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Outre les témoins, les sceaux sont un moyen important de donner aux actes écrits le statut de preuve. Ainsi, dans les plaidoyers attiques, quinze documents et six « contenants », c’est- à-dire espaces ou récipients pouvant contenir des biens ou des objets, sont mentionnés comme étantscellés(voirTableau 20,p. 127)104.Laprésencedebâtimentsetd’urnesdanscettelistepermet

de rappeler qu’en Grèce ancienne tout ce qui peut renfermer quelque chose peut se voir apposer un cachet pour en garantir la préservation – ce qui conduit d’ailleurs les sceaux à être fixés sur des éléments très variés dans d’autres sources, notamment dans les comédies d’Aristophane105.

L’idée d’un sceau comme partie probante d’un document écrit est bien visible dans le discours de Démosthène Contre Apatourios. L’affaire commerciale initiale n’est pas très complexe mais a connu de multiples rebondissements. Au départ, le plaignant anonyme a entretenu des relations d’affaires avec Apatourios, marchand byzantin auquel il a prêté de l’argent ainsi qu’à Parménon, ce qui tourne mal et débouche sur un procès intenté par Apatourios à Parménon. Après avoir remporté le cas grâce à un jugement par défaut, Apatourios se reporte contre le plaignant car il a joué le rôle d’arbitre, et probablement de caution, dans la procédure entre Apatourios et Parménon et n’aurait pas fait respecter l’arbitrage contre Parménon. Le plaignant intente alors une παραγραφή, c’est-à-dire une exception qui examine la recevabilité de la plainte d’Apatourios : l’arbitrage n’est selon lui plus exécutoire depuis le moment où l’acte a été perdu, ce qui invalide l’accusation. Après avoir donné tous ses arguments contre son adversaire, le plaignant anonyme évoque, pour s’en défendre à l’avance – puisque la παραγραφή implique qu’il parle le premier –, la possibilité que son adversaire affirme que lui, le plaignant, a bien été caution du compromis entre Apatourios et Parménon. Il déclare106 :

« Répondez-lui à cette occasion que tous les hommes (πάντες ἄνθρωποι), quand ils établissent un contrat (συγγραφάς) les uns avec les autres, scellent (σημηνάμενοι) l’acte et le déposent chez quelqu’un dans lequel ils ont confiance (τίθενται παρ’ οἷς ἂν πιστεύσωσιν), c’est pour qu’ils puissent, s’ils entrent en contradiction (ἀντιλέγωσιν), se reporter au texte et faire l’examen (ἔλεγχον) de l’objet de la dispute. Mais, quand quelqu’un a fait disparaître ce qui fait foi et tente de tromper (ἐξαπατᾶν) les juges par des discours, comment lui faire confiance avec raison (πῶς ἂν δικαίως πιστεύοιτε) ? »

104 Si ce nombre n’est pas négligeable, la mention des sceaux est toutefois moins récurrente que l’appel de témoins, ce qui explique que les cachets soient commentés après les dépositions, alors qu’ils sont employés en même temps. 105 Ainsi, un panier est scellé dans ARISTOPHANE, Amphiaraos (Fragments, 28, dans POLLUX, X, 180). Dans les Oiseaux (v. 550-560), l’apposition des sceaux est même envisagée sur le phallus des dieux masculins cherchant à traverser la frontière qu’institue Pisthétairos. De même, dans ESCHYLE, Agamemnon (v. 606-612), il est peut-être fait allusion au vagin de Clytemnestre quand la reine dit qu’Agamemnon retrouvera à son retour sa maison et sa femme telles qu’il les a laissées, les scellés n’ayant pas été violés. Voir THOMSON 1966 (1938) (éd.), p. 54 ; LLOYD-JONES 1979 (1970) (éd.), p. 50. Ce point a été débattu : voir à l’inverse FRAENKEL 1978 (1950) (éd.), II, p. 302.

La confiance en l’acte écrit (πίστις) est fondée sur le sceau apposé sur le document et sur le dépositaire qui en tient la garde. Tous les deux concourent au même objectif : conserver la convention pour pouvoir s’y référer en cas de contestation107. Démosthène en fait même une

règle générale, à laquelle souscrivent « tous les hommes » (πάντες ἄνθρωποι). Il s’agit évidemment d’une stratégie rhétorique, qui construit une pratique coutumière et mise en œuvre par tous pour l’opposer au comportement de l’adversaire et lui refuser ainsi toute créance. La narration a effectivement exposé l’établissement du compromis (§ 14-15), puis la demande de l’acte par Parménon après un conflit sur les conditions (§ 16-17) et enfin la perte déclarée par Aristoclès, second dépositaire de la convention mais aussi caution d’Apatourios (§ 18-19) : ce sont exactement les étapes développées au § 36. Or cette dernière démonstration est capitale : en ôtant tout crédit au témoin qui viendrait déposer sur le compromis en faveur d’Apatourios, le plaignant anonyme annihile les preuves qui concerneraient l’arbitrage et met en bonne voie sa demande en irrecevabilité. Il convient donc de ne pas accepter ces allégations telles quelles, en plaquant sur la société athénienne le tableau dressé par l’orateur, mais de vérifier si cette description est validée par les autres occurrences chez les orateurs.

Dans ce passage, le cachet est indiqué par le verbe σημαίνομαι, ce qui est le plus courant dans les plaidoyers attiques (Tableau 21, p. 127) : les cachets sont exprimés à seize reprises par ce verbe précis, dont douze cas concernant des documents, c’est-à-dire près du tiers des attestations totales. Qu’un verbe soit utilisé n’est d’ailleurs pas étonnant : l’analyse lexicographique des occurrences sigillaires fait ressortir l’importance des verbes, employés dans trente-et-un cas, contre seulement huit pour le substantif σημεῖον. Cette prééminence souligne le fait que, dans les discours judiciaires, c’est plus l’action que l’objet qui est désignée. Ensuite, le mot même

σημαίνομαι concorde avec la quasi-totalité des termes composée sur le lexique ayant pour racine

σημ- chez les orateurs. Pourtant, le sceau se dit normalement à partir du mot σφραγίς dans les sources textuelles athéniennes (Tableau 22, p. 130), comme c’est une fois le cas chez Isocrate108.

107 Le conflit imaginé ici n’est pas nécessairement de l’ordre du procès, même si les mots employés peuvent relever du vocabulaire juridique : ἀντιλέγωσιν signifie le fait de contredire en général et peut désigner l’opposition judiciaire (voir PRINGSHEIM 1950, p. 26), τοῦ ἀμφισβητουμένου fait référence aux parties qui s’opposent, τὸν ἔλεγχον dénote certes l’épreuve et la réfutation, ce qui lui confère de multiples significations et lui fait dépasser le domaine judiciaire dans l’ensemble des sources textuelles attiques, mais le verbe ἐλέγχω est fréquemment employé chez les orateurs pour désigner « convaincre de », c’est-à-dire démontrer la non véracité en vue d’une condamnation : voir le chapitre « Le sacrement du témoignage ». Cette connotation juridique est volontairement introduite par le plaignant qui fait allusion à la procédure d’arbitrage mais vise aussi à toucher les juges auxquels il s’adresse dans le tribunal.

108 ISOCRATE, Trapézitique (XVII), 34. Ce passage distingue le sceau des prytanes, mentionné par σεσημασμέναι, du sceau des chorèges qui est dit à travers κατεσφραγισμέναι. Rien ne permet d’analyser cette différenciation. Le parallèle peut être fait avec le passage des Oiseaux d’Aristophane où σφραγίς et σύμβολον sont évoqués successivement. Les philologues et commentateurs ne sont pas parvenus à en donner une explication convaincante : voir GAUTHIER (1972, p. 75-76) ; PEBARTHE (2006, p. 299). La seule autre occurrence formée sur σφραγίς chez les orateurs se trouve dans les lettres de DEMOSTHENE (Sur les diffamations de Théramène (Lettres, IV), 3), où le cachet que les dieux apposent (προσεπισφραγιζομένους) sur la bonne fortune dont jouit Athènes est métaphorique.

Auteurs Vocabulaire de σφραγίς Vocabulaire de σημεῖον Eschyle Suppliantes, v. 947 (828 (ἐσφραγισμένοςκατεσφραγισμένα). ) ; Euménides, Agamemnon, v. 609 (σημαντήριον). Sophocle Trachiniennes, v. 615 ((σφραγῖδα). σφραγῖδος) ; Électre, v. 1223

Euripide Hippolyte, v. 864 (σφραγισμάτων) ; Héraclès, v. 53 (ἐσφραγισμένοι);Oreste,v.1108(ἀποσφραγίζεται) ; Iphigénie à Aulis, v. 38 (σφραγίζεις) ; v. 155 (σφραγῖδα) ; Hypsipyle (Fragments, 762 Kn) (κατεσφραγισμένα) ; Phaéthon, v. 223 (Fragments, 786 Kn) (σφραγίζομαι) ; Fragments non identifiés, 1063 (1304 M.) (σφραγισμάτων) ; 1132 (σφραγῖσι). Iphigénie à Aulis, v. 325 (σήμαντρον).

Total trag.

13

2

Hérodote Histoires, I, 195 (σφρηγῖδα) ; III, 41 (σφρηγὶς, σφρηγῖδα, σφρηγῖδα et σφρηγῖδα) ; 128 (σφραγῖδα) ; VII, 69 (σφρηγῖδας). Histoires, I, 195 (ἐπισήμου) ; II, 38 (σημηίων, σημαίνεται, σημαντρίδα et ἀσήμαντον) ; 121B (σημάντρων).

Thucydide La Guerre du Péloponnèse, I, 129 ((σφραγῖδα). σφραγῖδα) ; 132 La (παρασημηνάμενοςGuerre du ). Péloponnèse, I, 132

Xénophon

Helléniques, I, 4, 3 (σφράγισμα) ; VII, 1, 39 (σφραγῖδα).

Helléniques, II, 3, 21 (ἀποσημήνασθαι) ; II, 4, 13 (ἀπεσημαίνοντο) ; III, 1, 27 (κατεσημήνατο) ; V, 1, 30 (σημεῖα) ; Cyropédie, VIII, 2, 16-17 (κατασημηναμένους et

σημηνάμενος) ; République des Lacédémoniens, VI, 4 (σήμαντρα et σημηναμένους) ; Les revenus (De vectigalibus), IV, 21 (σεσημασμένα).

Total hist.

11

16

Aristophane

Nuées, v. 332 (σφραγιδονυχαργοκομήτας) ; Oiseaux, v. 560 (σφραγῖδ’) ; v. 1213-1215 (σφραγῖδ’) ; Thesmophories, v. 415 (σφραγῖδας) ; v. 427 (σφραγίδια) ; L’assemblée des femmes, v. 632 (σφραγῖδας). Cavaliers, v. 947-959 (σημεῖον et σημεῖον) ; Guêpes, v. 585 (σημείοισιν) ; Lysistrata, v. 1196 (σεσημάνθαι) ; Fragments, 28, Amphiaraos (POLLUX, X, 180) (κατασήμηναι) ; Fragments, 448, Cigognes (Henderson) (ἀπεσημηνάμην).

Total com.

6

6

Platon et Pseudo- Platon Lois, 855e (ἐπισφραγισαμένους) ; 957b (ἐπισφραγισαμένους) ; Hippias mineur, 368b-c (σφραγῖδα) ; Politique, 289b (σφραγίδων) ; Éryxias (Dialogues apocryphes)109 ; 400a (κατεσφραγισμένῳ).

Lois, 937b (κατασεσημασμένας) ; 954a-c (σεσημασμένα, ἀσήμαντα, ἀσήμαντα, σεσημασμένα, παρασημηνάσθω, σεσημασμένα et σημηνάσθω). Aristote et Pseudo- Aristote :

Météorologiques, IV, 9, 387b (σφραγίς) ; Sur les choses merveilleuses entendues, 835b (σφραγῖδας) ; 842a (κατασφραγίζεσθαι et σφραγῖδας) ; De audibilibus, 801b (σφραγῖδας) ; Constitution d’Athènes, 44, 1 (σφραγῖδα).

Total phil.

11

8

Total 41 32

Tableau 22 : La désignation des sceaux à l’époque classique à partir du vocabulaire de σφραγίς et de σημεῖον Liste à laquelle il est possible d’ajouter quelques sceaux métaphoriques :

ARISTOTE, De la mémoire et de la réminiscence (Petits traités d’histoire naturelle, II), 450a-b (σφραγιζόμενοι et σφραγῖδος) ; EMPEDOCLE, Fragments, 110 Bollack (B 115, 1-2) (σφρήγισμα et κατεσφρηγισμένον) ; EURIPIDE, Iphigénie en Tauride, 1372 (ἐσφραγισμένοι) ; HERACLITE, Allégories homériques, 39, 15 (προσεπισφραγιζόμενος) : PLATON, Philèbe, 26d (ἐπισφραγισθέντα) ; Phédon, 75d (ἐπισφραγιζόμεθα) ; Théétète, 192a-b (σφραγῖδα) ; Politique, 258c (ἐπισφραγίσασθαι) ; THEOPHRASTE, Sur les pierres, 16 (σφραγίδια) ; 27 (σφραγίδια) ; 31 (σφραγίδια) ; 32 (σφραγίδια et σφραγῖδος) ; 35 (σφραγίδια) ; 37 (σφραγίδια) ; 41 (σφραγίδιον) ; 54 (σφραγῖδες et σφραγῖδας).

ARISTOTE, De la mémoire et de la réminiscence (Petits traités d’histoire naturelle, II), 450a-b (ἐνσημαίνεται) ; EURIPIDE, Iphigénie en Tauride, 1372 (σημάντροισιν) ; PLATON, Théétète, 192b (σημεῖον et σημεῖον) ; Politique, 258c (ἐπισημηναμένους) ; République, 377b (ἐνσημήνασθαι).

109 Luc BRISSON (2014 (éd.), p. 193) date ce dialogue de la seconde moitié du IVe siècle. Il peut donc être inséré dans cette liste.

Comment, alors, expliquer la récurrence des termes en σημ- chez les orateurs ? Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. Tout d’abord, le couple σφραγίς/σημεῖον ne correspond pas à une opposition entre sceau public et sceau privé, comme aurait pu le laisser penser la δημοςία σφραγίς que gardent les prytanes selon Aristote110. Si cette dichotomie aurait pu être pertinente

pour les orateurs, dans la mesure où les σημεῖα désignent la plupart du temps des sceaux privés, quelques cas s’intègrent mal à cette hypothèse et empêche de la valider111. Ensuite, John

Boardman, spécialiste des bagues et pierres gravées, fait la distinction entre le sceau-matrice (σφραγίς) et le sceau-cachet (σημεῖον)112. Ce principe conduirait à penser que, chez les orateurs,

l’idée de sceller se place plutôt dans la perspective de l’empreinte que de la gemme113. Il demeure néanmoins assez peu opérant pour comprendre les passages du corpus judiciaire, où sont majoritairement utilisés des verbes, qui se rapportent à l’acte de sceller et impliquent nécessairement à la fois matrice et cachet. Il pourrait néanmoins être imaginé que les verbes formés sur la racine σημ- mettent l’accent sur l’empreinte laissée sur les documents.

En outre, les lexicographes explicitent la traduction, à l’image d’Harpocration qui commente un discours d’Hypéride dont il ne reste plus que quelques fragments114 : « Ce qui n’est

“pas marqué” (ἀσήμαντα) est appelé par nous “non scellé” (ἀσφράγιστα). Car les “signes” (σημεῖα) veulent dire les “sceaux” (τὰς σφραγῖδας). » Ces commentaires antiques sont produits à une époque où la synonymie pose problème et doit être explicitée, ce qui illustre a contrario l’absence de difficulté perçue dans les discours attiques. Ainsi, comme qui plus est le verbe

σημαίνομαι et ses composés sont également récurrents dans les autres corpus classiques (Tableau

22, p. 130), il est permis dans les sources textuelles de l’Athènes des Ve et

IVe siècles de percevoir

le vocabulaire de σημαίνομαι comme équivalent à celui de σφραγίζομαι115. Le terme choisi par Démosthène dans le Contre Apatourios réfère donc au scellement d’un cachet dans son acceptation classique.

110 ARISTOTE, Constitution d’Athènes, 44, 1. Sur le sceau officiel athénien, voir le bref débat qui a eu lieu entre WALLACE (1949) et LEWIS (1955) et la synthèse récente de PEBARTHE (2006, p. 297-300). Il est d’ailleurs clair dans les articles de Wallace et Lewis que les verbes basés sur σημ- peuvent être utilisés pour le sceau de la cité athénienne. 111 DEMOSTHENE, Sur la couronne (XVIII), 250 évoque les comptes rendus de l’ambassadeur approuvés par les citoyens avec ἐπεσημαίνεσθε ; ISOCRATE, Trapézitique (XVII), 34 emploie certes κατεσφραγισμέναι pour l’empreinte des chorèges mais σεσημασμέναι pour la marque des prytanes.

112 BOARDMAN 1970, p. 428-429 : « Σφραγίς is the normal word for a seal, usually applied to a stone, whether or not it is set in a ring. […] The sealing itself is a σημεῖον, σήμαντρον or σφράγισμα. »

113 Même si les verbes, majoritairement utilisés par les orateurs, se rapportent à l’acte de sceller et impliquent nécessairement à la fois la matrice et le cachet.

114 HYPERIDE, Contre Antias (Fragments), 4 (Harpocration). Voir aussi SOUDA (Σ1675, s.v. συσσημαίνεσθαι) : « On appelle “apposer un sceau” (κατασφραγίζεσθαι) ce que les orateurs (οἱ ῥήτορες) nomment “faire une marque” (συσσημαίνεσθαι). » ; HYPERIDE, Contre Antias (Fragments), 6 (Harpocration) : « Σεσημασμένων à la place de

ἐσφραγισμένων : Démosthène dans le discours Sur le nom et Hypéride dans le discours Contre Antias, affaire d’orphelin. » 115 Cette synonymie implique quand même une complication : au contraire des termes contenant la racine σφραγί-, toutes les occurrences de σημεῖον ou σημαίνομαιne font pas nécessairement référence aux sceaux, loin de là.

L’analyse du vocabulaire permet, de plus, de se pencher sur l’ensemble des occurrences de sceau afin de vérifier la règle générale énoncée par Démosthène : tous les contrats convoqués par les plaignants contiennent-ils des sceaux ? Tout d’abord, il est notable que le passage cité du

Contre Apatourios n’arrive qu’à la toute fin du discours116 et, sans cette évocation, il aurait été

impossible d’imaginer que la convention autour de laquelle tourne toute l’affaire puisse être scellée, alors même qu’elle est mentionnée à de très nombreuses reprises117. La situation est tout à

fait identique dans le Contre Olympiodoros de Démosthène, discours dans lequel la convention à laquelle il est fait référence depuis le début (§ 9) n’est mentionnée comme scellée qu’aux § 48-50, c’est-à-dire dix sections avant la fin du discours.De même, le contrat et le testament de Pasion – que fait lire Phormion dans le discours Pour Phormion118 – ne sont jamais dits scellés dans le plaidoyer, alors même qu’ils sont fondamentaux pour l’argumentation. Dans son double réquisitoire contre Stéphanos, Apollodore évoque lui aussi longuement ces deux actes, et l’ensemble des trois discours couvre au total 178 sections119. Or, les sceaux ne sont jamais évoqués, à une exception près : le contrat et le testament sont implicitement mentionnés comme scellés (σεσημασμέν’) au détour d’un raisonnement logique dans le premier discours Contre

Stéphanos120. Sans cette mention, ces deux pièces à conviction, si importantes pour le double

procès, ne seraient pas aujourd’hui perçues comme comportant des sceaux. De la même manière, le silence est généralement de mise concernant les sceaux sur les sommations, mais un cas vient le rompre : dans le discours Contre Panténétos, l’adversaire est dit avoir fait accepter à Nicoboulos de sceller une sommation pour torturer un esclave121. Ainsi, il est possible d’imaginer que la plupart des documents écrits en général, et des contrats en particulier, se voyait apposer un sceau, mais que les sources ne les mentionnent que rarement. Il convient cependant de se garder d’y voir une nécessité, comme l’expose Robert Bonner : « L’établissement des testaments et des contrats à Athènes n’était entouré par aucune formalité légale. […] En règle générale, certaines formalités étaient observées, mais elles étaient prescrites par l’usage et non par la loi. Les formalités usuelles étaient l’apposition de sceaux par les contractants en présence d’un certain nombre de témoins et le dépôt des documents chez des personnes de confiance. »122

116 À la trente-sixième section, sur trente-huit au total.

117 Elle constitue notamment le point central de la narration aux § 14-19 et 30-35. 118 DEMOSTHENE, Pour Phormion (XXXVI), 4 et 7.

119 62 sections dans le Pour Phormion, 88 pour le premier Contre Stéphanos et 28 pour la réplique. 120 DEMOSTHENE, Contre Stéphanos, I (XLV), 41.

121 DEMOSTHENE, Contre Panténétos (XXXVII), 40-42.

122 BONNER 1908, p. 402-403 : « The making of wills and contracts was surrounded by no legal formalities in Athens. […] As a rule certain formalities were observed, but they were demanded by custom not by law. The usual formalities were the affixing of seals by the makers in presence of a number of witnesses and the depositing of the documents with trustworthy persons. » En ce qui concerne les témoins et les dépositaires, voir plus loin.

Cette déduction se fondant sur le fait que les sceaux ne sont que très peu souvent évoqués, il serait possible d’en tirer la conclusion qu’ils n’ont qu’une faible importance, à l’image de ce que pense Harrison : « Les Athéniens ne semblent pas avoir attaché beaucoup d’importance aux objets réels en tant que pièces à conviction et, en particulier, ils ne faisaient que peu attention à l’aspect physique des documents, comme les matériaux du document, les sceaux apposés sur lui ou l’écriture manuscrite. »123 Il faut néanmoins tenir compte de la forme sous laquelle nous sont

parvenues les plaidoiries : tout comme les tragédies n’ont survécu qu’à travers ce qui s’apparenterait aujourd’hui au script de l’auteur, qui n’a que peu à voir avec les performances que sont les représentations124, les discours que nous possédons ne sont pas des comptes-rendus des

séances au tribunal. Ne demeurent que les paroles prononcées par le plaignant, laissant tous les gestes et déplacements des juges et du personnel judiciaire dans l’ombre. Surtout, il n’est jamais fait mention dans les discours que de ce qui pose problème. La sommation présente dans le

Contre Panténétos en est un bon exemple : le sceau n’y est évoqué que parce que l’adversaire vient

finalement à la séance de torture avec une autre sommation que celle sur laquelle le plaignant Nicoboulos a apposé son sceau. La description est alors très longue – la plus longue dont nous disposons dans les discours conservés – pour présenter la situation lors de laquelle la πρόκλησις a

été proposée et acceptée (§ 42), ce qui n’aurait jamais été détaillé si l’adversaire ne l’avait falsifiée ou si un autre point avait été la source du refus de Nicoboulos.