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Vers un usage linguistique éclairé comme outil et méthode d'analyseméthode d'analyse

scientificité comme moteur de l'analyse du discours ?

I.1.1.2. Vers un usage linguistique éclairé comme outil et méthode d'analyseméthode d'analyse

Si les prémisses de l'analyse du discours se font sentir peu avant les années 1970, il a fallu la constance et la conviction de chercheurs qui ont fait son succès et sa propagation dans les décennies 1970-1980.

I.1.1.2.1. L'émergence de l'analyse du discours

Le colloque qui se tint en 1968 à Saint-Cloud est significatif de l'émergence de l'analyse du discours14, il en constitue une des pierres fondatrices ; il importe de le citer, car, en 1968, il accueille de nombreux historiens. Or ces chercheurs font justement appel aux connaissances et aux méthodes linguistiques. Ils utilisent des outils linguistiques et pratiquent l'analyse lexicale pour enrichir leur activité d'historiens.

Certes, à l'époque, le paradigme linguistique sert de modèle à l'ensemble des « sciences humaines ». Mais Régine Robin, comme le confirme Marie-Anne

10Au 1er mars 2012, consultable à l'adresse : http://devhist.hypotheses.org/10683#_ftn1.

11Consultable au 1er janvier 2013 à l'adresse : http://www.boiteaoutils.info/

12 La digital history est un mouvement qui n'est pas ancien mais qui a pris une importance considérable du fait de sa nature. En effet, ce mouvement repose sur une histoire dont le matériau, autant que le traitement de l'archive, sont numériques informatisées. Pour quelques remarques générales sur ce sujet, nous vous renvoyons au site : http://devhist.hypotheses.org/1318.

13Séminaire franco-italien Université Paris Diderot, 21 janvier 2013.

Paveau récemment encore, constate que ce sont surtout des méthodes qui servent avant tout à « ordonner les données brutes plutôt qu'à envisager de vraies procédures de découvertes » (Paveau, 2007: 147)  . Ainsi, Robin entend bien « montrer aux historiens que la lecture d'un texte et d'un ensemble de textes pose problème tout comme la production du sens » (Robin, 1973: 7)  , et elle offre un remède en précisant tout de suite « que certaines régions de la linguistique peuvent leur être d'un grand secours » (Robin, 1973: 7)  , tout en mettant en garde : cette collaboration ne sera une réussite et ces régions utiles à l'historien qu' « à condition qu'elles ne soient pas placages, application non raisonnée ou fausse interdisciplinarité » (Robin, 1973: 7)  .

En 1973, elle écrit dans une note que « l'historien ne considère pas la linguistique comme une mode, une fin en soi, un modèle exportable aux fins d'analogies non rigoureuses. Ce qui implique qu'un tel champ d'application doit être précisé avec soin ainsi que ses limites. La linguistique permet de substituer au donné du texte une logique du texte. Elle ne sert qu'à mettre à jour l'économie interne d'une idéologie, en aucun cas à en établir la fonction sociale » (Robin, 1971a: 47)  . Pourquoi le donné du texte, et pas le sens ? Pourquoi lui opposer sa logique ? Parce qu'elle renvoie au sens considéré, justement, comme donné et transparent, quand en réalité une logique sous-tend toute production langagière ou discursive : la logique du discours ne peut être réduite à son contenu.

La signification d'un énoncé trouve en partie sa source dans son énonciation, au-delà du sens phrastique. Du point de vue interprétatif, le sens est à construire a posteriori, dans le cadre énonciatif reconstruit (par l'interprétant). La linguistique peut offrir des outils pour cela.

La linguistique apporte son bagage scientifique, qui est principalement tissé de questions tournées vers la langue et de réflexions épistémologiques qui en dessinent, à chaque nouveau courant scientifique, de nouvelles frontières. Les révolutions existent en linguistique, bien avant celles qui nous occupent, comme les chamboulements faisant suite aux travaux de Ferdinand de Saussure (1916), avec la naissance du structuralisme. Les réflexions linguistiques s'accompagnent de difficultés inhérentes à la langue : les sciences du langage concourent à perfectionner le niveau méthodologique d'une approche qui permet d'apporter des réponses ; c'est là une des raisons de leur succès auprès des sciences humaines et sociales. Parmi les aspects délicats du langage, le statut de l'unité mot n'en est pas des moindres. En effet, non seulement le délimiter ne va pas de soi, bien qu'intuitivement les locuteurs natifs en perçoivent une certaine réalité, mais encore est-il condamné à rester opaque, trop souvent choisi sur la base d'un jugement de savoir dommageable, en particulier chez l'historien. Avant toute chose, ce sont des configurations d'archives significatives qu'il convient de dégager afin d'en faire émerger un corpus analysable linguistiquement.

I.1.1.2.2. Une obstination payante : les

années 1970-1980

Régine Robin a su se montrer obstinée : l'entrée de la méthode linguistique en histoire sera un des fruits de ses convictions et de sa patience. Dans la première moitié des années 1970, les historiens des mentalités et les historiens politiques, sous l'impulsion du linguistic turn, manifestent de l'intérêt pour la linguistique.

Le linguistic turn est, dans les années 1970-1980, un tournant pour les sciences humaines et sociales, un véritable changement de paradigme scientifique. Ce changement a accompagné la prise en compte du facteur langagier dans les sciences sociales, dont l'histoire. Outillé par les sciences du langage, ce changement de perspective devait être le premier pas vers une nouvelle histoire, qui, plus sensible à la nature langagière des sources, devait permettre une compréhension plus fine et plus juste de celles-ci, et devait aussi déboucher sur une réévaluation des catégories sociales. L'histoire culturelle a adhéré à ce changement

En 1978, une entrée dictionnairique est même commandée à Denise Maldidier et Jacques Guilhaumou : « langage » est ajouté au nombre des entrées de l'encyclopédie de La nouvelle histoire (Guilhaumou, Maldidier et Robin, 1994: 10-12)  .

Le numéro 9 de Langue française dirigé par Marcellesi en 1971 illustre par son titre et ses thématiques les problématiques de l'époque, par le prisme des travaux de chercheurs qui, convaincus et fidèles, ont été les premiers

historiens du discours. De nombreux chercheurs de l'université Paris X

Nanterre publient dans ce numéro qui, dense et riche, pose les « premiers jalons »15 d'une collaboration entre les deux disciplines. Il se présente sous forme de regroupements thématiques :

1. La partie intitulée « discours et politique » reflète par son contenu l'application de ces historiens à exploiter les concepts linguistiques. Pour ne citer qu'eux, retenons que les performatifs amènent Slakta à une étude approfondie de l' « acte de demander » dans les cahiers de doléances (Slakta, 1971b), analyse jalonnée de nombreuses arborescences, comme des représentations syntagmatiques pour ne citer qu'elles ; les « énoncés » de « Blum et Thorez en mai 1936 » sont analysés par Lucile Courdesses (Courdesses, 1971 qui a recours à l'énonciation et au sujet tout en menant une analyse fine de la modalisation dans les deux parties de son corpus.

2. Le second regroupement thématique de ce numéro de Langue

française pointe quant à lui la relation étroite unissant la langue et les

15L'expression est empruntée au titre de l'article de Régine Robin dans ce même numéro 9 de

groupes sociaux16 , perceptible par l'intermédiaire du social « pris »

dans la langue, et, symétriquement, de la langue considérée comme génératrice de lien social. Il devient alors possible de prendre la mesure de l'interdépendance de la langue, du social et de l'idéologie. Les croyances idéologiques et les attentes individuelles et sociales structurent la société d'une époque en rythmant et stabilisant les relations des individus entre eux. Cette structuration, dans laquelle le langage occupe une large place, constitue, plus tard, l'assise de la matière historique. Produit du rejet au sens large, la distinction des autres par rapport à soi, des autres groupes par rapport à son groupe, aboutit aux découpages de la société, dont résulte la pose de frontières. Le dessin des contours de groupes repose sur la reconnaissance de critères d'appartenance : le groupe est le lieu d'existence et d'expression de l'individu qui le constitue, il se légitime par la reconnaissance des croyances partagées avec les autres individus. La langue est la médiatrice de ces croyances et de ces revendications, elle est le ciment social et reflète les relations entre les groupes.

I.1.1.3. Des pratiques historiographiques aux pratiques