• Aucun résultat trouvé

Critères basiques pour un SVBE

1.2 Systèmes de vote basés sur l'état (SVBE)

1.2.2 Critères basiques pour un SVBE

Tout d'abord, on dit qu'un système est unanime s'il vérie la propriété sui- vante : pour tout candidat c, si tous les électeurs préfèrent strictement c aux autres candidats et votent sincèrement, alors c est élu.

8. Cette notion de système de vote basé sur l'état est une généralisation de ce qui est appelé procédure de vote élémentaire parMoulin(1978, chapitre II, dénition 2). L'auteur remarque déjà que considérer une telle procédure ne peut que diminuer les possibilités stratégiques des électeurs.

9. Nous reviendrons sur la question complexe de dénir la manipulabilité pour des modes de scrutin non résolus ou non déterministes dans la section6.3.3.

1.2 Systèmes de vote basés sur l'état (SVBE)

Nous allons aussi dénir l'anonymat et de la neutralité. Comme le modèle des espaces électoraux est plus abstrait et plus général que la simple utilisation d'ordres stricts totaux de préférence, ces dénitions y exigent un peu plus de précautions que la dénition informelle que nous avons donnée dans l'introduction de ce mémoire.

On dit que l'espace électoral Ω lui-même est anonyme ssi tous les électeurs ont le même espace d'états : ∀(v, v0) ∈ V2, Ω

v = Ωv0 et Pv=Pv0. On notera qu'il

s'agit ici d'une égalité de Pv et Pv0 en tant que fonctions, et non de l'égalité entre

deux relations de préférence.

On dit qu'un SVBE f sur l'espace électoral Ω est anonyme ssi : 1. Ω est anonyme ;

2. Pour tout état ω ∈ Ω, pour toute permutation σ ∈ SV des électeurs, en notant ωσ= (ωσ(1), . . . , ωσ(V )), on a f(ω) = f(ωσ).

Autrement dit, le vainqueur ne dépend que des bulletins reçus, et non de l'identité des électeurs qui les ont émis.

Pour dénir la neutralité, notons Φ une action du groupe des permutations des candidats SC sur l'espace d'état Ωv de chaque électeur v. Ceci signie qu'à tout état ωv et à toute permutation σ des candidats, on associe un état Φσ(ωv), que nous notons simplement σ(ωv); et qu'on exige que cette transformation soit compatible avec la structure de groupe de SC : ceci signie par exemple qu'en notant σ0 une autre permutation et ◦ l'opérateur de composition, on exige que σ(σ0(ωv)) = (σ ◦ σ0)(ωv).

On exige, en outre, que Φ soit compatible avec Pv, au sens où Pv(σ(ωv)) = σ(Pv(ωv)). Dans le membre de droite de cette égalité, la relation σ(Pv(ωv)) est dénie naturellement par : c Pv(ωv) d ⇔ σ(c) σ(Pv(ωv)) σ(d), c'est-à-dire qu'on considère la même relation de préférence en permutant simplement les noms des candidats.

Quand une telle action de groupe est dénie sur l'espace d'état de chaque électeur, elle induit une action de groupe sur l'espace électoral Ω tout entier : pour toute conguration ω ∈ Ω, il sut de poser σ(ω) = (σ(ω1), . . . , σ(ωV)).

On dit que f est neutre (par rapport à l'action de groupe Φ) ssi ∀σ ∈ SC, ∀ω ∈ Ω, f (σ(ω)) = σ(f (ω)). Autrement dit, le candidat vainqueur ne dépend pas des étiquettes qui servent à nommer les candidats : si on change les étiquettes de tous les candidats, il existe une façon de ré-étiqueter les bulletins (Φ) qui permet d'obtenir le même système de vote.

En général, l'action de groupe Φ qu'on considère est intuitivement évidente : par exemple, dans l'espace électoral de référence, on appliquera σ à l'ordre de préférence pv, on permutera les coordonnées du vecteur de notes uv et on fera de même pour le vecteur de valeurs d'approbation av.

Cependant, en toute généralité, il peut être nécessaire de préciser l'action de groupe Φ utilisée. Reprenons l'exemple1.9 du générateur aléatoire décentralisé, où chaque électeur possède le résultat d'un lancer de pièce. On considère un cas où il y a C = 2 candidats ; par conséquent, pour dénir l'action de groupe Φ, il sut de donner son eet pour la seule permutation non triviale σ = (1 ↔ 2), qui consiste à échanger les deux candidats. Son eet sur les ordres de préférence est automatique, puisqu'on a exigé que Ψ soit compatible avec les fonctions Pv. Il ne reste donc qu'à dénir l'eet de σ sur Pile et Face. Par ailleurs, on suppose qu'il y a 3 électeurs (pour éviter les questions d'égalité).

Examinons, tout d'abord, le SVBE suivant : s'il y a davantage de Pile, c'est le candidat 1 qui gagne ; sinon, c'est le candidat 2 qui est vainqueur. Ce système

est d'ailleurs particulièrement manipulable : si un électeur préfère le candidat 1 et que sa pièce est tombée sur Face, il a toujours intérêt à mentir et à annoncer Pile ; mais c'est la neutralité de ce système qui nous intéresse pour le moment. Si on dénit l'action de σ = (1 ↔ 2) comme inversant Pile et Face (en plus de son eet sur les relations binaires de préférence), alors ce mode de scrutin est neutre par rapport à Φ.

Considérons, à présent, un autre SVBE. Chaque électeur communique son ordre de préférence et l'état de sa pièce de monnaie. S'il s'agit de Pile, on compte 1 point en faveur de son candidat préféré ; si c'est Face, on compte 3 points en faveur de son candidat préféré. Puis le candidat ayant le plus de points est élu. Ce système est similaire à un vote par notation où Pile signie  préférer légèrement  et Face,  préférer fortement . D'ailleurs, comme nous l'avons déjà remarqué, un électeur qui possède Pile dans son état a toujours intérêt à mentir et à annoncer Face. En ce qui concerne la neutralité, si on dénit l'action de σ = (1 ↔ 2) comme laissant Pile et Face inchangés (en plus de son eet sur les relations binaires de préférence), alors ce SVBE est neutre par rapport à Φ.

Ainsi, dans le cas général, il est possible d'avoir divers modes de scrutin qui sont neutres en considérant des actions de groupes diérentes et non rendues évidentes a priori par la seule dénition de l'espace électoral considéré. Ceci dit, dans la plupart des cas d'études pratiques, l'action de groupe Φ utilisée sera intuitivement évidente, comme nous l'avons vu dans l'espace électoral de référence.

Par la suite (notamment dans le chapitre10), il nous arrivera parfois de nous concentrer sur l'espace électoral des ordres stricts totaux. Une question naturelle se pose alors : à quelle condition existe-t-il un mode de scrutin anonyme et neutre ? Proposition 1.16

On se place dans l'espace électoral des ordres stricts totaux. 1. Les conditions suivantes sont équivalentes.

(a) Il existe un SVBE anonyme et neutre.

(b) Il est impossible d'écrire C comme une somme de diviseurs de V supé- rieurs à 1. Autrement dit, il n'existe pas de séquence d'entiers naturels (k1, . . . , kn) telle que : ∀i ∈J1, nK, ki> 1et ki divise V  et n X i=1 ki= C.

(c) Il est impossible d'écrire C comme une somme de facteurs premiers de V . Autrement dit, il n'existe pas de séquence d'entiers naturels (k1, . . . , kn) telle que :

∀i ∈J1, nK, ki est premier et ki divise V  et n X

i=1

ki= C.

2. Pour qu'il existe un SVBE anonyme et neutre, il est nécessaire mais pas susant que V et C soient premiers entre eux.

Démonstration. Nous allons d'abord supposer 1 et en déduire2, ce qui donnera une première intuition pour la preuve de1que nous donnerons ensuite.

2. Montrons d'abord que cette condition simpliée n'est pas susante : consi- dérons V = 6 et C = 7, qui sont bien premiers entre eux. Il est possible d'écrire C comme une somme de facteurs de V supérieurs à 1 : C = 3 + 2 + 2, où 3 divise V

1.2 Systèmes de vote basés sur l'état (SVBE)

et 2 divise V . Donc la condition1bn'est pas vériée, ce qui implique qu'il n'existe pas de SVBE anonyme et neutre.

Pour s'en convaincre intuitivement, examinons le prol suivant, qui donnera une piste pour la preuve de l'équivalence énoncée dans le point1.

1 2 3 1 2 3 2 3 1 2 3 1 3 1 2 3 1 2 4 5 4 5 4 5 5 4 5 4 5 4 6 7 6 7 6 7 7 6 7 6 7 6

Ce prol est obtenu en partant du classement du premier électeur et en appliquant des permutations circulaires aux trois premiers candidats, aux deux suivants et aux deux derniers. On remarquera notamment que les permutations des deux dernières paires sont toujours simultanées (si 4 est devant 5, alors 6 est devant 7), ce qui permet d'avoir 3 × 2 électeurs seulement et non 3 × 2 × 2 = 12 (ce qui serait le cas si on considérait les images du premier électeur par toutes les permutations circulaires mentionnées, de façon indépendante les unes des autres). On pourra d'ailleurs noter qu'on a, en l'occurrence, V = ppcm(3, 2, 2).

Il est, alors, facile de voir que, quel que soit le candidat vainqueur dans ce prol, le SVBE ne peut être anonyme et neutre : par exemple, si 1 est élu, alors 2 et 3 devraient l'être également par anonymat et neutralité.

Prouvons, à présent, qu'il est nécessaire que V et C soient premiers entre eux. Si ce n'est pas le cas, soit k un facteur premier commun de C et V . Notons n = C k et ki = k pour i ∈ J1, nK. Alors

Pn

i=1ki = C, où tous les ki sont premiers et divisent V . Donc la condition1cn'est pas vériée, ce qui implique qu'il n'existe pas de SVBE anonyme et neutre.

1a ⇒ 1b. Si la condition 1b n'est pas vériée, généralisons l'exemple précé- dent. Considérons une séquence (k1, . . . , kn) telle que P

n

i=1ki = C, tous les ki sont supérieurs à 1 et divisent V . Cette dernière propriété est équivalente à : ppcmi(ki)divise V . Considérons un ordre de préférence quelconque (par exemple 1  2  . . .  C) puis toutes ses images en appliquant simultanément une per- mutation circulaire sur les k1 premiers candidats, sur les k2 candidats suivants, etc. L'orbite, c'est-à-dire l'ensemble des classements images obtenus, est de taille ppcmi(ki). En copiant ces images susamment de fois, on obtient un prol à V électeurs. Si l'un des k1 premiers candidats est vainqueur, alors par anonymat et neutralité, chacun des k1 premiers candidats devrait être vainqueur également, ce qui contredit l'unicité du résultat car k1 > 1. Il en est de même pour les k2 candidats suivants, etc. Donc il n'existe pas de SVBE anonyme et neutre : la condition1an'est pas vériée.

1b ⇒ 1a. Supposons la condition 1b vériée. Soit P un prol. On dit que deux candidats sont équivalents dans P s'il existe une permutation des candidats qui envoie l'un sur l'autre et qui laisse P stable, à permutation près des électeurs. Alors notons k1, . . . , knles cardinaux des classes d'équivalence : on a P

n

i=1ki= C. Considérons une certaine classe d'équivalence de taille ki : comme tout candidat de la classe prend le meilleur rang (au sein de la classe) chez le même nombre d'électeurs, ki divise V . Comme la condition 1b est vériée, il existe donc un k1 égal à 1. On peut alors choisir le candidat correspondant comme vainqueur sans violer l'anonymat et la neutralité (ce qui xe le vainqueur dans tout autre

prol obtenu à partir de P par permutation des candidats et/ou des électeurs). En eectuant le même raisonnement pour tout prol P dont le vainqueur n'est pas encore choisi, on obtient un SVBE anonyme et neutre.

1b⇒1c. C'est immédiat car tout entier naturel premier est supérieur à 1.

1c ⇒ 1b. Si la condition 1bn'est par vériée, alors il est possible d'écrire C comme une somme C = Pn

i=1ki, où tous les kidivisent V et sont diérents de 1. Pour chaque ki, notons k0i un facteur premier arbitraire de ki, qui est donc égale- ment un facteur premier de V , et posons ni= kki0

i. On a alors C = P

n i=1

Pni

j=1k0i, qui est une somme de facteurs premiers de V . Donc la condition 1c n'est pas vériée.

Cette proposition est à mettre en parallèle avec un résultat classique (Moulin,

1978), qui concerne les modes de scrutin non seulement anonymes et neutres, mais également ecients. Ce qualicatif signie qu'on a la propriété suivante : si tous les électeurs préfèrent strictement un certain candidat c à un certain d (c'est- à-dire si d est Pareto-dominé par c), alors d ne peut pas être élu. Le résultat précédemment connu est qu'il existe un SVBE neutre, anonyme et ecient (sur l'espace électoral des ordres stricts totaux) ssi C! et V sont premiers entre eux, c'est-à-dire ssi tout entier inférieur ou égal à C est premier avec V .

An de vérier la cohérence entre ce résultat et la proposition 1.16, on peut supposer que cette condition est vériée et montrer qu'elle implique bien la condi- tion1b. Si on écrit C comme une somme d'entiers naturels supérieurs à 1, alors chacun d'eux est inférieur ou égal à C, donc il est premier avec V ; comme il est supérieur à 1, ceci signie qu'il ne divise pas V . Donc la condition1best vériée. À notre connaissance, si on supprime l'hypothèse d'ecience, il n'existe pas de résultat précédent dans la littérature donnant une condition nécessaire et suf- sante sur le couple (V, C) pour qu'il existe un SVBE anonyme et neutre (sur l'espace électoral des ordres stricts totaux), comme le fait la proposition1.16.

1.3 Manipulabilité

À présent, nous allons traduire la dénition habituelle de la manipulabilité dans le cadre des espaces électoraux.

Pour deux candidats w et c, on note :

Manipω(w → c) = {v ∈ Vt.q. c Pv(ωv) w}.

C'est l'ensemble des électeurs qui préfèrent c à w ; si w est vainqueur du vote sincère, ces électeurs sont donc intéressés par une manipulation en faveur de c. À l'inverse, on note :

Sincω(w → c) = {v ∈ Vt.q. non(c Pv(ωv) w)}.

Il s'agit des électeurs qui ne sont pas intéressés par une manipulation visant à faire gagner c au lieu de w. Pour ces deux notions, on sous-entendra généralement la dépendance en ω et on notera simplement Manip(w → c) et Sinc(w → c). Dénition 1.17 (manipulabilité)

Pour (ω, ψ) ∈ Ω2, un sous-ensemble d'électeurs M ∈ P(V) et un candidat c ∈ C, on dit que f est manipulable dans la conguration ω par la coalition M