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L'analyse du discours à la française

LINGUISTIQUE DE L'ÉCRITURE HISTORIENNE Parmi les rapports de l'histoire et du langagier compte celui de son rapport

I.2. L'ANALYSE DU DISCOURS

I.2.3. L'AGE D'OR 137 DE L'ANALYSE DU DISCOURS À LA FRANÇAISE

I.2.3.2. L'analyse du discours à la française

Nous restreindrons notre approche de l'analyse du discours à une vision plutôt française de celle-ci. Comme le décrit Johannes Angermüller (Angermüller, 2007: 10)  , l'analyse du discours a suivi trois tendances différentes :

• une anglo-saxonne, centrée sur la notion d'actes de langage qui « renvoie au niveau d'agir langagier dans une situation de communication donnée » (Levinson, 1983, Pragmatics, N.Y., Cambridge, cité par Johannes Angermüller (ibid. : 10) ;

• une vision inscrite dans la perspective de l'école allemande, dont nous avons déjà dégagé les éléments saillants : il s'agit de discours idéologiques étudiés plutôt d'un point de vue qualitativiste avec pour arrière-plan une vision verticale des transferts de savoirs ;

• une analyse du discours dite française imprégnée de marxisme et d'idéologie, marquée par le sujet parlant sur fond de controverse structuraliste.

Cette dernière tendance à la française est celle dans laquelle nous nous inscrivons, et, lorsque nous invoquons l'analyse du discours, il sera question de cette « vision descriptive rigoureuse et exhaustive de la vie des signes au sein d'une société qui caractérise l'analyse du discours à la française » (Angermüller, 2007: 10)  . Si cette qualification « à la française » semble acquise et peut être synthétisée comme étant basée sur une « critique structuraliste du sujet parlant telle qu'on la connaît en France » (Angermüller, 2010 : 187), étiquette qui reste discutable (Paveau et Rosier, 2005 : 1), car elle « ne tenait aucun compte des contradictions qui traversaient alors le domaine » (Courtine, cité dans Paveau et Rosier, 2005 : 3). Autrement dit, si cette étiquette à la française est toujours discutable, c'est parce qu'elle ne repose en réalité sur aucun champ disciplinaire unifié, ni par les objets, ni par les méthodes, ni même par les problématiques qui restent variées, même si de grandes orientations existent réellement, au cœur d'une analyse du discours à la française qui vise à « lier l'écrit à des institutions ou des groupes institués (…) et une approche des textes et de la construction de l'objet en discours » (Ghiglione et Blanchet, 1991: 8)  .

Nous allons dans ce qui suit baliser le terrain de l'analyse du discours à la française en évoquant ses différents ancrages disciplinaires.

I.2.3.2.1. Les limites d'une linguistique

a-sémantique

Michel Pêcheux critique le bien-fondé des études lexicales, « tout au moins en ce qui concerne les méthodes reposant sur le décompte fréquentiel, les méthodes statistiques appliquées aux signes linguistiques à l'intérieur d'un corpus » (Guespin, 1971b: 4)  ; la critique se fonde sur les restrictions linguistiques qu'impose une telle considération au signe lexical en discours ; Louis Guespin évoque largement Michel Pêcheux sur ce point140. Mais il n'est pas le seul ni le premier à mettre en garde contre une appréhension isolée du lexème ; dès le premier numéro de la revue Langages en 1966, Jean Apresjan, dans son analyse distributionnelle des significations lexicales, remet en cause la lexicologie traditionnelle qui considérait chaque mot comme un problème à part entière. Un mot n'a pas de signification mais il n'est porteur que d'une valeur au sein du système auquel il appartient (Apresjan, 1966 : 45).

Guespin, plein de retenue, nuance la critique en invitant à ne pas oublier que « toutefois(...) si certains micro-systèmes, parfois importants, permettent à l'observateur un compte-rendu par structuration isomorphe expression-contenu, le vocabulaire général, c'est-à-dire ici les procédures générales de structuration linguistique telle que l'analyste peut les construire, n'autorise pas la même démarche » (Guespin, 1971b: 4)  . Il note également que l'analyse lexicale est un outil qui n'a pas le privilège des analyses discursives : elles peuvent être syntaxiques, logiques, prosodiques, etc.

La structuration qui préside à la mise en place de l'analyse et aux procédures amenant à l'obtention de résultats conditionne par ailleurs dangereusement l'orientation des travaux menés en compromettant fortement l'indépendance des résultats obtenus. L'analyse et les résultats courent le risque de se trouver commandés par les grilles utilisées, en proie à une tautologie que nous qualifierions d'anti-scientifique et qui est pointée par Apresjean lorsqu'il écrit que le repérage d'une structure permet de conclure à cette même structuration, tout en mettant en garde contre le bon sens, qu'il qualifie de

spéculatif (Apresjan, 1966: 46)  .

D'autres critiquent les méthodes statistiques lexicales, comme Marcellesi (1971) et Maldidier (1971), le premier montrant que les discours polémiques, par exemple, sont sous-tendus par une visée qui tend à démonter et contrecarrer les propos d'autres, tout en pointant ce qu'ils ne sont pas, avec d'évidentes conséquences statistiques ; la seconde conclut que les vocabulaires de groupes politiques différents s'avèrent être, en 1920 pour son

140« Le rapport au domaine linguistique est ici réduit au minimum. On peut dire que seul le concept d'origine linguistique est celui de la bi-univocité du rapport signifiant-signifié, ce qui autorise à noter la présence d'un même contenu de pensée à chaque fois que le même signe apparaît. Mais ce concept appartient à un champ théorique pré-saussurien, et la linguistique actuelle repose en partie sur l'idée qu'un terme n'a de sens dans une langue que parce qu'il a plusieurs sens, ce qui revient à nier que le rapport du signifiant au signifié soit bi-univoque ».

corpus141, « communs au groupe et aux individus » (Guespin, 1971b: 7)  . Si Denise Maldidier aboutit à de riches recherches, c'est qu'elle ne se limite pas aux lexèmes choisis, au travers des termes France et Algérie par exemple, mais qu'elle joue de leur confrontation, car, « en se donnant à étudier des énoncés qui sont en rapport de reformulation, on se situe d'emblée sur le terrain d'une analyse du discours qui, rejetant l'isomorphisme simple entre structure linguistique et structure sociale, ne se contente pas de noter la présence/absence des mots, mais envisage la proposition qu'ils représentent dans ses rapports avec l'énoncé » (Maldidier, 1971: 58)  . Elle sait observer leur précipité, celui-là même qui, par la vie qu'il procure aux discours, colore les énoncés en leur conférant un accès vers leur vrai sens. C'est au niveau des manipulations du sens que se situe l'articulation observée par Maldidier, « au niveau des reformulations (ces phénomènes de réécriture de l'énoncé officiel pris comme invariant), qu'elle peut rendre compte des phénomènes d'énonciation » (Guespin, 1971a: 15)  . Pour elle, ne pas tenir compte de ces glissements (par la reformulation) « peut fausser gravement les résultats. (…) La transformation n'est pas neutre : elle doit être conçue comme une forme volontairement donnée à l'énoncé par le sujet de l'énonciation » (Guespin, 1971a: 15)  . « On constate que les transformations ou les reformulations de l'énoncé prises comme invariant de base sont la plupart du temps porteuses de signification : transformation négative, substitution de prédicat, (…). Les structures syntaxiques selon lesquelles l'énoncé est reconstruit dans les quotidiens sont liées au contenu. Ce fait découle du caractère idéologique revêtu par le modèle linguistique » (Maldidier, 1971:  85). Comme Marcellesi, Maldidier soutient l'idée que « les mots ne valent que par les propositions qui les sous-tendent » (Guespin, 1971b: 15)  . Et si l'on se permet de rappeler combien proposition et énonciation sont liées, on ne pourra que tomber d'accord avec Guespin lorsqu'il conclut que « la différence dans les conditions de production est bien à la source des différences dans le processus de production (...) » (Guespin, 1971b: 16)  , invitant à pousser l'investigation dans cette direction.

L'unité mot reste problématique.

I.2.3.2.2. La place, en analyse du discours à

la française, du concept d'énonciation

La place de l'énonciation occupée dans le champ disciplinaire qu'est l'analyse du discours est un des traits distinctifs de son orientation dite à la française. Cette « veine énonciative » (Dufour et Rosier, 2012: 8)  la distingue, entre autres, de l'école anglo-saxonne, dont l'orientation est plutôt pragmatique. Le concept d'énonciation est couramment mobilisé en sciences du langage. Il renvoie à la mise en œuvre effective de la langue, dans un espace-temps déterminé et donc dans une situation singulière, par des individus particuliers. L'énonciation est l'événement créé par l'énonciation d'une phrase à un

moment donné. C'est le fait que quelque chose ait été prononcé, dit effectivement,qu'il y a énonciation. Elle est bien « cette mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel (…). Il faut prendre garde à la qualité spécifique de l'énonciation : c'est l'acte même de produire, un énoncé et non le texte de l'énoncé qui est notre objet » (Benveniste, 1974 : 80). Il en découle que chaque énonciation est particulière : prononcer deux fois la même phrase n'en fait pas une seule énonciation profération. Une phrase est un ensemble de mots construit dans le respect des règles de la langue ; ces règles permettent l'attribution des rôles et des relations dans la phrase. La syntaxe est la discipline qui prend en charge l'unité phrase : elle en élucide la place et le rôle de chaque partie constitutive. Mais au-delà de ce niveau phrastique se situe un autre niveau conditionné par l'énonciation. L'énonciation joue un rôle fondamental dans la légitimité de ce niveau discursif. Les conditions de l'énonciation d'une phrase en font un énoncé et un discours : l'instanciation de phrases dans un contexte communicationnel en fait des énoncés organisés en discours. Ainsi, si l'énonciation est la condition nécessaire à l'existence du discours, les traces qu'elle inscrit dans l'énoncé sont révélatrices des réseaux ouverts par et sur lui. Le cadre énonciatif est accessible au travers des conditions de production qui sont accessibles grâce au discours au travers des traces qu'elles ont laissées. Les marques de cette parenté énonciative sont portées entre autres par les déictiques. Le concept de deixis est d'importance en linguistique énonciative. Les déictiques sont des segments qui ne sont pas porteurs de sens en eux-mêmes, mais dont le contenu dépend du contexte d'énonciation : l'identification de leur référent nécessite la mobilisation du hors-discours. Il n'est pas possible de savoir à quoi renvoie un déictique sans avoir par exemple connaissance de qui parle à qui, quand et où. A ce niveau se dessine une zone frontalière entre un discours matérialisé et un hors-discours sans cesse mobilisé : cet espace ouvert est le lieu de rencontre de ce qui donne vie à la langue dans le discours.

Les traces des conditions spatio-temporelles et les marques de personnes peuvent être des déictiques : ils renvoient à l'énonciation, dans laquelle ils puisent leur sens : le contenu référentiel change à chaque nouvelle énonciation et pour chaque énonciateur. Tous les indicateurs spatio-temporels ne sont pas déictiques. Pour ne donner qu'un exemple, considérons l'exemple ci-dessous :

(1) « Cette décision nous ayant paru équitable, nous avons l'honneur de vous prier, Messieurs, si vous partagez notre point de vue, de vouloir bien décider d'appliquer aux intéressés les salaires ci-dessus, avec effet du 1er septembre 1946, date à partir de laquelle les dispositions de l'arrêté de décentralisation du 3 mars 1947 ont été appliquées à l'ensemble du personnel du Grand-Théâtre de Bordeaux. M. COSTEDOAT. — Je demande la parole pour dire que je voterai ces crédits. C'est la dernière fois toutefois que je les voterai tant que

l'Administration n'aura pas décidé enfin un renouvellement de la direction.

M. BASILE. — Il fallait le faire tant que vous y étiez.

M. LAVIGNE. — Je vais reprendre la même observation déjà formulée au sein du Conseil municipal privé à savoir que nous supportons la situation créée par l'ancienne municipalité puisqu'aussi bien le directeur du Grand-Théâtre peut être licencié avec un préavis d'un mois, et qu'il y a quelques mois il avait sensiblement le même âge : il devait avoir 75 ans passés puisqu'il en a aujourd'hui 76. Je ne vois pas pourquoi si l'ancienne municipalité lui a fait confiance la nouvelle municipalité ne peut pas lui accorder la même confiance ». (22 décembre 1947)

L'indication d'une date précise, par exemple, fournit des indications temporelles qui n'appellent pas de précisions supplémentaires : quel que soit le moment de la locution, le moment « 3 mars 1947 » reste le même. Ceci n'est pas le cas avec un terme tel que par exemple aujourd'hui. Des éléments spatiaux peuvent également être de nature déictique : il s'agit de la triade moi-ici-maintenant d'Emile Benveniste.

Le fait qu'un discours porte beaucoup de segments déictiques en fera un discours très dépendant dans la situation d'énonciation et son interprétation ne peut se faire sans sa prise en compte. Le discours est alors fortement ancré, il n'est plus autonome par rapport à son actualisation. Le niveau d'ancrage d'un énoncé dépend du niveau de présence des déictiques et des embrayeurs, niveau de présence qui permet de distinguer deux grands types d'énoncés : les discours embrayés et non embrayés. Les discours ont un plan d'énonciation embrayé s'ils sont porteurs de déictiques qui l'ancrent dans la situation d'énonciation ; un discours n'est pas embrayé s'il est coupé de sa situation d'énonciation et s'il a donc une certaine autonomie. Si Benveniste a initialement distingué discours et histoire sur la base d'une étude de leur système de temps verbaux, les deux systèmes ont ensuite été élargis aux autres marqueurs en discours (déictiques, modalisation de l'énoncé ou de l'énonciation entre autres).

I.2.3.2.3. Le matérialisme historique

Le matérialisme historique s'est trouvé au fondement de l'analyse du discours (voir: Guilbert, 2010)  , et il reste une des caractéristiques de l'analyse du discours telle qu'elle est pratiquée en France. Ce matérialisme est une conception des rapports entre les individus reposant sur la lutte des classes, sur les idéologies, et sur une super-structure unifiant l'ensemble. Ces concepts conduisent à percevoir l'existence de communautés discursives dont les fondements les dépassent. L'ancrage communiste, très marqué, est dû au militantisme communiste de nombreux chercheurs. Nous reviendrons sur ce matérialisme historique.

I.2.3.2.4. L'ancrage socio-linguistique

Louis Guespin écrit en 1980 que selon lui, le grand danger réside dans ces grilles d'analyses susceptibles de mouler autant les analyses que les résultats obtenus. Les historiens, tout comme les sociologues, pointent chacun le même risque, à savoir celui des expériences conditionnées, souvent involontairement, à fournir les résultats attendus comme preuves du bien-fondé et de la scientificité de la recherche ! Louis Guespin suggère lui que « le passage d'une analyse d'énoncé à l'analyse de discours fondée sur la sociolinguistique tente d'éviter ce péril » (Guespin, 1980b).

Le champ des recherches en analyse du discours n'a en réalité jamais été homogène. A la période faste des vagues porteuses dans la recherche succédèrent des temps de tensions existentielles. Après avoir porté sur la nature du corpus à constituer, les doutes sont devenus épistémologiques et méthodologiques : ils interrogent le point de vue de l'analyste, l'invitant à se situer tantôt sur le terrain social, tantôt sur le terrain idéologique. Ces hésitations ont ébranlé la discipline en rendant incertaines ses frontières. Ces guerres vives, dont l'analyse du discours est alors le siège, sont le fruit de la confrontation de deux approches du rôle de l'analyse, les premiers articulent leur travail autour de l'idéologie, alors que les seconds s'orientent plutôt vers une sociolinguistique des groupes sociaux (Maldidier, 1993). Si douloureuse qu'elle soit, l'opposition de ces deux types d'approches se retrouve dans les choix éditoriaux de la presse scientifique, dont le numéro 9 de la revue

Langue française consacre « les liens entre socio-linguistique et analyse du

discours en France » (Dufour et Rosier, 2012: 9)  .

L'importance de l'idéologie dans les analyses françaises et dans les problématiques échafaudées va dans le sens du rôle accru joué par le social (au sens large) dans l'analyse du discours à la française. Cette idéologie est parfois la conséquence directe de la prise en compte de l'énonciation. En effet, « l'une des caractéristiques [à l'analyse du discours à la française] est sa façon régulière de développer une réflexion épistémologique sur la constitution de son champ d'analyse sur les ancrages et outils mobilisés à un

moment donné dans un contexte donné142 (…) de même sur sa visée

historiquement émancipée et plutôt orientée aujourd'hui à la satisfaction d'une demande sociale » (Dufour et Rosier, 2012: 6)  . Les contraintes exercées sur le discours à un moment donné dans des conditions spécifiques impliquent une prise en compte de l'aspect social du discours par le biais de l'énonciation.

I.2.3.2.5. L'ancrage politique

L'importance du langage et de son maniement en politique est grande. Si les hommes de pouvoir sont éduqués, ils doivent par ailleurs passer maître en l'art de l'expression : par les mots passent leurs messages, par les mots est

véhiculée leur image. Cette image construite n'a de réalité que par l'écho qu'elle trouve dans la société. Le discours, ce langage en usage, est « l'instrument de transformation de la pratique politique (…), comme système articulé renvoyant à la pratique sociale complexe (…) on comprend que finalement la pratique politique ait pour fonction de transformer les rapports sociaux en reformulant la demande sociale (demande et aussi commande au sens double où nous l'entendons), par le moyen d'un discours. En disant cela, nous ne prétendons pas que la politique se réduise aux discours, mais que toute décision, que toute mesure au sens politique prend sa place dans la pratique politique comme phrase dans un discours » (Herbert, 1966: §150)  .

Il ressort de ces interrelations que le politique, le social et les pratiques langagières sont étroitement liés, sans, comme le souligne Herbert, le réduire à cela. Finalement, « tout discours serait-il politique, et le politique se résoudrait-il en discours ? [Bacot préfère] penser que l'objectif aujourd'hui commun aux chercheurs évoqués ci-après est de débusquer le politique dans le langage, et le langage dans le politique » (Bacot et al., 2010: 9)  . Cette position rejoint celle de Damon Mayaffre, qui ne fixe pas seulement le politique au discours : il s'agit pour lui d'une fin, d'une visée que doit se fixer la recherche. Le langage politique contemporain est une fin en soi, car

« si le discours est selon la définition minimale et historique de (Benveniste, 1966, t.1 : 242) toute énonciation supposant un locuteur et un auditeur, et chez le premier

l'intention d'influencer l'autre en quelque manière, alors le discours politique est sans

doute la forme archétypale du discours : son adressage et son intentionnalité, au cœur du propos du linguiste, sont explicites et non à supposer. Si, dans la perspective pragmatique ouverte par Morris puis Austin, le discours met toujours en jeu la dimension actancielle du langage ou sa dimension performative, alors, à nouveau, le discours politique est une forme privilégiée de discours : locution, illocution, perlocution s'y entremêlent à parts égales, comme la dimension esthétique est constitutive du discours poétique » (Mayaffre, 2010 : 44)  .

Le discours a une face politique et une face sociale, il fait l'histoire comme il s'insère dedans. Sans doute se tient-il à la croisée de ces chemins, chemins bordés de tant d'autres champs. « Si le linguiste ne sort pas de son terreau, il n'y a pas d'analyse du discours possible », affirme Guespin (Robin, 1973:  48). La période actuelle n'est guère propice aux champs disciplinaires clos. Si se tourner vers les savoirs des domaines connexes, perçus comme enrichissants par leurs objets et leurs méthodes, paraît inévitable, affirmer cette nécessité vitale pour l'une d'elles va plus loin. En effet, contraindre l'analyse du discours à l'interdisciplinarité la conduit droit à la crise existentielle : se forger une identité incluant l'autre devient une condition d'existence.

Mais l'interdisciplinarité ne va pas de soi. Se confronter à l'autre, c'est admettre ses limites, et reconnaître celles de l'autre ; mais c'est avant tout

s'offrir aux savoirs et savoir-faire dont on le sait détenteur. Faire exister l'autre afin d'en extraire la richesse par osmose requiert une grande discipline et beaucoup de sérieux. Deux grands risques menacent en effet le chercheur inattentif : engloutir l'autre, et se faire phagocyter. Mais comment alors la penser, et, surtout, où laisser un interdiscours se déployer ?