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Cachets et témoins semblent alors constituer un mode d’accréditation des documents écrits, dont ils assurent tous deux l’authenticité. Comment expliquer cette double possibilité ? Fonctionnent-ils en parallèle sans jamais interférer ou, au contraire, s’articulent-ils entre eux ? L’hypothèse de deux pratiques cloisonnées est démentie par la plupart des occurrences où des sceaux sont mentionnés : des témoins instrumentaires sont fréquemment convoqués au moment où des documents sont scellés. Par exemple, le prêt – examiné précédemment – contracté entre Artémon le frère de Lacritos et le plaignant Androclès est certes validé par les témoins appelés au tribunal, mais est aussi décrit comme scellé155 :

« [Ce contrat], selon lequel je prêtais l’argent, c’est lui-même qui l’a rédigé (γράφοντος) et l’a scellé avec moi (συσσημηναμένου) après l’avoir écrit. »

Des sceaux ont donc été apposés sur un document à propos duquel des témoins ont fourni une déposition au tribunal. Et, dans la mesure où cette explication est placée juste après les deux déclarations du dépositaire Archénomidès et des cinq témoins Théodotos, Charinos, Phormion, Képhisodotos et Héliodoros, il est impossible que le plaignant y voit une redondance. Comment comprendre cette double attestation ? La solution peut provenir de l’expression τὴν συγγραφὴν ταύτην, qui débute la première phrase succédant aux dépositions. Tout d’abord, le renvoi au contrat, comme si les témoignages n’avaient pas été mentionnés, montrent bien le statut particulier des témoins : ils ne sont là que pour valider l’existence du prêt et, une fois celle- ci démontrée, ils n’ont plus de raison d’être, à part bien sûr si l’adversaire remet en cause ce point spécifique. De plus, le déictique ταύτην sert à mettre en lumière le texte qui a été lu aux juges : c’est ce contrat précis, et pas un autre, qui a été rédigé et scellé par les deux parties. Androclès indique donc qu’il s’agit de l’original. Apparaît par conséquent une vraie complémentarité entre ces deux mécanismes de validation : si les témoins prouvent qu’une convention a été établie entre les deux parties, les cachets démontrent que le texte de cet accord est resté inchangé, c’est-à-dire qu’il est conforme aux dispositions prises devant les témoins. La fonction des sceaux est donc de conserver ce qui est inscrit dans le document, attribution proche de celle des dépositaires, mais pas identique pour autant : les sceaux garantissent que le document n’a pas été ouvert et les dépositaires valident le fait que personne n’a falsifié les sceaux.

Le fait que les témoins ne se chargent que d’attester l’existence des actes écrits peut même être retourné contre eux par les plaignants. Ainsi, dans le discours concernant La succession de

Nicostratos, le synégore qui défend Hagnon et Hagnothéos doit faire face à Chariadès, soldat

proche de Nicostratos, qui présente le testament du défunt. Tout le discours vise donc à décrédibiliser la portée de ce type de document156. Dans cette optique, la plaidoirie composée par

Isée se tourne contre les témoins qui confirment l’authenticité du document157 : « La plupart des

testateurs ne disent même pas à ceux qui sont présents la teneur de leur dispositions ; ils les font venir seulement comme témoins de l’existence d’un testament. » Si Ernst Leisi imagine à partir de cette occurrence que, « pour rendre plus sûre l’intégrité du testament, le testateur pouvait informer les témoins de son contenu »158, aucune source ne vient valider cette hypothèse. Il convient néanmoins de rappeler que le plaignant lui-même avoue, en commençant sa diatribe contre les déposants, que cette infériorité des témoins vis-à-vis des arguments logiques n’est qu’une exception réservée aux affaires judiciaires (§ 12). Mais il a déjà été expliqué que le plaignant n’évoque ce caractère extraordinaire que parce que les juges sont plutôt disposés à donner l’avantage aux dépositions : il essaie d’introduire dans leur esprit une entorse à la règle générale, entorse qu’il peut créer de toute pièce. Cette accusation doit donc être envisagée comme une manœuvre procédant du dispositif de vérité, qui permet de renverser un argument à son profit à partir de postulats non discutés. Ici, ces postulats concernent les témoins : ils ne sont utiles que pour confirmer l’existence d’un testament, pas son contenu.

La complémentarité entre sceaux et témoins est bien illustrée dans le Contre Spoudias de Démosthène, discours dans lequel le plaignant anonyme s’oppose à Spoudias par rapport à la succession de Polyeucte, dont ils sont tous les deux gendres. Le client de Démosthène déclare que son adversaire s’accapare plus de biens que lui, dans la mesure où Spoudias avait déjà, avant la mort de Polyeucte, une dette de 2 mines – soit 200 drachmes – envers Polyeucte (§ 9) et un emprunt de 1 800 drachmes avec l’épouse de Polyeucte159 : les sommes sont niées par Spoudias

afin de ne pas les comptabiliser dans le calcul de l’héritage. Les « écrits » (γράμματα), c’est-à-dire probablement le contrat de l’épouse de Polyeucte, sont produits au tribunal (§ 10), avec le témoignage d’Aristogénès, qui est certes celui qui a recueilli les paroles de Polyeucte au moment de sa mort (§ 8), mais qui se révèle plus tard être aussi le dépositaire de l’acte (§ 21). Sa déposition sert donc à confirmer l’authenticité de l’acte de l’épouse de Polyeucte.

156 Il a déjà été question de la critique des témoins au profit des vraisemblances dans le chapitre « L’ère des témoins ». 157 ISEE, La succession de Nicostratos (IV), 13.

158 LEISI 1907, p. 145 : « Um die Integrität des Testamentes zu sichern, konnte der Testator die Zeugen von seinem Inhalt in Kenntnis setzen. »

159 Le point le plus important concerne par conséquent l’emprunt effectué auprès de la femme de Polyeucte. C’est ce qui explique qu’il va surtout en être question dans la suite du réquisitoire.

Cependant, cette affaire est un peu plus complexe et ces deux éléments ne suffisent pas. En effet, comme l’expose le plaignant, l’acte a été recopié pour être transmis au tribunal, ce qui implique qu’il a été ouvert et refermé160 :

« Car ces écrits (γράμματα), c’est l’épouse de Polyeucte qui les a laissés, comme je l’ai dit rapidement tout à l’heure, et, les sceaux (σημείων) ayant été reconnus (ὁμολογουμένων) par sa femme et par la mienne, les deux parties étant présentes, nous les avons ouverts (ἀνοίξαντες) et nous en avons pris copie (ἀντίγραφά ἐλάβομεν) ; puis, les ayant scellés (κατασημηνάμενοι) à nouveau, nous les avons déposés chez Aristogénès. Retenez bien cela, juges, par les dieux. Il y était question d’une part de deux mines, prix de l’esclave – ce n’est donc pas seulement Polyeucte, au moment de sa mort, qui a porté cette charge ; d’autre part il y était question des 1 800 drachmes. […] Pourquoi a-t-il scellé à nouveau avec moi (συνεσημαίνετο) des actes qui étaient sans valeur et contraires à la vérité (τὰ μηδὲν ὑγιὲς ὄντα μηδ’ ἀληθῆ γράμματα) ? » »

L’idée que développe l’argumentation est simple161 : Spoudias a scellé le document après l’avoir lu, ce qui montre qu’il l’a reconnu comme véridique. Il serait illogique qu’il ait scellé à nouveau un acte mensonger (μηδ’ ἀληθῆ). Il est même dit par la suite que cela constitue une « preuve » (σημεῖον)162 – l’emploi de

σημεῖον pour signifier « preuve », alors qu’il a été utilisé pour désigner les sceaux (§ 21), montre au passage l’ambivalence possible du terme. Cela pourrait apparaître comme un raisonnement purement théorique, mais l’idée est souvent exprimée dans les procès athéniens qu’en ne protestant pas tout de suite une personne acquiesce à la déclaration faite163. Le plaignant anonyme achève ainsi164 : « Le voilà convaincu (

ἐξελέγχεσθαι) par lui-même (ὑφ' αὑτοῦ) sur tout ce qui a eu lieu. Prends-moi le témoignage (τὴν μαρτυρίαν) sur le fait que les sceaux (σημεῖα) des écrits ont été reconnus (ὡμολογεῖτο) alors par son épouse et sont déposés marqués du sceau (κατασημανθέντα κεῖται) de Spoudias. » Outre l’objectif dialectique du plaignant, la procédure décrite dans l’ensemble du passage connaît de multiples étapes. Tout d’abord, l’épouse de Polyeucte a laissé un document écrit dans lequel sont consignées les deux sommes dues par Spoudias. Ce document porte des sceaux, dont les propriétaires ne sont pas indiqués. Si le prêt était contracté par un homme, Polyeucte par exemple, il ne ferait aucun doute qu’une des empreintes ait été la sienne, accompagnée de celle de Spoudias. Il est par conséquent possible d’envisager qu’un des cachets provienne de la bague de l’épouse de Polyeucte, l’autre

160 DEMOSTHENE, Contre Spoudias (XLI), 21-22.

161 Elle est d’ailleurs déjà employée aux § 17-18, au sujet du testament de Polyeucte : ni Spoudias ni sa femme n’ont fait d’objection au testament avant la mort de Polyeucte, ils l’ont donc déjà accepté comme authentique.

162 DEMOSTHENE, Contre Spoudias (XLI), 23.

163 Dans un certain nombre de passages, les orateurs appellent eux-mêmes leurs adversaires à les contredire directement : voir ANDOCIDE, Sur les mystères (I), 23 ; 35 ; 55 ; DEMOSTHENE, Olynthiennes, II (II), 8 ; Sur la couronne (XVIII), 112 ; 139 ; 150 ; Sur l’ambassade (XIX), 32 ; 57 ; 117 ; Contre Polyclès (L), 2-3 ; Contre Euboulidès (LVII), 61 ; ESCHINE, Sur l’ambassade (II), 59 ; ISOCRATE, Sur l’échange (XV), 100 ; LYSIAS, Pour Polystratos (XX), 11 ; Pour l’invalide (XXIV), 24 ; Pour un citoyen accusé de menées contre la démocratie (XXV), 14. La pratique est donc partagée par la plupart des orateurs et à travers l’ensemble de la période.

provenant de celle de Spoudias165. Ces cachets ont été reconnus par les épouses des deux

adversaires, c’est-à-dire les deux filles de Polyeucte, au moment d’une entrevue où sont également présents les deux gendres et les témoins instrumentaires, qui sont convoqués à la fin de cette partie de la démonstration (§ 24). Le document est lu, recopié, scellé à nouveau et déposé chez Aristogénès. Les sceaux apposés sur le document sont alors ceux de Spoudias (§ 24) et donc sûrement aussi du plaignant, mais probablement pas des deux filles, puisque le cachet de l’épouse de Spoudias aurait été mentionné.

Que signifie exactement « reconnaître » des sceaux et « ouvrir » des documents ? Si les termes sont proches de ceux qui peuvent être employés aujourd’hui, il convient de ne pas faire un amalgame par anachronisme : ces actes impliquent des gestes et des comportements sur lesquels il ne faut pas plaquer nos pratiques actuelles166. Il est malheureusement très difficile d’atteindre la

gestuelle qui peut se cacher derrière le terme ὁμολογεῖν : les femmes ont-elles simplement observé les sceaux pour les comparer au souvenir qu’elles avaient du cachet de leur mère ou de leur père ? Ont-elles apporté les bagues de leurs parents qu’elles auraient conservées ? Ont-elles inséré le chaton dans l’empreinte pour vérifier l’imbrication exacte ? Toutes ces questions ne trouvent aucune réponse dans l’ensemble des discours préservés167.

Au sujet de l’ouverture, une interrogation peut être examinée : qu’est-ce qui précisément est « ouvert (ἀνοιγνύναι) » (§ 21) : le sceau ou le document ? Cela fait retour au sceau de Thersis sur lequel il est inscrit « ne m’ouvre pas » avec le même verbe : quel est l’objet parlant dans ce cas, le cachet ou son support ? Chez les orateurs, à l’exception d’une seule mention168, toutes les occurrences du verbe ἀνοιγνύναι se rapportent au support sur lequel est apposé le sceau169. Le principe semble assez bien exposé par un passage du Contre Phénippos de Démosthène, discours dans lequel le plaignant reproche à son adversaire Phénippos d’avoir détruit les sceaux fixés sur les portes de sa propriété, pour soustraire des biens à la procédure d’échange170 :

165 Cela ne peut être qu’une hypothèse, puisqu’aucun sceau appartenant à une femme sans charge publique n’est évoqué dans les autres discours : il n’est question que du sceau de la prêtresse dans un fragment de Lycurgue (Sur la prêtresse (Fragments, IV), 3 (Bl. 31)) rapporté par la SOUDA (Σ1675, s.v. συσσημαίνεσθαι). Dans les sources textuelles d’époque classique, seules les tragédies mentionnent des cachets dont les propriétaires sont des femmes, des reines en l’occurrence : Déjanire dans SOPHOCLE, Les Trachiniennes, v. 614-615 ; Phèdre dans EURIPIDE, Hippolyte, v. 864 ; Hélène dans EURIPIDE, Oreste, v. 1108.

166 Par exemple, dans l’opéra Otello mis en musique par Verdi sur un livret d’Arrigo Boito, la reconnaissance par Othello du sceau sur la lettre apportée de Venise par l’ambassadeur Lodovico a lieu à travers une gestuelle très spécifique (acte III, scène 7) : « Io bacio il segno della sovrana Maestà. »

167 Sur l’étude des gestes dans les plaidoyers, voir le chapitre « Orators » dans BOEGEHOLD 1999, p. 78-93 : l’ouvrage montre les nombreuses hypothèses possibles, mais aussi le peu de résultats assurés qu’il est permis d’atteindre. 168 DEMOSTHENE, Contre Phénippos (XLII), 30. Ce n’est cependant pas le seul cas dans l’ensemble des textes d’époque classique : voir EURIPIDE, Iphigénie à Aulis, v. 326 ; XENOPHON, République des Lacédémoniens, VI, 4.

169 Pour les documents, voir DEMOSTHENE, Contre Panténétos (XXXVII), 42 ; Contre Olympiodoros (XLVIII), 50. Pour les bâtiments ou contenants, voir DEMOSTHENE, Contre Phénippos (XLII), 2 ; 8 ; 26 ; ISOCRATE, Trapézitique (XVII), 33-34.

« J’avais scellé (παρεσημηνάμην τὰ οἰκήματα) les bâtiments, comme la loi m’y autorisait : lui il a les ouvert (ἀνέῳξεν). Il reconnaît d’une part avoir enlevé le sceau (τὸ μὲν ἀφελεῖν τὸ σημεῖον ὁμολογεῖ), mais d’autre part il ne reconnaît pas avoir ouvert la porte (τὸ δ' ἀνοῖξαι τὴν θύραν οὐχ ὁμολογεῖ), comme si quelqu’un enlevait les sceaux (τὰ σημεῖα ἀφαιροῦντας) pour autre chose que pour ouvrir les portes (τὰς θύρας ἀνοῖξαι). »

Les sceaux sont « enlevés » (ἀφαιρεῖν), tandis que les portes sont « ouvertes » (ἀνοιγνύναι). Le terme ἀνοίξαντες dans le Contre Spoudias (§ 21) ne se rapporte donc pas aux sceaux reconnus par les filles de Polyeucte mais à l’écrit laissé par son épouse. Surtout, l’ensemble de la procédure témoigne du fait que l’ouverture du document constitue un moment périlleux. Comme le souligne Christophe Pébarthe171, les originaux sont extrêmement importants pour les

contrats et testaments écrits. Or ce sont les cachets qui y sont affixés qui donnent à ces textes leur valeur d’originaux. Rompre les sceaux correspond à mettre en péril leur validité, à tel point d’ailleurs que le verbe λύειν, qui signifie l’ouverture, peut aussi désigner l’annulation d’un acte172. Le système élaboré pour pallier ce risque est assez complexe mais apparaît axé autour des témoins : c’est grâce aux individus amenés par les plaignants que peut être assurée la jonction entre les deux documents scellés, c’est-à-dire le moment où précisément l’acte n’est plus garanti par les cachets. Les témoins instrumentaires assurent la continuité de l’authenticité malgré la discontinuité des sceaux. Ils sont par conséquent convoqués au tribunal au § 24 pour en attester. Les témoins sont donc appelés à chaque occasion où les sceaux sont manipulés : à l’apposition originelle évidemment, mais aussi quand les sceaux sont brisés pour prendre copie de l’acte173.

Néanmoins, une différence fondamentale entre témoins et sceaux semble émerger des démonstrations précédentes : les premiers sont produits devant les juges, les seconds sont seulement évoqués dans le discours. Est-il alors certain que les cachets ne sont pas présentés au tribunal ? Ainsi, parmi les nombreuses remises en cause du testament de Pasion donné par Phormion, Apollodore déclare au sujet des déposants, dont fait partie Stéphanos174 :

171 PEBARTHE 2006, p. 326-328. Il interprète d’ailleurs la situation du Contre Spoudias comme une procédure visant à garantir l’authenticité de l’acte, tout en laissant quand même la possibilité de lire ce qu’il y est écrit (p. 327).

172 Pour λῦσαι, voir ISEE, La succession de Cléonymos (I), 18 ; La succession de Philoktémon (VI), 33. L’annulation est la plupart du temps exprimée par le verbe ἀναιρεῖσθαι, synonyme d’ἄκυρον ποιεῖν : DEMOSTHENE, Contre Apatourios (XXXIII), 12 ; Contre Olympiodoros (XLVIII), 46-47 ; Contre Dionysodoros (LVI), 14-15 ; ISEE, La succession de Cléonymos (I), 14 ; 18 ; 21 ; 25 ; 42 ; La succession de Philoktémon (VI), 30-32 ; ISOCRATE, Trapézitique (XVII), 32. GERNET (1957 (éd.), p. 244, n. 2) déclare au sujet du verbe dans le Contre Olympiodoros : « Ἀναιρεῖσθαι, c’est proprement reprendre un acte déposé ; mais l’idée d’annulation (par suppression de l’écrit) y est souvent implicite. »

173 Ils sont aussi présents lors de l’annulation des actes – qui entraîne la destruction des sceaux –, comme c’est le cas dans La succession de Philoktémon d’Isée, quand Euktémon est persuadé par Androclès d’annuler le testament qu’il avait établi après la mort de Philoktémon : Euktémon commence par demander l’acte au dépositaire Pythodoros (§ 31), puis annule le testament, en présence de Phanostratos, le père de Chairestratos et par conséquent beau-fils d’Euktémon, et du représentant légal de la fille de Chairéas, l’autre beau-fils d’Euktémon du fait du mariage avec sa fille aînée – c’est-à-dire les deux parties auxquelles profitaient précédemment la succession –, mais aussi de « nombreux témoins (πολλοὺς μάρτυρας) » (§ 32).

« Mais ceux-ci ont témoigné que l’acte a été présenté par Amphias devant l’arbitre. Si vraiment c’était la vérité (οὐκοῦν εἴπερ ἀληθὲς ἦν), il fallait verser l’acte lui-même (αὐτὸ τὸ γραμματεῖον) dans l’urne et faire déposer celui qui le présentait (τὸν παρέχοντα), pour que les juges connaissent le fait à partir de la vérité et en constatant les sceaux (ἵν’ ἐκ τῆς ἀληθείας καὶ τοῦ τὰ σημεῖ’ ἰδεῖν οἱ μὲν δικασταὶ τὸ πρᾶγμ’ ἔγνωσαν) ; quant à moi, si quelqu’un me faisait tort, j’avais un recours contre lui. »

Apollodore cherche ainsi à décrédibiliser le document transmis par Phormion, en soutenant qu’il n’est qu’une copie. L’argument semble purement rhétorique, puisque, selon le témoignage de Stéphanos, c’est Apollodore qui a refusé la sommation visant à convoquer l’original. Le plaignant joue, comme tout le long du procès, sur le fait que chaque témoin a attesté une partie des éléments du testament, sans qu’aucun ne se charge de l’attestation globale du testament. Mais au-delà de ces considérations spécifiques, Apollodore expose la procédure mise en place quand un acte original est présenté : une fois le texte placé dans l’urne de l’arbitrage préliminaire, dont le magistrat transmet les preuves au tribunal, celui-ci est produit aux yeux des juges et le dépositaire témoigne. Cela correspond en tous points à ce qui a été détaillé plus tôt, mais il est fait également référence à un autre élément : l’acte n’est pas uniquement fourni pour la lecture de ses conditions, il permet également de contrôler les scellés qui lui sont affixés.

Tous les documents convoqués par les plaignants pourraient-ils alors contenir des sceaux et avoir été fournis en partie afin que ces derniers soient constatés ? Une telle généralisation pose évidemment problème. Parfois, il ne peut s’agir que de copies, comme c’est le cas pour une convention dans le Contre Olympiodoros, le plaignant Callistratos ayant conclu un accord avec Olympiodoros pour s’accaparer la succession de Comon, accord que n’aurait pas respecté l’adversaire175 : « Moi je lui ai fait sommation et je lui ai demandé de me suivre chez Aristocleidès,

chez qui étaient laissées les conventions, afin qu’ayant pris copie (ἐκγραψαμένους) ensemble des conventions qui seraient ensuite scellées à nouveau (πάλιν σημήνασθαι), nous déposions la copie (ἀντίγραφα) dans l’urne, de sorte qu’il n’y ait rien de suspect, mais que, ayant bien et justement (καλῶς καὶ δικαίως) tout écouté, vous ayez connaissance de ce qui vous semble le plus juste (δικαιότατον). » Pour autant, Callistratos propose finalement de présenter l’original aux juges176 :

« Moi, je lui ai déjà fait sommation en présence de témoins qui se trouvaient là, et je lui fais aujourd’hui à nouveau sommation en présence de vous, juges, et je demande qu’il accepte, comme j’accepte moi-même, que soit ouvertes (ἀνοιχθῆναι) les conventions (τὰς συνθήκας) ici, devant le tribunal, que vous en entendiez lecture et qu’elles soient à nouveau scellées (πάλιν σημανθῆναι) en votre présence. » Les juges joueraient alors le rôle des témoins instrumentaires présents dans la procédure du Contre Spoudias. Il s’agit évidemment d’une formulation rhétorique,

175 DEMOSTHENE, Contre Olympiodoros (XLVIII), 48. 176 DEMOSTHENE, Contre Olympiodoros (XLVIII), 50.

qui ne peut être prise au sérieux177. Elle illustre néanmoins l’importance d’une assistance lors de

l’ouverture d’un document scellé. L’ensemble du passage montre en tout cas que les écrits produits lors des procès peuvent être des copies tout autant que les actes originaux, à partir du moment où la succession des garanties que représente l’imbrication des sceaux et des témoins a été respectée.