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Exemples d'espaces électoraux

Un autre modèle est très important pour la théorie : dans le choix social tra- ditionnel arrovien, il est courant de ne représenter les opinions de chaque électeur que par un ordre strict total sur les candidats. Cette pratique correspond à l'espace électoral suivant.

3. Dans les sciences économiques et sociales, le planicateur social est un décideur qui essaie d'obtenir le meilleur résultat possible pour tous les acteurs concernés. Dans le cas qui nous inté- resse, il s'agit d'un personne abstraite qui peut représenter à la fois les chercheurs en choix social et toutes les personnes qui peuvent avoir une inuence pour choisir le système de vote utilisé dans une organisation humaine donnée. Par hypothèse, le planicateur social essaie d'établir un système de vote ayant d'aussi bonnes propriétés que possibles. Pour ce faire, il est nécessaire au préalable de cerner le domaine d'application privilégié en dénissant l'espace électoral utilisé.

1.1 Espaces électoraux

Dénition 1.3 (espace électoral des ordres stricts totaux)

Pour tout v ∈ V, notons Ωv = LC et Pv la fonction identité4. Ce modèle est appelé espace électoral des ordres strict totaux pour V et C.

Ce modèle est parfois élargi en autorisant les ordres stricts faibles. On peut aussi considérer des relations binaires quelconques.

Dénition 1.4 (espace électoral des ordres stricts faibles)

Pour tout v ∈ V, notons Ωv = FC et Pv la fonction identité. Ce modèle est appelé espace électoral des ordres strict faibles pour V et C.

Dénition 1.5 (espace électoral des relations binaires)

Pour tout v ∈ V, notons Ωv = RC et Pv la fonction identité. Ce modèle est appelé espace électoral des relations binaires pour V et C.

Le choix de l'espace électoral ne garantit rien sur l'expressivité d'un éventuel système de vote qu'on souhaiterait étudier par la suite. Par exemple, si on choisit l'espace électoral des ordres stricts faibles, cela ne signie pas que le système de vote étudié permettra à un électeur de transmettre un ordre strict faible dans son bulletin. Cela signie juste que le planicateur social admet qu'un électeur puisse avoir comme préférences un ordre faible sur les candidats et considère impossible qu'il ait des préférences d'une autre forme (approche descriptive). Ou, plus raisonnablement, cela signie que les bonnes propriétés qu'il saurait prouver pour le système de vote étudié sont garanties si les électeurs ont des ordres stricts faibles de préférence, mais a priori pas dans les autres cas (approche normative). Continuons à explorer les possibilités oertes par les espaces électoraux avec quelques exemples.

Exemple 1.6 (utilité avec marge d'incertitude)

Supposons que chaque électeur v soit capable d'établir un vecteur de notes uv ∈ [0, 1]C et un réel ε ≥ 0, interprété comme une incertitude, tel qu'il préfère un candidat c à un candidat d ssi uv(c) > uv(d) + ε. Son espace d'états est alors Ωv= [0, 1]C× R et sa fonction Pv est dénie par l'inégalité précédente5.

Exemple 1.7 (intervalles d'utilité)

Il est facile de généraliser l'exemple précédent. À chaque candidat c, l'électeur v associe un intervalle non vide [uv(c), uv(c)]. On l'interprète de la façon suivante : vsitue son utilité pour le candidat c dans cet intervalle, mais pas plus précisément (par incapacité d'être plus précis, par manque d'intérêt ou parce que cela repré- sente un coût cognitif trop élevé). Il préfère le candidat c à d ssi uv(c) > uv(d). La gure1.3 représente un exemple d'état pour un tel électeur. Dans la partie gauche, on a représenté son intervalle d'utilité pour chaque candidat ; dans la par- tie droite, le graphe de sa relation binaire de préférence. Celle-ci est irréexive, antisymétrique et transitive ; c'est pourquoi on n'a pas représenté explicitement les arêtes de d ou e vers a, qui se déduisent des autres arêtes par transitivité. En revanche, la relation n'est pas négativement transitive : en eet, l'électeur ne préfère ni e à d ni d à c, et pourtant il préfère e à c. Ce n'est donc pas un ordre strict faible.

Exemple 1.8 (préférences multicritères)

À présent, chaque électeur note mentalement chaque candidat selon trois cri- tères dans l'intervalle [0, 1] : son espace d'états Ωv est l'ensemble des matrices de

4. C'est un abus de langage que nous commettrons sans scrupule : pour être tout à fait rigoureux, Pvest l'injection canonique de LCdans RC.

5. On pourra rapprocher cette idée des travaux de Ehlers et al.(2004), dans lesquels on considère une manipulabilité avec un seuil, c'est-à-dire où les électeurs souhaitent au moins améliorer leur utilité par une certaine amplitude.

a b d c e uv a b c d e

Figure 1.3  Un état d'électeur dans l'espace électoral des intervalles d'utilité Candidat

Poulet (a) B÷uf (b) Poisson (c)

Critère Bon marché 1 0,5 0 Sain 0,5 0 1 Moelleux 0 1 0,5 a b c

Figure 1.4  État d'un électeur avec des préférences multicritères

taille 3 × C à valeurs dans [0, 1]. On suppose qu'il préfère un certain candidat à un autre ssi le premier est strictement mieux noté que le second selon au moins deux critères : ceci dénit la fonction Pv. Considérons un électeur dans l'état ωv représenté par la gure1.4. Il préfère a à b, b à c et c à a : sa relation binaire de préférence Pv(ωv)n'est donc pas transitive. D'une certaine façon, un tel électeur réalise un paradoxe de Condorcet à lui tout seul : la multiplicité des critères qu'il considère, et le fait qu'il décide ses préférences selon la majorité des critères, imite le comportement de trois électeurs distincts utilisant le vote majoritaire simple pour chaque couple de candidats.

Si on demande à un tel électeur de désigner un préféré parmi les trois can- didats, alors il viole nécessairement à lui tout seul la propriété d'indépendance des alternatives non pertinentes (IANP) que nous évoquions en introduction : par exemple, s'il désigne le b÷uf (b) comme son candidat préféré parmi les trois, cela semble contradictoire avec le fait qu'il choisisse le poulet quand il s'agit de choisir entre poulet et b÷uf.

Exemple 1.9 (générateur aléatoire décentralisé)

Chaque électeur possède une relation binaire de préférence pvsur les candidats et dispose d'une pièce de monnaie. Après avoir tiré à pile ou face, son état (sincère) est (pv, xv), où xv ∈ {Pile, Face}. On suppose qu'il est le seul à connaître le résultat de son tirage aléatoire : par conséquent, s'il doit communiquer son état à un mode de scrutin, il peut mentir sur le résultat du tirage aussi bien que sur son ordre de préférence.