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Modes de scrutin cardinaux

1.6 Zoologie des modes de scrutin

1.6.1 Modes de scrutin cardinaux

Nous disons qu'un système de vote est ordinal ssi la donnée de la relation binaire de préférence d'un électeur est susante pour déterminer sa stratégie sincère, c'est-à-dire qu'on a l'implication [Pv(ωv) =Pv(ωv0)] ⇒ [sv(ωv) = sv(ω0v)]. Dans le cas contraire, nous disons qu'il est non ordinal. Par commodité de langage et de façon légèrement informelle, nous disons qu'un mode de scrutin est non ordinal s'il n'y a pas de fonction de sincérité relativement naturelle pour laquelle le système de vote obtenu est ordinal. Parmi les systèmes non ordinaux, on distingue notamment les systèmes cardinaux, où le bulletin de chaque électeur consiste à attribuer une note (ou un objet mathématique similaire) à chaque candidat. On a notamment les trois systèmes suivants.

Vote par notation (VN) Chaque électeur attribue une note à chaque candi- dat, parmi un ensemble de notes autorisées (qui sont des nombres réels). Le score d'un candidat est sa note moyenne.

Jugement majoritaire (JM) Chaque électeur attribue une appréciation à chaque candidat, parmi un ensemble d'appréciations autorisées. Les appréciations sont des objets de nature mathématique quelconque, munis d'un ordre total, par exemple des nombres réels. En pratique, dans cette thèse, nous représenterons ces appréciations par des nombres réels que nous appellerons des notes, comme en vote par notation, même si seules les positions relatives sont importantes et pas les nombres eux-mêmes18. Le score d'un candidat est sa note médiane. Si le nombre d'électeurs est pair, on considère la médiane défavorable : ainsi, si les deux électeurs médians pour un certain candidat lui attribuent les notes 0,4 et 0,5, alors son score est 0,4. Pour la règle utilisée au cas où plusieurs candidats possèdent la même note médiane, voirBalinski et Laraki(2010).

Pour les deux modes de scrutin précédents, on supposera toujours que l'en- semble des notes ou des appréciations autorisées contient au moins deux éléments distincts.

Vote par assentiment (VA) Quand les notes autorisées sont uniquement 0 et 1, les deux systèmes précédents deviennent équivalents19. Le mode de scru- tin obtenu est appelé le vote par assentiment. Pour plus de détails, on pourra consulter, par exemple,Brams et Fishburn (1978).

Dans ces modes de scrutin cardinaux, on représentera une conguration sous la forme suivante (à condition que les relations binaires de préférence soient des ordres stricts faibles cohérents avec les notes).

2 3 4

a : 1 a : 1 c : 1 b : 0 b, c : 0 b : 1

c : 0 a : 0

Dans cet exemple, les deux premiers électeurs (colonne de gauche) préfèrent le candidat a, puis b, puis c. Ils attribuent la note (ou la valeur d'assentiment) 1

18. On considère donc l'ensemble R comme muni de sa structure topologique de l'ordre, mais pas comme un espace métrique.

19. Pour le prouver, il est nécessaire de préciser la règle de départage des égalités du jugement majoritaire. Pour plus de précisions sur ce point, on pourra consulterBalinski et Laraki(2010).

1.6 Zoologie des modes de scrutin

à a et 0 aux candidats b et c. Les trois électeurs suivants (colonne du milieu) préfèrent le candidat a, auxquelles ils attribuent la note 1 ; ils sont indiérents entre les candidats b et c, auxquels ils attribuent la note 0. Etc.

À présent, nous allons nous intéresser aux modes de scrutin ordinaux. En géné- ral, on supposera que chaque électeur fournit un ordre strict total de préférence. Si l'espace électoral autorise des préférences qui ne sont pas des ordres stricts totaux, une manière simple d'adapter ces règles consiste à décider que, si un électeur ne fournit pas un ordre total, alors son bulletin n'est pas comptabilisé. Dans certains cas, cependant, nous donnerons d'autres généralisations possibles.

1.6.2 Règles positionnelles à score (RPS)

Dénition 1.33 (règle positionnelle à score)

Soit x = (x1, . . . , xC) ∈ RC une liste de nombre réels appelés poids. Nous supposerons toujours qu'un tel vecteur est décroissant et qu'en outre, il est non constant, c'est-à-dire que xC< x1.

Pour tout électeur v et pour tout candidat c, notons r(v, c) le rang de c dans l'ordre de préférence de v (1 pour le meilleur candidat, C pour le pire). Le score du candidat c est déni par :

score(c) =X v∈V

xr(v,c).

On appelle règle positionnelle à score (RPS) de poids x le mode de scrutin qui élit le candidat possédant le meilleur score au sens ci-dessus.

Les RPS ont fait l'objet de nombreuses caractérisations, dont on pourra trou- ver une vue d'ensemble présentée par Merlin (2003). Les trois cas particuliers suivants de RPS sont particulièrement célèbres.

Uninominal (Uni.) ou Plurality RPS de poids x = (1, 0, . . . , 0). Veto ou Antiplurality RPS de poids x = (0, . . . , 0, −1).

Méthode de Borda (Bor.) RPS de poids x = (C − 1, C − 2, . . . , 0). Cette procédure a fait l'objet d'innombrables études. On pourra notamment consulter

Fishburn et Gehrlein(1976);Saari(2012).

Ces trois systèmes particuliers possèdent des généralisations assez naturelles au cas où un électeur ne fournit pas un ordre strict total.

Pour l'uninominal, si v préfère strictement un candidat c à tout autre candi- dat d, au sens où c PPv d, alors il donne un point à c ; dans le cas contraire, il ne donne un point à personne. Ainsi, s'il préfère strictement c mais possède un cycle de préférence parmi les autres candidats, sa préférence pour c est tout de même prise en compte. Pour Veto, il est facile de proposer une adaptation similaire, mutatis mutandis.

Quand les électeurs possèdent des ordres faibles de préférence, une autre pos- sibilité pour l'uninominal (resp. Veto) consiste à diviser la voix d'un électeur équitablement entre les candidats qu'il place en tête (resp. en bas) de son bulle- tin.

Pour la méthode de Borda, sauf mention explicite du contraire, nous utilise- rons toujours la généralisation suivante. Chaque électeur v apporte au score du candidat c :

Moyenne Médiane Rang Méthode de Borda Méthode de Bucklin Note Vote par notation Jugement majoritaire

Table 1.2  Comparaison de principe entre les méthodes de Borda et Bucklin, le vote par notation et le jugement majoritaire

 1 point pour chaque candidat d tel que c PPv d;

 et 0,5 point pour chaque candidat d tel que c Ivdou c PMvd.

Cette généralisation est assez naturelle dans la mesure où le nombre total de points donnés par un électeur est constant, que ses préférences soient un ordre strict total ou pas. En particulier, certaines propriétés impliquant le score moyen d'un candidat resteront vraies avec cette généralisation.

1.6.3 Méthode de Bucklin

En méthode de Bucklin (Buck.), le dépouillement se déroule par tours. Au tour t, le score provisoire d'un candidat c est le nombre d'électeurs qui placent c entre le rang 1 et le rang t sur leur bulletin. Si au moins un candidat a un score strictement supérieur à V

2, alors le candidat possédant le plus haut score est élu. Sinon, on procède au tour de dépouillement t + 1.

Ce système élit le candidat qui possède le meilleur rang médian, à condition de considérer la médiane défavorable quand le nombre d'électeurs est pair. Par exemple, si les deux rangs médians pour un certain candidat c sont les rangs 2 et 3, alors le rang médian au sens de Bucklin est 3.

Sur le principe, la méthode de Bucklin est à la méthode de Borda ce que le jugement majoritaire est au vote par notation, comme l'illustre la table 1.2 : en eet, la méthode de Bucklin désigne le candidat avec le meilleur rang médian, alors que la méthode de Borda élit celui qui a le meilleur rang moyen. Le jugement majoritaire désigne le candidat avec la meilleure note médiane, alors que le vote par notation élit celui avec la meilleure note moyenne.

La règle énoncée ci-dessus est plus précise que choisir simplement le candidat possédant le meilleur rang médian, puisqu'elle permet, en général, de départager deux candidats ayant le même rang médian. Pour le voir, il sut d'observer que la dénition suivante est équivalente à celle que nous avons donnée.

Pour tout candidat c, notons mc son rang médian au sens de Bucklin (c'est-à- dire défavorable quand le nombre d'électeurs est pair) et xc le nombre d'électeurs qui lui attribuent un rang égal ou meilleur (c'est-à-dire moins élevé). Posons :

score(c) = (mc, xc).

L'ensemble des rangs médians mc est muni de la relation d'ordre décroissante (un rang moins élevé est meilleur) et l'ensemble des valeurs xc est muni de la relation d'ordre naturelle (un nombre plus élevé est meilleur). Alors il est facile de montrer que le candidat possédant le meilleur score au sens lexicographique (rang moins élevé et, en cas d'égalité, valeur xc plus élevée) est bien le vainqueur par la méthode de Bucklin, au sens de la première dénition que nous avons donnée.

Cette variante de la dénition permet d'étendre naturellement la méthode de Bucklin au cas où les relations binaires de préférence ne sont pas des ordres stricts totaux. En eet, une possibilité élégante consiste à généraliser conventionnelle- ment le rang r(v, c) attribué par l'électeur v au candidat c par r(v, c) = C−B(v, c),

1.6 Zoologie des modes de scrutin

où B(v, c) est le score de Borda tel que nous l'avons généralisé. Ainsi, si l'élec- teur place deux candidats à égalité devant les autres, on considère qu'il les place au rang 1,5. S'il place trois candidats dans un cycle de préférence non transitif a PPv b PPv c PPv a au-dessus de tous les autres candidats, on considère qu'il les place au rang 2. On peut, ensuite, calculer les scores tels que nous les avons dénis ci-dessus.