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L'argumentation rhétorique et l'argumentation linguistiquelinguistique

LINGUISTIQUE DE L'ÉCRITURE HISTORIENNE Parmi les rapports de l'histoire et du langagier compte celui de son rapport

I.2. L'ANALYSE DU DISCOURS

I.2.3. L'AGE D'OR 137 DE L'ANALYSE DU DISCOURS À LA FRANÇAISE

I.2.3.4. L'argumentation rhétorique et l'argumentation linguistiquelinguistique

Le numéro 9 de la revue Marges linguistiques titrait en 2005 « Analyse du discours, état de l'art et perspective ». Le parcours du sommaire dessine les contours d'un état des lieux rétrospectif rendant hommage aux contributeurs et aux apports fondateurs de la discipline. Nous avons passé en revue ces apports. L'ouvrage offre par exemple un travail de Dominique Maingueneau, « l'analyse du discours et ses frontières » (Maingueneau, 2005). Jacques Guilhaumou, quant à lui, en s'interrogeant et se demandant « Où va l'analyse du discours ? Autour de la notion de formation discursive » (Guilhaumou, 2005), nous renvoie aux concepts hérités de la première analyse du discours. Laurence Rosier pose, elle, une réflexion reposant sur un acquis de l'analyse du discours : l'existence du corpus, « L'analyse de discours et ses corpus. A travers le prisme du discours rapporté » (Rosier, 2005). Force est donc de constater que la variété des héritages qui ont fait naître l'analyse du discours est respectée. Pour finir, citons l'article « Critical discourse analysis » (Fairclough, s. d.), de Norman Fairclough. Cette orientation mérite que nous nous y arrêtions tant elle renvoie aux spécificités de l'analyse du discours à la française. Nous aborderons la question de l'argumentation dans la langue. L'argumentation est spontanément associée à la défense d'un point de vue avec pour objectif d'influencer les convictions de l'auditoire. Nous allons voir que cette dimension argumentative peut donner lieu à un dépassement qui fonde une perception intrinsèque de la dimension argumentative en langue. Après avoir décrit cette position, nous aborderons la question de la logique naturelle, qui est dépendante de la question du potentiel argumentatif.

I.2.3.4.1. Des parties du discours mises au

service du partage d'opinion

La qualité logique et argumentative de la structuration discursive garantit la qualité de la communication par le langage. L'argumentation peut être rapprochée soit de la rhétorique, soit du langage courant, cette dernière position s'ouvrant sur la logique naturelle avec la notion de schématisation. Ces deux orientations (nouvelle rhétorique et logique naturelle), correspondent à deux évolutions parallèles de la rhétorique ancienne. L'argumentation est un des moyens qui vise à emporter l'adhésion de l'auditoire, les autres étant de l'ordre de la propagande, de la manipulation psychologique (publicité), de la séduction (charisme et proximité à l'oral, figures de styles à l'écrit), ou encore de la démonstration (qui repose sur la raison et pas sur les sentiments). L'argumentation est un moyen de convaincre dont la spécificité « est de mettre en œuvre un raisonnement dans une situation de communication » (Breton, 2001: 3)  . L'argumentation

est alors un « moyen puissant pour faire partager avec autrui une opinion (qui peut avoir comme conséquence une action), qui s'écarte aussi bien de l'exercice de la violence persuasive que de l'exercice du recours à la séduction ou à la démonstration scientifique. Il s'agit donc d'un genre particulier (...) » (Breton, 2001: 6)  . Il s'agit d'un acte de communication, parce qu'il vise à faire partager une opinion. L'argumentation relève d'un niveau personnel de conviction dans ses propos.

Le but n'est pas d'atteindre une vérité ou prouver une fausseté, et, dans une perspective communicationnelle, « peu importe que le message soit vrai ou faux, puisque, plus fondamentalement, on considérera que ce sont le plus souvent des convictions que l'on argumente que des vérités ou des erreurs. […]. Ce faisant, on réhabilite l'opinion, qui n'est pas une croyance molle ou une vérité peu rigoureuse, mais bien la matière de notre vie quotidienne, le ciment de notre adhésion à la vie et le fondement de nos choix les plus essentiels. » (Breton, 2001: 8)  .

Les travaux des linguistes sont ceux qui se rapprochent le plus de l'argumentation communicationnelle, même si leurs études portent sur la langue en général.

I.2.3.4.2. La Nouvelle rhétorique

La Nouvelle rhétorique de Perelmann et Olbrechts-Tyteca scelle, dès le titre de leur ouvrage Traité de l'argumentation. La Nouvelle rhétorique (2008), les notions de rhétorique et d'argumentation. La proximité de ces termes est osée, car la rhétorique est connotée négativement, parfois associée à la manipulation propagandiste souvent politisée. Ainsi restreinte à l'art de la persuasion, l'art rhétorique classique ne concerne plus qu'un nombre limité de genres de discours. Aristote (1967-1973), par exemple, traitait des trois genres juridique, délibératif, épidictique.

Certes, les chercheurs récents, tels que Perelman et Olbrechts-Tyteca (2008), Breton (Breton, 2000, 2001) ou Oleron (Oleron, 1987), ouvrent la discipline et en redessinent les contours. Perelman, avec sa Nouvelle rhétorique, l'étend à la philosophie et à la littérature. Mais, pourtant, la rhétorique ne parvient pas à se défaire de ses connotations : elle reste, malgré l'ouverture nouvelle, un moyen de convaincre152, une « tentative de mobiliser les moyens du langage pour susciter l'adhésion des esprits à leur assentiment » (Amossy, 2008: §3)  .

C'est également le cas avec Oleron (1987) et Breton (2000, 2001), pour lesquels l'argumentation, même revue et restaurée, reste un moyen d'action volontaire. Ce qui n'implique pas un rejet mutuel des deux postures

argumentatives, mais plutôt une complémentarité, dans la mesure où elles ne se font pas concurrence.

I.2.3.4.3. L'argumentation dans la langue

L'argumentation est comme un canevas sur lequel se mettent en place les discours, par essence argumentatifs.

I.2.3.4.3.1. L'argumentation et la rhétorique classique

L'argumentation dans la langue est une notion à distinguer de ce que nous a légué la rhétorique classique. Il s'agit non pas de penser l'argumentation en tant que moyen de pression sur l'adhésion ou la compréhension d'un auditoire qui serait à manipuler (dimension péjorative), mais plutôt de penser le langage comme fondamentalement argumentatif. De ce point de vue, il ne s'agit plus d'un moyen mis en œuvre, mais d'une part essentielle constitutive du langage. En effet, il paraît évident que, bien que « tout échange verbal repose sur un jeu d'influences mutuelles et sur la tentative plus ou moins avouée, d'user de la parole pour agir sur l'autre » (Amossy, 2008: §1)  C'est que toute parole ne vise pas à entraîner l'adhésion à une thèse, et « nombreux sont les discours qui n'ont pas de visée argumentative dans le sens où ils ne véhiculent aucune intention de persuader et n'entendent pas rallier l'allocutaire à une position clairement définie par des stratégies pré-programmées » (Amossy, 2008: §1)  .

Nous avons vu les orientations récentes dues à Perelman et Olbrechts-Tyteca (2008) et incarnées dans la Nouvelle rhétorique, dont les travaux s'inscrivent dans la continuité de la rhétorique ancienne. C'est à Ducrot (1997), entre autres, que nous devons la théorie de l'argumentation dans la langue . Argumenter, ce n'est pas démontrer des évidences, mais c'est, sur le terrain des incertitudes et des multiples possibles, tracer un chemin vers une vérité, en y guidant son interlocuteur.

Nous avons vu la nécessité de distinguer une argumentation qui serait rhétorique d'une argumentation linguistique. Il faut, sur la base de cette opposition, distinguer visée argumentative et dimension argumentative : dans le cas de l'argumentation, elle est constitutive a priori du matériau langagier et discursif (Amossy, 2008: §8)  . Si, dans le cas de la visée argumentative, il y a volonté et mise en œuvre volontaire, dans le cas d'une dimension constitutive, il s'agit bien d'une « tendance de tout discours à orienter les façons de voir du/des partenaires » (Amossy, 2008: §10)  . L'argumentation

« apparaît dans la mise en mots qu'effectue un discours dont l'objectif avoué n'est autre qu'argumentatif : un discours d'information, une description, une narration dont la

vocation est de conter, le compte-rendu d'un vécu dans un carnet de route ou un journal intime, un témoignage qui relate ce que le sujet a vu, une conversation familière où les partenaires échangent des propos anodins qui ne visent pas à faire triompher une thèse, etc. C'est alors avant-tout le discours qui vise avant tout à informer, à décrire, à narrer, à témoigner et oriente le regard de l'allocutaire pour lui faire percevoir les choses d'une certaine façon qu'il importe de dégager et d'analyser » (Amossy, 2008: §11)  .

La conviction est acquise par le biais d'une argumentation qui atteint le niveau du raisonnement. Il faut une construction discursive qui permette cela. La persuasion en revanche ne s'adresse pas au logos par le raisonnement, mais le contourne en se basant sur des arguments ad hominem, c'est-à-dire qui portent sur autre chose que les éléments du raisonnements.

I.2.3.4.3.2. L'argumentation dans la langue

Mais la notion d'argumentation ne se situe pas seulement au niveau de l'agencement syntagmatique. Il peut en effet être identifié à un niveau constitutif, comme l'ont montré Jean-Claude Anscombre (1980) et Oswald Ducrot (Anscombre et Ducrit, 1983) avec la théorie de l'argumentation dans

la langue.

Pour bien saisir le concept d'argumentation dans la théorie de l'argumentation dans la langue, il faut dépasser le logos, le raisonnement logique et rationnel, pour atteindre un niveau constitutif et fondamental : celui où peut exister une dimension sémantique argumentive inscrite dans la langue, et non plus construite par elle. Ce niveau linguistique fait de l'argumentation un élément constitutif de la langue.

Il faut alors distinguer, mais sans les mettre en opposition, une action pour

faire adhérer, qui considérait les positions argumentatives comme guidées

par une volonté de faire changer d'avis l'auditoire, et énoncées dans un climat construit, aménagé et calculé pour cela, à une façon de penser, donc à un niveau inconscient inscrit dans le fonctionnement langagier même. Ainsi ancré au cœur du langage, il invite à se détacher d'un fonctionnement logique pour atteindre un niveau intuitif non conscientisé. Il est dès lors possible de concevoir l'argumentation comme un fait de langue qui ne nécessite plus une mise en discours pour exister.

I.2.3.4.3.3. L'argumentation et l'analyse du discours

L'ancrage du discours dans son contexte d'énonciation et les relations significatives et étroites qu'il entretient avec lui oblige à traiter ce contexte avec beaucoup d'application et de considération. S'il est d'apparence extra-linguistique, il est en réalité connecté à ce dernier, qui lui insuffle son sens et sa pertinence communicationnelle. L'analyse argumentative ne peut donc

absolument pas faire l'économie d'une prise en compte sérieuse du contexte énonciatif large, et

« c'est dans ce cadre communicationnel et socio-historique qu'il faut étudier de près la façon dont l'argumentation s'inscrit, non seulement dans la matérialité discursive (…) mais aussi dans l'interdiscours. La façon dont le texte assimile les paroles de l'autre (…) est primordiale. A cela s'ajoutent les modalités selon lesquelles il s'articule, sans nécessairement l'exhiber, sur des discours qui circulent avant ou après lui (…). Il faut examiner l'organisation textuelle qui détermine le déploiement de l'argumentation et la façon dont le locuteur a choisi de les disposer (...) » (Amossy, 2008: §17)  .

Il faut que l'analyste poursuive comme objectif un « (…) questionnement qui porte sur les moyens verbaux qui, au sein d'un fonctionnement cognitif global, assure à la parole son efficacité. Il s'agit donc d'explorer ces fonctionnements discursifs pour voir comment le discours agit sur l'autre » (Amossy, 2008: 30)  . Une fois la place de l'autre revalorisée au sein de l'échange langagier, il devient possible d'accéder aux disciplines qui ne sauraient se passer de la nature langagière de la communication humaine. L'analyse du discours connaît deux aspects: l'un très disciplinaire, qui traite des questions linguistiques, et l'autre plus interdisciplinaire, où se posent des questionnements extra-linguistiques. Si l'analyse du discours peut fonctionner sans linguistique, une analyse linguistique du discours s'ancre théoriquement et conceptuellement dans la science linguistique. Il ne s'agit plus seulement d'élucider le discours, mais aussi de le faire à un niveau linguistique. Il devient nécessaire au vu des objectifs que doit se fixer l'analyse argumentative du discours et au vu des paramètres à prendre en compte, que « l'analyse argumentative met[te] en évidence à la fois les objectifs du discours dans une situation de communication singulière et les stratégies déployées pour les réaliser dans leurs dimensions formelles et idéologiques. Aussi convient-elle également à l'analyse de l'archive qui retient l'attention de l'historien » (Amossy, 2008: 30)  . C'est une des raisons pour lesquelles l'analyse du discours ne saurait se borner à une approche intra-textuelle totalement dissociée du cadre ayant conduit à l'énonciation de tel ou tel autre discours. Le cercle linguistique-histoire-sociologie est bouclé, les objectifs deviennent convergents: « c'est donc pour étudier les textes et les documents dont se nourrissent les sciences historiques (politiques, sociales, etc.) qu'il faut disposer des cadres et des instruments qui permettent de les analyser avec le plus de précisions possibles. Qui plus est, le discours est parfois lui-même Histoire » (Amossy, 2008: 28)  .

La nécessité d'une étude linguistique historique (analyse du discours) menée conjointement avec une analyse historique ne fait plus de doutes. Par ailleurs, sachant la richesse des perspectives offertes par l'analyse argumentative, basée sur une « analyse du discours et [une] analyse argumentative [qui] peuvent tantôt servir de cadre tantôt fournir des instruments de travail »

(Amossy, 2008: §25)  , il devient urgent de préciser à nouveau les attraits d'une théorie argumentative du discours.

I.2.3.4.4. La schématisation et la logique

naturelle

Cette position face à l'argumentation nous situe bien dans un autre champ que celui restreint aux vues de la rhétorique classique. S'il est possible d'abstraire des argumentations logiques conçues au sens scientifique, c'est parce que l'argumentation en langue naturelle se place au niveau des idées, et se situe donc en amont. Ceci est possible grâce à la nature des idées, qui « ne sont pas des suites de raisonnements ; elles précèdent le raisonnement, elles suivent les sensations » (Diderot cité dans Grize, 1995:  265). Elles ne restent donc pas au niveau de l'articulation langagière d'arguments formulés. Ce que vise Grize, c'est de « procéder à une étude de nature théorique, et de voir comment l'argumentation se rattache à la logique (…) et dans quelle mesure il est possible de parler d'une logique de l'argumentation (…). Celle-ci stipule quelles sont les opérations de pensée qui président nécessairement à une démonstration » (Grize, 1995: 263)  . Il en découle que le statut de la preuve, dans une argumentation qui vise à convaincre (et pas à démontrer) n'est pas le même153 : « dans une argumentation (…) une preuve n'a rien à voir avec une démonstration » (Grize, 1995: 264)  .

Les énoncés tiers dans l'argumentation n'ont pas un statut préalablement fixé (axiome, définition, théorème...) et leur valeur de vérité dépend des choix de positionnement du locuteur. Ainsi, le degré d'adhésion de tel ou tel interlocuteur dépend du degré d'accord basé sur des évidences avancées dans le discours par les procédures argumentatives. Le terrain n'est plus celui de la logique et du raisonnement scientifique, il est celui du sensible, le problème étant alors « de donner occasion, par le biais du discours, à des sensations, de proposer à l'interlocuteur une représentation de ce dont il s'agit, dans notre terminologie, d'une schématisation » (Grize, 1995: 265)  . Les notions de schématisation et de pré-construits culturels sont essentielles à la pensée de Jean-Blaise Grize.

I.2.3.4.4.1. La schématisation

Les schématisations sont dès lors des dispositifs mis en place par l'argumentation en langue naturelle, et dont l'objectif est de modifier les représentations de l'interlocuteur : tout énoncé construit un point de vue, une schématisation, dont l'étude constitue l'objet de la logique naturelle. Pour construire une argumentation, il faut agencer des propositions élaborant

l'argumentation dans le discours. Il y a argumentation lorsqu'il y a mise en contact de points de vue portés dans le discours. La schématisation est alors une construction visant à avoir un effet sur l'allocutaire. Elle n'est absolument pas « un modèle au sens scientifique du terme et ceci pour deux raisons. D'une part, une schématisation est tout à la fois un processus et un résultat (…). D'autre part, [elle] est une construction que le locuteur fait pour un interlocuteur » (Grize, 1995: 265)  . Elle n'est donc pas une formalisation qui représente quelque chose d'achevé et de statique mais il y a une forme de théâtralité qui lui est inhérente. Cette théâtralité implique la spécificité de chaque fonction de l'auditoire, qui prend, en retour, une part active à son élaboration. La schématisation est toujours originale, car à chaque fois recomposée, et elle est comme « un langage de l'action, action sur le destinataire des discours (...) » (Grize, 1995: 266)  .

Il faut préciser que l'action du locuteur sur l'interlocuteur n'est pas indépendante de ce dernier. Ceci paraît évident lorsque chaque schématisation est faite à destination d'un auditoire toujours particulier. Mais il y a une forme de réciprocité dans l'action, qui fait qu'une schématisation propose des objets de pensée que les interlocuteurs construisent ensemble. Ces objets ne sauraient partir de rien, et en fait ils reposent sur tout un ensemble de connaissances communes qui sont caractérisées par deux aspects principaux :

• L'un est qu'elles sont non seulement partagées, mais que chaque individu-locuteur appartenant au même groupe socio-culturel sait que les autres savent, et qu'ils savent que les autres savent. C'est là quelque chose de très important qui rend compte de ce qui fait qu'un discours en langue naturelle ne dit jamais tout ce qui serait logiquement nécessaire. On sait bien en effet que si quelqu'un vous dit

La France est la France par exemple, c'est quelque chose d'autre qu'il

veut signifier et c'est à vous, dans la situation de l'énonciation, de l'interpréter.

• L'autre est qu'elles sont toujours déjà là, et qu'« elles sont de nature essentiellement sociales, d'où la possibilité de les tenir pour des pré-construits culturels » (Grize, 1995: 265)  .

Le partage des schématisations constitutives de l'argumentation en langue naturelle repose sur le terrain fertile des croyances collectives et partagées et des évidences sociales qui préexistent à tout discours.

I.2.3.4.4.2. Les pré-construits culturels

S'il y a bien co-construction des schématisations par les interlocuteurs, par le biais des pré-construits culturels, l'accès à celles-ci n'est jamais garanti. Pour que le récepteur puisse les recevoir, bien au-delà de comprendre la langue ou de partager des représentations langagières communes, il faut que le récepteur du message se représente les schématisations de façon correcte ;

mais ce n'est pas tout. Il faut ensuite qu'il y ait acceptation de sa part. Pour cela il faut qu'il reconnaisse :

a) que les choses sont fidèles à ce qu'il a construit ;

b) qu'elles impliquent ceci et non cela. Si l'adhésion n'est jamais acquise, c'est parce qu'elle fait « quitter le domaine du raisonnement à proprement parler pour pénétrer dans le monde des valeurs et des désirs » (Grize, 1995: 267)  .

Le pouvoir de persuasion inhérent au langage et mis en pratique dans l'acte de parole est au cœur de ces acquis tacites, reconnus et non dits. En effet, « ce qui est remarquable, ce qu'il faut remarquer, c'est que ce genre d'inférence ne se dit que rarement, et qu'il est laissé à l'activité du destinataire. Ceci paraît fondamental, en ce sens que nous doutons beaucoup moins de ce que nous inférons nous-mêmes que des conséquences qui nous sont proposées et ainsi en quelque sorte imposées » (Grize, 1995 : 267). La porte est grande ouverte sur les implicites et les sous-entendus, sur les non-dits en discours. Il est relativement aisé d'étudier les raisonnements logiques, les démonstrations scientifiques ; plus aisé, en tous les cas, que d'étudier une argumentation inhérente à la langue naturelle courante. Le raisonnement n'en est pas moins logique, mais il n'est pas explicité et repose sur les évidences, si ce n'est communes, du moins étant celles du locuteur, et celles, supposées, de l'interlocuteur.

Parce que les discours quotidiens sont cohérents, avec des interlocuteurs, avec une situation, avec une réalité spatio-temporelle toujours nouvelle, ils sont de fait, ces discours, adaptés à leur environnement. Sans cette adaptation, ils seraient irrecevables, incohérents et incompréhensibles. Pour Grize, la schématisation argumentative doit satisfaire à trois sortes de cohérence (Grize, 1995: 267)  :

• une cohérence interne ;

• une cohérence externe, « relative à la connaissance commune à la situation d'interlocution » ;