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LINGUISTIQUE : TYPES ET GENRES DISCURSIFS

I.3.2.3. La place de la stéréotypie

L'importance de la perception dans la reconnaissance des genres ne fait pas de doute179. Nous allons sur ce sujet décrire les notions de cliché, stéréotypie, lieu commun, afin d'illustrer la place déterminante jouée par celles-ci dans la reconnaissance de la généricité.

I.3.2.3.1. La perception des genres : des

idées reçues à la typicalité

La reconnaissance par un locuteur ou par un émetteur d'un genre défini repose sur la catégorisation mentale des interlocuteurs, mais aussi, comme nous allons le voir, sur tout un ensemble de catégorisations pré-existant au discours et indépendantes du langage.

I.3.2.3.1.1. Les idées reçues, le stéréotype et le prototype

Tout individu hérite individuellement et construit collectivement, par la médiation du langage ainsi que par sa vie en société, un ensemble de catégories qui cadre sa perception du monde et son interprétation du langage.

I.3.2.3.1.1.1. Les idées reçues

Les idées reçues180 font partie du legs culturel dont chacun hérite. Non construites par les individus eux-mêmes, ces idées sont portées par

179 Nous évoquerons une anecdote personnelle qui illustre le fait que la perception individuelle apporte parfois de forte conviction. Alors que nous assistions à un séminaire, emportée par l'exposé passionnant du philosophe Blanc, nous fûmes traversées par un espoir incrédule : il évoquait le genre philosophique avec tant de certitude ! A l'appui de son argumentation, un nom, des recherches... Je l'interrogeai lorsqu'il eut fini. Mais il ne confirma que mes propres questions : il n'aurait su lui-même définir un genre autrement que par la perception que l'auditoire a d'un discours...

180 « On peut donc classer les idées reçues dans une catégorie d'implicites préconstruits , non impliqués par la structure linguistique des énoncés, à la différence des présupposés, mais proches des sous-entendus. Les sous-entendus ne sont pas plus posés dans l'énoncé que les pré-construits, mais ils font partie de l'énonciation comme acte » (Adam, 2011 : 139)  .

l'imaginaire collectif. Fortement ancrées socialement, elles mettent en jeu « une relation à l'autorité politique et sociale qui les conforte. Les idées reçues ne sont pas seulement des idées usées qu'on réemploie. On les suit, on s'y conforme, ou, au contraire, on les contredit. » (Amossy et Herschberg Pierrot, 2011: 25)  Elles nous dictent les comportements à avoir, ou les balisent suffisamment pour qu'ils ne soient en réalité plus le fruit d'une volonté individuelle. Les idées reçues rendent tout à fait prédictibles les attitudes des individus, et ces choix qui, finalement, ne sont pas les leurs, mais ceux autorisés par leur moule culturel.

Une question se pose cependant: « Qu'est ce qui définit les idées reçues ? Leur relation à l'opinion ainsi que leur mode d'insertion. Elles inscrivent des jugements, des croyances, des manières de faire ou de dire dans des affirmations qui se présentent comme un constat d'évidence et une affirmation catégorique : MONTRE Une montre n'est bonne que si elle vient

de Genève, OUVRIER Toujours honnête quand il ne fait pas d'émeutes »

(Amossy et Herschberg Pierrot, 2011: 27)  . Les idées reçues font la tradition et la norme collective, elles structurent les sociétés et font partie intégrante des cultures. Elles sont, de plus, des stabilisateurs sociaux.

I.3.2.3.1.1.2. La théorie des topoï

La théorie de l'argumentation, développée par Jean-Claude Anscombre (1980, 1983) dans la lignée directe des travaux de Oswald Ducrot, repose sur l'idée que la valeur argumentative de la langue est intégrée au sens profond de la langue, et qu'il ne s'agit pas d'un plus qui serait le fruit de la mise en discours. L'argumentation dans la langue est possible grâce à l'existence de

topoï jouant un rôle majeur dans l'interprétation des énoncés. Ces topoï,

véritables principes reconnus comme généraux par les locuteurs, servent de

garants, autrement dit d'éléments qui vont tellement de soi, que les

inférences qui sont faites ne sont plus logiques et réfléchis, mais relevant de l'ordre du plausible (Anscombre, 1995 : 190). Ces topoï présentent également la caractéristique de pouvoir être en coprésence avec leur topoï opposé, et la propriété d'être graduels (susceptibles d'être plus ou moins reconnus et efficaces).

I.3.2.3.1.1.3. La stéréotypie, un phénomène normal et nécessaire

Le cliché et le stéréotype sont très liés à leurs origines typographiques ; puis par déformation de son sens, le cliché est devenu une « méthaphore photographique et typographique de l'imitation sociale » (Amossy et Herschberg Pierrot, 2011: 17)  . Un cliché est un modèle qui sera reproduit ensuite.

Le stéréotype désigne lui quelque chose de conservé et servant à la reproduction. Puis il voit son sens évoluer vers celui de « schème ou de formule figée » (Amossy et Herschberg Pierrot, 2011: 29)  . Il est reçu, non construit. Les démarches de catégorisation, de schématisation sont indispensables à la cognition, avec pour danger de voir devenir simpliste des simplifications. Nous nous rapportons sans cesse à des modèles préexistants, qui permettent l'adaptation des individus. Le stéréotype sert souvent à désigner « une image collective figée considérée sous l'angle négatif » (Amossy et Herschberg Pierrot, 2011: 31)  . La stéréotypie, depuis les années 1970, est perçue par les études cognitives comme une « démarche normale » (Amossy et Herschberg Pierrot, 2011: 49)  . Par normal, il faut entendre que le référentiel construit par ces repères stéréotypiques est nécessaire à l'évolution de l'individu.

Ce sont nos repères et ce que nous considérons comme normal qui nous permet par exemple d'évaluer des situations nouvelles, et qui rend possible une adaptation à celles-ci. La société éduque les individus en leur fournissant des critères sociaux de normalité. Ainsi balisé, l'ensemble des événements auxquels est confronté un individu est replacé dans un premier temps par rapport au connu et au normal. Pour aller plus loin, il est possible de comprendre cette partie du sens commun comme un élément fortement unificateur et stabilisateur des sociétés humaines, et il est certain que « le stéréotype est une partie de la signification, qui répond à l'opinion courante associée au mot. La signification (…) inclut en outre des marqueurs syntaxiques (…), des marqueurs sémantiques permettant la classification de l'espèce, et l'extension, qui relève des compétences des spécialistes (...) » (Amossy et Herschberg Pierrot, 2011: 89)  . Un stéréotype est une sorte de convention adoptée par le plus grand nombre, qui n'est pas acquise ni expérimentée, mais qui est avant tout inculquée : elle est reçue. Or le stéréotype l'est par les mots, et plus précisément par le sens qui leur est associé. Un mot renvoie à un concept ou à une idée qui sera mémorisée comme étant celle qui est normale, puis reconnue ensuite comme telle. Finalement, « le stéréotype assure une description du sens en usage, fondée sur une reconnaissance de la forme sociale et culturelle » (Amossy et Herschberg Pierrot, 2011: 90) 

Cet aspect sémantique nous autorise à rester dans le champ linguistique. Mais la langue en usage n'est une réalité que dans une société donnée à un moment donné, ces paramètres étant seuls à permettre un accès au sens réel et voulu par le locuteur. S'ouvre ici une porte vers les disciplines proches sans lesquelles l'étude de la langue serait mortifiée. On atteint la sémantique du prototype, qui « a pour objet la question de la catégorisation, l'organisation des catégories sémantiques et relève de la psycholinguistique » (Amossy et Herschberg Pierrot, 2011: 92)  et qui s'intéresse « à l'organisation sociale de la communication. » (Amossy et Herschberg Pierrot,

2011: 93)  . Si le prototype sémantique nous ramène à l'étude de la langue, le stéréotype est un produit social et un pré-construit culturel.

I.3.2.3.1.2. La notion de lieu commun

La notion de lieu commun est « une notion fort ancienne qui n'est pas péjorative à l'origine » (Amossy et Herschberg Pierrot, 2011: 18),  (synonyme : topos). Terme aux acceptions multiples (cf. Amossy et Herschberg Pierrot, 2011: 18-24)  , il « est remarquable de voir que la valeur argumentative des lieux communs reste souvent présente même hors de toute référence à un contexte rhétorique, et que l'expression, péjorative, possède une plasticité sémantique, d'un contexte à l'autre (passant du sens d'idée générale à celui de sentence, phrase toute faite ou cliché) » (Amossy et Herschberg Pierrot, 2011 : 22). Les lieux communs sont porteurs d'une idée de banalité.

I.3.2.3.1.3. Le phénomène de typicalité dans la perception des genres

Les notions de prototypie et de stéréotypie sont mobilisées dans le perception des genres discursifs.

I.3.2.3.1.3.1. Le prototype

La notion de prototype a été développée par la psychologie cognitive des années 1980. Les recherches menées dans cette branche de la psychologie, centrée autour des travaux de Eleonor Rosch (Rosch, 1978) ont permis d'établir la notion de prototypie. Le stéréotype et le prototype ont en commun d'être tous les deux des représentants de classe. La notion de prototype occupe une place importante dans l'acte de lecture. Or, c'est justement sur cet acte que repose sur la reconnaissance d'un genre : sans interprétation, il n'y a pas de genre. Cette reconnaissance ne peut se faire que suivant un processus comparatif : on compare à des choses connues pour évaluer la qualité de choses nouvellement reçues. Les idées reçues et les clichés jouent ce rôle d'étalon, mais ils ne sont pas les seuls à occuper également cette fonction. La culture au travers des représentations qui la fondent et qu'elle véhicule en fait partie.

I.3.2.3.1.3.2. Du prototype à la reconnaissance cognitive

La catégorisation sociale et les réalités culturelles se manifestent dans la langue, et il y a parfois identification : les clichés et les locutions par exemple sont en intersection. Or si le prototype est inscrit dans la langue, il s'exprime dans les énoncés des locuteurs, ce qui implique directement que ce soit l'interprétation qui permette l'effectivité et l'efficacité des clichés. En définitive,