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Propriétés basiques d'un espace électoral

Bien que nous interprétions Pv comme une préférence stricte dans la plupart de nos exemples6, l'antisymétrie n'est pas exigée par la dénition1.2d'un espace électoral. Nous discuterons en section1.3(page34) quelle interprétation on peut

6. Jusqu'à présent, le seul cas où l'antisymétrie n'était pas vériée était l'espace électoral des relations binaires (dénition1.5).

1.1 Espaces électoraux

donner à la relation Pv quand elle n'est pas antisymétrique. Si le lecteur est per- turbé par cette possibilité, il peut lire tout ce qui suit en ajoutant une hypothèse d'antisymétrie. Cependant, en toute généralité, nous noterons :

 c Ivdssi non c Pv det non d Pvc (indiérence),

 c PPvdssi c Pvdet non d Pv c(préférence antisymétrique),  c PMvdssi c Pv det d Pvc (préférence mutuelle).

Si la relation Pvest antisymétrique, ce qui est une hypothèse courante, il n'y a que trois possibilités mutuellement exclusives : c Pv d(équivalent à c PPvddans ce cas), d Pvc et c Iv d.

Pour certains résultats, nous supposerons que les électeurs ont une certaine liberté d'opinion (sans préjuger des possibilités d'exprimer cette opinion dans leurs bulletins).

Dénition 1.10 (richesse d'un espace électoral) Nous disons que :

1. Ω comprend tous les ordres stricts totaux ssi tout électeur peut avoir tout ordre strict total comme relation binaire de préférence ; c'est-à-dire, ∀(v, pv) ∈ V × LC, ∃ωv∈ Ωvt.q. Pv(ωv) = pv;

2. Ω autorise tout candidat comme préféré ssi tout électeur peut préférer strictement n'importe quel candidat à tous les autres ; c'est-à-dire, ∀(v, c) ∈ V × C, ∃ωv ∈ Ωv t.q. ∀d ∈ C \ {c}, c PPvd.

L'implication1⇒2 est triviale.

Par exemple, dans l'espace électoral de référence, où ωv = (pv, uv, av), la relation binaire de préférence pv d'un électeur v peut être n'importe quel ordre strict faible ; en particulier, tout ordre strict total est possible. Par conséquent, cet espace électoral vérie les propriétés1et 2.

Nous insistons de nouveau sur le fait que ces propriétés n'ont rien à voir avec l'expressivité d'un éventuel système de vote qu'on souhaiterait étudier. Par exemple, si on suppose que l'espace électoral comprend tous les ordres stricts totaux, cela ne signie pas que le système de vote permet à l'électeur d'exprimer son ordre strict total de préférence s'il en a un ; cela signie juste qu'une telle opinion est considérée comme possible a priori.

Alors que limiter un espace électoral aux ordres stricts totaux est discutable, l'hypothèse plus faible qu'il comprenne les ordres stricts totaux semble en général assez naturelle. Cependant, on peut facilement concevoir des modèles raisonnables qui ne vérient pas cette propriété. Par exemple, s'il y a un très grand nombre de candidats, on peut arguer qu'il est cognitivement impossible pour un électeur d'établir un ordre strict total de préférence sur les candidats. Nous adressons tout de même une critique à ce type de modèle : même si l'idée est intéressante d'un point de vue descriptif, il est légitime d'ajouter la possibilité d'établir un ordre total pour des raisons normatives. En eet, même si on estime qu'un électeur ne peut atteindre cet état de connaissance complète sur ses préférences, on n'a aucune raison (et aucun moyen pratique) de le lui interdire a priori.

Avant de voir un autre exemple d'espace électoral qui ne comprend pas tous les ordres stricts totaux, rappelons la notion classique de single-peakedness (Black,

1958). L'intuition est la suivante : supposons qu'il existe une manière  naturelle  de placer tous les candidats sur un axe abstrait, par exemple un axe gauche- droite en politique. Ceci donne un ordre de référence sur les candidats que nous noterons Pref.

Imaginons que cet axe possède la propriété suivante : chaque électeur possède une valeur maximale d'utilité pour un certain candidat (son pic) et son utilité

est décroissante lorsqu'on s'éloigne de ce candidat, aussi bien vers la droite que vers la gauche. Alors son ordre de préférence Pv commence par le candidat qui représente son pic d'utilité, puis il place tous les candidats plus à gauche dans l'ordre d'éloignement du pic, et de même pour les candidats de droite. Il est tout à fait possible qu'il préfère tous les candidats à gauche du pic puis tous ceux à droite, ou l'inverse, ou que ces candidats soient entrelacés dans l'ordre Pv.

La propriété caractéristique d'un tel ordre de préférence Pv est qu'entre un certain candidat d et deux autres candidats c et e qui sont respectivement à sa gauche et à sa droite (au sens de Pref), il est impossible d'apprécier d moins que c et d à la fois : en eet, ceci impliquerait que le pic de préférence de l'électeur est à la fois à gauche et à droite de d, alors que ce pic est unique par hypothèse. Cette caractérisation présente l'avantage de ne pas recourir à la notion d'utilité et c'est pourquoi elle est couramment utilisée comme dénition de la single-peakedness. Dénition 1.11 (single-peakedness)

Pour Pv et Pref deux ordres stricts totaux sur les candidats, on dit que Pv est single-peaked par rapport à Pref ssi :

cPrefdet d Prefe ⇒non(c Pvdet e Pvd).

Pour P un prol et Pref un ordre strict total, on dit que P est single-peaked par rapport à Pref ssi pour tout électeur v, Pv est un ordre strict total qui est single-peaked par rapport à Pref.

On dit qu'un prol P est single-peaked ssi il existe un ordre strict total Pref tel que P est single-peaked par rapport à Pref.

On dit qu'un espace électoral Ω est single-peaked ssi tout prol P de cet espace électoral est single-peaked.

Exemple 1.12 (température d'une pièce)

Les occupants d'une pièce s'apprêtent à choisir la température du thermo- stat parmi les options candidates {17°, 18°, 19°, 20°}. Le planicateur social fait l'hypothèse que chaque électeur peut a priori avoir n'importe quel ordre de pré- férence à condition qu'il soit single-peaked par rapport à l'ordre naturel sur les températures. Cet espace électoral autorise tout candidat comme préféré mais ne comprend pas tous les ordres stricts totaux : par exemple, l'ordre de préférence 20°  17°  19°  18° est exclu par hypothèse. En eet, dans ce cadre, si la température idéale d'un électeur est 20°, alors il ne peut pas estimer que 17° est préférable à 19°.