde, sans que l’on ne soit tenu au préalable d’identifier des aménagements institutionnels radicalement nouveaux au niveau international.

La focalisation institutionnelle internationale laisse souvent dans l’ombre les réels processus démocratiques qui émergent ou peuvent émerger au sein même des États. En général, plusieurs versions du cosmopolitisme institutionnel perdent de vue les réelles cibles ou lieux dans lesquels il convient de soutenir l’émergence des démocraties qui fonctionnent raisonnablement. Il ne s’agit pas ici de récuser la valeur des efforts qui visent à rendre les organisations internationales plus transparentes et équitables.

préserver le lien social. En tant que société, il convient d’abord de prendre acte d’une telle volonté de dialogue et de conservation du lien social et chercher sans relâche à développer autant chez les majorités que chez les minorités les capacités nécessaires à même de soutenir une participation et une discussion publique apaisées.

2 Nous analysons largement le cosmopolitisme institutionnel de Held dans le premier chapitre « Cosmopolitisme

institutionnel et relations internationales ». Nous y revenons au chapitre 7 « L’idée d’un ordre institutionnel injuste conçu pour les intérêts des pays occidentaux? » où nous traitons aussi les versions cosmopolites de Nielsen, Pogge et Chung.

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Nous voulons plutôt mettre en évidence l’idée que la démocratie aurait probablement plus de chance d’essaimer mondialement si l’on se préoccupait d’abord des processus démocratiques réels dans les États. Dit autrement, au lieu de consacrer l’essentiel de sa réflexion et de son temps à rechercher les meilleures institutions internationales qui formeraient la nouvelle architecture mondiale, on gagnerait certainement davantage à soutenir et à amplifier le rôle de colégislateurs que les individus et peuples peuvent eux-mêmes jouer dans les avancées démocratiques. Historiquement, ce sont souvent les individus et les groupes marginalisés qui ont fait faire à la démocratie des bons spectaculaires par la formulation des requêtes de justice, d’égalité et de liberté. Il va donc sans dire que l’émergence de la conscience citoyenne, la mobilisation et la participation populaire au choix des représentants occupent une place décisive dans l’avènement même des institutions politiques plus démocratiques.

En ce sens, il conviendrait beaucoup mieux de réfléchir sur les possibilités concrètes qui pourraient donner directement aux individus et peuples, aujourd’hui opprimés à travers le monde, le pouvoir de prendre les clés de leur destin en main. La focalisation sur la perspective institutionnelle internationale de la plupart des théories en philosophie politique contemporaine fait souvent l’impasse sur cet aspect lié à l’incontournable rôle des individus et des peuples dans les avancées démocratiques, au point parfois de donner l’impression d’un ensemble d’approches élitistes destinées à sauver le monde.

De plus, un des présupposés des versions du cosmopolitisme institutionnel ─que nous analyserons─ est sous-jacent à la croyance que les organisations internationales actuelles sont partiales et injustes, au sens où elles ont été conçues spécialement pour protéger les intérêts des pays occidentaux au détriment de ceux des États non-occidentaux. Ce présupposé est souvent à l’œuvre dans le raisonnement de nombreux auteurs et pourrait en partie expliquer pourquoi des auteurs comme Held, Nielsen, Pogge et Chung sont plus favorables à la quête des institutions internationales d’un nouveau genre qui seraient à leurs yeux plus parfaites et justes. Il est vrai que les institutions dont nous disposons, comme l’ONU, le FMI, la BM, l’OMC, sont loin d’être parfaites. Mais la constatation de leurs failles ne nous oblige pas à

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penser que la seule possibilité qui nous reste est de les changer complètement et d’instaurer à leur place de nouvelles institutions radicalement différentes3.

L’idée que le système international actuel soit injuste parce qu’il a été modelé de façon à protéger les intérêts des pays occidentaux est loin d’être plausible du point de vue historique et normatif. Nous entendons défendre, tout au long de cette thèse, que le système institutionnel international actuel n’est pas régulé par une fin pareille. À ce titre, nous proposons, sans prétention à l’exhaustivité, de faire une plongée dans la genèse du système international pour en comprendre les motivations les plus fondamentales.

Notre objectif, au travers de cette genèse du système international, vise ainsi à montrer que, contrairement à ce que laissent entrevoir le cosmopolitisme institutionnel, le système institutionnel international actuel est issu de la quête d’une série de valeurs fondamentales comme l’échange et la coopération, la paix et la stabilité internationales, le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la sensibilité à la démocratie et à l’autodétermination des peuples, etc. Ces valeurs entrent visiblement en conflit avec la croyance voulant que ce soit une forme d’injustice ou une espèce de déséquilibre de pouvoir qui aurait donné naissance au système international actuel.

3 Notre approche est aussi, sur certains aspects, distincte de celle de Thomas Pogge. Par exemple, contrairement

à Pogge, nous ne cherchons pas à établir le primat, en termes de causalité et d’impacts, entre les facteurs endogènes et exogènes de la pauvreté. Qui serait responsable de l’extrême pauvreté dans les pays en développement? Sont-ce les pouvoirs autocratiques locaux ou nationaux ou, au contraire, les États riches et puissants occidentaux? Si ce débat peut être intellectuellement intéressant, il est aussi fort probable qu’il mène à un malheureux cul-de-sac accusateur où l’on se rejetterait, sur fond d’émotion, mutuellement la responsabilité. De plus, le concept de l’ordre institutionnel global chez Pogge demanderait à être davantage clarifié. En général, Pogge attribue les facteurs exogènes de l’extrême pauvreté qui, à ses yeux sont les plus importants, au système institutionnel mondial qui serait injuste. Il ne fait donc pas toujours clairement la distinction entre les choix moralement dévastateurs de certains pays riches et puissants occidentaux vis-à-vis des autorités des pays pauvres et le rôle que peuvent y jouer les organisations internationales. Par exemple, Pogge cite souvent que la corruption des élites politiques africaines est alimentée par les choix géopolitiques des grandes puissances et les appétits sans limites de leurs multinationales ─ce à quoi nous adhérons. Mais devrait-on imputer ces erreurs politiques et morales des puissances comme les États-Unis, la Russie, la France, l’Angleterre, etc. aux organisations internationales? Il semble parfois sous la plume de Pogge que les organisations internationales actuelles n’ont aucune âme ni personnalité. Elles sont simplement des instruments au service des États puissants sans égard aux intérêts des pays pauvres ─ce que nous ne partageons pas. Voir à ce propos Thomas Pogge, «‘’Porter assistance’’ aux pauvres du monde» Raison Publique, n° 1, octobre 2003, Paris, Bayard, pp. 104-148.

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Cette thèse comporte huit (8) chapitres. Le chapitre (1) s’appuie sur la théorie du cosmopolitisme institutionnel, notamment la version associée à la pensée de David Held4. Le

recours au CI nous permettra, en effet, de planter le décor général de cette thèse, dans le dessein de mieux comprendre non seulement les grands enjeux de la scène politique internationale mais aussi et surtout le large éventail de propositions institutionnelles cosmopolites qui sont souvent faites pour la réformer. Tout en adhérant à certains aspects de cette théorie (notamment le diagnostic qu’elle dresse des défis mondiaux), nous tenterons d’en questionner d’autres (notamment la croyance d’un système international actuel injuste et le parti pris en faveur d’une orientation institutionnelle cosmopolite forte). L’objectif central est de montrer que face aux nouvelles problématiques mondiales, le plus important ne réside peut-être pas, comme le pense Held, dans l’établissement d’un large réseau d’institutions supranationales. Il pourrait simplement consister, selon nous, dans un appui solide et franc aux réels processus démocratiques dans les États.

Dans les chapitres (2) et (3), nous adopterons une approche philosophico-historique pour mieux introduire à la compréhension des motivations ayant conduit à l’établissement progressif du système international. Dès à présent, il est utile de noter que la mobilisation populaire et la formation des processus démocratiques dans les États y ont joué un rôle incontestable. À ce titre, nous focaliserons notre attention sur l’émergence du modèle de l’État et les attentes normatives qui sont, en général, formulées à l’endroit des gouvernements des États. Il s’agira pour nous de remarquer que les attentes qu’on est censé exprimer envers un État se sont souvent enrichies et complexifiées au fil des siècles, grâce à l’éveil citoyen et la mobilisation populaire. Par exemple, on attend des représentants d’un État qu’ils soient élus, qu’ils assurent la protection de leurs concitoyens et de ceux qui se trouveraient pour une raison ou une autre sur leur territoire, qu’ils agissent en accord avec les normes et institutions démocratiquement légitimes, et qu’ils garantissent l’équité, l’égalité, la justice et la jouissance des libertés à tous les membres de la société. De fait, ces attentes normatives renvoient essentiellement aux devoirs et obligations qu’un État raisonnable et décent est tenu fondamentalement de respecter.

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Dans le chapitre (4), on touchera à certains aspects historiques de la vie politique internationale. Nous y aborderons, à grands traits, le débat historique qui a opposé théologiens et philosophes réalistes à propos même de l’idée de l’existence de la communauté internationale autour des XVIe et XVIIe siècles. Existerait-il une communauté internationale

dont les membres seraient les États? Ou au contraire l’espace international serait-il condamné à l’anarchie? Sans aucun doute, les pratiques politiques des gouvernements, souvent absolutistes, du XVIe siècle jusqu’à la première moitié du XXe siècle étaient majoritairement

de nature à pencher en faveur de la thèse réaliste voulant que les relations intergouvernementales soient essentiellement anarchiques.

Dans les chapitres (5) et (6), on tentera d’esquisser, dans les grandes lignes, les raisons de l’opposition des théoriciens du projet de paix perpétuelle à l’idée d’un espace politique international anarchique. À cet égard, nous montrerons que, quel qu’ait été leurs différends, le souci premier des théoriciens de paix perpétuelle fut l’instauration d’un ordre juridique et institutionnel international permanent capable d’atténuer au maximum toute velléité menant à l’anarchie et à l’instabilité entre les États en assurant un climat général de paix et de stabilité par le recours au droit, la démocratie, la coopération politique et la liberté du commerce.

Contre le cosmopolitisme institutionnel, nous soutiendrons au chapitre (7) que le XXe siècle ─surtout en sa seconde moitié─ constitue un moment crucial où plusieurs aspects

sous-jacents aux projets de paix perpétuelle essaieront d’être traduits, avec succès, dans la réalité politique internationale. De fait, de nombreuses institutions comme l’ONU, le FMI, la BM, et l’OMC plus tard, représentent autant de tentatives juridiques et institutionnelles visant à conjurer l’anarchie et l’instabilité internationales par le recours au droit, le respect des droits de l’homme, l’incitation à la démocratie et la liberté de commerce. Ainsi, les organisations internationales actuelles poursuivent un projet normatif qui contraste avec l’idée d’une injustice au service des États occidentaux.

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Au chapitre (8), nous essaierons d’arguer que beaucoup de problèmes rencontrés dans le cadre des institutions internationales peuvent être résolus en autant que les représentants des États soient issus d’une politique démocratique vigoureuse en vertu de laquelle les citoyens peuvent publiquement les surveiller et exiger la transparence et la reddition des comptes. C’est pourquoi, il est important de contribuer durablement à la création des conditions ─sociales, économiques, et politiques─ qui permettent aux individus d’être sensibles à leur statut de colégislateur et à la défense de leurs libertés. En effet, seuls les citoyens éduqués, libres, conscients de ce qu’ils ont à perdre ou à gagner en termes de droits, peuvent s’efforcer de déjouer les manipulations politiciennes populistes et se mobiliser activement pour préserver leurs acquis sociaux, politiques et économiques, aussi bien au niveau national qu’international. De fait, ils sont aussi plus aptes à rejeter la résignation. En somme, l’éclosion des réels processus démocratiques dans les États (occidentaux et non occidentaux) aura un impact indéniable sur la façon dont les problèmes peuvent être posés et traités dans le cadre des États et des organisations internationales.

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CHAPITRE 1: COSMOPOLITISME INSTITUTIONNEL ET RELATIONS INTERNATIONALES

1.1 Introduction

Dans ce chapitre, nous entreprendrons une analyse de la théorie du CI. Selon cette théorie qui, du reste, présente une énorme variété d’approches5, il serait d’une importance

capitale aujourd’hui de se diriger, à l’échelle internationale, vers un autre type de modèle d’organisation institutionnelle du politique, en raison de l’inadaptation actuelle du modèle stato-centré aux défis contemporains. À ce titre, de nombreuses figures de la théorie du CI, à l’instar de David Held, Kai Nielsen, Thomas Pogge, et bien d’autres, proposent des modèles institutionnels d’organisation de la vie politique internationale dans lesquels les représentants des États seraient élus.

Dans ce chapitre, nous n’approfondirons certainement pas les approches cosmopolites de tous ces auteurs. Nous faisons le choix de focaliser d’abord, à titre d’exemple, notre analyse sur l’approche de Held6. L’approche du CI de Held nous permettra

de prendre connaissance de deux idées cruciales: a) l’inadéquation du système international actuel qui profite en général aux intérêts géopolitiques des pays occidentaux et b) la nécessité de nouvelles institutions internationales démocratiques et électives.

Ce chapitre s’organise en trois sections. Dans la première section, nous explorons, sans prétention à l’exhaustivité, les diverses raisons pour lesquelles, selon Held, le système

5 Voir à ce propos Simon Caney, Justice beyond Borders. A Global Political Theory, New York, Oxford

University Press, 2005, p. 268.

6 Étant donné que ce chapitre nous sert de point de départ, notre but est de dresser, en prenant appui sur Held,

la table pour mieux comprendre quelques idées structurantes du cosmopolitisme institutionnel telle l’idée d’une injustice du système international actuel et l’idée d’un nouvel ordre institutionnel mondial démocratique et électif. Lorsque nous aurons rassemblé l’essentiel des informations liées au débat, nous reviendrons au chapitre 7 sur la position de Held et traiterons d’autres positions comme celles de Kai Nielsen, Thomas Pogge et de Ryoa Chung.

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international actuel est inadéquat. Ici, nous insisterons essentiellement sur la place de la mondialisation et ses défis7.

Dans la deuxième section, nous tenterons de mieux comprendre la signification particulière que revêt le concept de nouvel ordre mondial chez Held: s’agit-il d’une simple réforme des institutions internationales? Ou au contraire, pour reprendre la formule de McGrew8, d’une reconstruction à neuf des institutions internationales, selon une vision

novatrice à long terme? Nous le verrons, dans les lignes qui suivent, que loin de se limiter à des prescriptions qui tiennent simplement à l’aspect fonctionnel des organisations internationales, la théorie du CI de Held en appelle bien plutôt une refonte complète des aspects institutionnels internationaux, c’est-à-dire à la mise en place d’un modèle politique supranational différent.

Dans la troisième section, enfin, nous essaierons de montrer que le programme social-démocrate mondial que propose Held, au-delà des valeurs et principes qui le sous-tendent, demeure cependant excessivement focalisé sur l’instauration de nouvelles formes institutionnelles supranationales, au point même d’en être prisonnier. De fait, il présuppose souvent que de nombreux défis majeurs mondiaux ne pourront être résolus qu’à la condition de transformer radicalement l’architecture institutionnelle mondiale. Nous défendrons, pour notre part, qu’il soit possible de faire avancer la démocratie et la justice dans le monde sans obligatoirement les faire dépendre d’une série d’institutions supranationales, étant donné que ces deux paramètres sont loin d’être corrélatifs.

De même, nous montrerons que le système institutionnel international actuel n’incarne pas en soi un problème insurmontable qui nous inciterait à nous en débarrasser complètement, ni même que les formes institutionnelles qui le caractérisent ne seraient pas fondamentalement injustes au sens où elles ne sont pas conçues pour servir les intérêts des

7 David Held « Regulating Globalization? » The Global Transformations Readers, An Introduction to the

Globalization Debate, Edited by David Held and Anthony McGrew, Cambridge, Polity Press, 2000, p. 423.

8 Anthony McGrew, « Democracy beyond borders? » The Global Transformations Reader, An Introduction to

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pays occidentaux. À ce titre, nous rappellerons sans entrer dans les détails que le système international actuel a été établi à la faveur d’une série de valeurs fondamentales telles la coopération, le maintien de la paix et de la stabilité, la nécessité de respecter les droits de l’homme et l’autodétermination des peuples, etc. Même si les organisations internationales actuelles ont la possibilité d’exercer des pressions en faveur de la démocratie, des libertés fondamentales et des droits de l’homme, elles ne peuvent cependant pas se substituer aux États; selon la division internationale des compétences, elles laissent en dernière instance ces questions à la liberté et l’autodétermination des peuples. Le système international n’est donc pas l’incarnation d’un complot occidental contre les pays pauvres mais doit son existence à des principes fondamentaux qu’il serait juste de redécouvrir.

1.2 Held et les défis de la mondialisation

Dans le portrait général qu’il dresse des défis mondiaux, Held estime que le contexte sociopolitique et économique contemporain apparaît de plus en plus interrelié, en raison précisément du phénomène de mondialisation. La mondialisation, d’après la définition qu’il en donne, est une ouverture de plus en plus étendue des sociétés humaines les unes aux autres, ce dans les domaines les plus divers comme la politique, l’économie, le droit, etc. Sans être historiquement un phénomène radicalement nouveau, elle a aujourd’hui, selon Held, une signification particulière qui doit retenir l’attention. De fait, si l’Europe au XIXe siècle a

assisté à l’émergence d’une certaine forme d’internationalisation des échanges entre les États qui a connu, malheureusement, un coup d’arrêt à cause de la Première Guerre mondiale, cette forme d’internationalisation, selon Held, n’est pas à identifier et à confondre, en termes d’ouverture, d’étendue, et d’intensité, à la mondialisation. Car, la mondialisation implique plutôt des niveaux d’interactions et d’interconnexions complexes où plusieurs types

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d’acteurs, politiques, sociaux, économiques, culturels voire religieux, sont engagés9, créant

ainsi des « communautés de destin »10.

Il importe pourtant de souligner ici que l’intensification de l’ouverture, souvent associée à la mondialisation des échanges entre les États et les peuples, ne s’accompagne pas toujours d’effets positifs. Elle génère aussi, par exemple, de nombreux défis dans les domaines de la politique, l’économie, l’environnement et de la sécurité internationale.

En politique, l’un des défis majeurs de la mondialisation consiste en la déterritorialisation du lieu d’exercice du pouvoir politique. Selon Held, le phénomène de mondialisation met à l’épreuve le fonctionnement traditionnel de la démocratie libérale où la relation de pouvoir entre gouvernants et gouvernés se situait d’emblée à un niveau plus restreint, celui des frontières étatiques. Dans cet espace essentiellement étatique, les gouvernants ne sont habituellement redevables qu’à leurs gouvernés. Ainsi, la démocratie représentative libérale, dans sa version traditionnelle, semble ne prendre en compte que l’échelle étatique où les gouvernants ont des obligations domestiques à l’égard de leurs concitoyens, en s’efforçant de répondre pour l’essentiel à leurs attentes multiformes11. Dans

un contexte de mondialisation, cette relation est sévèrement mise à mal étant donné que de multiples problèmes contemporains −qu’il s’agisse des problèmes économiques, politiques, environnementaux et sécuritaires− ont cessé, d’une part, d’avoir exclusivement une dimension étatique: ils sont mondiaux. Et, d’autre part, les solutions à ces divers problèmes ne peuvent plus être du seul ressort des États nationaux ou multinationaux, dont la souveraineté ne cesse de se transformer de plus en plus12. En ce sens, une action unilatérale

9 « Globalization, thus interpreted, implies at least two distinct phenomena. First, it suggests that many chains

of political, economic and social activity are becoming world-wide in scope. And secondly, it suggests that there has been an intensification of levels of interaction and interconnectedness within and between states and societies». David Held, Democracy and the Global Order, From the Modern State to Cosmopolitan

Governance, California, Stanford University Press, 1995, p. 21.

10 David Held, « Avant-propos » Un nouveau contrat mondial. Pour une gouvernance social-démocrate, Paris,

Science po, 2005, pp. 9-17.

11 David Held and Anthony McGrew, Globalization / Anti-Globalization, Cambridge, Polity Press, 2002, pp.

7-8.

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d’un quelconque État en réponse aux défis de la mondialisation ne peut être que d’une portée très limitée13.

En économie, on assiste, selon Held, à la faveur de la mondialisation, à une croissance globale importante. Toutefois, le profond problème résiderait dans le fait que cette croissance serait, au plan mondial, inégalement répartie, comme l’illustrent les nombreuses statistiques concernant les écarts de revenus entre les pays en développement d’un côté et les pays développés et émergents de l’autre14. Selon Held, il est, à première vue, possible de recourir

à certains facteurs traditionnels pour expliquer ces inégalités économiques mondiales comme, par exemple, la corruption, le manque de transparence et l’absence d’une culture politique démocratique dans les pays en développement. Mais ces facteurs endogènes qui ne sont certes pas à écarter ne constituent, en revanche, qu’une partie de la réalité car ils sont, à leur tour, aggravés par des structures économiques internationales, dont les règles sont indéniablement à l’avantage des États les plus puissants et les plus aisés. En ce sens, il écrit: « […] si le commerce international offre d’énormes possibilités […] ses règles actuelles de fonctionnement sont fortement structurées en vue de protéger les intérêts des plus aisés et de s’opposer à ceux des pays les plus pauvres15». Il s’agit ainsi de remarquer que le système

économique international nuit injustement aux populations des pays pauvres. Habituellement, les pays riches y fixent les règles à leur avantage au travers des négociations qui sont insuffisamment inclusives, ne tenant donc pas toujours compte des intérêts des pays pauvres16.

Dans ce contexte, il formule quelques critiques à l’adresse des politiques du FMI et de la BM qui prônent la seule ouverture des marchés comme moyen de développement social

13 David Held, «Introduction» Un nouveau contrat mondial. Pour une gouvernance social-démocrate, Paris,

Sciences Po, 2005, pp. 35-57.

14 Voir aussi à ce propos Darrel Moellendorf « Persons’ interests, states’ duties, and global governance » The

Political Philosophy of Cosmopolitanism, Edited by Gillian Brock and Harry Brighouse, Cambridge,

Cambridge University Press, 2005, p. 162.

15 David Held, Op. cit, p. 116.

16 David Held, Op. cit, pp. 161-162. Voir aussi à ce propos Pogge, World Poverty and Human Rights.

Cosmopolitan Responsibilities and reforms, Cambridge, Polity Press, 2002, p. 22; Pogge, « The Influence of

the Global Order on the Prospects for Genuine Democracy in the Developing Countries» Debating

Cosmopolitics, London, British Library, 2003, pp. 123-124; Pogge, « Reframing Economic Security and

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et économique. On ne peut guère, selon Held, demander aux États pauvres de libéraliser inconditionnellement leurs politiques sans, en effet, prendre certaines précautions. Une telle ouverture accélérée et imprudente ne peut que vulnérabiliser, à terme, leurs économies déjà en profonde difficulté. Le système économique international devrait plutôt d’abord veiller à la mise en place, dans les États pauvres, d’un seuil minimal de développement, dont les composantes seraient la mise en place d’institutions politiques fortes, le développement du capital humain, l’installation d’un important réseau d’infrastructures, avant de les engager, par la suite, dans l’ouverture de leurs frontières économiques. Ainsi, sans nécessairement remettre en cause les principes de l’économie de marché, Held prend faits et cause pour une ouverture progressive des marchés dans les pays pauvres pour mieux les intégrer dans les réseaux de production et de commerce internationaux17.

En ce qui concerne l’environnement, le phénomène de mondialisation aurait accru l’impact de l’action humaine sur la nature, en raison d’un effort soutenu d’industrialisation et de modernisation18. Cet effort qui pouvait à première vue paraître prometteur parce qu’il

aurait permis d’avoir accès à des infrastructures modernes de qualité, montre en revanche aujourd’hui ses limites, du fait de ses multiples conséquences néfastes aussi bien sur l’environnement, la biodiversité que sur la vie de plusieurs millions de personnes à travers le monde, comme l’indiquent plusieurs données statistiques des scientifiques. Ainsi, à cause des émissions de gaz à effet de serre attribuables essentiellement à la surproduction et à la surconsommation des êtres humains, il se produit désormais, à un rythme qui inquiète, le réchauffement de la planète et des changements climatiques, dont les effets multiples se font sentir partout dans le monde. Si les pays riches peuvent, pour l’instant, faire un tant soit peu face à ces changements climatiques, il n’en est pas toujours le cas des pays pauvres qui manquent cruellement de moyens de réaction et d’adaptation à ces catastrophes. En revanche, si aucune mesure robuste n’est prise pour stabiliser et réduire les émissions de gaz à effet de serre, le réchauffement de la planète pourrait encore augmenter en milieu de ce siècle provoquant, peut-être, de catastrophes encore plus violentes et plus meurtrières.

17 David Held, « Chapitre 2: Mondialisation, stratification et inégalité » Op. cit, p. 104.

18 David Held and Anthony McGrew, « Introduction » Governing Globalization. Power, Authority and Global

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De fait, en raison de la gravité et de la complexité du problème, il n’est guère plus possible pour un État, fut-il le plus puissant, de faire face, seul, aux changements climatiques. C’est une lutte qui s’étendra sur le siècle et à laquelle doivent participer, suivant l’idéal cosmopolite, tous les acteurs parmi lesquels figurent les États. Pour Held, loin de confiner à des actions unilatérales, les changements climatiques permettent bien plutôt de comprendre les limites du modèle politique stato-centré et d’explorer d’autres moyens de gouvernance à l’échelle de la planète.

Il en est, enfin, de même, selon Held, des défis qui se posent en termes de sécurité internationale, tels le terrorisme international, qui montrent de façon éloquente qu’aucun État ne peut désormais se barricader dans ses propres frontières pour prétendre y faire face. Les actes de terrorisme peuvent toucher n’importe quel État, des États riches comme des États pauvres. En ce sens, le terrorisme international, entre autres défis de la mondialisation, rappelle avec force que le monde n’est plus formé de communautés nationales disjointes. Ainsi, la mondialisation et les défis qu’elle pose invitent à revoir nos repères politiques traditionnels, en examinant de façon critique certains postulats normatifs du modèle politique stato-centré qui apparaissent de plus en plus inadapté au sens où ils cloisonnent, le plus souvent, l’agir politique à l’intérieur des frontières étatiques, à une période où, paradoxalement, les défis sont mondiaux. Aussi écrit-il à ce propos: « […] seul un choix résolument internationaliste et cosmopolite peut en dernière analyse relever les défis politiques de notre époque mondialisée marquée par le chevauchement des communautés de destin19»

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1.3 La social-démocratie et le nouvel ordre cosmopolite

1.3.1 Les limites de la coopération internationale actuelle

Pour Held, l’ordre institutionnel international actuel comporte plusieurs asymétries qui le rendent inadéquat face aux défis de la mondialisation. Parmi ses nombreuses asymétries, il faut en premier lieu compter le déséquilibre normatif et moral. Par déséquilibre normatif et moral, Held entend l’absence de coordination en termes de normes qui caractérise les relations internationales contemporaines20. Il est ici surtout question de mettre en

évidence le fait que plusieurs types de normes d’ordre économique, social, éthique, environnemental et politique, coexistent mondialement. Cependant, ces normes sont loin de représenter une certaine unité. Elles se font plutôt concurrence et n’auraient d’ailleurs pas, en fait, le même primat fonctionnel. Dès lors, si les normes sociales ou encore environnementales entraient en conflit avec les normes économiques, sur quelle base faudrait-il s’appuyer pour en assurer l’arbitrage? D’après Held, en raison du problème associé au déséquilibre normatif, les normes économiques paraissent bénéficier de toute l’attention possible, prenant ainsi le dessus sur les autres types de normes. Aussi écrit-il à ce propos:

Parmi les difficultés politiques que présentent ces problèmes (de régulation et de morale) entremêlés, il faut citer un déséquilibre croissant dans l’élaboration et la mise en œuvre des règles mondiales. ‘’ Les règles destinées à favoriser l’expansion des marchés −les droits de propriété intellectuelle, par exemple, ou encore le règlement des différends commerciaux dans le cadre de l’OMC− sont devenues plus rigoureuses et sont plus fermement appliquées depuis dix ou vingt ans. Mais celles qui visent à promouvoir des objectifs sociaux tout aussi importants, qu’il s’agisse de droit du travail, de droits de l’homme, de la qualité de l’environnement ou de la réduction de la pauvreté, non seulement n’avancent pas mais parfois se sont, de fait, affaiblies’’21

Pour illustrer cette importance accordée aux normes économiques, Held prend, entre autres, l’exemple des brevets dans le domaine de la santé et notamment, dans le domaine plus spécifique, de la gestion de la pandémie du VIH sida22. Pour Held, il est moralement troublant

et injustifiable qu’une quantité aussi importante de personnes meurent, encore

20 Held utilise aussi le terme de décalage moral pour designer ce déséquilibre normatif. 21 David Held, Op. cit, pp. 162-163.

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prématurément, de cette pandémie parce qu’elles ne peuvent pas, premièrement, supporter les coûts élevés des médicaments et deuxièmement, parce qu’en raison du système des brevets, il est difficile, pour certains États riches et certaines multinationales, d’accepter de mettre sur le marché des produits génériques similaires à des couts plus raisonnables à la portée des populations pauvres. Dans cet exemple de régulation internationale, selon Held, on a, sur la balance, la protection des innovations et les gains en termes monétaires que peut apporter le système des brevets et, d’autre part, le droit à la santé et à la vie de millions de personnes vulnérables. Mais face à de tels conflits, la tendance lourde est de faire pencher la balance du côté de la défense du système des brevets plutôt que de celui de la protection des vies humaines. Il en est de même, selon Held, des conflits qui peuvent survenir entre les valeurs économiques et écologiques. Pour l’instant, en dépit des connaissances dont nous disposons, ces conflits seront tranchés, en général, en faveur des valeurs économiques23.

En deuxième lieu, Held souligne une autre asymétrie associée à un décalage ou déséquilibre interinstitutionnel. En effet, le système international contemporain est composé d’une multitude d’organisations intergouvernementales dans des domaines aussi variés que la politique, l’économie, l’alimentation, l’environnement, le droit, etc. Cependant, ce foisonnement d’institutions, loin d’être le symbole d’une efficacité, cache, lorsqu’on y regarde de plus près, un profond problème que Held présente sous l’angle d’une absence d’unité et de coordination d’actions entre les différentes institutions.

Pour Held, il est difficile de voir les grandes institutions du système international, comme l’ONU, l’OMC, la BM, ou encore le FMI coopérer ensemble. Chaque institution semble travailler dans l’isolement. En ce sens, elles conçoivent des programmes d’intervention qui n’ont, la plupart des cas, rien à voir avec des programmes d’autres organisations ou, dans d’autres cas, viennent les doubler et/ou les concurrencer. À cet égard, la division institutionnelle du travail, au niveau international, demeure floue et constitue, en conséquence, un goulot d’étranglement d’un point de vue de l’efficacité des institutions

23 Voir aussi à ce propos Jocelyn Maclure, « Démocratiser et rééquilibrer le constitutionnalisme global.

Mondialisation, normativité et liberté démocratique» Regards philosophiques sur la mondialisation, Canada, Bibliothèque nationale du Québec, 2005. pp. 197-208. Jocelyn Maclure utilise plutôt le concept de

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multilatérales. Elle multiplie les coûts de l’inaction, parce qu’on ne sait pas, avec précision, de quelles institutions relèveraient certaines questions qui touchent de plein fouet la vie politique internationale. Dans cette optique, on constate plutôt des incohérences dans les interventions et des dédoublements. Plus grave encore, selon Held, ces institutions, quand elles ne parviennent pas à résoudre certains problèmes suite à leurs interventions, n’ont de comptes à rendre à personne, ni devant une autre institution internationale ni devant les peuples. Elles ne sont donc pas imputables. De fait, il y a l’existence de divers réseaux d’interaction et de pouvoir qui se chevauchent rendant la responsabilité et la reddition des comptes cruciales.

De plus, il est à noter que, selon Held, le système institutionnel international actuel se caractérise par un déséquilibre de juridiction et d’incitation. Même si Held reconnaît que les diverses organisations internationales tendent à participer de plus en plus aux décisions importantes, il souligne cependant, avec force, le fait que les grands États continuent à être des acteurs clés qui exercent encore une influence considérable24. Car, la plupart des

décisions relèvent de leur initiative. Pourtant, nombre d’entre elles, prises souvent unilatéralement par ces puissants États, peuvent affecter les individus dans d’autres États, sans que ces derniers, soit directement soit par le biais de leurs représentants, n’aient été associés à l’examen ou l’évaluation de ces décisions. Pour Held, cela pose l’épineux problème des externalités qui est d’autant plus aigu en raison de l’absence patente d’une organisation supranationale qui aurait pu les contrebalancer. Étant donné le défaut d’un organe supranational et le pouvoir dont ils disposent encore, les puissants États jouissent allègrement d’une grande liberté et sont plus prompts, en usant bien entendu de raccourcis, à tirer profit de leurs avantages et peu disposés à en assumer les charges et à trouver des solutions durables.

Enfin, Held soulève, comme dernière asymétrie, le décalage de légitimité et de représentativité. À ce propos, il soutient qu’il est évident que l’examen attentif de la scène

24 «Il est clair que l’État n’est pas enserré de manière identique dans l’entrelacs des structures politiques et

juridiques mondiales en ex-Yougoslavie, en Afghanistan, en Angleterre et aux États-Unis». Voir le « Chapitre 8: La souveraineté libérale internationale: réalisations et limites » Op. cit, p. 231.

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internationale fait apparaître une pluralité de groupes qui parlent au nom des individus et peuples de la planète sans qu’ils n’aient explicitement reçu mandat de ces derniers25. Même

s’il reconnaît le travail qu’ils accomplissent, il estime que ces divers groupements et organisations sont loin d’être représentatifs. Pour leur part, les États qui sont en principe, pour l’instant, les seuls acteurs pouvant faire valoir leur légitimité et représentativité le font souvent bruyamment. Soumis aux impératifs de la Realpolitik, ils succombent souvent à une sorte d’arrogance politique qui tire sa force de la « source éminemment vertueuse qu’est le demos » qu’ils disent représenter. Ils usent ainsi de leur légitimité et représentativité de façon à les mettre trop souvent au service des intérêts particuliers26. À ce propos, il écrit: «le jeu

politique dominant dans la ‘’cité transnationale’’ reste la géopolitique27»

Il s’agit ici, pour Held, d’observer que l’ordre international actuel est pluriel mais comporte aussi d’importants déséquilibres qui tournent principalement autour de la « rupture de symétrie et de congruence entre décideurs et destinataires de leurs décisions28 ». Il est

composé d’un ensemble d’organisations non représentatives et essentiellement dominées par les intérêts économiques des grandes puissances. La conséquence en est que certaines problématiques pourtant cruciales −comme celles de justice sociale mondiale et de protection de l’environnement− sont souvent laissées-pour-compte. D’où la nécessité et l’intérêt d’un nouvel ordre social-démocrate cosmopolite ou mondial qui consisterait à rendre possibles des solutions à ce type de déséquilibres, en « appariant cercles de détenteurs d’enjeux et instances de décision, pour que chacun ait un mot à dire sur les biens communs planétaires qui le concernent29 ».

25 Held cite les réseaux d’experts et de spécialistes, le personnel administratif de haut niveau, des cadres

d’entreprise internationaux, les divers mouvements sociaux, les syndicalistes et quelques hommes politiques. Voir « Chapitre 5: les défis de la mondialisation» Op. cit, pp. 163-164

26 Voir «Chapitre 8: La souveraineté libérale internationale: réalisation et limites», Op. cit, pp. 227-236. 27 Voir «Chapitre 10: Vers un contrat planétaire : la social-démocratie mondiale», Op. cit, p. 271. 28 Voir «Chapitre 6: La réforme de la gouvernance mondiale», Op. cit, p. 171

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1.3.2 Principes cosmopolites et structures institutionnelles supranationales

Le nouvel ordre cosmopolite (dont parle Held) s’appuie sur une série de valeurs essentielles, universellement reconnues, voulant que tous les êtres humains, étant donné leur égalité et le respect qu’on leur doit, aient droit à un traitement politique égal, quelle que soit la communauté où ils sont nés ou ont grandi. En tant que membres de l’humanité, ils ont un certain nombre de capacités minimales pouvant leur permettre d’exercer leur libre arbitre et leur responsabilité. Par exemple, ils peuvent raisonner, peser et soupeser, consentir et s’autodéterminer. De fait, ils ont fondamentalement besoin d’un cadre délibératif libre et égalitaire qui garantirait la validité morale de leurs choix et adhésions. Pour Held, toutes ces valeurs essentielles imposent «des limites en principe infranchissables par qui que ce soit: organisation mondiale, État, association de la société civile ou leurs représentants30». L’idée

ici étant de montrer que les individus devraient avoir droit aux (ou méritent des) institutions internationales démocratiques qui les représente vraiment et qui leur permettraient de participer, directement ou indirectement par le biais de leurs représentants, à la formulation des décisions institutionnelles et normatives qui ont le potentiel d’affecter leur vie et leurs chances dans la vie, c’est-à-dire leur bien-être, leurs libertés et leurs droits.

Held a recours, à ce titre, aux principes d’équivalence et d’inclusivité. Par principe d’équivalence, Held entend l’idée que «ceux qui sont significativement concernés par un bien (ou un mal) planétaire doivent avoir leur mot à dire dans sa production, sa distribution ou sa maîtrise31». Pour sa part, le principe d’inclusivité «pose que toutes les personnes

‘’significativement’’ (c’est-à-dire non trivialement) affectées par les politiques publiques doivent avoir, toutes choses égales par ailleurs, les mêmes possibilités d’influence sur ces décisions, soit directement, soit indirectement par le biais de représentants élus. En somme, ceux qui vont bénéficier ou pâtir d’une décision publique doivent participer à son élaboration32». À travers ces deux principes, dont le contenu et les implications nous

semblent identiques, il s’agit en réalité de voir comment consulter et associer, dans les

30 Lire « Appendice: les bases du nouvel internationalisme: les principes cosmopolites», Op. cit, p. 275-287. 31 David Held, Op. cit, p. 171.

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processus de décision régionaux et globaux, non pas seulement les décideurs traditionnels, mais aussi les personnes ou les collectivités à qui ces décisions seront destinées et qui seront susceptibles d’en subir les conséquences33. En général, cette consultation –qui doit être la

plus large possible− se fait par le recours aux mécanismes électoraux. Il écrit à ce propos: «la meilleure place de la démocratie, c’est quand elle se situe au plus près de ceux dont l’espérance et les chances de vie sont déterminées par des entités puissantes et qu’elle les y associe en rapprochant le cercle de détenteurs d’enjeux de celui des décideurs34».

Dans cette perspective, Held prescrit un cadre institutionnel supranational en accord avec l’idée qu’il se fait de la valeur politique et de la dignité égale des individus. Il préconise par exemple l’institutionnalisation d’une assemblée mondiale élective qui serait dotée de pleins pouvoirs qui lui permettraient de s’autosaisir des problèmes qui relèveraient de sa compétence. Il s’agit, entre autres choses, d’importants problèmes liés à la santé, à l’alimentation, à la dette des pays pauvres, au réchauffement du climat, aux risques de guerre nucléaire, chimique et bactériologique. Les pouvoirs d’autosaisie de l’assemblée mondiale élective autoriseraient donc celle-ci à intervenir immédiatement partout où les priorités normatives qui relèvent de sa compétence seront menacées. Aussi écrit-il à ce propos: «il faudra se doter […] d’institutions capables de se saisir, à leur propre initiative, des situations d’urgence posant directement une question de vie ou de mort35». En appui à cette assemblée

mondiale, il faut également, selon Held, instituer des parlements régionaux électifs ayant d’importants pouvoirs dans les zones où ils n’existent pas encore et, renforcer ceux déjà existant comme dans le cas de l’Union européenne.

Quant aux organisations intergouvernementales fonctionnelles comme le FMI, la BM, et l’OMC, il est indispensable, selon lui, de les soumettre «à l’examen public et à la fixation publique de leur ordre du jour36», en plus de les rendre responsables devant les

33 Les principes d’équivalence et d’inclusivité de Held ont partie liée avec le principe des intérêts affectés. Sur

la critique des multiples problèmes que pose ce principe des intérêts affectés, voir Geneviève Nootens,

Souveraineté démocratique, justice et mondialisation. Essai sur la démocratie libérale et le cosmopolitisme,

Montréal, Liber, 2010, p.169.

34 David Held, Op. cit, p. 176. 35 David Held, Op. cit, pp. 191-192. 36 David Held, Op. cit, p. 193.

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assemblées mondiale et régionales. Held envisage aussi la création d’organisations spécifiques qui auront pour tâche de s’occuper exclusivement d’un problème particulier tel que la pauvreté, la protection sociale, ou l’environnement, etc. Dans le souci démocratique de rapprocher ces institutions des individus, Held préconise la pratique des referendums régionaux et supranationaux pour permettre à ces institutions de mieux comprendre les légitimes attentes des populations et d’ajuster leur ordre du jour et décisions en conséquence. Enfin, il prend position en faveur de la création des tribunaux des droits de l’homme aux niveaux mondial et régional, et défend l’établissement d’une force de police et militaire régionale et mondiale dans la résolution des problèmes sécuritaires.

Il n’est certainement pas faux d’observer que les assemblées mondiale et régionales dont les membres seraient élus constituent, dans le multilatéralisme social-démocrate de Held, les instances ultimes auxquelles les autres organisations internationales devraient être soumises et rendre des comptes. Pour leur part, les assemblées mondiale et régionales, dotées de pleins pouvoirs, fixeront leur ordre du jour en tenant compte légitimement des attentes des populations à travers le globe. En ce sens, elles peuvent recourir aux pratiques référendaires, comme moyen d’expression populaire. À ce propos, Held n’exclut d’ailleurs pas toutes possibilités de recourir à d’autres mécanismes ou procédures de démocratie directe ou indirecte pour permettre aux peuples d’exprimer leur opinion et consentement. Par ce mécanisme institutionnel supranational électif, Held entend non seulement assurer aux institutions supranationales une suffisante légitimité et représentativité mais aussi superposer, dans une espèce de démocratie à plusieurs paliers, les niveaux mondial et régional à celui de l’État-nation ou multinational dans le règlement des défis de la mondialisation.

L’ensemble de cette architecture institutionnelle supranationale fournirait, en dernière instance, un contenu concret à la notion de citoyenneté mondiale. Il s’agit d’une citoyenneté qui n’est nullement dépendante des considérations géographiques, c’est-à-dire ancrées dans une communauté territoriale particulière. La notion de citoyenneté mondiale se fonde plutôt sur des règles et principes généraux communs tels la démocratie, les droits de l’homme, l’égalité de statut, les libertés égales de participation, pour tous les individus ou êtres humains

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de la planète. De fait, ces principes reconnaissent et protègent «la capacité des hommes à se gouverner de manière autonome à tous les niveaux des affaires humaines». Une telle citoyenneté favoriserait ainsi «un patriotisme de défense des grands principes civiques et politiques37»

1.4 Tentative de critiques à l’adresse de Held

En lisant Held et bien d’autres théoriciens du cosmopolitisme institutionnel, il n’est pas toujours évident de saisir à quelles cibles s’adresse prioritairement le projet de démocratie et de justice mondiale. Est-ce aux individus et peuples et, par conséquent, aux milieux étatiques dans lesquels ils vivent? Ou aux institutions internationales?

Il semble plutôt que, dans l’esprit de Held, le projet de la démocratie et de la justice mondiale concerne plus les institutions internationales actuelles. Sans récuser ici toute tentative qui rendrait les institutions internationales plus transparentes et représentatives (on peut y parvenir par divers moyens), nous estimons qu’on laisse souvent échapper les véritables cibles qui doivent bénéficier prioritairement du projet de la démocratie et de la justice mondiale. Ainsi, plutôt que de passer son temps à rechercher des institutions internationales parfaites et totalement justes qui transfigureraient subitement la face du monde comme on a pris l’habitude de le faire en philosophie politique contemporaine, il nous semble nettement plus fécond de se soucier prioritairement des processus démocratiques réels et des demandes de justice formulées par les individus et peuples dans les différentes régions du monde, en examinant précisément les voies et moyens par lesquels ils peuvent participer à ces processus en leur apportant une aide ou un soutien substantiel. Il ne s’agit donc pas ici, comme le fait Held, de faire une fixation sur les institutions internationales

37 David Held, « Chapitre 6: La réforme de la gouvernance mondiale», Op. cit, pp. 197-199. Pour Held, la

citoyenneté cosmopolite ou mondiale est d’ailleurs loin d’être une vue de l’esprit, étant donné qu’on peut en trouver certains linéaments dans la pratique politique contemporaine. Il fournit l’exemple d’«un résident de Glasgow [qui] peut voter aux élections de sa ville, de l’Écosse, du Royaume-Uni et de l’Europe (…) Un résident de Calcutta peut participer aux élections de sa ville, de sa province et de l’union indienne ainsi qu’à divers mouvements sociaux et organisations transnationaux ».

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