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LINGUISTIQUE : TYPES ET GENRES DISCURSIFS

I.3.2.1. Etat des lieux

Nous allons dans ce chapitre préciser les problématiques et les enjeux de la question typologique, puis nous récapitulerons quelles ont été les positions dans les domaines de la littérature et de la rhétorique, puis l'héritage que ces positions ont permis de constituer.

I.3.2.1.1. Quelques problématiques et enjeux

Toute classification suppose qu'on la tienne pour possible. Or, tout classement ne peut se faire que suivant des critères choisis. La seule condition à remplir pour prétendre être pris comme critère est d'avoir un caractère distinctif. L'exhaustivité est également de mise : la classification doit inclure tous les éléments de l'ensemble de la classe. Si un linguiste entreprend de classer les productions textuelles des journalistes, il lui faudra dégager suffisamment de critères pour que toutes les productions journalistiques soient concernées par la typologie ; si tel n'était pas le cas, le champ d'application de la typologie serait trop restreint, et l'intérêt de la typologie indéniablement à réévaluer. Une typologie n'est jamais neutre à cause de ses implications : classer, c'est organiser et hiérarchiser. Et c'est donc, d'une certaine façon, adopter une posture par rapport à l'existant. Elle peut remettre en question le traditionnel apport au monde, à sa façon de le concevoir, elle peut questionner les rapports sociaux et la perception que l'on en a. Considérons maintenant une organisation qui viserait à classer les productions langagières sur la base de critères linguistiques (classification linguistique). L'opposition traditionnellement admise en linguistique admet l'existence de types et de

genres, les premiers concernant plutôt le texte, les seconds intéressant de

façon privilégiée le discours. Il paraît raisonnable de lier ces distinctions à leur échelle de traitement ; situées au niveau du texte constitué de phrases, sans prise en compte du contexte, les marques discursives sont resserrées autour de canons précis dont l'échelle même limite les critères. Le discours, quant à lui, animé par le contexte et le co-texte au sens large, s'ouvre sur une perspective cognitive, perspective articulée autour du récepteur, imprégné de la culture164 qui lui permettra l'interprétation et enserré dans une société où il joue un rôle165. La distinction est sentie par de nombreux théoriciens, comme Emile Benveniste (1968, 1974) qui évoque deux niveaux, l'un global et l'autre local, Jean-Paul Bronckart (1985, 1987 et 2008) ou bien encore Adam (1987, 1989, 2005, 2008 et 2011) qui construit des hyperstructures sur la base de séquences. Il semble acquis que si le type est proche du texte stabilisé, le genre se trouve aux prises des ambiguïtés soulevées par la perception de la réalité discours.

164Personnelle ou sociale.

165Notre vision n'est pas marxiste, elle ne fait pas intervenir les conditions de production dans la structure hiérarchisée des moyens de production.

I.3.2.1.2. Les legs de la critique de textes

littéraires écrits

A la suite d'une tradition littéraire grecque qui distinguait plusieurs genres aux contours définis, l'analyse du discours a permis une ouverture des positions typologiques par une prise en compte du social dans le langagier dans son usage courant.

I.3.2.1.2.1. Les genres dans l'antiquité

Nous n'allons pas détailler les genres antiques, car, en Grèce, la création littéraire est antérieure à la fixation des œuvres par l'écriture qui débute au VIIIème siècle ; en fait « jusqu'à la fin du Vème siècle, la production littéraire n'est pas séparable de la parole ; elle est destinée à une consommation orale » (Saïd, Trédé et Le Boulluec, 2004: 5)  , l'écrit n'ayant longtemps joué qu'un rôle d'aide-mémoire. Ainsi, qu'il s'agisse « de poésie chantée, de théâtre, de discours judiciaires ou politiques, on s'adresse à des groupes de citoyens rassemblés pour le temps d'une représentation, d'une fête ou d'un débat » (Saïd, Trédé et Le Boulluec, 2004: 5)  . S'il est banal de commencer un exposé sur la question des genres par un rappel des héritages de l'antiquité, il ne nous paraît pas justifié de le faire, et pas non plus nécessaire. Au demeurant, une fois ces catégories posées en préanalyse, il devient difficile de s'en écarter si besoin est. Il ne semble pas justifié de dresser un tel panorama : pourquoi ? Parce qu'en réalité, un genre est avant tout un produit culturel appréciable s'il est perçu comme tel. Or les Grecs n'écrivaient pas pour la beauté gratuite de mots. En effet,

« pour les Grecs, la création littéraire ne saurait être à elle-même sa propre fin. Loin d'être autotélique, elle a une fonction sociale (instruire, charmer, convaincre...) sur laquelle méditent les philosophes et les rhéteurs. Il faut enfin repérer les œuvres antérieures dans le prolongement desquelles le texte se situe ; car la notion d'intertextualité, redécouverte par les critiques contemporains, est au cœur de la poétique grecque où l'activité de création a pour ressort l'imitation. » (Saïd, Trédé et Le Boulluec, 2004: 8)  .

L'évolution des genres est très liée aux besoins de la gestion de la cité et aux conflits commerciaux, d'où un développement des genres judiciaires et politiques, entre autres apports plus liés à la rhétorique. Ceci étant dit, nous allons, pour ne pas déroger à la règle de l'habitude, énumérer les principaux genres antiques, afin d'en venir aux critères utilisés à ces fins classificatoires. La littérature antique grecque s'organise en différents genres, épique ou tragique, par exemple. Le genre de la poésie peut être épique lyrique, celui du théâtre tragique ou comique ; l'histoire, le drame, le drame satyrique, la biographie, le tragique, l'épopée ou la satire sont autant d'autres genres. Nous renvoyons pour une liste plus complète à l'ouvrage de Suzanne Saïd, Monique Trédé et Alain Le Boulluec, dont le sommaire (Saïd, Trédé et Le Boulluec, 2004: V - VXI)  donne une idée déjà assez précise de cette typologie.

I.3.2.1.2.1.1. La rhétorique

Le mot rhétorique

« reçoit parfois encore des contenus originaux, des interprétations personnelles venues d'écrivains, non de rhéteurs (…) ; mais surtout, il faudrait réorganiser le champ actuel de ses connotations : péjoratives ici, analytiques là, revalorisantes là encore, de façon à dessiner le procès de l'ancienne rhétorique. […]. Ces évaluations contradictoires montrent bien l'ambiguïté actuelle du phénomène rhétorique : objet prestigieux d'intelligence et de pénétration, système grandiose de toute une civilisation, (…), a mis au point pour classer, c'est-à-dire penser son langage, instrument de pouvoir, lieu de conflits historiques dont la lecture est passionnante si précisément on replace cet objet dans l'histoire multiple où il s'est développé ; mais aussi objet idéologique, tombant dans l'idéologie par l'avancée de cet autre chose qui l'a remplacé (...) » (Barthes, 1994: 287)  .

Faisant figure de précurseurs en termes de classement des productions discursives, la littérature est forte d'une longue tradition de classement des textes. Ainsi, dès les premiers rhéteurs, les discours ont été évalués à des fins d'ordonnancement. Il est possible de différencier les textes à partir de critères internes166, mais il est aussi possible d'envisager des distinctions situées à un niveau externe167.

I.3.2.1.2.1.2. Les critères de classement des genres littéraires

Le classement des textes littéraires se fait en fonction des critères choisis pour la classification. Les critères peuvent être de différentes natures (Charaudeau et Maingueneau, 2002: 277)  :

• formelle : la mise en forme du théâtre diffère de celle de la poésie ou du roman ;

• représentationnelle : il est alors question de la façon dont on représente la réalité. Le discours est alors romantique, réaliste, fictif, etc. ;

• énonciative : il est selon ce critère tout à fait possible d'opposer l'autobiographie au roman historique.

Pourtant, le choix d'un critère ne suffit pas, et la typologie doit être affinée. Dans le genre poétique, par exemple, la variété des types est grande, tenant compte de la métrique ou de la forme de vers. Ainsi quels que soient le ou les critères choisis, force est de constater qu'ils s'accumulent, et que, finalement, la classification simple est malaisée. Nous reviendrons sur ces critères.

166Les critères syntaxiques, morphologiques, par exemple.

I.3.2.1.2.2. L'ouverture de l'analyse du discours vers le langage courant

Si les legs de l'antiquité sont très liés à l'oral, l'émergence puis l'expansion des techniques permettant la production puis la reproduction de textes écrits. De plus, la mise au point et le perfectionnement des techniques de communication et de diffusion de l'information ont contraint les chercheurs à s'occuper de genres traditionnellement considérés comme non littéraires. Les différents points de vue face à ces textes sont variés, et, là encore, le point de vue adopté détermine la typologie obtenue. Les critères peuvent être de différents168 ordres, dont un ordre interprétativo-discursif.

C'est l'approche basé sur ce dernier critère, datant des années 1990, qui met le sujet au cœur de l'acte langagier, avec des travaux axés sur l'évolution des pratiques langagières, et qui font une place aux phénomènes génériques. Cette perspective est beaucoup plus ancrée sur les textes ordinaires, ceux du langage courant, et plus ancrée socialement. Ouverte sur les discours ordinaires, la question de la typologie textuelle n'a pourtant pas trouvé de critère unique, ce que nous allons montrer en développant chacun des modèles.