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Méthodes Condorcet

1.6 Zoologie des modes de scrutin

1.6.7 Méthodes Condorcet

Nous avons déjà évoqué les méthodes de Baldwin et Nanson, qui faisaient respectivement partie des RPSI-ES et des RPSI-EM. Voici, à présent, diverses autres méthodes qui vérient le critère de Condorcet.

Condorcet-doyen (CDoy.) S'il y a un vainqueur de Condorcet, il est élu. Sinon, un candidat xé à l'avance, appelé doyen, est déclaré vainqueur.

Condorcet-dictature (CDict.) S'il y a un vainqueur de Condorcet, il est élu. Sinon, on déclare vainqueur le candidat qui est en tête du bulletin d'un électeur xé à l'avance.

Méthode de Black (Condorcet-Borda ou CBor.) S'il y a un vainqueur de Condorcet, il est élu. Sinon, le candidat possédant le plus haut score de Borda est élu. Ce mode de scrutin a été proposé parBlack(1958). On pourra également consulterBlin et Satterthwaite(1976).

VTI à Duels (VTID) Le principe de ce système est inspiré de VTI et il nous a été suggéré par Laurent Viennot, que nous remercions. Lors de chaque tour de dépouillement, les deux candidats qui sont en tête dans le moins de bulletins sont sélectionnés pour un duel. Celui des deux qui perd le duel (au sens de la matrice des duels) est éliminé. Puis on procède au tour de dépouillement suivant.

Méthode de Copeland (Cop.) Le score d'un candidat c est égal à son nombre de victoires dans la matrice des duels. Le principal inconvénient de cette méthode est qu'elle mène très souvent à des égalités : par exemple, quel que soit le nombre d'électeurs, s'il y a 3 ou 4 candidats, alors dès qu'il n'y a pas de vainqueur de Condorcet, il y a une égalité à départager. Ainsi, la méthode de Copeland couvre une importante variété de modes de scrutin, suivant la règle de départage utilisée (par exemple au meilleur score de Borda, puis par ordre alphabétique sur les candidats).

Maximin (Max.) Le score d'un candidat c est égal au coecient non-diagonal minimal de sa ligne dans la matrice des duels ; autrement dit, son score dans son plus mauvais duel. Si les bulletins ne sont pas des ordres stricts totaux, plu- sieurs variantes sont naturelles, selon qu'on considère la matrice des duels en pourcentages exprimés ou en nombre d'électeurs, le score brut de chaque duel ou le diérentiel à l'adversaire. Nous ne nous attarderons pas davantage sur ces variantes.

Méthode de Kemeny (Kem.) La distance tau de Kendall entre deux ordres de préférence de LC consiste à compter 1 point pour chaque couple de candidats (c, d)tel que le premier ordre place c devant d et que le second ordre fait l'inverse.

Pour chaque ordre p0∈ LC sur les candidats, son score de Kemeny est : score(p0) = −

X

v∈V

δ(Pv, p0),

où δ désigne la distance tau de Kendall. L'ordre possédant le meilleur score est choisi, et le premier candidat de cet ordre est déclaré vainqueur de l'élection. On consultera notammentKemeny(1959);Young et Levenglick (1978);Saari et Merlin(2000).

On peut aussi exprimer le problème de la façon suivante : il s'agit de trouver une permutation p0 telle qu'en l'appliquant simultanément aux lignes et aux co- lonnes de la matrice des duels, la somme des coecients au-dessous de la diagonale soit minimale. Cette reformulation donne, d'ailleurs, une généralisation naturelle de la méthode quand les préférences ne sont pas des ordres stricts totaux. Méthode de Dodgson (Dodg.) On appelle action élémentaire le fait d'échan- ger deux candidats consécutifs dans l'ordre de préférence d'un électeur. Le score d'un candidat c est, en négatif, le nombre minimal d'actions élémentaires qu'il faut appliquer au prol de la population pour que c devienne vainqueur de Condorcet. Autrement dit, on cherche le prol le plus proche de celui de la population (au sens des distances tau de Kendall) parmi ceux qui possèdent un vainqueur de Condorcet et dont les préférences sont des ordres stricts totaux.

Charles Lutwidge Dodgson, qui a conçu ce système de vote, est plus connu sous son nom d'écrivain, Lewis Carroll, avec lequel il a signé Alice au pays des merveilles.

Les méthodes de Kemeny et de Dodgson possèdent un inconvénient impor- tant :Bartholdi et al.(1989b) ont montré qu'il est N P-dicile de déterminer le vainqueur d'une élection dans ces modes de scrutin22.

22. On pourra également consulterCaragiannis et al.(2009) etBetzler et al.(2010) pour la complexité de déterminer le vainqueur dans ces systèmes de vote.

1.6 Zoologie des modes de scrutin

Méthode de Condorcet avec somme des défaites (CSD) À présent, on appelle action élémentaire le fait d'inverser les préférences d'un électeur à propos d'une paire de candidats (mais sans exiger que sa relation de préférence reste transitive). Le score d'un candidat c est, en négatif, le nombre minimal d'actions élémentaires qu'il faut appliquer au prol de la population pour que c devienne vainqueur de Condorcet.

Autrement dit, on cherche le prol le plus proche de celui de la population (au sens des distances tau de Kendall) parmi ceux qui possèdent un vainqueur de Condorcet, mais sans imposer que les préférences soient des ordres stricts totaux.

En pratique, le score d'un candidat c est :

score(c) = − X cne vainc pas d  V 2  + 1 − Dcd  .

Pour chaque duel qui n'est pas une victoire, le candidat c perd le nombre de points qui lui manquent pour vaincre. C'est pourquoi, par raccourci de langage, nous appelons ce système la méthode de Condorcet avec somme des défaites (CSD).

Dans son approche, cette méthode est similaire à la méthode de Dodgson, mais elle possède l'avantage que l'on peut déterminer le vainqueur en temps polyno- mial23.

Méthode par paires ordonnées (PO) On construit un graphe orienté dont les sommets sont les candidats. Pour cela, on examine tous les duels entre candidats (dans la matrice des duels) par amplitude décroissante ; par exemple, on commence par le duel (c, d) pour lequel Dcd− Ddcest maximal. Pour chaque duel, on ajoute une arête au graphe dans le sens de la victoire, sauf si ajouter cette arête crée un cycle dans le graphe.

À la n du processus, on obtient un graphe orienté transitif dont la relation d'adjacence est incluse dans la relation de victoire. Le candidat qui est le n÷ud maximal de ce graphe par ordre topologique est déclaré vainqueur (Tideman,

1987). Lorsque plusieurs duels présentent la même amplitude, on se donne généra- lement une règle de départage qui permet de savoir lequel on examine en premier. C'est ce que nous ferons dans ce mémoire, en particulier pour les simulations de la seconde partie, car la détermination du vainqueur est alors clairement faisable en temps polynomial. En revanche, si on veut calculer l'ensemble des vainqueurs possibles pour toutes les règles de départage, alors le problème est N P-complet (Brill et Fischer,2012).

Méthode de Schulze (Sch.) On considère le graphe capacitaire déni par la matrice des duels : pour chaque couple de candidats (c, d), il y a une arête dont le poids24est Dcd. Il est conseillé de voir une arête comme un tuyau unidirectionnel de c vers d et le poids comme la largeur de ce tuyau. On dénit la largeur d'un chemin comme le poids de l'arête minimale de ce chemin. On note score(c, d) la largeur du plus large chemin du candidat c vers le candidat d. Le candidat c est

23. Le système CSD correspond au système noté V parCaragiannis et al.(2014) (cet article utilise une autre notation pour le nombre d'électeurs). Les auteurs font remarquer que CSD donne une approximation du score de Dodgson à un facteur multiplicatif près égal au nombre de candidats. Pour un nombre d'électeurs impair, CSD est équivalent à la règle de Dodgson simpliée deTideman(2006). Merci à Jérôme Lang pour nous avoir indiqué ces antécédents.

24. Il est aussi possible de prendre les poids Dcd− Ddc. Comme nous considérons des ordres

stricts totaux ici, on a Dcd− Ddc = 2Dcd− V, ce qui est équivalent à Dcd à multiplication

par la constante positive 2 et soustraction de la constante V près. Pour cette raison, les deux dénitions aboutissent au même système de vote.

dit meilleur que d ssi score(c, d) ≥ score(d, c). Le candidat c est un vainqueur potentiel si aucun candidat d n'est meilleur que c.

Schulze (2011) prouve que l'ensemble des vainqueurs potentiels est toujours non vide. Il est facile de voir que, s'il existe un vainqueur de Condorcet, alors c'est le seul vainqueur potentiel.

Dans la méthode de Schulze telle qu'elle est promue par son inventeur, le vainqueur est tiré au hasard parmi les vainqueurs potentiels. Dans ce mémoire, en revanche, nous considérerons que la règle de départage utilisée est déterministe.

Chapitre 2

Condorcication

Certains auteurs, comme Chamberlin et al. (1984), Smith (1999), Favardin et al.(2002),Lepelley et Valognes(2003),Favardin et Lepelley(2006) ouTideman

(2006) ont émis l'intuition que les modes de scrutin qui vérient le critère de Condorcet ont une tendance générale à être moins manipulables que les autres. Dans ce chapitre, nous examinons cet aspect et nous montrons qu'à condition d'être précisée, cette intuition est justiée. Nous reprenons et développons ici les travaux présentés parDurand et al.(2012,2014d,e).

Tout d'abord (section 2.1), nous dénissons le critère de la coalition majori- taire informée (CMInf), qui sera utilisé comme hypothèse pour les principaux théorèmes de ce chapitre. Comme ce critère est vérié par la plupart des modes de scrutin classiques, à l'exception notable de Veto, ceci donnera une certaine généralité à nos résultats.

Dans la section 2.2, nous présentons une série de lemmes simples que nous utiliserons souvent par la suite, notamment pour prouver les théorèmes de ce chapitre. Ils permettent d'établir des liens entre la manipulabilité et les résultats des duels électoraux, avant et après la manipulation. Ces résultats sont bien connus dans la littérature dédiée à la manipulation ; nous les adaptons simplement au cas général où les relations binaires de préférence sont quelconques.

Ensuite, nous dénissons la condorcication d'un mode de scrutin (sec- tion 2.3) : dans le nouveau système, on ajoute simplement un test préliminaire sur l'existence d'un vainqueur de Condorcet et, dans ce cas, il est déclaré vainqueur ; sinon, on utilise le mode de scrutin original. Nous systématisons ainsi le procédé utilisé pour dénir la méthode de Black (1958) à partir de celle de Borda.

Ce système hybride pourrait être vu comme une construction articielle et, en tant que telle, il n'est pas évident, a priori, qu'il possède de bonnes propriétés. Mais, de façon assez surprenante, nous montrons en section 2.4que, si un système de vote vérie le critère courant CMInf, alors sa condorcication est au plus aussi manipulable que le système original : c'est l'objet du théorème faible de condorcication (théorème2.9).

Dans le cas général, ce théorème suppose que la condorcication d'un système de vote est réalisée en utilisant la notion de vainqueur de Condorcet absolu. Nous examinons ce qu'il en est avec des notions moins exigeantes, comme le vainqueur de Condorcet relatif (section 2.5). Nous montrons que, même si ces variantes de condorcication ne permettent pas de diminuer la manipulabilité dans le cas général, celle basée sur le vainqueur de Condorcet relatif permet de diminuer la

manipulabilité pour l'uninominal et U2TI, mais pas pour VTI ou le vote par assentiment par exemple.

Notre but, ensuite, est d'examiner si la condorcication permet de réduire strictement la manipulabilité. Pour cela, nous dénissons la notion de vainqueur de Condorcet résistant, un candidat qui, pour toute paire d'autres candidats, dispose d'une majorité d'électeurs qui le préfèrent simultanément aux deux membres de la paire (section 2.6). Nous montrons que cette dénition est équivalente à la propriété suivante : dans tout mode de scrutin respectant le critère de Condorcet, ce candidat est élu et la conguration est non manipulable.

À l'aide de la notion de vainqueur de Condorcet résistant, nous montrons en section2.7que pour tous les modes de scrutin classiques sauf Veto, leur condorci- cation est strictement moins manipulable que le mode de scrutin original : c'est l'objet du théorème fort de condorcication (théorème2.20).

En section2.8, nous exploitons la notion de vainqueur de Condorcet résistant pour donner une borne supérieure de manipulabilité pour les systèmes Condorcet, et nous montrons que, dans l'espace électoral des ordres stricts totaux avec C ≥ 6, cette borne supérieure est atteinte.

Enn, en section 2.9, nous soulignons une conséquence importante des théo- rèmes de condorcication : la recherche d'un mode de scrutin de manipulabilité minimale (au sein de CMInf) peut être restreinte aux systèmes Condorcet.

Indépendamment de nos recherches, Green-Armytage et al. (2014) ont égale- ment introduit, dans un rapport de recherche disponible en ligne, le critère de la coalition majoritaire informée sous le nom de conditional majority determination (CMD) et énoncé une version du théorème faible de condorcication. Cependant, d'une part, nous nous permettons de revendiquer l'antériorité (Durand et al.,

2012). D'autre part, leur preuve n'est pas correcte si les relations de préférence ne sont pas des ordres stricts, hypothèse qui est pourtant absente de leur for- mulation. En outre, quand les préférences ne sont pas des ordres stricts, il n'est pas évident de savoir quelle notion de vainqueur de Condorcet ils utilisent ; l'in- terprétation la plus naturelle consiste à comprendre qu'il s'agit du vainqueur de Condorcet relatif1, mais on verra en section2.5que le résultat est alors erroné. À la décharge des auteurs, l'objet central de leur rapport n'est pas la condorcica- tion mais l'étude par simulation de la manipulabilité de divers systèmes de vote pour C = 3 candidats. Nous avons eu de cordiaux et enrichissants échanges avec les auteurs de ce rapport en juin 2014 ; mais, à notre connaissance, la version de leur rapport qui est en ligne à l'heure où nous écrivons ce mémoire n'a pas encore inclus ces corrections et la référence à notre travail. Enn, nous allons plus loin que ce résultat dans la section2.5 et les suivantes, notamment en examinant les variantes de condorcication et en prouvant la version forte du théorème.

2.1 Critère de la coalition majoritaire informée

(CMInf)

Nous avons déjà présenté le critère de Condorcet (dénition1.32). Nous allons maintenant présenter un critère plus faible, le critère de la coalition majoritaire informée (CMInf).

1. Leur dénition est la suivante :  A `Condorcet winner' is a candidate who, according to the ballot data, would win a two-person race against any other candidate . C'est-à-dire :  Un vainqueur de Condorcet est un candidat qui, selon les données des bulletins, remporterait un duel électoral contre tout autre candidat .

2.1 Critère de la coalition majoritaire informée (CMInf)

Dénition 2.1 (critère de la coalition majoritaire informée) Soit f un SVBE.

On dit que f vérie le critère de la coalition majoritaire informée (CMInf) ssi toute coalition majoritaire et informée de ce que font les autres électeurs peut décider du résultat2. Formellement, ∀M ∈ P(V), si card(M) >V

2, alors : ∀c ∈ C, ∀ωV\M ∈ ΩV\M, ∃ωM ∈ ΩM t.q. f(ωM, ωV\M) = c.

Comme pour le critère de Condorcet, la notation CMInf désigne indiérem- ment le critère lui-même ou l'ensemble des SVBE (sur Ω) qui le vérient. Proposition 2.2

Si l'espace électoral autorise tout candidat comme préféré (ce qui est une hy- pothèse courante, cf. dénition1.10), alors Cond ⊆ CMInf.

Démonstration. Si un mode de scrutin vérie le critère de Condorcet, il sut à une coalition majoritaire de prétendre préférer un candidat c à tous les autres candidats pour que c apparaisse comme un vainqueur de Condorcet et soit élu.

Il est facile d'étendre les dénitions de CMInf et de Cond à un système de vote général (section1.4). Dans ce cas, on verrait que CMInf est une propriété du mode de scrutin, exprimant le pouvoir accordé par la règle de dépouillement à une majorité stricte d'électeurs, alors que Cond est une propriété du système de vote puisqu'elle relie les préférences et le vainqueur du vote sincère. Par conséquent, on peut dire qu'un mode de scrutin vérie CMInf sans qu'il soit crucial de préciser l'espace électoral utilisé ; mais, pour dénir Cond, il est nécessaire d'expliciter l'espace électoral et les fonctions de sincérité.

Proposition 2.3

Les systèmes de vote suivants vérient CMInf : BI, le jugement majoritaire, l'uninominal, U2TI, VTI, VTIM, le vote par assentiment, le vote par notation et les méthodes de Borda, Bucklin et Coombs, ainsi que tous les systèmes Condorcet. Cette propriété n'est pas dicile à démontrer mais nous attendrons le cha- pitre3 an d'inclure ce résultat dans des propositions plus détaillées sur chacun de ces modes de scrutin.

Nous verrons aussi dans le chapitre3 que Veto est l'un des rares systèmes de vote souvent étudiés ne vériant pas CMInf3; cependant, il n'est guère utilisé en pratique.

Parmi les systèmes de vote courants, il est intéressant de constater que même ceux dont les arguments habituels ne reposent pas sur la notion de majorité (VA, VN ou JM par exemple) vérient CMInf, qui est clairement une propriété ma- joritaire.

En pratique, ces observations donnent une large gamme d'applications aux résultats de ce chapitre. D'un point de vue théorique, on peut se demander s'il y a une raison profonde pour laquelle la plupart des systèmes de vote classiques vérient CMInf4. Il nous semble que cette question est une problématique inté- ressante pour de futurs travaux, que ce soit avec une approche de sciences dures ou de sciences humaines. Nous y reviendrons également dans le chapitre 3, où nous étudierons de manière plus générale des critères liés à la notion de majorité.

2. Cette notion est basée sur la même idée que ce quePeleg(1984) appelle le troisième jeu simple associé à un système de vote.

3. De manière plus générale, nous donnerons dans la proposition3.13une condition nécessaire et une condition susante pour qu'une RPS vérie CMInf.

4. Au moins, c'est le cas pour les systèmes de vote utilisés en pratique qui traitent les électeurs et les candidats de façon symétrique, aux cas d'égalité près. Nous évoquerons certains modes de scrutin délibérément asymétriques dans le chapitre4.

2.2 Liens entre manipulation et résultats des duels