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Théorème de condorcication comparée

Dans le document Vers des modes de scrutin moins manipulables (Page 132-135)

On appelle M-condorcication de f le SVBE : fM:

Ω → C

ω → si ω a un candidat M-Condorcet c, alors c, sinon, f(ω).

Par dénition, la M-condorcication de f vérie le critère de M-Condorcet. En particulier, si la famille M est monotone et exclusive et si l'espace électoral autorise tout candidat comme préféré, alors elle vérie MCInf (proposition4.14). Dans le contexte de ce chapitre, nous appellerons condorcication majoritaire la condorcication f∗ usuelle (dénition2.8), c'est-à-dire basée sur la famille ma- joritaire.

Nous avons, à présent, tous les outils pour généraliser le théorème faible de condorcication2.9.

Théorème 4.18 (condorcication généralisée) Soit f un SVBE et M une famille. On suppose que :  M est monotone ;

 f vérie MCInf.

Alors fM est au plus aussi manipulable que f : MCfM ⊆MCf.

Démonstration. Supposons que fMest manipulable en ω vers ψ, mais que f n'est pas manipulable en ω.

Comme f n'est pas manipulable en ω, le lemme 4.16assure que f(ω) est M- admissible en ω. S'il est M-Condorcet en ω, alors fM(ω) = f (ω); sinon, il n'y a pas de candidat M-Condorcet en ω (proposition4.8) donc par dénition de fM, on a aussi fM(ω) = f (ω).

Notons w = fM(ω) = f (ω)et c = fM(ψ). Comme w est M-admissible en ω, le lemme4.15(appliqué à fM) assure que w n'est pas M-Condorcet en ψ. Donc, par dénition de fM, on a fM(ψ) = f (ψ).

Par conséquent, on a f(ω) = fM(ω)et f(ψ) = fM(ψ)donc f est manipulable en ω : c'est absurde !

4.4 Théorème de condorcication comparée

Tout comme nous venons de généraliser le théorème faible de condorcica- tion 2.9, on pourrait aussi généraliser le théorème fort de condorcication 2.20

en dénissant une notion de candidat M-Condorcet résistant qui généraliserait la notion de vainqueur de Condorcet résistant (dénition2.16). Nous ne développe- rons cependant pas ce point an de ne pas alourdir inutilement l'exposé et nous nous concentrerons sur un point spécique à la condorcication généralisée : le choix de la famille M utilisée pour condorcier.

En eet, il est possible en général qu'un système de vote vérie MCInf pour plusieurs choix possibles de la famille M. Dans ce cas, on peut envisa- ger d'utiliser le théorème de condorcication généralisée 4.18 en utilisant l'une ou l'autre famille. Il se pose alors des questions naturelles : dans quels cas peut- on  condorcier une condorcication  tout en continuant de diminuer (au sens large) la manipulabilité ? Est-ce qu'une condorcication permet de diminuer la

manipulabilité plus (ou au moins autant) qu'une autre ? Enn, existe-t-il une fa- mille qui permette de diminuer la manipulabilité plus (ou au moins autant) que toutes les autres ?

Sauf mention particulière, M et M0 désigneront deux familles a priori quel- conques.

Dénition 4.19 (famille plus condorciante)

On dit que M0 est plus condorciante que M (au sens large) ssi un candidat M-Condorcet est toujours également M0-Condorcet, c'est-à-dire :

∀ω ∈ Ω, ∀c ∈ C : cest M-Condorcet en ω ⇒ c est M0-Condorcet en ω. Cette notion donne un cas particulier pour la composition de deux condor- cications : si M0 est plus condorciante que M, alors on a (fM)M0 = fM0. En eet, pour les congurations où fM et f ont des vainqueurs distincts, il y a un candidat M-Condorcet, qui est, par conséquent, M0-Condorcet ; donc quand on condorcie avec la famille M0, le vainqueur est ce candidat, quel que soit le système initial.

Le lemme suivant va permettre que la première condorcication, réalisée avec la famille M, vérie les hypothèses qui lui permettront de bénécier de la deuxième condorcication, réalisée avec la famille M0. Ce lemme est la motivation principale de la dénition du critère MCInfA.

Lemme 4.20 (de la coalition informée admissible) On suppose que :

 M0 est plus condorciante que M ;  f vérie M0CInfA.

Alors fM vérie M0CInfA.

Interprétons ce lemme à l'énoncé quelque peu obscur : on suppose que f vé- rie une bonne propriété (M0CInfA) pour M0, c'est-à-dire la deuxième famille que nous allons utiliser, et on en conclut que fM vérie cette même propriété (M0CInfA), toujours pour cette deuxième famille M0. Intuitivement, la motiva- tion est la suivante : dans la suite, on prendra pour M0 une famille xée, très condorciante, et il sura de tester que f vérie M0CInfA pour cette famille xée, donc une bonne fois pour toutes. Ensuite, la première famille M pourra être n'importe quelle famille moins condorciante que M0 : ce lemme nous permettra de montrer que, dans tous les cas, fM vérie la propriété qui nous permettra d'enchaîner avec la M0-condorcication tout en continuant à diminuer la mani- pulabilité ; et ce, sans que nous ayons besoin de tester des conditions dépendant de M pour chaque famille M concernée. En réalité, il nous surait d'avoir que fMvérie M0CInfdans la conclusion du lemme pour les applications suivantes ; le fait que fM vérie aussi M0CInfAest oert par la maison.

Démonstration. Soit ω ∈ Ω, c ∈ C, M ∈ M0

c. Comme f vérie M0CInfA, il existe un bulletin ψM ∈ ΩM de la coalition tel que :

(

f (ωV\M, ψM) = c,

cest M0-admissible en (ωV\M, ψM). Notons d = fM

V\M, ψM). Si d est M-Condorcet en (ωV\M, ψM), alors comme M0 est plus condorciante que M, le candidat d est également M0- Condorcet, donc il est le seul candidat M0-admissible (proposition 4.8), donc

4.4 Théorème de condorcication comparée

d = c. À l'inverse, si d n'est pas M-Condorcet en (ωV\M, ψM), alors par déni- tion de fM, on a également d = c. Par conséquent, M peut faire gagner c de façon informée dans le système fM, tout en garantissant que c soit M0-admissible. Donc fM vérie M0CInfA.

Les exemples que nous verrons dans la section 4.6 montrerons que les hypo- thèses du lemme4.20sont en fait assez courantes en pratique. Sous ces hypothèses, nous pouvons, à présent, comparer les condorcications obtenues en utilisant les familles M et M0. C'est l'objet du théorème de condorcication comparée. Théorème 4.21 (condorcication comparée)

Soit f un SVBE, M et M0 deux familles. On suppose que :

 M0 est monotone ;

 M0 est plus condorciante que M ;  f vérie M0CInfA.

Alors fM0 est au plus aussi manipulable que fM : MCfM0 ⊆MCfM.

Démonstration. Par le lemme4.20, on sait que fMvérie M0CInf. Il sut alors d'appliquer le théorème de condorcication généralisée4.18à fM et M0 et de se souvenir que (fM)M0 = fM0.

Ce n'est pas évident à première vue, mais ce théorème contient implicite- ment l'armation que fM0

est moins manipulable que f (ce que nous savons par ailleurs, par le théorème de condorcication généralisée 4.18). En eet, considé- rons le cas particulier de la famille M telle que pour tout candidat c, Mc = ∅. Alors un candidat est toujours M-admissible et jamais M-Condorcet. En par- ticulier, toute famille est plus condorciante que M et on a fM = f. Donc la conclusion du théorème devient : MCfM0 ⊆MCf.

Avec seulement les hypothèses de ce théorème, on n'a pas la garantie que fM soit moins manipulable que f : en eet, on n'a pas supposé que M vérie les hypothèses du théorème de condorcication généralisée4.18. Ceci dit, on sait l'essentiel : fM0

est au plus aussi manipulable que f et que tout système fM, où Mest moins condorciante que M0.

À la lecture de ce théorème, une question se pose immédiatement : est-ce que la conclusion est toujours vraie si on suppose seulement que f vérie M0CInf au lieu de M0CInfA? Nous allons voir que ce n'est pas le cas.

Considérons l'espace électoral des ordres avec V = 3 électeurs et C = 3 can- didats nommés a, b et c. On utilise le système de vote f suivant.

1. Si tous les électeurs placent le même candidat en tête de bulletin, alors c est vainqueur.

2. Si au moins un électeur place a en tête et au moins un électeur place c en tête, alors a est vainqueur.

3. Dans tous les autres cas, b est vainqueur.

On note M la famille unanime, c'est-à-dire la famille des coalitions contenant tous les électeurs, et M0la famille majoritaire. Comme M0 est une famille à seuil, elle est monotone, et il est facile de vérier qu'elle est plus condorciante que M : en eet, un candidat qui est M-Condorcet est préféré par tous les électeurs donc il est vainqueur de Condorcet, c'est-à-dire M0-Condorcet.

 Pour faire gagner c, il sut que 2 manipulateurs votent comme le troisième électeur (que celui-ci soit sincère ou pas).

 Pour faire gagner a, il sut qu'un manipulateur place a en tête et qu'un autre manipulateur place c en tête.

 Pour faire gagner b, si l'électeur sincère place b en tête, il sut que les manipulateurs placent a et b en tête ; et si l'électeur sincère place a ou c en tête, il sut que les manipulateurs placent tous les deux b en tête. On remarquera que les manipulations proposées ne sont pas admissibles. Par ailleurs, la manipulation pour c crée forcément un favori unanime (préféré par tous les électeurs) et on ne peut pas toujours choisir que ce soit c : en particulier, on ne peut pas toujours faire en sorte que c soit Condorcet-admissible donc f ne vérie pas M0CInfA.

Considérons alors le prol ω suivant, que nous connaissons bien : il s'agit d'un exemple minimal de paradoxe de Condorcet.

a b c

b c a

c a b

Dans f, c'est le candidat a qui est vainqueur en vertu de la règle2. Comme il n'y a ni M-Condorcet (candidat unanimement préféré) ni M0-Condorcet (vainqueur de Condorcet classique), le candidat a est également vainqueur dans fMet dans fM0

. Dans fM0

, c'est-à-dire la condorcication de f au sens habituel majoritaire, la conguration ω est clairement manipulable puisqu'elle est non admissible (lemme2.7). On pourra, d'ailleurs, remarquer que la manipulation en faveur de c ne s'eectue pas de la même façon dans f et fM0

. Dans f, les manipulateurs doivent mettre a en tête pour bénécier de la règle 1. Dans fM0

, ils doivent mettre c en tête pour que c soit vainqueur de Condorcet.

En revanche, dans fM (qui utilise la famille unanime), nous allons montrer que la conguration n'est pas manipulable.

 Pour manipuler en faveur de c, les deux derniers électeurs ont besoin que csoit en tête de tous les bulletins, ce qu'ils ne peuvent garantir.

 Pour manipuler en faveur de b, seul le deuxième électeur est intéressé. Pour qu'il réussisse, il faut soit que b soit en tête de tous les bulletins dans la conguration nale (pour bénécier de la M-condorcication), soit éviter qu'il y ait deux bulletins avec respectivement a et c en tête (pour bénécier de la règle originale f en évitant le cas 2) ; mais dans les deux cas, c'est impossible.

Résumons : toute les hypothèses du théorème sont vériées, hormis le fait qu'au lieu de vérier M0CInfA, le système f vérie seulement M0CInf. Et nous avons exhibé une conguration où fM0

est manipulable mais où fM n'est pas manipulable. Ainsi, la conclusion du théorème n'est plus valide si l'on suppose seulement que f vérie M0CInf. Ce contre-exemple motive donc l'emploi de l'hypothèse M0CInfA.

Dans le document Vers des modes de scrutin moins manipulables (Page 132-135)