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Il paraîtrait presque anodin de franchir l’étape suivante qui consiste à dire que les témoins venant confirmer un fait attestent la véracité des déclarations du plaignant. Pourtant, cette idée a fait l’objet d’un vif débat dans la communauté scientifique. Dans un important article intitulé « Social Relations on Stage: Witnesses in Classical Athens », Sally Humphreys a effectivement démontré au milieu des années 1980 que la fonction des témoins dans nos pratiques judiciaires contemporaines ne doit pas être plaquée sur l’Athènes classique. Dans les procès attiques, les déposants ne permettent pas de découvrir la vérité mais remplissent une fonction partisane, à savoir apparaître comme des soutiens, des supporters en anglais, de la partie pour laquelle ils déposent238. Elle prend notamment l’exemple de Deinias, appelé par Apollodore239 dans le procès pour faux témoignage intenté contre Stéphanos qui vise à revenir sur le procès principal opposant Apollodore à Phormion pour la succession de Pasion le père d’Apollodore240. En effet, Deinias,

beau-père d’Apollodore n’atteste que le fait qu’il a marié sa fille à l’orateur, élément ne relevant pas de l’affaire en cours, et, ce que précise la déposition restituée, qu’il n’a pas connaissance d’une décharge donnée par Apollodore à Phormion241. Il viendrait seulement montrer que, dans ce

conflit, Deinias appuie Apollodore plutôt que Stéphanos, un autre membre de la famille242.

237 JOHNSTONE 1999, p. 88 : « Litigants often valued erga as worth more than logoi. Litigants frequently said that jurors should pay no attention to mere arguments and that rhetorical language was itself the opposite of truth. » Le contraste entre les discours et les faits est traité dans le chapitre « L’évidence des faits ».

238 HUMPHREYS 2007, voir en particulier la partie intitulée « Witnesses as Supporters: Attic Law and its Social Context », p. 155-160. Elle résume en introduction son idée directrice (p. 145-146) : « The function of witnesses, I shall argue, is to bring the inside knowledge of the local community into the court process. […] The purpose of the present paper is to show how the selection and presentation of witnesses was designed to re-create in court the social context from which the litigant had been detached. »

239 DEMOSTHENE, Contre Stéphanos, I (XLV), 55. 240 DEMOSTHENE, Pour Phormion (XXXVI).

241 Ce dernier point est minimisé par Sally Humphreys, même s’il est tout à fait pertinent par rapport au procès principal. Phormion a ainsi fait déposer par deux fois des témoins sur l’existence de cette décharge (DEMOSTHENE, Pour Phormion (XXXVI), 10 et 16). Néanmoins, l’authenticité douteuse des déclarations développées dans les manuscrits limite la portée de ce second point : seul le mariage est mentionné dans la convocation d’Apollodore. 242 Il est désigné comme un membre de la συγγένεια dans DEMOSTHENE, Contre Stéphanos, I (XLV), 56. HUMPHREYS (2007, p. 158) en parle comme du neveu de Deinias à partir de DAVIES 1971, p. 437-438 (11672, X).

La thèse du témoin comme assistant du plaignant a été à nouveau développée par Stephen Todd, qui a parlé d’un « acte de soutien socio-politique ritualisé »243 en pointant le risque encouru par le témoin d’être poursuivi pour faux témoignage, et reprise par de nombreux commentateurs, tels David Cohen, John Marincola, Robin Osborne, Lene Rubinstein ou Christophe Pébarthe244.

À l’opposé, outre que Paul Ricœur avait déjà montré que l’acte de témoigner est dans toute société un soutien en faveur de la partie concernée245, ce qui s’oppose au contraste souligné par

Humphreys et Todd entre l’Occident contemporain et l’Athènes classique, David Mirhady s’est vigoureusement opposé à l’hypothèse formulée par Sally Humphreys246. Dans son article

« Athens’ Democratic Witnesses », il a listé les arguments allant à l’encontre des démonstrations d’Humphreys et Todd : l’identité et le statut des témoins sont rarement des éléments significatifs dans les procès athéniens, l’identité des témoins est exposée avant tout pour montrer comment ils peuvent avoir eu connaissance des faits ; les juges peuvent même être employés comme témoins s’ils connaissent un fait spécifique ; le critère de dépendance/indépendance des témoins vis-à-vis des parties établi par Humphreys apparaît comme une construction moderne ; le témoin ne subit aucune perte si la partie qu’il a soutenue perd le procès, au contraire de la vision de Todd ; et les nombreuses introductions d’un témoin comme preuve de la « vérité » des faits indiquent ce qu’attendent les juges.

Les positions ne doivent cependant pas être tranchées de façon schématique. Si David Mirhady a fortement contesté la théorie née dans les années 1980, la plupart des historiens et commentateurs ont prôné le compromis, à l’image de Stephen Todd lui-même, qui concède que, avant d’être un soutien, le premier rôle du témoin est de dire la vérité et parle finalement de fonctions qui agissent de concert247, ou de Gerhard Thür, dont les propos sont particulièrement

nuancés248. Christopher Carey reformule le compromis : « Il n’y a aucune raison de douter que les

témoins offrent effectivement un soutien moral et que leur identité, leur statut et leur réputation sont mis au crédit du plaignant. Mais ce serait une erreur de supposer que le message effectif n’a aucun intérêt. Les témoins sont toujours appelés pour attester un fait, et jamais seulement pour

243 TODD 1990a, p. 27 : « Witnessing in Athenian law is a ritualised socio-political act of support ». Voir p. 27-31. 244 Respectivement COHEN 1995, p. 107-112 ; MARINCOLA 1997, p. 104-105 ; OSBORNE 2000, p. 80 ; RUBINSTEIN 2000, p. 13 et 2005, p. 99-100 ; PEBARTHE 2006, p. 330, n. 269. Voir aussi l’idée avancée par Robin OSBORNE (1985, p. 52 et 2000, p. 79-80), David COHEN (1995, p. 87-88) ou Adriaan LANNI (2006, p. 1) selon laquelle les procès ne sont pas un moyen de découvrir la vérité mais une arène pour gérer les relations à l’intérieur d’un groupe social. 245 RICŒUR 1972, p. 42 : « [Le témoin] ne se borne pas à témoigner que…, mais il témoigne pour…, il rend témoignage à… Par ces expressions notre langage entend que le témoin scelle son attachement à la cause qu’il défend par une profession publique de sa conviction, par un zèle de propagateur, par un dévouement personnel qui peut aller jusqu’au sacrifice de la vie. »

246 MIRHADY 2002.

247 TODD 1990a, p. 27 et 30-31.

248 THÜR 2005, p. 164-167. Voir aussi BERTRAND (2007, p. 206, n. 33) qui fait référence à la thèse de Sally Humphreys tout en dénonçant l’excès des propositions de David Cohen. Charles GUERIN (2015, p. 40-41) se prononce aussi en faveur du compromis en ce qui concerne les témoins romains.

déclarer leur soutien. »249 Ainsi concernant Deinias, il ne pourrait être produit par Apollodore s’il

ne corroborait un élément précis, ici le mariage de l’orateur et de sa fille. Loin de diminuer la dimension d’attestation des témoignages, cet aspect la renforce au contraire : elle est ce qui permet de mettre en place la fonction de soutien. En outre, les témoins ne s’avèrent pas être ce qui donnera lieu à la « découverte » de la vérité. Leur rôle est au contraire de confirmer un développement déjà tenu : ils ne font rien apparaître. Surtout, ils ne révèlent en aucun cas la vérité, mais donnent seulement aux orateurs l’occasion de s’en réclamer. Il n’est donc pas question d’associer témoignage et vérité, mais de constater que les dépositions sont ce qui permet aux plaignants de faire accepter leurs démonstrations aux juges. C’est en cela qu’on peut parler de dispositif de vérité.

Cette perspective éclaire la référence au fait de dire la vérité fréquemment incluse dans les présentations des témoins : les orateurs déclarent à de nombreuses reprises que les témoins produits permettent de montrer qu’ils « disent la vérité ». Si plusieurs historiens et historiens du droit ont déjà remarqué cette expression dans le corpus attique – elle est d’ailleurs utilisée par David Mirhady contre la thèse de Sally Humphreys250 – aucun ne s’y est intéressé de façon

approfondie251. Par exemple, dans le Contre Timarque d’Eschine, discours qui s’efforce de montrer

que Timarque n’avait pas le droit de prendre la parole en public car il s’est prostitué, l’orateur fait référence au train de vie très coûteux de l’accusé et le démontre en parlant de la fortune d’Arizélos, le père de Timarque, récupérée par celui-ci à la mort de son père et dépensée pour subvenir à ses besoins (§ 97-100). Timarque est allé jusqu’à arrêter de verser de l’argent à son oncle sénile et aveugle, Arignôtos de Sphettos, alors qu’Arizélos s’occupait du patrimoine familial et prodiguait une sorte de pension alimentaire à son frère (§ 102-103). Timarque a même refusé d’aider cet oncle quand le vieillard a perdu temporairement sa pension d’invalidité, alors que l’accusé faisait partie du Conseil à ce moment-là (§ 104). De façon très logique, Eschine confirme ces points en appelant Arignôtos à témoigner. Il déclare alors252 :

249 CAREY 1997, p. 16 : « There is no reason to doubt that witnesses do offer moral support and that the identity, status and public record of a witness are set to the credit of the litigant. But it would be a mistake to suppose that the factual message is of no interest. Witnesses are always called to attest a fact, never merely to state their support. » Voir la conclusion de GUERIN (2015, p. 41) concernant la Rome antique : « On doit, en d’autres termes, distinguer témoin et témoignage : si le témoin peut effectivement apporter son soutien à une partie, son témoignage doit contenir des éléments factuels, et revêtir une fonction probatoire. »

250 MIRHADY 2002, p. 255 et 266.

251 BONNER (1905, p. 54) l’évoque comme « some brief remark » ; LEISI (1907, p. 93) la classe parmi « einige stehende Phrasen » ; MACDOWELL (1990, p. 302) y voit « a standard phrase for introducing witnesses » ; JOHNSTONE

(1999, p. 88) la mentionne comme « the common formula for introducing a deposition or document », même s’il tente une première approche statistique (n. 97) ; RUBINSTEIN (2005, p. 101) explique que « the witnesses are simply introduced by standard phrases such as ‘to confirm that what I say is true, please call the witnesses’ and other variations on this frustratingly familiar theme ».

« [Pour prouver] que je dis vrai, appelle-moi Arignôtos de Sphettos et lis sa déposition (ὅτι δ’ ἀληθῆ λέγω, κάλει μοι Ἀρίγνωτον τὸν Σφήττιον, καὶ τὴν μαρτυρίαν ἀναγίγνωσκε). »

L’orateur s’adresse ici à deux personnages différents : d’abord au héraut qui s’occupe de la tenue de la séance et gère donc les personnes qui montent à la tribune253 puis au greffier auquel a été donné l’ensemble des textes de preuve – témoignages, documents écrits, lois et décrets254.

Surtout, la formule ὅτι δ’ ἀληθῆ λέγω accorde vérité et parole du plaignant. Il n’est alors pas question de dire que le témoin atteste la vérité du fait en jeu, ce qui consisterait à suivre la rhétorique d’Eschine, mais qu’il est le moyen pour l’orateur de mettre en avant ses propos comme véridiques, ce qui revient à la distinction dressée par Michel Foucault : « On sait bien que, lorsque quelqu’un énonce quelque chose, il faut distinguer énoncé et énonciation ; de la même façon, lorsque quelqu’un affirme une vérité, il faut distinguer l’assertion (vraie ou fausse) et l’acte de dire vrai, la véridiction (le Wahrsagen, comme dirait Nietzsche). »255 En insistant sur la vérité de

leurs déclarations, les orateurs placent l’accent sur leur acte de « dire vrai ». C’est ce qui nous amène à nommer l’expression ὅτι δ’ ἀληθῆ λέγω la « formule de véridicité ».

Ce n’est d’ailleurs pas la seule fois dans le discours Contre Timarque que la formule est employée : deux autres dépositions sont convoquées avec la même expression (§ 100 et 115). La formule de véridicité apparaît comme récurrente dans les discours judiciaires – et ne s’y cantonne d’ailleurs pas256. Elle concerne ainsi cent-quarante-six convocations de dépositions (voir Tableau 14, p. 101)257, soit plus d’un tiers des quatre cents convocations de témoins. De plus, l’expression

n’est pas restreinte à ce type de preuve, puisqu’elle peut aussi introduire des textes législatifs ou des documents écrits, ni même aux éléments convoqués par le plaignant, dans la mesure où elle peut lancer un appel à la mémoire des juges ou un raisonnement logique. Mais les témoignages sont de loin ce qui en bénéficie le plus, avec près de cinq fois le nombre d’apparitions pour les décrets et lois, le deuxième groupe le plus représenté258. D’ailleurs, ce second ensemble n’est

introduit par la formule de véridicité que dans un peu plus d’une convocation sur sept, soit beaucoup moins que le tiers déjà établi pour les témoins. La distinction entre discours rédigés

253 Sur le héraut dans les contextes politique et judiciaire, voir GOBLOT-CAHEN 2005, p. 369-392. 254 Ernst LEISI (1907, p. 93-94) a bien décomposé ces différentes adresses.

255 FOUCAULT 2012, p. 8-9.

256 Il n’est cependant pas question d’élargir l’étude à l’ensemble des sources textuelles de l’Athènes classique. Constatons simplement que la formule de véridicité peut être employée par les historiens ou les philosophes : voir XENOPHON, Mémorables, IV, 3, 13 et PLATON, Protagoras, 342d4-5.

257 Soit cent-vingt-huit occurrences avec des témoignages seuls et dix-huit avec un autre élément ou un raisonnement. Il est encore possible d’ajouter à cette liste les témoins qu’aurait voulu produire le plaignant mais qui ne peuvent venir à la tribune : DEMOSTHENE, Contre Nééra (LIX), 26 ; ISEE, La succession d’Astyphilos (IX), 18 ; LYSIAS, Au sujet d’une accusation pour blessure (IV), 4. De même, la torture d’une servante est désirée mais impossible : DEMOSTHENE, Contre Évergos et Mnésiboulos (XLVII), 39.

258 Trente-trois occurrences au total : dix-neuf avec le texte législatif seul et quatorze avec un autre élément. Voir aussi DEMOSTHENE, Contre Polyclès (L), 65 : la loi n’est pas fournie, malgré la formulation explicite d’une convocation.

Éléments Nb Occurrences T ém o in s o u t ém o ig n ag es 128

ANDOCIDE, Sur les mystères (I), 18 ; 112 (§ 112 et 113) ; 123.

DEMOSTHENE, Sur la couronne (XVIII), 135 ; 137 ; Sur l’ambassade (XIX), 146 ; 165 ; 170 ; 176 ; 213 ; Contre Midias (XXI), 82 ; 107 ; 121 (§ 119 et 121) ; 174 ; Contre Aristogiton, I (XXV), 58 ; 62 ; Contre Aphobos, I (XXVII), 17 ; 26 ; 28 ; 39 ; III (XXIX), 18 ; 26 ; 53 ; Contre Onétor, II (XXXI), 4 ; Contre Zénothémis (XXXII), 19 ; Contre Apatourios (XXXIII), 8 ; 12 ; 13 ; 15 ; Contre Phormion (XXXIV), 15 ; Contre Lacritos (XXXV), 19 ; 23 (§ 22) ; Pour Phormion (XXXVI), 10 ; 13 ; 21 ; 22 ; 24 (§ 25) ; 35 ; Contre Panténétos (XXXVII), 8 ; 13 ; 31 ; Contre Nausimachos et Xénopeithès (XXXVIII), 13 ; Contre Bœotos, I (XXXIX), 24 ; II (XL), 7 ; 15 ; 18 ; 35 ; 52 ; Contre Macartatos (XLIII), 70 ; Contre Léocharès (XLIV), 30 ; Contre Stéphanos, I (XLV), 55 ; 60 (§ 58) ; Contre Évergos et Mnésiboulos (XLVII), 10 ; 27 ; 32 ; 44 ; 51 ; 61 ; 66 ; 67 ; Contre Timothée (XLIX), 33 (§ 18 et 33) ; 42 ; Contre Polyclès (L), 10 ; 28 ; 37 ; 56 ; Contre Callippos (LII), 7 (§ 7 et 8) ; 21 ; 31 ; Contre Nicostratos (LIII), 18 ; 20 ; 21 ; 25 ; Contre Conon (LIV), 9 ; 12 ; 29 ; Contre Euboulidès (LVII), 14 ; 27 ; 28 ; 43 ; Contre Théocrinès (LVIII), 8 ; 43 (§ 42) ; Contre Nééra (LIX), 23 ; 24 ; 32 ; 34 ; 40 ; 47 ; 48 ; 53 ; 61 ; 70 ; 84.

ESCHINE, Contre Timarque (I), 100 (§ 98) ; 104 ; Sur l’ambassade (II), 85 ; 107 ; 155.

ISEE, La succession de Cléonymos (I), 16 ; 32 ; La succession de Pyrrhos (III), 37 ; 56 ; La succession de Dikaiogénès (V), 2 ; La succession de Philoktémon (VI), 26 ; 34 ; 42 ; La succession d’Apollodoros (VII), 10 ; 17 ; 25 ; 28 ; 36 ; La succession de Kiron (VIII), 11 ; 17 ; 20 ; 24 ; 27 ; 42.

LYCURGUE, Contre Léocrate (I), 20.

LYSIAS, Contre Simon (III), 20 ; Contre Agoratos (XIII), 42 ; 66 [68] ; 68 [66] ; 81 ; Sur les biens d’Aristophane (XIX), 23 ; 26 ; Contre Pancléon (XXIII), 8 ; 14 ; Contre Philon (XXXI), 23.

Décrets et lois 19

DEMOSTHENE, Sur la couronne (XVIII), 115 ; Contre Leptine (XX), 115 ; Contre Stéphanos, II (XLV), 8 ; Contre Nééra (LIX), 104 (§ 93 et 104).

ESCHINE, Sur l’ambassade (II), 54-55 ; 73 ; Contre Ctésiphon (III), 15 ; 22 ; 30 ; 47 ; 68 ; 75 ; 101 ; 105 ; 124 ; 187.

ISEE, La succession de Philoktémon (VI), 50. LYSIAS, Contre Agoratos (XIII), 71 ; 72.

Textes écrits 4

DEMOSTHENE, Contre Aristocrate (XXIII), 183 (lettre) ; Contre Panténétos (XXXVII), 43 (sommation) ; Contre Bœotos, I (XXXIX), 38 (opposition et plainte) ; Contre Dionysodoros (LVI), 17 (sommation). F ai ts e t ra is o n n em en ts 21

DEMOSTHENE, Contre Leptine (XX), 114 ; Contre Timocrate (XXIV), 117 ; 146 ; Contre Aphobos, I (XXVII), 54 ; Pour Phormion (XXXVI), 32 ; 42 ; Contre Évergos et Mnésiboulos (XLVII), 77 ; Contre Timothée (XLIX), 21 ; 35 ; 45 ; 48 ; Contre Polyclès (L), 11.

ESCHINE, Contre Ctésiphon (III), 46 ; 177.

ISEE, La succession de Ménéclès (II), 38 ; La succession de Dikaiogénès (V), 26 ; La succession d’Aristarchos (X), 16 ; La succession d’Hagnias (XI), 1.

ISOCRATE, Sur l’échange (XV), 76 ; Contre Euthynous (XXI), 14. LYSIAS, Sur les biens d’Aristophane (XIX), 19.

Juges 7

ANDOCIDE, Sur les mystères (I), 69.

DEMOSTHENE,Philippiques,III(IX),41;ContreMidias(XXI),167 ;ContreAristocrate(XXIII),168. ESCHINE, Contre Timarque (I), 44 ; 65.

LYSIAS, Défense d’un anonyme accusé de corruption (XXI), 10.

Autres 5

ESCHINE, Sur l’ambassade (II), 143 (synégore) ; Contre Ctésiphon (III), 70 (résolution) ; 112 (oracle) ; 184-185 (trois inscriptions).

ISEE, La succession de Pyrrhos (III), 14 (témoignage comme document judiciaire).

C o n vo ca ti o n s m u lt ip le s 11 9-

Témoignage et loi ou décret : DEMOSTHENE, Contre Midias (XXI), 93-94 (§ 93) ; Contre Phormion (XXXIV), 37 ; Contre Évergos et Mnésiboulos (XLVII), 24 (un décret et une loi) ; Contre Polyclès (L), 13 ; ESCHINE, Sur l’ambassade (II), 19 ; 46 ; 170 ; HYPERIDE, Contre Athénogène (IV), 33 (un décret et une loi) ; ISEE, La succession de Ménéclès (II), 16.

1 Témoignage, décret et lettres : DEMOSTHENE, Contre Aristocrate (XXIII), 151.

6

Témoignage et sommation : DEMOSTHENE, Contre Aphobos, III (XXIX), 21 ; Contre Bœotos, II (XL), 44 ; ESCHINE, Sur l’ambassade (II), 127 (§ 126).

Témoignage et convention : ESCHINE, Contre Timarque (I), 115.

Témoignage et lettre : ESCHINE, Sur l’ambassade (II), 134.

Témoignage et sentence arbitrale : DEMOSTHENE, Pour Phormion (XXXVI), 16.

2 Témoignage et faits : DEMOSTHENE, Contre Callippos (LII), 16 ; Contre Calliclès (LV), 14 (§ 12).

2-1 Décrets et lettre : DEMOSTHENE, Sur l’ambassade (XIX), 161 (deux décrets).

1 Opposition et plainte : DEMOSTHENE, Contre Bœotos, I (XXXIX), 38.

pour des procès publics ou privés fait certes quelque peu varier ces pourcentages (voir Tableau 15, p. 106), mais elle montre surtout que le type de plaidoirie n’a qu’une très faible incidence sur le taux d’apparition de la formule – au contraire des variations plus importantes pour l’appel des témoins en général : les pourcentages des dépositions et des textes législatifs présentent les mêmes ordres de grandeur dans les discours civils et politiques259.

En outre, dans le total de près de cent-cinquante convocations où des témoignages sont introduits par la formule de véridicité, les dépositions sont fournies dans quinze passages avec un autre type d’élément, comme une loi, une sommation ou une lettre (voir Tableau 14). Certes, l’expression concerne alors les deux preuves et pas uniquement les témoins. Mais cela n’affaiblit pas pour autant la place des témoignages dans la formule de véridicité. En effet, sur l’ensemble des cas où plusieurs documents sont fournis avec la formule ὅτι δ’ ἀληθῆ λέγω, deux seulement ne contiennent pas de témoignage. L’utilisation de l’expression pour plusieurs éléments fournis apparaît donc essentiellement liée à la convocation des dépositions. D’ailleurs, dans La succession de

Ménéclès d’Isée, la distinction est clairement effectuée entre les différents éléments demandés au

greffier. Le beau-frère de Ménéclès essaie de récupérer l’héritage de ce dernier en arguant du fait qu’il a été adopté par le défunt qui n’avait pas d’enfant. Le plaignant explique la situation puis déclare260 :

« Et [pour prouver] que je dis vrai sur ces choses (καὶ ὡς ἀληθῆ λέγω ταῦτα), je vous fournirai comme témoins (παρέξομαι μάρτυρας) de l’adoption les membres de la phratrie, de la confrérie et du dème, puis, qu’il était permis d’être adopté (ὡς δ’ ἐξῆν ποιήσασθαι), vous sera lue la loi (τὸν νόμον αὐτὸν ὑμῖν ἀναγνώσεται) conformément à laquelle l’adoption a eu lieu. Lis-moi ces témoignages et la loi (καί μοι τὰς μαρτυρίας ἀνάγνωθι ταύτας καὶ τὸν νόμον). »

Si la déposition est introduite par la formule de véridicité (καὶ ὡς ἀληθῆ λέγω ταῦτα), la phrase s’interrompt avec la rupture syntaxique signalée par δέ et la loi est convoquée au moyen d’une proposition commençant seulement par ὡς. L’orateur n’insiste pas sur le lien de la loi à la vérité. Il est fort probable que l’ensemble des formules de véridicité présentant deux ou trois documents dont un témoin est utilisée du fait de la présence du témoignage. Le dispositif de vérité est principalement déployé par rapport aux témoins.

De plus, si la formule est réduite à sa forme élémentaire dans le passage d’Eschine analysé plus tôt, la citation d’Isée s’en écarte légèrement avec la substitution de ὅτι par ὡς et l’ajout du pronom ταῦτα, qui fait référence aux points mentionnés plus tôt dans le discours. Comme le note Vittorio de Falco, ce démonstratif est utile pour ne pas faire le détail des points évoqués plus

259 Les statistiques laissent même percevoir que la formule de véridicité est un peu plus utilisée, en valeur relative, dans les discours prononcés dans des procès publics. La différence est donc notable par rapport aux témoins en général.

tôt dans la démonstration261 – même si les orateurs peuvent aussi préférer rappeler ces points.Ces

deux alternatives sont les premières d’une longue liste de variations dans l’ensemble du corpus judiciaire. Les subordonnants ὅτι et ὡς peuvent par exemple être remplacés par εἰ chez Andocide262. Ταῦτα est lui complété à quelques reprises par πάντα ou ἅπαντα263. Plusieurs

conjonctions de coordination ou connecteurs logiques tels ἀλλὰ μήν, καί, οὖν, τοίνυν et

πρῶτον264 peuvent être ajoutés ou non, de même que μέν et δέ sont choisis alternativement. Ils permettent d’effectuer la transition entre les faits inclus dans la narration et la preuve apportée, comme l’explique Denniston à propos d’ἀλλὰ μὴν265. L’indication πρὸς ὑμᾶς, « envers vous », peut aussi être employée, bien que rarement, à destination des juges266. Les deux mots principaux

(ἀληθῆ λέγω) ne sont quant à eux que très peu remaniés, avec des variations d’aspect sur le verbe

λέγειν267 ou le passage à ἐστι pour signifier « que c’est vrai », en particulier chez Lysias268, et une occurrence dans laquelle οὐδὲν ψεῦδος se substitue à ἀληθῆ269. Si de telles modifications ne font pas changer le sens de la formule, elles permettent de tenter une analyse diachronique : alors que l’expression est encore très disparate chez les premiers orateurs, comme Andocide et Lysias, elle se codifie progressivement, avec un usage pratiquement unifié chez Eschine. Il est possible de faire l’hypothèse qu’elle est encore utilisée pour sa signification propre au début de la période, mais devient progressivement un lieu commun.

Enfin, cette partie de phrase semble elliptique, au point que les traducteurs ont souvent comblé ce manque dans la version des discours qu’ils proposent. Victor Martin et Guy de Budé, dans la traduction des éditions Belles Lettres d’Eschine, ont par exemple rendu le début du passage analysé précédemment par « pour faire la preuve de ce que j’avance,… ». L’idée est généralement la même chez tous les traducteurs français, avec des formules telles que « pour prouver ce que je dis… » ou « en preuve de cela… ». C’est néanmoins simplifier le problème. Les

261 DE FALCO 1947 (éd.), p. 194-195 : « Efficace brachilogia, frequente negli oratori. »

262 Voir ANDOCIDE, Sur les mystères (I), 18 ; 24 ; 64 ; 69 ; 112. Seuls les paragraphes 18 et 112 concernent des témoignages.

263 Voir DEMOSTHENE, Contre Timothée (XLIX), 33 ; Contre Polyclès (L), 28 ; Contre Callippos (LII), 7 ; Contre Nééra (LIX), 70 ; ISEE, La succession de Kiron (VIII), 17.

264 Voir MACDOWELL 1990 (éd.), p. 245 sur le complément πρῶτον/πρώτην : « It may mean merely that this is the first testimony presented in the speech as a whole. » Voir cependant DEMOSTHENE, Contre Léocharès (XLIV), 30. 265 DENNISTON 1978 (1934), p. 346 : « Demosthenes and Isaeus (not, I think, any of the other orators, who prefer