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Vainqueur de Condorcet résistant

Dénition 2.16 (vainqueur de Condorcet résistant) Soit ω ∈ Ω et c ∈ C.

On dit que c est vainqueur de Condorcet résistant en ω ssi ∀(d, e) ∈ (C \{c})2:        |non(d Pvc)et c Pve| > V 2, |non(d Pvc)et non(e Pvc)| ≥ V 2, (2.1) (2.2) Nous dirons qu'une conguration ω est résistante ssi elle possède un vainqueur de Condorcet résistant.

Si toutes les relations binaires Pv sont antisymétriques (ce qui est une hypo- thèse courante), alors la condition (2.2) devient redondante. Dans ce cadre, c est vainqueur de Condorcet résistant ssi ∀(d, e) ∈ (C \ {c})2:

|non(d Pvc)et c Pve| > V

2.

Si, en outre, toutes les relations binaires Pvsont complètes, alors la dénition est encore plus simple puisque la relation ci-dessus devient symétrique par rapport à d et e :

|cPvdet c Pve| > V

2.

Autrement dit, pour toute paire d'autres candidats (d, e), il y a une majorité stricte d'électeurs qui préfèrent simultanément c à d et c à e.

Clairement, un vainqueur de Condorcet résistant est également vainqueur de Condorcet. Par conséquent, s'il existe un vainqueur de Condorcet résistant, il est unique.

Ainsi, nous avons choisi de dénir le vainqueur de Condorcet résistant en terme de préférences des électeurs dans la conguration ω. Le théorème suivant reprend formellement la propriété d'immunité à la manipulation que nous avons mention- née pour introduire la notion et montre que cette propriété est caractéristique (c'est-à-dire qu'elle n'est vériée que par un vainqueur de Condorcet résistant), sous l'hypothèse courante où l'espace électoral comprend tous les ordres stricts totaux.

Théorème 2.17 (caractérisation du vainqueur de Condorcet résistant) Soit ω ∈ Ω et c ∈ C. On considère les conditions suivantes.

1. Le candidat c est vainqueur de Condorcet résistant en ω.

2. Pour tout SVBE f respectant le critère de Condorcet, c est élu par le vote sincère et f n'est pas manipulable en ω.

On a l'implication1⇒ 2.

Si l'espace électoral comprend tous les ordres stricts totaux (ce qui est une hypothèse courante, cf. dénition1.10), alors la réciproque2⇒1est vraie. Démonstration. 1 ⇒ 2 : puisque c est vainqueur de Condorcet résistant, même après une tentative de manipulation en faveur d'un autre candidat d, les électeurs sincères assurent que c a encore une victoire stricte contre tout candidat e 6= c ; par conséquent, c apparaît toujours comme un vainqueur de Condorcet et il est élu.

À présent, nous allons montrer la réciproque 2 ⇒ 1. Supposons que c n'est pas vainqueur de Condorcet résistant. Si c n'est pas vainqueur de Condorcet, c'est

immédiat : on a nécessairement C ≥ 2 (car il existe un candidat d 6= c tel que c n'ait pas une victoire stricte contre d) et il existe donc un système Condorcet où c n'est pas vainqueur du vote sincère. Nous pouvons donc nous concentrer sur le cas où c est vainqueur de Condorcet (mais pas résistant). Nous allons alors prouver qu'il existe un SVBE f respectant le critère de Condorcet et manipulable en ω.

Puisque c n'est pas vainqueur de Condorcet résistant, au moins l'une des condi- tions (2.1) ou (2.2) de la dénition2.16n'est pas vériée. Nous distinguons trois cas : la condition (2.1) n'est pas vériée pour un certain e = d ; la condition (2.2) n'est pas vériée ; ou la condition (2.1) n'est pas vériée avec e 6= d.

Dans chacun des trois cas, le principe de la preuve est le même : on exhibe une conguration ψ qui n'a pas de vainqueur de Condorcet et qui dière de ω seulement par des électeurs qui préfèrent d à c. Par conséquent, il est possible de choisir un SVBE f qui vérie le critère de Condorcet et tel que f(ψ) = d. On en déduit que f est manipulable en ω vers ψ en faveur du candidat d.

Cas 1 Si la condition (2.1) n'est pas vériée pour un certain e = d, cela signie que |non(d Pv c)et c Pv d| ≤ V2. Soit p0 un ordre strict total de la forme : (d  c autres candidats). Puisque l'espace électoral comprend tous les ordres stricts totaux, pour chaque manipulateur v ∈ Manip(c → d), on peut choisir un bulletin ψv tel que Pv(ψv)= p0. Pour chaque électeur sincère v ∈ Sinc(c → d), on pose ψv= ωv. Dans la nouvelle conguration ψ, le candidat c ne peut apparaître comme un vainqueur de Condorcet car |c Pv(ψv) d| = |non(d Pv(ωv) c)et c Pv(ωv) d| ≤

V

2. Le candidat d ne peut apparaître comme un vainqueur de Condorcet (lemme

2.4) et aucun autre candidat non plus, car le nombre d'électeurs qui arment leur préférer c n'a pas diminué.

Cas 2 Si la condition (2.2) n'est pas vériée pour un certain d et un certain e, cela signie que |non(d Pv c)et non(e Pv c)| < V2. Remarquons que e 6= d, car sinon c ne serait pas vainqueur de Condorcet. Quitte à échanger les rôles entre d et e, on peut supposer que e n'a pas de victoire stricte contre d. Soit p0un ordre strict total de la forme : (d  e  c  autres candidats). Pour chaque manipulateur v ∈ Manip(c → d), on peut choisir un bulletin ψvtel que Pv(ψv)= p0. Pour chaque électeur sincère v ∈ Sinc(c → d), on pose ψv= ωv. Dans la nouvelle conguration ψ, le candidat c ne peut apparaître comme vainqueur de Condorcet car il a une défaite contre e : en eet, |non(e Pv(ψv) c)| = |non(d Pv(ωv) c)et non(e Pv(ωv) c)| < V2. Le candidat d ne peut apparaître comme vainqueur de Condorcet (lemme

2.4), le candidat e non plus parce qu'il n'a toujours pas de victoire stricte contre det aucun autre candidat non plus, car le nombre d'électeurs qui arment leur préférer c n'a pas diminué.

Cas 3 Reste le cas où la condition (2.1) n'est pas vériée, avec e 6= d. En notant Bde = |non(d Pv c)et c Pv e|, cela signie que Bde ≤ V2. En utilisant le cas précédent, on peut supposer, cependant, que la condition (2.2) est vériée.

Nous allons voir que dans la conguration nale ψ, on peut assurer qu'il n'y ait ni une victoire de c contre e, ni une victoire de e contre c.

Soit p0 un ordre strict total de la forme : (d  e  c  autres candidats). Soit p0

0 un ordre strict total de la forme : (d  c  e  autres candidats). Comme c est un vainqueur de Condorcet, on a |c Pve| > V2 donc :

|dPvcet c Pv e| > V

2.6 Vainqueur de Condorcet résistant Par conséquent, on peut choisir bV

2c − Bde électeurs parmi les manipulateurs (les électeurs qui préfèrent d à c) ; pour chacun d'entre eux, noté v, choisissons ψvtel que Pv(ψv)= p00. Pour chaque autre manipulateur v, choisissons ψv tel que Pv(ψv)= p0. Enn, pour chaque électeur sincère v ∈ Sinc(c → d), notons ψv= ωv.

On a alors : Dce(ψ) = Bde+  V 2  − Bde  = V 2  , donc c n'a pas de victoire contre e.

Par ailleurs, la condition (2.1) n'est pas vériée pour cette paire (d, e) mais la condition (2.2) est vériée. Donc on a :

       |non(d Pvc)et c PPv e| + |non(d Pvc)et c PMv e| ≤  V 2  , |non(d Pvc)et c PPv e| + |non(d Pvc)et c Iv e| ≥  V 2  , donc, par soustraction :

|non(d Pvc)et c PMve| − |non(d Pvc)et c Ive| ≤  V 2  − V 2  . En utilisant la proposition1.25, on en déduit :

Dec(ψ) = V + |cPMv(ψv) e| − |cIv(ψv) e| − Dce(ψ), ≤ V + V 2  − V 2  − V 2  = V 2  , donc e n'a pas de victoire contre c.

En résumé, ni c ni e ne peut être vainqueur de Condorcet. Pour les mêmes raisons que dans les cas précédents, d et les autres candidats non plus.

Dans la condition 2, il est nécessaire d'exiger que tous les systèmes de vote Condorcet f aient le même résultat c ou, de façon équivalente, que c est vainqueur de Condorcet. Sinon, la réciproque2⇒1n'est pas vraie. En eet, considérons une conguration où chaque électeur est indiérent entre tous les candidats : alors tout système de vote est non manipulable, mais il n'y a pas de vainqueur de Condorcet résistant.

Par ailleurs, si on suppose que les préférences sont complètes et antisymé- triques (en particulier si ce sont des ordres stricts totaux), alors la démonstration est simpliée : les conditions (2.1) et (2.2) de la dénition2.16sont équivalentes, donc la démonstration se limite au cas 2.

Dénition 2.18 (critère de Condorcet-résistant8)

On dit que f vérie le critère de Condorcet-résistant (rCond) ssi, pour toute conguration ω ∈ Ω et tout candidat c ∈ C, si c est vainqueur de Condorcet résistant en ω, alors f(ω) = c.

Il est clair que vérier le critère de Condorcet implique de vérier le critère de Condorcet-résistant.

8. Nous écrivons cette expression avec un trait d'union pour insister sur le fait que l'adjectif résistant s'applique à la notion de vainqueur de Condorcet et non au substantif critère.

Proposition 2.19

On considère un espace électoral qui comprend tous les ordres stricts totaux. Pour chaque système de vote dans la liste suivante, il existe des valeurs de V et C pour lesquelles le système ne vérie pas le critère de Condorcet-résistant : BI, le jugement majoritaire, l'uninominal, U2TI, Veto, VTI, VTIM, le vote par assentiment, le vote par notation et les méthodes de Borda, Bucklin, Coombs et Kim-Roush.

Démonstration. Nous allons donner un seul contre-exemple qui permet de couvrir tous ces systèmes de vote sauf BI.

17 13 14 14 14 14 14 a c d1 d2 d4 d7 d11 a c d3 d5 d8 d12 a c d6 d9 d13 a c d10 d14 a c d15 a c

Autres Autres Autres Autres Autres Autres Autres

c d1 d2 d4 d7 d11 a

Le candidat c est préféré à toute paire de candidats (a, di) par 69 électeurs (sur 100) et à toute paire de candidats (di, dj)par au moins 55 électeurs, donc c est vainqueur de Condorcet résistant.

En jugement majoritaire, en vote par assentiment ou en vote par notation, il sut de considérer le cas où le vote sincère de chaque électeur consiste à attribuer la note maximale à son candidat favori et la note minimale aux autres candidats. Alors c'est a qui est élu (comme en uninominal).

Dans une RPS de vecteur de poids x, on a score(a) − score(c) = 3(x1− xC) + 1(x1− x2) > 0, donc c ne peut pas être élu. En particulier, c'est le cas pour l'uninominal, Veto et la méthode de Borda.

En U2TI, en VTI ou en VTIM, c est éliminé au premier tour.

En méthode de Bucklin, on a score(a) = (4 ; 58) et score(c) = (4 ; 55) donc c ne peut être élu.

En méthode de Coombs ou de Kim-Roush, c est éliminé au premier tour. Dans le chapitre3, nous verrons des résultats plus détaillés pour chacun de ces systèmes de vote en fonction du nombre de candidats. Nous prouverons également qu'en général, BI ne vérie pas rCond, que la seule RPSI-ES qui vérie rCond est la méthode de Baldwin, et que la seule RPSI-EM qui vérie rCond est la méthode de Nanson.

À notre connaissance, il n'y a pas de système de vote classique (dans la litté- rature ou les applications pratiques) qui vérie le critère de Condorcet-résistant mais pas le critère de Condorcet. Il est facile de dénir des contre-exemples ar- ticiels, comme le système Résistant-Doyen (RDoy.) : on élit le vainqueur de Condorcet résistant quand il existe, et un candidat xé à l'avance dans le cas contraire. Mais cette observation tend à montrer qu'un système de vote qui n'a pas été conçu pour élire tous les vainqueurs de Condorcet n'a généralement aucune raison  naturelle  d'élire ceux qui sont résistants.