208. - La législation de 1994. La France s‟est dotée, en 1975, d‟une législation visant à
rendre obligatoire l‟usage de la langue française, afin de protéger les consommateurs. Tel
était en effet l‟objectif de la loi du 31 décembre 1975237. La loi du 4 août 1994 qui l‟a
remplacée affirme plus nettement comme objectif, celui de la défense de la langue française, « élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France »238 et
impose l‟usage du français dans de très nombreux domaines, notamment celui qui nous intéresse, les échanges commerciaux. Si l‟usage imposé d‟une langue dans les transactions
commerciales relève très certainement des conditions de forme du contrat et des obligations précontractuelles, il se heurte à cette autre dimension du commerce
électronique, à savoir, sa vocation internationale. Or cette difficile question de l‟emploi des
langues dans les échanges transfrontaliers à distance n‟a pas été résolue sur le plan
communautaire. La directive du 20 mai 1997 «concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance» considère, en effet, qu‟elle relève de la seule compétence des États membres239 et la directive « sur le commerce électronique» adopte la même ligne à ce sujet.
Il est donc nécessaire de s‟interroger sur l‟application de cette loi au commerce
électronique en examinant si le commerce électronique s‟inscrit dans le périmètre de son
domaine d‟application (§ 1) et les difficultés de l‟appliquer à ce mode particulier de
conclusion des contrats (§ 2).
237 Loi n° 75-1349 du 31 décembre 1975, JO, 4 janvier 1976.
238 Article 1er, loi du 4 août 1994, « relative à l‟emploi de la langue française », JO, 5 août 1994, modifiée par la loi n° 96-597 du 3 juillet 1996, JO, 4 juillet 1996.
239 « Considérant que l’emploi des langues en matière de contrats à distance relève de la compétence des
Etats membres… » , Considérant n° 8 de la Directive n° 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 20
mai 1997 « concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance » JOCE n° L 144, 4 juin 1997, p. 19.
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§ 1 - Domaine d’application de la loi sur l’emploi de la langue française
Le domaine matériel d‟application de la loi du 4 août 1994 se définit non seulement
au regard des actes auxquels elle est destinée à s‟appliquer, mais également de la qualité
des personnes destinataires de ces actes.
A - Les actes auxquels elle s’applique
209. - Le large champ d’application de la loi. S‟agissant tout d‟abord des actes, la loi du 4 août 1994 rend obligatoire, aux termes de son article 2, l‟emploi de la langue française,
notamment : «dans la désignation, l’offre, la présentation, le mode d’emploi ou d’utilisation, la description de l’étendue et des conditions de garantie d’un bien, d’un produit ou d’un service, ainsi que dans les factures et quittances … toute publicité écrite, parlée ou audiovisuelle. » ; ceci à l‟exclusion de «la dénomination des produits typiques et spécialités d’appellation étrangère connus du plus large public. ». Ainsi défini, le champ
d‟application de la loi sur l‟emploi de la langue française inclut «…l’offre… d’un bien
d’un produit ou d’un service…». Il est donc certain que l‟obligation ainsi faite porte, y compris, sur les informations que le pollicitant doit donner par application de la loi.
L‟usage d‟un autre langage que la langue française pour accomplir l‟obligation pesant sur
ce dernier ne serait pas conforme au droit et ne libérerait pas le prestataire de son obligation.
Rien ne permet donc d‟exclure, a priori, l‟application de la loi sur l‟utilisation de la
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B - Les personnes destinataires
210. - L’obligation d’utiliser la langue française lorsqu’il s’agit d’une vente à
destination du territoire français. Ces dispositions législatives sont complétées ensuite
par leur décret d‟application du 3 mars 1995240 et par plusieurs circulaires241, parmi
lesquelles celle du 19 mars 1996, dont il convient de retenir certaines précisions données en sa section 2.1 relative au champ d‟application de la loi et de l‟obligation de l‟emploi de
la langue française pour la commercialisation des biens, produits et services. Certaines
d‟entre elles concernent les personnes destinataires des actes évoqués ci-dessus qui doivent
être rédigés ou exprimés en français. Seuls sont visés les actes intéressant les consommateurs dans la mesure où le but, affirmé ici clairement, est d‟assurer leur
protection242. Ceci est confirmé par ailleurs par une autre disposition de la circulaire qui précise que « les factures et autres documents échangés entre professionnels, personnes de droit privé Françaises et étrangères, qui ne sont pas consommateurs et utilisateurs finaux des biens, produits ou services, ne sont pas visés par ces dispositions »243.
Les dispositions de l‟article 2 de la loi du 4 août 1994 étant assorties de sanctions
pénales, la prise en compte de l‟article 113-2 du Code Pénal s‟impose. Aux termes de cet
article, ce domaine est circonscrit aux « infractions sur le territoire de la République dès lors qu’un des ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire ». Il suffirait donc, si l‟on s‟en
tient à ce principe, qu‟un des actes visés ci-dessus soit rédigé ou exprimé en France et
exclusivement dans une langue étrangère, pour que l‟infraction soit constituée.
Cependant une condition supplémentaire doit être remplie : il faut que ce soit «lors de la commercialisation en France », quelle que soit par ailleurs l‟origine des biens,
240 Décret n° 95-240 du 3 mars 1995 « pris pour l‟application de la loin° 94-665 du 4 août 1994 relative à
l‟emploi de la langue française » JO, 5 mars 1995.
241 En particulier, circulaire du 19 mars 1996 « concernant l‟application de la loi n° 94-665 du 4 août 1994
relative à l‟emploi de la langue française, JO, n° 68, 20 mars 1996, p. 4258.
242 Paragraphe 2.1.3, 2ème al. de la circulaire du 19 mars 1996.
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produits et services commercialisés244. Très logiquement, dans ces conditions, sont ainsi exclues «les opérations liées à l’exportation ou à la réexportation ou effectuées avant la mise sur le marché des biens, produits et services introduits sur le territoire français. »245.
211. - Le caractère d’ordre public de la loi. Lorsque ces conditions sont réunies, les
dispositions de la loi du 4 août 1994 s‟imposent, et ceci avec une force particulière,
puisqu‟aux termes de son article 20, cette loi est d‟ordre public.
C - Le dispositif mis en place par la loi LCEN déroge-t-il à la loi Toubon ?
212. - La mention d’un choix des « langues proposées » constitue-t-elle une dérogation? L‟article 1369-4 du Code Civil, introduit par application de la loi LCEN, prévoit que l‟offre par voie électronique doit énoncer… «3°- Les langues proposées pour la conclusion du contrat… », suivant en cela la directive du 8 juin 2000. Le législateur européen a transposé dans le domaine du contrat par voie électronique les dispositions adoptées dans le domaine des contrats à distance pour lesquels il avait considéré que la
question des langues relève de l‟autorité des États membres et certains auteurs ont regretté
que l‟on n‟ait pas adopté à l‟échelle européenne, pour protéger plus efficacement le
consommateur, des dispositions contraignant les professionnels du commerce électronique
établis dans le ressort de l‟Union, à donner au consommateur les informations
précontractuelles (ou contractuelles) dans une langue européenne de leur choix.
Il est possible, à l‟examen de ces dispositions, de s‟interroger sur l‟existence d‟une obligation d‟utiliser la langue française lorsqu‟il s‟agit de contracter par un moyen
électronique. Peut-on soutenir à partir de cette rédaction que le choix de la langue du
244 Paragraphe 2.1.3, 1er al. de la circulaire du 19 mars 1996.
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contrat, en France, est libre, par dérogation à la loi du 4 août 1994 ? Dès la publication de la loi, les auteurs ont apporté à cette question une réponse négative246.
D –L’étendue de l’obligation dans le commerce électronique
213. - L’application de principe de la loi Toubon au contrat du commerce électronique. Si l‟on reprend l‟étendue de l‟obligation de faire usage de la langue française dans les échanges commerciaux telle qu‟elle a été définie au paragraphe précédent, il faut constater qu‟entrent dans son champ d‟application, aux termes de l‟article 2 de la loi du 4 août 1994, l‟ensemble des informations commerciales participant au processus contractuel,
diffusé sur les réseaux électroniques. Ce qui doit inclure, non seulement l‟information
précontractuelle, expressément visée par la loi, mais également, les contrats du commerce électronique eux-mêmes, au sens formel du terme qu‟il est d‟ailleurs souvent difficile de
distinguer de l‟information, dans les sites internet puisque, le plus souvent, information
précontractuelle et dispositions contractuelles sont mêlées sur le même support. Doivent ainsi être exprimés en français, pour ce qui concerne notre étude, outre les publicités et les offres en ligne, les clauses des contrats ainsi que, plus généralement, l‟ensemble des
informations relatives aux biens, produits et services proposés, ce qui englobe la plupart des informations présentes sur les réseaux destinés au grand public et notamment sur les sites marchands du réseau Internet.
Bien entendu il faut que ces informations et ces actes, d‟une part, concernent des
consommateurs et, d‟autre part, «soient exprimés ou s’accomplissent », pour reprendre les
termes de la loi, sur le territoire national français, ce qui n‟est pas le plus simple à
déterminer lorsque les échanges commerciaux interviennent par le moyen des réseaux électroniques mondiaux.
246 Voir, O. CACHARD, « Le contrat électronique dans la loi pour la confiance dans l‟économie
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E - Exception en matière d’étiquetage
214. - L’exception en matière d’étiquetage. Une exception apparaît toutefois. La Cour de Justice des Communautés européennes a jugé que les articles 30 du traité et 14 de la directive 79-112 s‟opposaient à ce qu‟une réglementation nationale impose l‟utilisation d‟une langue déterminée pour l‟étiquetage des denrées alimentaires, sans retenir la
possibilité qu‟une autre langue facilement comprise par les acheteurs soit utilisée ou que
l‟information de l‟acheteur soit assurée par d‟autres mesures247. Tirant les conséquences de
cette jurisprudence au-delà même de la commercialisation des denrées alimentaires, une
instruction du directeur général de la DGCCRF d‟avril 2002 et destinée aux services de contrôle de la DGCCRF, confirme que la loi Toubon ne s‟oppose pas, pour les mentions obligatoires et facultatives d‟étiquetage, à la possibilité d‟utiliser à la place de la langue française d‟autres moyens d‟information du consommateur tels que des dessins, symboles,
pictogrammes ou expressions dans une langue facilement compréhensible pour le
consommateur. Toutefois, ces moyens d‟information alternatifs doivent permettre
d‟assurer un niveau d‟information équivalent à celui recherché par la réglementation et ne
doivent pas être de nature à induire le consommateur en erreur. L‟instruction réserve
cependant le cas particulier des directives communautaires, qui, pour certaines catégories de produits (jouets, cosmétiques, équipement de protection individuelle, etc.), imposent
l‟usage de la langue nationale. Dans ce cas, les opérateurs ne peuvent pas substituer
d‟autres moyens d‟information à l‟emploi de la langue nationale.