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Espace électoral décomposable

Dans le document Vers des modes de scrutin moins manipulables (Page 152-155)

Démonstration. Supposons que la tranche fy est manipulable dans la congura- tion ω = y(p). Par dénition, il existe des bulletins ψ ∈ Ω tels que fy(ψ) 6= fy(ω) et :

∀v ∈ Sinc(fy(ω) → fy(ψ)), ψv = ωv.

La tranche et le système de vote original ont le même résultat sincère en ω : en eet, en développant la dénition de fy(ω)et en utilisant la relation P◦y = Id, on a fy(ω) = f (y(P(y(p)))) = f(y(p)) = f(ω).

Notons φ = y(P(ψ)) : il s'agit des bulletins qui sont eectivement pris en compte par fy (dans notre exemple, la conversion des bulletins stratégiques ψ en format Borda). Par simple réécriture, on a :

∀v ∈ Sinc(f (ω) → f (φ)), ψv= ωv.

Si ψv= ωv, alors φv= yv(Pv(ψv)) = yv(Pv(ωv)) = yv(Pv(yv(pv))) = yv(pv) = ωv. Donc :

∀v ∈ Sinc(f (ω) → f (φ)), φv= ωv.

Or on a vu que f(φ) = fy(ψ) 6= fy(ω) = f (ω). Donc f est manipulable en ω vers φ.

5.2 Espace électoral décomposable

En choisissant un couple (p, y) approprié, toute conguration ω peut être ex- primée par ω = y(p). Par exemple, si le véritable état ωv de chaque électeur v correspond à des scores de Borda, alors il peut être représenté par sa relation binaire de préférence sincère pvet la méthode de tranchage yvdonnée en exemple précédemment. Par conséquent, dans cette conguration ω = y(p), le lemme5.3

permet de comparer la manipulabilité de f et celle de fy.

L'idée de la décomposabilité est la suivante : en tirant indépendamment p et y avec des distributions bien choisies, on souhaiterait reconstituer une con- guration ω avec la bonne mesure de probabilité π. Si c'est possible, alors nous verrons (en prouvant le théorème de tranchage5.9) que le taux de manipulabilité de f peut être comparé à une certaine moyenne de ceux de toutes les tranches possibles fy.

Nous allons, d'abord, donner la dénition formelle de la décomposabilité, puis une interprétation et un exemple. Rappelons que µ désigne la loi de P (en culture π).

Dénition 5.4 (décomposabilité)

On dit que l'EEP (Ω, π) est P-décomposable, ou juste décomposable, ssi il existe une loi de probabilité ν sur Y telle que pour tout événement A sur Ω :

π(ω ∈ A) = (µ × ν) y(p) ∈ A.

Dans ce qui suit, quand (Ω, π) est décomposable, on notera toujours ν une mesure arbitraire sur Y, parmi celles qui vérient cette propriété.

Cette dénition exige que π soit la mesure image de µ × ν par l'opérateur qui, à p et y, associe y(p). Autrement dit, en tirant indépendamment p et y (avec les mesures µ et ν respectivement), puis en considérant ω = y(p), on tire ω avec la mesure de probabilité correcte π. La décomposabilité est liée à la notion d'information complémentaire sur les états des électeurs : cette idée est davantage développée dans la section5.6.

Par commodité de langage, quand l'EEP (Ω, π) est décomposable, nous dirons parfois que l'espace électoral Ω ou que la culture π est décomposable.

Exemple 5.5

Considérons V = 2 électeurs et C = 2 candidats nommés a et b. Supposons que l'état d'un électeur est un couple constitué d'un ordre strict total de préférence sur les candidats et d'une information complémentaire,  ananas  ou  banane . Dans un cas d'étude réel, ces deux valeurs pourraient avoir une signication non alimentaire, comme  préfère passionnément  et  préfère un peu , mais cela n'a pas d'importance pour notre exemple.

Soit π la culture qui tire équiprobablement l'une des deux congurations sui- vantes :

1. Chaque électeur est dans l'état A = (a  b, ananas) ; 2. Chaque électeur est dans l'état B = (b  a, banane).

Pour montrer que cet EEP est décomposable, considérons la mesure ν qui tire, de façon certaine, deux fonctions identiques y1 et y2 telles que pour tout électeur v, yv(a  b) = Aet yv(b  a) = B.

En tirant le prol p avec la loi µ, on a de façon équiprobable p = (a  b, a  b) ou p = (b  a, b  a). Puis, en tirant y avec la loi (déterministe) ν, on a de façon équiprobable y(p) = (A, A) ou y(p) = (B, B), ce qui est exactement la culture π.

En bref, cet EEP (Ω, π) peut être émulé en tirant le prol p = (p1, p2)avec la loi µ (qui est directement dénie par la culture π), en tirant y = (y1, y2)avec la loi ν (que nous avons exhibée), puis en considérant ω = y(p). Donc il est décomposable.

En général, il n'est pas trivial de déterminer si un espace électoral donné est décomposable ou pas. Pour cette raison, nous allons donner quelques conditions susantes ou nécessaires.

Proposition 5.6

Si les électeurs (ω1, . . . , ωV)sont indépendants, alors (Ω, π) est décomposable. Nous n'allons pas prouver la proposition5.6 pour l'instant. C'est une consé- quence de la proposition5.18, que nous verrons en section5.6dans un cadre plus général.

Toutefois, l'indépendance n'est pas une condition nécessaire. En eet, dans l'exemple 5.5, les électeurs ne sont pas indépendants : ou bien ils sont tous les deux dans l'état A, ou bien dans l'état B. Cependant, l'EEP est décomposable.

Une autre condition susante est vériée par une classe importante de mo- dèles. Par exemple, considérons un espace électoral où l'état de chaque électeur v est constitué d'un ordre strict total de préférence pv et d'un entier kv ∈J0, C K. Cet entier peut avoir la signication suivante : l'électeur v  approuve  les kv premiers candidats de son ordre de préférence (quel que soit le sens exact de ce terme).

La culture π considérée est la suivante. On tire (p1, . . . , pV)selon une certaine loi de probabilité µ sur (LC)V. Indépendamment, on tire (k1, . . . , kV) selon une certaine loi de probabilité ξ surJ0, C K

V.

Remarquons que, aussi bien pour µ que pour ξ, les électeurs peuvent ne pas être indépendants entre eux. Mais les tirages par µ et ξ sont indépendants par hypothèse. La proposition suivante prouve qu'un tel EEP est décomposable. Proposition 5.7

Pour tout v ∈ V, soit Pvune partie non vide de RC, soit Kvun ensemble mesu- rable non vide et soit Ωv = Pv×Kv. Soit Pvla fonction dénie par Pv(pv, kv) = pv et Kv la fonction dénie par Kv(pv, kv) = kv.

5.2 Espace électoral décomposable

Si les deux variables aléatoires P = (P1, . . . ,PV) et K = (K1, . . . , KV) sont indépendantes, alors (Ω, π) est décomposable.

Démonstration. À kv ∈ Kv, on associe la fonction concatv(kv) ∈ Yv qui consiste à concaténer pv et kv de façon à reconstituer un état ωv :

concatv(kv) : P

v(Ωv) → Ωv

pv → concatv(kv)(pv) = (pv, kv).

À k ∈ K, on associe concat(k) = (concat1(k1), . . . ,concatV(kV)) ∈ Y : à chaque prol p, cette fonction se contente de juxtaposer le vecteur k de façon à renvoyer une conguration.

Alors, en notant ξ la loi de K, la mesure image ν de ξ par concat est clairement convenable pour prouver la décomposabilité.

La condition de la proposition5.7est susante pour assurer la décomposabilité mais elle n'est pas nécessaire : quand chaque ensemble Ωv est déni comme un produit cartésien Pv× Kv(où Pv⊆ RC), il est possible que les variables aléatoires P et K ne soient pas indépendantes mais que l'espace électoral soit décomposable quand même. En eet, dans l'exemple 5.5, si P = (a  b, a  b), alors on sait de façon certaine que K = (ananas, ananas), alors que si P = (b  a, b  a), alors K = (banane, banane) ; par conséquent, P et K ne sont pas indépendants. Cependant, comme nous l'avons vu, cet EEP est décomposable.

Comme l'exemple didactique et fruitier 5.5, l'exemple suivant montre que, même sans vérier les conditions susantes des propositions 5.6 et 5.7, l'EEP peut être décomposable. Mais cette fois, on utilise un modèle plus élaboré et plus susceptible d'être utilisé en pratique.

On tire (p1, . . . , pV)selon une loi µ sur (FC)V. Pour chaque électeur v, soit kv le nombre de classes d'indiérence dans son ordre strict faible de préférence pv; par exemple, si l'électeur n'a pas d'égalité, le nombre de ses classes d'indiérence est simplement égal au nombre de candidats. On tire kv notes selon une certaine loi ξv(kv) sur [0, 1]kv. Cette loi ξv(kv)est choisie de telle sorte que les kv notes sont presque sûrement toutes distinctes.

Étant donné un ordre strict faible pv et un vecteur de notes (u1, . . . , ukv), on

construit un état ωv en attribuant les notes aux candidats dans l'ordre de pv. Par exemple, si pv= (1 ∼ 2  3  4), alors il y a kv= 3classes d'équivalence : {1, 2}, {3} et {4}. Donc on utilise la loi ξv(3) pour tirer 3 notes, par exemple (0,1 ; 0,8 ; 0,2). Finalement, on a ωv = (1 ∼ 2  3  4, (0,8 ; 0,8 ; 0,2 ; 0,1)).

Pour prouver que cet EEP est décomposable, construisons une mesure ν conve- nable. Simultanément pour chaque entier kv∈J1, C K, tirons kvnotes selon ξv(kv). Ceci dénit parfaitement yv, une transformation qui associe à chaque pv un état ωv. Par dénition, en tirant p avec la loi µ et y de cette façon, ω = y(p) est tirée avec la mesure de probabilité voulue.

Pour terminer, voici une condition nécessaire pour que l'EEP soit décompo- sable.

Proposition 5.8

Si (Ω, π) est décomposable, alors pour tout sous-ensemble des électeurs V0, pour tout événement A sur Qv∈V0Ωv (c'est-à-dire concernant seulement les électeurs de V0), pour tout prol p = (p

1, . . . , pV) ∈ Rde probabilité non nulle :

C'est une conséquence de la proposition5.19, que nous verrons en section5.6

dans un cadre plus général. L'interprétation intuitive est que, si on connaît les préférences ordinales pv pour un sous-ensemble d'électeurs V0 et si on souhaite reconstituer leurs états ωv de façon probabiliste, alors connaître les relations pv des autres électeurs ne fournit pas d'information. On notera qu'il n'est pas exclu, en revanche, que connaître les états complets ωv des autres électeurs (et pas seulement leurs relations pv) donne une information utile pour reconstituer les états des électeurs de V0 à partir de leurs préférences ordinales.

L'avantage de cette condition est qu'en pratique, elle est plus commode à tester que la décomposabilité. Dans la section 5.6, nous montrerons que malheureuse- ment, elle n'est pas susante pour assurer la décomposabilité.

Dans le document Vers des modes de scrutin moins manipulables (Page 152-155)