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CHAPITRE 4: GUERRE ET ANARCHIE ENTRE LES ÉTATS

4.2 Les relations internationales dans la pensée théologienne

4.2.1 L’idée d’une communauté politique mondiale chez Vitoria

Nous débutons notre traitement de la vision théologique des relations internationales par l’analyse de quelques aspects de la pensée de Vitoria. Il convient, premièrement, de souligner que Vitoria considère que les peuples et les États forment en réalité, contrairement à une idée reçue, une communauté politique. Cette communauté politique se reconnaîtrait à travers certains facteurs qui sont, par ailleurs, évidents. Parmi ses facteurs, Vitoria retient d’abord le partage d’un monde commun.

150« Dans ce système d’États, où manquait encore un ordre véritable, il ne pouvait y avoir aucun doute à propos de trois choses: d’abord, en dépit d’idées plus ou moins irréalistes et utopiques développées par des marginaux (Sébastien Frank), la guerre allait garder sa place; deuxièmement, comme Suarez fut le premier à le concevoir clairement, le droit de faire la guerre était gouverné par les intérêts et les necessitates de chaque État; finalement que le problème médiéval de la justitia de la guerre n’était plus à l’ordre du jour, et par conséquent ne suffisait plus » Heinz Duchhardt « La guerre et le droit des gens dans l’Europe du XVIe au XVIIIe siècle» Guerre et

En effet, selon lui, les États comme les peuples feraient tous, précisément, partie du monde151. Bien que distincts les uns des autres, ils ne doivent pas se considérer comme des

entités radicalement séparées152. Aussi serait-il sans fondement, selon Vitoria, d’estimer que

les peuples à même les États ne sont en aucune manière liés. Quelle que soit l’effort que l’on pourrait faire pour nier de telles interactions, les faits, pour leur part, nous conduisent à des observations et des conclusions sans appel: le monde est un et les entités étatiques diverses en sont les parties. Ainsi, selon Vitoria, la diversité entre les peuples ne devrait pas être utilisée dans une perspective de négation des liens qui les unissent.

Vitoria semble aussi penser que les peuples viennent en réalité d’un même Dieu. Une telle origine d’ordre divin les obligerait à s’aimer et à échanger mutuellement. Ainsi, la communauté politique mondiale, telle qu’elle est présentée par Vitoria, serait influencée, pour une bonne part, par une dimension religieuse. C’est une communauté politique qui existe déjà, d’une certaine manière, naturellement entre les peuples et les États153. Elle n’est

donc pas, à première vue, à inventer ou à construire institutionnellement. Voilà pourquoi, Vitoria n’en appelle pas, dans ses travaux, à la mise en place d’un ordre institutionnel international distinct des États.

Enfin, dans cette communauté politique mondiale, il va de soi que les États ne sont pas laissés à eux-mêmes. Pour leur conduite réciproque, il y a un droit des gens qui leur impose certaines obligations. Par exemple, il est impératif, pour les États, de respecter la

151 « […] chaque État est une partie du monde tout entier et chaque province chrétienne, une partie de l’État

tout entier». Francisco de Vitoria, « Première Partie: La nature du pouvoir politique» Leçon sur le pouvoir

politique, Paris, J. Vrin, 1980, § 13, p. 58.

152« Au commencement du monde, alors que tout était commun, il était permis à chacun d’aller et de voyager

dans tous les pays qu’il voulait. Or cela ne semble pas avoir été supprimé par la division des biens. Car les nations n’ont jamais eu l’intention d’empêcher, par cette division, les rapports des hommes entre eux […] Il ne serait pas permis aux Français d’empêcher les Espagnols de venir ou même de demeurer en France (ou inversement), à condition que cela ne tourne en aucune manière au désavantage des Français et que les Espagnols ne commettent pas d’injustice». Francisco de Vitoria « Les titres légitimes de la domination des Espagnols sur les Indiens» Leçon sur les Indiens, Genève, Librairie Droz, 1966, p. 83.

153 « Car le monde entier qui forme, d’une certaine manière, une seule communauté politique, a le pouvoir de

faire des lois justes et bonnes pour tous, comme celles qui se trouvent dans le droit des gens». Francisco de Vitoria, « Troisième Partie: Le caractère obligatoire des lois» Leçon sur le pouvoir politique, Paris, J. Vrin, 1980, § 21, pp. 73-74.

personne et les biens des ambassadeurs dans la mesure où ils jouissent d’une certaine immunité. Ainsi, pour Vitoria, les principes du droit des gens qui sont au cœur de la communauté politique mondiale ont sans aucun doute force de loi. Et quoi qu’il en soit, leur non-respect consiste ni plus ni moins à commettre un péché mortel, c’est-à-dire à poser un acte inacceptable. Le droit des gens, selon la définition qu’en donne Vitoria, est ce qu’il y a de plus raisonnable dans les pratiques d’échange entre les peuples et les États. Il vise à mettre l’accent sur des pratiques humaines et à éviter celles qui sont susceptibles d’être inhumaines dans les relations entre les États154.

À cet égard, il est alors indispensable de ne pas laisser impunis les cas de transgression flagrante du droit des gens. À ce point, Vitoria paraît plutôt en accord avec l’idée qu’il appartiendrait, en cas de violation du droit des gens, au monarque de l’État victime d’en exécuter les règles. En effet, selon lui, le droit des gens reconnaît au(x) monarque(s) le pouvoir de punir autant leurs propres sujets que les sujets et États étrangers. Aussi les États auraient-ils, en vertu du droit des gens et de l’autorité du monde entier155 (une notion

d’ailleurs politiquement vague), une compétence pénale territoriale et extraterritoriale pour réparer les injustices commises à leur égard156. Dès lors, quels moyens disposeraient-ils en

vue de mettre à exécution leur compétence extraterritoriale?

154 «On appelle droit des gens ce que la raison naturelle a établi entre tous les peuples’’. Dans toutes les nations,

en effet, on considère comme inhumain de mal recevoir les étrangers et les voyageurs sans raison spéciale. Mais, au contraire, il est humain et juste de bien traiter les étrangers, à moins que les voyageurs venant en pays étrangers ne se comportent mal» Voir à ce propos, Francisco de Vitoria « Les titres légitimes de la domination des Espagnols sur les Indiens» Leçon sur les Indiens, Genève, Librairie Droz, 1966, p. 82.

155 « L’argument suivant se fonde sur la fin et le bien de l’univers tout entier. Le monde, en effet, ne pourrait

absolument pas demeurer dans le bonheur et toute chose serait même dans la pire des conditions si les tyrans, les brigands et les voleurs pouvaient impunément commettre des injustices, opprimer les bons et les innocents et si, en retour, il n’était pas permis aux innocents de punir les coupables». Francisco de Vitoria « Première partie: conditions de la guerre juste» Leçon sur le droit de guerre, Genève, Librairie Droz, 1966, pp. 114-115.

156 « […] il faut remarquer que les princes n’ont pas seulement pouvoir sur leurs sujets mais aussi sur les

étrangers pour les obliger à s’abstenir d’injustices, et cela en vertu du droit des gens et de l’autorité du monde entier. Bien plus, il semble que cela soit de droit naturel: autrement le monde ne pourrait demeurer stable si personne n’avait pouvoir et autorité pour écarter les malfaiteurs et les empêcher de nuire aux hommes de bien et aux innocents. Or ce qui est nécessaire au gouvernement et à la protection du monde est de droit naturel: c’est précisément cette raison qui montre que l’État a, en vertu du droit naturel, le pouvoir de punir et de châtier ses propres citoyens quand ils lui portent préjudice. Si l’État possède ce pouvoir vis-à-vis de ses sujets, le monde possède sans aucun doute vis-à-vis de tous ceux qui lui portent préjudice et ne vivent pas humainement; et il ne l’exerce que par l’intermédiaire des princes. Il est donc certain que les princes peuvent punir les ennemis qui commettent une injustice envers l’État et, lorsqu’une guerre a été entreprise d’une façon conforme au droit et à la justice, les ennemis sont totalement soumis au prince comme à leur juge propre» Francisco de Vitoria, Op.

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