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L'unification textuelle et discursive

LINGUISTIQUE : DES PETITES UNITÉS AUX GRANDES UNITÉS

I.3.1.3. L'unification textuelle et discursive

Elargie du mot au syntagme, l'unité linguistique atteint le niveau de la phrase. Portés par l'intérêt que suscite une telle unité, de nombreux linguistes ont étudié les syntagmes verbaux et la prédication, avec toutes les difficultés, dues à la tradition écrite de nos sociétés, que suscite encore une fois l'élaboration d'une telle unité. Mais la phrase devrait elle-aussi se plier à ses limites, marquées par son intégration dans une autre unité, intégration qui, rappelons-le, valide le passage à une unité supérieure signifiante. La phrase construit le texte ou le discours, elle ne saurait la transcender pour atteindre un niveau supérieur. Pour ce faire, il convient de tenir compte de paramètres énonciatifs jusqu'alors non pertinents. Reconsidérée de la sorte, l'énonciation replacée dans son cadre communicationnel définit l'énoncé. La phrase, indépendante et moins contrainte que les autres syntagmes, échappe à la règle en se constituant comme frontière.

« On ne peut pas décomposer le texte en phrases, en lui appliquant les mêmes procédures qu'à la phrase, au syntagme au signe ou au morphème, [ceci] impose un changement de cercle théorique. La phrase a la propriété de pouvoir entrer en relation de cohésion et de progression avec d'autres phrases (…). Bref, entre le bas et le haut niveau, le rôle de la linguistique textuelle est d'explorer et de théoriser des niveaux intermédiaires de structuration avec, en particulier, le niveau des plans de textes, facultatifs et plus ou moins souples en fonction des contraintes génériques » (Adam, 2011: 295)  .

Nous aborderons la question de l'unité phrastique et textuelle sous l'angle de certains mécanismes qui la fondent. En effet, au-delà de la phrase, il n'y a plus « de cadre préfigurant la distribution des unités verbales, il n'existe pas de structure formelle163 dans laquelle les unités phrastiques devraient rentrer pour occuper une place prédéfinie » (Charolles, 1995: 2) Nous allons ainsi  décrire quelques mécanismes d'unifications sémantiques situés à la base de la cohésion textuelle et de la cohérence discursive.

I.3.1.3.1. La cohésion textuelle

Il est banal de rappeler que :

« un discours n'est pas qu'une simple suite d'énoncés posés les uns à côté des autres. Il suffit d'examiner le moindre texte écrit ou la moindre transcription de l'oral pour relever toutes sortes d'expressions indiquant que tel ou tel segment doit être relié de telle ou telle façon à tel ou tel autre. L'occurrence de ces marques relationnelles contribue sans nul doute à conférer au propos une certaine cohésion ou continuité. L'analyse linguistique du discours a pour mission essentielle de décrire ces marques, à charge pour d'autres disciplines d'exploiter, le cas échéant, les données fournies par cette étude en vue d'une meilleure connaissance des phénomènes de tous ordres liés à la circulation des textes et documents dans la société » (Charolles, 1995: 2)  .

Nous allons dans cette partie énumérer quelques principes concourant à l'unification textuelle : d'une part les notions de cohésion et de cohérence, puis un ensemble de relations importantes dans l'unification textuelle.

Une suite d'unités linguistiques ne peut composer une unité plus grande que si cette unité est perçue comme faisant preuve d'une certaine cohésion. Soit la suite « narines, chatouiller, poisson, les, violemment, qui » : cette suite ne présente aucune articulation perçue comme logique, elle ne fait pas sens ni spontanément ni après réflexion. Il s'agit là d'une suite d'unités dotées individuellement de sens, mais qui, sous la forme sous laquelle nous les avons présentées, ne font preuve ni de cohésion ni de cohérence : elles ne constituent pas une unité plus grande, et elles n'ont pas de sens. L'articulation syntaxique des unités est déterminante à ce niveau, mais elle n'est pas nécessaire. En effet, la séquence « pomme manger » n'est pas

163Charolles précise que « certes certains types de systèmes répondent à des principes organisateurs plus systématiques (…). Néanmoins, ces principes sont loin de présenter la force et la régularité de la syntaxe » (Charolles, 1995 : 2). Il semble en effet exclu qu'un « modèle de superstructures

textuelles ou des échanges conversationnels fournissent jamais un cadre structural comparable à

syntaxiquement correcte parce qu'il manque des arguments et qu'aucune mise en relation n'est faite. Cependant, on peut comprendre malgré tout qu'il s'agit de l'idée de « manger une pomme » : sans syntaxe, le sens apparaît tout de même, même incomplet. L'harmonisation syntaxique est alors incontestablement importante : dire, justement « manger une pomme », ou par exemple « j'ai mangé une pomme » présente des énoncés plus cohésifs et autonomes : moins une séquence présente de cohésion, plus il faudra l'appui du/d'un contexte de (l')énonciation pour l'interpréter. Une séquence dont les unités font cohésion peut se passer de tout indice contextuel pour conduire à une interprétation. La cohésion d'une séquence se fait grâce à des marques ou à des relations. Dans l'exemple « manger une pomme », on relève une forme de cohésion liée au respect d'une partie de la valence de manger : on « mange quelque chose » : ce quelque chose est rempli, il s'agit d'une pomme.

La notion de cohésion, étroitement liée à la syntaxe, repose en partie sur cette dernière. Pourtant elle peut aussi se mettre en place sur la base de marqueurs grammaticaux ou lexicaux. Il faut noter que les marques de cohésion ne sont jamais des signaux ou des déclencheurs mais qu'elles invitent à des « orientations argumentatives, des conclusions invitées, qui doivent être reconstituées par inférence par l'interprétant à l'aide d'un topoï ou lois du sens commun » (Charolles, 1995: 6)  . Le texte définit d'un point de vue grammatical (comme un ensemble de phrases bien formé donc reconnu comme tel) ou typologisant (typologie de genre). La linguistique textuelle se place du côté grammatical, quand l'analyse du discours est plus attentive au contexte et à l'interaction. C'est l'évaluation par un interprétant qui fonde la reconnaissance du degré de cohésion, et pas seulement l'importance des moyens déployés par le locuteur. Il en va de même pour la cohérence. Le texte est une unité complexe qui échappe aux typologies. Définir ce qui fait son unité est délicat et oblige à prendre en compte de nombreux phénomènes, où cohésion et cohérence jouent un grand rôle. Un autre paramètre très important car fortement contraignant sur la production des discours comme sur leur reconnaissance est celui se situant au niveau des genres et des pratiques socio-discusive qui jalonnent nos perceptions. Ainsi intégrée à une dimension plus large, plus contextuelle et plus interactionniste, la question de la cohésion devient celle de la cohérence.

I.3.1.3.2. La cohérence discursive

Les locuteurs disposent d'outils et de procédés qu'il leur incombe de mettre en œuvre pour communiquer, quelle que soit la langue ; en effet, « (…) chaque langue fournit aux locuteurs toute une batterie de moyens lui permettant d'indiquer certains rapports qu'ils établissent entre les différentes choses qu'ils ont à dire » (Charolles, 1995: 2)  . Les marques explicites ne sont pas vraiment nécessaires à la cohérence (il peut y avoir cohérence sans présence de marques), comme dans l'exemple suivant où le lien de causalité paraît évident. Nous ne trancherons pas quant à savoir si ces marques sont

suffisantes ; dans le cadre de nos recherches sur la reformulation (marquée lexicalement, avec c'est-à-dire en particulier), nous avons constaté la tension qui peut exister entre les deux énoncés formulé et reformulant, et le fait que le connecteur provoque l'interprétation.

1. « Le choix n’a pas été heureux, ce n’est pas votre faute, Monsieur le Maire (...) » (6 décembre 1948).

Il est d'ailleurs plus simple de regarder les marques présentes que de s'intéresser à l'absence de traces ; en effet, l'étude des marques discursives ne doit pas empêcher l'étude des effets provoqués par leur absence. Et si l'« analyse des marques ne permet pas de rendre compte des nombreux cas où une séquence paraît parfaitement cohérente quoiqu'elle ne comporte aucun indicateur relationnel » (Charolles, 1995: 6)  , il ne faut pas occulter le fait que, justement, les marques ne sont pas du tout nécessaires à la cohérence, qui relève d'un autre niveau. Ce niveau, sémantique, se jauge au travers de l'énonciation (individuelle et collective) et de la contextualisation discursive (interdiscursivité et intertextualité). Tous ces aspects sont d'ailleurs en interrelation étroite, car « le contexte est construit par les interprétants et se modifie au fur et à mesure que le développement de l'échange confirme ou élimine les hypothèses contextuelles successivement élaborées par le récepteur au cours du traitement » (Charolles, 1995: 10-11)  . Le principe de pertinence, qui s'applique aussi bien aux énoncés qu'aux phrases, dépend donc autant de facteurs proprement individuels et culturels que de données extra-langagières et contextuelles. Le principe de pertinence énonce que « la reconnaissance de ce qui rend un discours cohérent implique (...) l'interprétation des éventuelles marques de cohésion (…) et beaucoup plus fondamentalement [de] la mise en œuvre d'opérations inférentielles et (...) d'opérations de liaison » (Charolles, 1995 : 9). Ces opérations portent sur le contenu discursif, sur la situation dans laquelle il est communiqué ainsi que sur la reconnaissance par le sujet de l'arrière-plan. Pour qu'il y ait communication, il faut finalement maintenir une cohérence discursive intra-textuelle, référentielle et événementielle.

I.3.1.3.3. L'anaphore, un procédé de cohésion

textuelle et de cohérence discursive

Les procédés de cohérence et de cohésion sont nombreux et variés. En voici quelques-uns à titre d'exemple :

• Anaphores et reformulations • Modalisation • Chaîne de référence • Collocations • Connecteurs logiques • Polyphonie et Interdiscursivité • Objets discursifs

L'anaphore et les reformulations occupent une place importante dans ces procédés. L'anaphore est un phénomène de reprise d'élément déjà présent dans le discours. Cet élément antécédent à l'anaphore peut être présent explicitement dans le discours, mais il peut également n'être qu'un sous-entendu ou une référenciation à un élément extra-discursif reconnu par les interlocuteurs. Cette reconnaissance est nécessaire à l'intercompréhension. Les anaphores sont variées et connaissent divers degrés de fidélité à l'antécédent discursif. Certains anaphoriques , comme les pronoms personnels sujets ou les démonstratifs, par exemple, reprennent intégralement et sans modification le référent, comme dans l'exemple suivant :

(1) « Le récent décès de M. Marcel Bach, peintre-décorateur, a

amené votre administration à reconsidérer la situation de l'atelier de décoration du Grand-Théâtre municipal. Cet atelier a fonctionné (…) ». (19 janvier 1951).

Mais les reprises peuvent également faire l'objet de variations qui en font des reprises anaphoriques plus ou moins fidèles.

(2) « Pour cette exposition il fallait un catalogue (…). (…) pour la réalisation de cet ouvrage (…), capable de mener à bien cette œuvre ». (25 juin 1951)

Les anaphores peuvent être mises au service d'une subjectivation du discours, et, dans ce cas, elles dépassent leur fonction cohésive pour déborder sur le champ de la cohérence discursive et de l'orientation argumentative. Les manifestations de l'anaphore en discours sont très nombreuses, mais certaines formes sont plus fréquentes et plus caractéristiques que d'autres. Nous avons identifié une forme d'anaphore très fréquente dans notre discours protocolaire.

La question de la segmentation en linguistique nous a conduite du morphème à l'unité discursive évaluée à l'aune de sa cohérence, nous amenant aux frontières du langagier. Cette frontière nous invite à examiner brièvement, et en guise de conclusion, la question de l'unité en histoire.